Golota picnic est la pièce écrite et mise en scène par l’Argentin installé à Madrid Rodrigo García, créée en Espagne cette année, et dont on a beaucoup parlé, sans trop évoquer précisément son contenu. Le « bruit » médiatique a en effet concerné essentiellement les réactions violentes qu’elle a suscitées de la part d’un groupe d’excités ultra-catholiques lorsqu’elle a été donnée pour la première fois en novembre en France, au théâtre Garonne à Toulouse.
Une fois constaté qu’il s’agit une fois de plus d’une chapelle d’extrême-droite qui profite de l’événement pour faire de la publicité pour sa propre boutique, et que le dispositif policier installé à Paris met le spectacle et ses spectateurs à l’abri de cette violence, le moment semble venu de parler de la pièce elle-même.
Pour tout dire, l’on en sort plutôt groggy. Et puis finalement, 48 h après, la profondeur de la pièce l’emporte sur ses aspects (très) désagréables.
Pour résumer, il s’agit d’un bon, voire à certains passages d’un très bon texte, mis en scène de façon outrancière et erratique, et suivi d’un long et merveilleux moment de musique.
Le texte est un discours de satire et de dénonciation poétique qui, loin de s’en tenir à la religion comme les manifestations le laissaient penser, concerne toute la société, ses mensonges et ses illusions, qu’il s’agisse du modèle économique inégalitaire, du consumérisme dépourvu de sens, du travail et même de la culture. Sur le christianisme, la charge, plutôt bien menée elle aussi, porte à la fois sur le mythe de Jésus, qui « fut le premier démagogue : il multiplia la nourriture pour le peuple au lieu de travailler coude à coude avec lui », et sur les représentations iconographiques sur lesquelles la chrétienté s’est enracinée, des scènes d’une grande violence. L’effet toxique que l’imagerie sanglante de la crucifixion a produit et continue de produire depuis deux mille ans amène d’ailleurs Rodrigo García à s’interroger, dans le même mouvement, sur les musées qui abritent les tableaux religieux et abreuvent notre culture aujourd’hui encore.
Les comédiens jouent le texte calmement (très bonne chose) mais rapidement, en castillan bien sûr et les non-hispaniques doivent lire vite pour ne pas perdre un mot de ce texte non dénué d’humour, au risque de louper un peu ce qui se passe sur scène. Cela n’est pas bien grave. Avec la caméra qui capte et retransmet tout en très gros plan sur l’immense écran, difficile de ne pas échapper aux « images » du spectacle, qui relèvent en grande partie de dispositifs excessifs. A la longue, l’excès a toujours tendance à tuer le propos. Faire prendre conscience de la violence des images par des effets violents, le procédé est classique et efficace, mais jusqu’à quel point ?
La scène est entièrement couverte de pains briochés pour hamburger, empestant la salle durant tout le spectacle de leur odeur fade et sucrée écœurante. Sinon, ce sont vers de terre, vomi, viande hachée sur la tête, sans compter les ébats mouillés de gel et de gouache de comédiens nus comme vers et exhibant tout le possible avec une conviction pas toujours partagée par le public. Inutile de s’appesantir davantage, on voit le genre : celui qui dégoûte, plus ou moins selon les sensibilités.
Puis tout se calme pour laisser la place à la musique pendant environ 45 mn, temps durant lequel l’Italien Marino Formenti interprète Les sept dernières paroles du Christ sur la croix de Haydn dans une réduction pour piano. C’est lent, très beau ; chacun des neuf mouvements est séparé d’un silence. Grande est l’envie, après cette foire visuelle, de fermer les yeux pour en profiter tranquillement. D’ailleurs, l’auteur de la pièce ne nous y a-t-il pas invité, faisant dire à l’un de ses comédiens : « sautez dans le vide du silence et de la solitude et profitez du recueillement ».
Mais un nombre certain d’individus sont incapables d’immobilité physique et mentale. Cela tousse et remue à qui mieux-mieux, quand cela ne quitte pas les lieux bruyamment. Quel dommage et quel oubli de l’Autre, celui qui est sur scène, et celui qui est dans la salle !
Les applaudissement sont ensuite faiblards : endormissement, agacement ? On l’ignore. Mais ce serait mentir que de dire que l’on n’est pas un peu sonné après plus de 2 h de spectacle si hauts en contrastes.
Golgota picnic
Texte, mise en scène et scénographie Rodrigo García
Au piano, Marino Formenti
Avec Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, Jean-Benoît Ugeux
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8°
Salle Renaud-Barrault, à 20 h 30, dimanche à 15 h
En espagnol sur-titré, durée 2 h 10
Jusqu’au 17 décembre 2011
Production Centro Dramático Nacional / Madrid, production déléguée Théâtre Garonne / Toulouse, coproduction Festival d’Automne à Paris
Photo Golgota Picnic © Davir Ruano
Une réflexion au sujet de « Golgota picnic au Théâtre du Rond Point »