Les Amants d'Avignon. Elsa Triolet

Les Amants d'AvignonSous l’occupation, Juliette Noël, dactylo, vit avec tante Aline à Lyon. Toutes deux élèvent José, le petit orphelin catalan que Juliette a adopté.

Discrète, réservée, un peu distante, peut-être même secrète, elle est aussi une grande rêveuse.

Mais après la mort de son frère, tombé en Lybie, elle s’engage dans la résistance.

La jeune Juliette devient alors Rose Toussaint ; elle arpente les fermes, dort dans des hôtels sordides, voyage dans des trains bondés, fait passer des documents et de l’argent au réseau de la résistance. Elle rencontre des inconnus qu’elle doit pourtant connaître. Prend des risques. A souvent froid mais rarement peur. Et aime aussi beaucoup.

Telle est le fil de la nouvelle Les Amants d’Avignon, extraite du recueil Le premier accroc coûte deux cents francs, qu’Elsa Triolet (1896-1970) a écrit pendant la guerre et pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt en 1945.

Elsa Triolet, immortalisée pour avoir été la muse du poète engagé Louis Aragon (1897-1977), fut aussi femme de lettres et femme engagée. Elle livre ici une fiction largement autobiographique : fin 1942 elle commence à participer activement au mouvement de la résistance, fait passer des informations, se cache au gré des consignes, va et vient entre la zone libre et la zone occupée.

Elle écrit Les Amants d’Avignon début 1943 à Lyon, ville dont elle trace un terrible tableau et qu’elle déteste effectivement. La nouvelle est éditée clandestinement aux Editions de Minuit sous pseudonyme à l’automne 1943.

L’écriture d’Elsa Triolet va au rythme de son héroïne : rapide, sans apprêt, à la « lis-la comme elle court ». Il faut faire vite, et s’arrêter, de temps en temps, à l’abri d’une salle de cinéma, ou sur les hauteurs de la ville, pour se réchauffer, rêver un peu.

Il se dégage de ce phrasé sans labeur ni prétention un élan de vie irrésistible et un inexprimable charme.

L’officier allemand était toujours là, le gendarme au comptoir, aussi. Deux types jouaient aux cartes. L’acajou des meubles, le jaune éteint des murs, le marron des des banquettes et des vestes de cuir des eux joueurs, la cravate de l’un, le cache-nez jaune de l’autre … juste une pointe de jaune pour illuminer ce tableau de grand maître : Les Joueurs de cartes.
Il y avait un train dans l’après-midi. Juliette déjeuna dans une gargote, triste, rance et bondée. Elle prit un café, ailleurs. Il faisait froid, il y avait de la neige à moitié fondue sous les pieds et cela sentait déjà l’après-fêtes, pénible comme une rentrée à l’aube, après une nuit de bombe, comme une table avec les restes du repas. Juliette s’arrêta devant un cinéma : il y avait une séance dans l’après-midi, tout de suite … Elle entra.

Dans Préface à la clandestinité écrit en 1964 et ajouté à la fin du volume, Elsa Triolet, en éclairant Les Amants d’Avignon, rend hommage aux femmes et hommes qui se sont engagés dans la résistance :

Le souffle des événements avait soufflé le destin de toutes les femmes, de tous les hommes et avait mis à nu leur véritable nature. Des circonstances fantastiques avaient révélé les possibilités insoupçonnées des êtres. La vie quotidienne des dactylos, horlogers, apiculteurs, couturières, vendeuses, savants, instituteurs, concierges, le train-train de leur vie, ils le laissaient soudain se muer en danger permanent, prenant des risques insensés jusqu’à l’héroïsme. Les voilà, ces gens ordinaires, devenus chefs de maquis, agents de liaison, les voilà qui abritent des résistants, portent des paquets, cachent des armes, les prennent, se laissent torturer sans flancher, vont à la mort. La dactylo Juliette Noël est une fille comme une autre, banale comme tant d’autres. En temps ordinaire. Mais voilà venir le temps d’apocalypse et Juliette se conduira comme si le péril était la règle habituelle de l’existence et le courage allait de soi. Dans la nuit et le brouillard, il y avait beaucoup de filles banales comme Juliette.

Les Amants d’Avignon. Elsa Triolet
Folio/Gallimard, collection Femmes de lettres (2007)
Edition établie et présentée par Martine Reid
130 p., 2 €

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Le côté des Guermantes. La duchesse de Guermantes et les conventions

proust2Dans Du côté de Guermantes, le narrateur succombe aux attraits de la vie mondaine, dont il livre de longues descriptions.

Celles-ci sont essentiellement consacrées au salon de la duchesse de Guermantes, fine fleur du faubourg Saint-Germain.

Son observation des us et coutumes des milieux aristocratiques le conduit à de savantes comparaisons dans l’art du salon, dont celui de la duchesse ressort comme le plus élaboré grâce à la personnalité dont aime faire preuve Oriane de Guermantes.

Toute la différence se fait entre un respect scrupuleux des règles sociales …

Les Courvoisier n’étaient pas davantage capables de s’élever jusqu’à l’esprit d’innovation que la duchesse de Guermantes introduisait dans la vie mondaine et qui, en l’adaptant selon un sûr instinct aux nécessités du moment, en faisait quelque chose d’artistique, là où l’application purement raisonnée de règles rigides eût donné d’aussi mauvais résultats qu’à quelqu’un qui, voulant réussir en amour ou dans la politique, reproduirait à la lettre dans sa propre vie les exploits de Bussy d’Amboise. Si les Courvoisier donnaient un dîner de famille ou à dîner pour un prince, l’adjonction d’un homme d’esprit, d’un ami de leur fils, leur semblait une anomalie capable de produire le plus mauvais effet. Une Courvoisier dont le père avait ministre de l’Empereur, ayant à donner une matinée en l’honneur de la princesse Mathilde, déduisit par esprit de géométrie qu’elle ne pouvait inviter que des bonapartistes. Or elle n’en connaissait presque pas. Toutes les femmes élégantes de ses relations, tous les hommes agréables furent impitoyablement bannis, parce que, d’opinion ou d’attaches légitimistes, ils auraient, selon la logique des Courvoisier, pu déplaire à l’Altesse Impériale. Celle-ci, qui recevait chez elle la fine fleur du faubourg Saint-Germain, fut assez étonnée quand elle trouva seulement chez Mme de Courvoisier une pique-assiette célèbre, veuve d’un ancien préfet de l’Empire, la veuve du directeur des postes et quelques personnes connues pour leur fidélité à Napoléon III, leur bêtise et leur ennui.

… et l’audace d’une appréciation personnelle de la situation, dût-elle la conduire à se placer en retrait des conventions. Le pire ennui pour Mme de Guermantes serait d’ailleurs de se contenter de s’y conformer.

Pour en revenir à ses décisions artificielles et émouvantes comme celles des politiciens, Mme de Guermantes ne déconcertait pas moins les Guermantes, les Courvoisier, tout le Faubourg et plus que personne la princesse de Parme, par des décrets inattendus sous lesquels on sentait des principes qui frappaient d’autant plus qu’on s’en était moins avisé. Si le nouveau ministre de Grèce donnait un bal travesti, chacun choisissait un costume, et on se demandait quel serait celui de la duchesse. L’une pensait qu’elle voudrait être en duchesse de Bourgogne, une autre donnait comme probable le travestissement en princesse de Dujabar, une troisième en Psyché. Enfin une Courvoisier ayant demandé : « En quoi te mettras-tu, Oriane ? provoquait la seule réponse à quoi l’on n’eût pas pensé : « Mais en rien du tout ! » (…)
« Je ne vois pas qu’il y ait nécessité à aller chez le ministre de Grèce, que je ne connais pas, je ne suis pas grecque, pourquoi irais-je là bas ? je n’ai rien à y faire », disait la duchesse.
« Mais tout le monde y va, il paraît que ce sera charmant », s’écriait Mme de Gallardon.
« Mais c’est charmant aussi de rester au coin du feu », répondait Mme de Guermantes.
Les Courvoisier n’en revenaient pas, mais les Guermantes, sans imiter, approuvaient : « Naturellement, tout le monde n’est pas en position comme Oriane de rompre avec tous les usages. Mais d’un côté on ne pas dire qu’elle ait tort de vouloir montrer que nous exagérons en nous mettant à plat ventre devant ces étrangers dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent. »

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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Volte-Face avec André Dussolier

André DussolierLe 23 avril dernier au théâtre du Rond-Point, André Dussolier fut l’invité de l’émission Volte-Face, qui sera diffusée sur France-Culture au cours de l’été.

Après la haute-voltige que nous avait fait suivre Fabrice Luchini (billet du 17 avril), c’est avec sérieux et application que le populaire et délicat comédien s’est prêté au jeu de l’interview mené par Olivier Barrot.

Beaucoup de sobriété de part et d’autre pour évoquer les moments et les rencontres qui ont marqué André Dussolier, mais aussi son travail avec Alain Resnais, et plus largement son métier.

Le comédien se souvient de la première fois qu’il est entré dans une salle de théâtre ; il n’avait alors que 10 ans :
« Ce fut une découverte incroyable car à l’époque je menais une vie assez convenue, dans la réalité ordonnée et triste, empreinte de beaucoup de règles, de la vie des adultes qui étaient autour de moi. Notre professeur de français nous a emmenés voir une pièce de théâtre. Ce fut un choc ! Sur scène, je voyais des gens qui disaient des choses qu’on ne disait pas à la maison, qui s’exprimaient en parlant fort, qui riaient … Tout à coup j’ai aperçu la possibilité de vivre et d’exprimer des émotions que dans ma vie assez solitaire je retenais. J’éprouve une grande reconnaissance car cette expérience a ouvert mon imaginaire. »

Tient-il de cette enfance marquée par trop de rigidité son faible attrait pour les troupes ? En tout état de cause, il ne restera pas longtemps à la Comédie-Française.
« Je ne voulais pas passer à côté des propositions qu’on me faisait par ailleurs, que des règles trop strictes m’empêchaient d’accepter si je restais au Français. »
Il a donc préféré prendre son indépendance.

Quant à Ariane Mouchkine, il aurait aimé travaillé avec elle mais …
« J’ai compris que si j’y rentrais, je rentrais dans une cellule monacale. "Attention, c’est plus Jean Villar et Gérard Philippe !" m’avait-elle prévenu.
C’est très beau une troupe, on se connaît très bien, on peut aborder des rôles différents, il y a une confiance, une facilité, une aisance. Mais en même temps c’est une grande humilité. C’est un sacerdoce ! »

Sa « troupe » à lui, finalement, c’est au cinéma, autour d’Alain Resnais qu’il l’a trouvée. L’admiration est immense.
« Sa façon de travailler est très proche de celle du théâtre ; il s’en est d’ailleurs nourri lorsqu’il est arrivé à Paris. Avec lui, on ne commence pas à travailler le premier jour du tournage, mais bien avant. Il nous remet d’abord des feuilles sur lesquelles sont inscrits des renseignements sur les parents et les grands-parents des personnages. Commence alors un travail d’imagination entre lui et nous. Ce qui fait que lorsque le tournage débute, on a beaucoup préparé au préalable et tout se passe très calmement.
On répète, mais les répétitions ne fossilisent pas le texte, elle nous donnent une structure qui n’enlève pas la liberté de jouer. Car il faut qu’on ait toujours l’air d’inventer le texte … »

Evoquant la carrière prolifique et variée d’André Dussolier, Olivier Barrot lui rappelle notamment la pièce Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute (« texte magnifique, variation sur le malentendu, où c’est le verbe qui vient brouiller … »). Cette pièce semble effectivement avoir marqué le comédien :
« Oui, l’un est d’un monde très social, l’autre est plus en retrait. Au fur et à mesure de la pièce, on en arrive à une loupe sur ce verbe, ce mot que dit l’un : "Ah, c’est bien ça." Et l’autre lui dit : "Tu es là dans ton monde, tu donnes des notes. Et moi je vis dans un monde où je ne veux pas de notes, où je ne veux pas qu’il y ait de références" ».

Dussolier l’éclectique aime aussi beaucoup Sacha Guitry, « cet esprit qui règne ». Il livre alors cette délicieuse anecdote sur son père, Lucien Guitry : « A la fin d’une représentation, un spectateur vient le voir et lui dit : "Ah, j’aime beaucoup la façon dont vous interprétez le texte." "Merci, merci beaucoup".
Au bout d’un moment "Et j’aime aussi beaucoup vos silences !".
Et Lucien Guitry de répondre : "Ce sont les miens !" ».

André Dussolier avoue savourer lui aussi les silences : y voyant « la possibilité de voir sur le visage tout ce qui passe entre les mots, un domaine de création disponible ».

Lorsqu’enfin Olivier Barrot lui fait remarquer qu’il a tout joué, qu’il semble être l’incarnation de l’acteur accompli (« c’est André Dussolier, ou l’acteur ! »), le comédien expliquera simplement :
« Quand on est jeune acteur, on joue proche de soi, comme on est.
Plus tard, tout nourrit le personnage. On peut endosser des personnages qui sont l’addition de ce qu’on a observé, du fruit de son imagination … On peut alors jouer des choses très différentes.
Mais à chaque rôle, il faut y retourner. J’ai toujours peur avant.
Mais on peut repousser plus loin ses limites, alors que quand on est jeune, ce qui est important, c’est d’exister aux yeux des autres, on a l’obsession de trouver sa place.
Au fil des ans, ce qui compte le plus, c’est le plaisir ; le plaisir de découvrir des acteurs, le plaisir de jouer, le plaisir de se faire plaisir. »

On ajoutera le plaisir du public à écouter et voir ce très grand comédien, très présent mais discret, et, quelque soit le rôle qu’il endosse, d’une constante et incomparable élégance.

Volte-Face avec André Dussolier
Emission diffusée l’été prochain sur France-Culture
Prochain enregistrement public de Volte-Face :
Le 14 mai au Théâtre du Rond-Point avec Jean Rochefort.
Entrée libre
Réservation indispensable au 01 44 95 58 81

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L'âge d'or de la presse : la liberté de la presse (1/4)

liberté de la pressePour continuer l’histoire du livre initiée il y a plusieurs mois, on explore aujourd’hui un phénomène un peu à part avec l’âge d’or de la presse.

A part puisque, si le journal fait partie du champ éditorial, il s’en diffère toutefois par son caractère éphémère – il s’agit de diffuser l’information d’un événement – et une forme matérielle elle aussi forcément éphémère.
Son matériau de qualité médiocre fit d’ailleurs qu’il fut pendant longtemps inconcevable de chercher à le conserver.

On parle de l’âge d’or pour la période allant de 1880 à la première Guerre Mondiale, années durant lesquelles la presse connut des bouleversements sans précédent.

La révolution industrielle y est pour beaucoup avec l’arrivée des rotatives qui permettent la mécanisation de métiers qui étaient jusqu’alors artisanaux.

Mais c’est aussi au niveau des contenus que la révolution s’opère.

Son premier déclencheur est la levée d’un obstacle juridique de taille : le contrôle très serré qui s’exerçait sur la presse sous le Second Empire.

Le 29 juillet 1881 est votée la loi sur la liberté de la presse. Il s’agit de la première des grandes lois de la III° République sur les libertés publiques.

Sont ainsi supprimées toute une série de textes liberticides, les autorisations diverses, au premier chef desquelles l’autorisation de publication.
Les mesures administratives sont également simplifiées : seule la déclaration a posteriori du titre et de ses principales caractéristiques est désormais exigée.

Sont également instituées les libertés de l’affichage et celle de la vente sur la voie publique. Cette dernière nouveauté n’est pas sans importance car elle permettra une diffusion des journaux non plus seulement sur abonnement mais également par colportage et ensuite dans les kiosques.

C’est donc un carcan incroyable qui est levé grâce à cette loi. Il n’y a d’ailleurs qu’à consulter les journaux de l’époque, que ce soit La Croix, Le Figaro ou autres, pour être frappé par la violence des propos …

L’âge d’or de la presse
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Philippe Mezzasalma,
Département Droit, Economie, Politique
Conférence du 26 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : L’Aurore du 13 janvier 1896

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Calamity Jane. Lettres à sa fille

La terrible Calamity Jane qui chevauchait à travers le Grand Ouest, se mêlait aux batailles, jouait et buvait parmi les hommes, était aussi une tendre maman.

L’exposition organisée au Musée des Lettres et des Manuscrits (1) trace un portrait tout en contrastes de cette femme de légendes autour de l’album manuscrit des lettres que Calamity Jane a écrites à sa fille, laquelle n’en a eu connaissance qu’après la mort de sa mère.

La lecture de ces fameuses lettres, dans une nouvelle édition corrigée et enrichie, a quelque chose de surprenant et de très attachant.

On y découvre une Calamity Jane en proie à la solitude et à des souffrances morales plus pesantes encore que les rudes conditions d’existence qui sont les siennes dans l’Ouest.
On y voit une maman cow-girl se soucier du bonheur de sa fille, mettre les points sur les i pour qu’elle soit fière de ses origines, que la mémoire de ses parents ne soit pas salie.
Sa plume franche et sans détour amuse ou effraie lorsqu’elle relate son quotidien, mais prend aux tripes dans ses moments de tendresse et de découragements.

J’espère qu’un jour tu pourras venir dans ce pays, tu sauras alors comment j’ai dû exister. Encore deux ans et j’irai te voir, Chérie je sais qu’alors je me sentirai mieux à ton sujet. (…) T’abandonner m’a presque tuée, Janey.

Je me demande souvent dans quelles mains ces pages finiront par tomber. Je veux croire que tu seras cette personne un jour après que je serai partie. Je l’espère car c’est toi que j’aime Janey. Il ne me reste plus personne sur terre à part toi. Je m’endors chaque nuit avec ta photo serrée contre mes lèvres. Oh si seulement je pouvais t’avoir la nuit tombée pour une heure aux côtés des feux de camp pour briser cette solitude.

Ma vie avec ton père, je saurai toujours que ce furent les jours les plus heureux de ma vie, Janey. Dans mon errance sans but, je l’ai rencontré. Il a reçu son surnom de Wild Bill à Rock Creek, Kansas, parce qu’il avait tué en légitime défense une bande de meurtriers, ce qui l’a rendu fameux comme grand tireur des deux mains. Les hors-la-loi le traquaient à plusieurs, ils étaient toujours une demi-douzaine ou plus à l’avoir dans leur ligne de mire. Souviens-toi, Janey, son nom ne mourra jamais tant que le soleil brillera.

A la fin du recueil, sont ajoutées des lettres que Calamity Jane a écrites à Jim O’Neil, le père adoptif de sa fille.
La fibre maternelle se fait rage lorsqu’elle apprend le malheureux mariage de sa fille. On y retrouve tout le mordant et l’ironie Calamity Jane qui sont aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture de ces Lettres.

Je suis triste d’apprendre que le mariage de Janey est un échec. Ne vous-ai je pas dit qu’il n’était pas bien. Les journalistes sont tous des menteurs. Ils ne se soucient que de leur publicité et de convaincre les gens de leur intelligence alors qu’ils n’ont certes pas inventé le fil à couper le beurre. (…). Je remercie Dieu pour vous avoir vous et le révérend Sipes ».

Lettres à sa fille. Calamity Jane
Payot & Rivages
Collection Rivages Poche, Bibliothèque étrangère (janv. 2007)
Traduit de l’anglais par Marie Sully et Gregory Monro
113 p., 5,95 €

(1) Jusqu’au 13 mai prochain, voir le billet du 16 avril 2007

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Le côté des Guermantes. L'art du salon chez Mme de Guermantes

proust2Reçu régulièrement chez les Guermantes, le narrateur a le loisir de détailler tous les ressorts que la duchesse déploie pour mener sa vie mondaine, laquelle est, de même que pour ses semblables, sa principale occupation.

Elle met ainsi toute son intelligence au service d’un art propre à ces milieux aristocratiques, l’art du salon.

Celui de Mme de Guermantes peut se dessiner, dans ses grandes lignes, comme tout à la fois :

L’art de l’esprit

Encore faut-il reconnaître que la délicatesse de vie sociale, la finesse des conversations chez les Guermantes avaient, si mince cela fût-il, quelque chose de réel. Aucun titre officiel n’y valait l’agrément de certains des préférés de Mme de Guermantes que les ministres les plus puissants n’auraient pu réussir à attirer chez eux. Si dans ce salon tant d’ambitions intellectuelles et même de nobles efforts avaient été enterrés pour jamais, du moins, de leur poussière, la plus rare floraison de mondanité y avait pris naissance. Certes, des hommes d’esprit, comme Swann par exemple, se jugeaient supérieurs à des hommes de valeur, qu’ils dédaignaient mais c’est que ce que la duchesse plaçait au dessus de tout, ce n’était pas l’intelligence, c’était – forme supérieure selon elle, plus rare, plus exquise, de l’intelligence élevée jusqu’à une variété verbale de talent – l’esprit.

L’art de la nouveauté

Quand une femme intelligente, instruite, spirituelle, avait épousé un timide butor qu’on voyait rarement et qu’on n’entendait jamais, Mme de Guermantes s’inventait un beau jour une volupté spirituelle non pas seulement en décriant la femme, mais en « découvrant » le mari. Dans le ménage Cambremer par exemple, si elle eût alors vécu dans ce milieu, elle eût décrété que Mme de Cambremer était stupide, et en revanche, que la personne intéressante, méconnue, délicieuse, vouée au silence par une femme jacassante, mais la valant mille fois, était le marquis, et la duchesse eût éprouvé à déclarer cela le même genre de rafraîchissement que le critique qui, depuis soixante-dix ans qu’on admire Hernani, confesse lui préférer Le lion amoureux.

L’art de la liberté

On sait ce qu’est, même pour les plus grandes mondaines, le moment de l’année où les fêtes commencent : au point que la marquise d’Amoncourt, laquelle, par besoin de parler, manie psychologique, et aussi manque de sensibilité, finissait souvent par dire des sottises, avait pu répondre à quelqu’un qui était venu la condoléancer sur la mort de son père, M. de Montmorency : « C’est peut-être encore plus triste qu’il vous arrive un chagrin pareil au moment où on a à sa glace des centaines de cartons d’invitations. » Hé bien, à ce moment de l’année, quand on invitait à dîner la duchesse de Guermantes, en se pressant pour qu’elle ne fût pas déjà retenue, elle refusait pour la seule raison à laquelle un mondain n’eût jamais pensé : elle allait partir en croisière pour visiter les fjords de la Norvège qui l’intéressaient. Les gens du monde en furent stupéfaits et, sans se soucier d’imiter la duchesse, éprouvèrent pourtant de son action l’espèce de soulagement qu’on a dans Kant quand, après la démonstration la plus rigoureuse du déterminisme, on découvre qu’au dessus du monde de la nécessité il y a celui de la liberté.

Bonne lecture, bien bon week-end à tous et à bientôt.

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Le Cirque invisible. Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée

cirque_invisibleIl y a deux à peine, on découvrait, émerveillé, sur la scène du théâtre du Rond-Point, le jeune James Thierrée dans sa fascinante Symphonie du Hanneton. Ce fut un coup de foudre. (1)

On pouvait alors ignorer que ses parents sont depuis plus de 30 ans des artistes de la piste incomparables.

Aujourd’hui, Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin (4ème fille de Charlie Chaplin), talentueux géniteurs de James et Aurélia, également artiste (2), présentent Le cirque invisible au même théâtre du Rond-Point.

Lui est un clown, un amuseur au sens noble. Il se déguise, joue avec les accessoires, fait des tours de magie.
Cheveux blancs hirsutes, yeux de malice, sourire espiègle, il a l’âge de l’enfance éternelle et fait rire petits et grands.

Elle est le portrait saisissant de son fils, ou plutôt l’inverse. En réalité elle semble davantage être sa sœur que sa mère.
La filiation ne fait pourtant aucun doute : Victoria et James explorent la même veine ; unique et magnifique.

Car lorsque Victoria Chaplin est sur scène, le monde bascule.
Elle opère des transformations époustouflantes, faites de soies, de craintes, de poésie et de beauté.
D’une robe moirée et de son corps, elle fait un serpent, un coquillage et toutes sortes d’animaux imaginaires.
Sur son corps blanc couvert de verres et d’ustensiles, elle joue Les filles du bord de mer.
D’une ombrelle et d’une table ronde, elle fait un cheval.
Elle fait bien d’autres choses encore.
Il faut les voir.

Et laisser la grâce et la magie du Cirque invisible venir mouiller ses yeux d’enfant.

Le Cirque invisible. De et avec Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin-Roosvelt – Paris 8ème
Du mardi au vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h
Jusqu’au 6 mai 2007, date supplémentaire le 7 mai à 18 h 30
De 8,50 € à 30 €
Livre : Le Cirque invisible, numéro spécial des Carnets du Rond-Point, 10 €

(1) Enthousiasme partagé par le jury des Molières 2006, qui a décerné quatre prix à La Symphonie du Hanneton.
(2) Aurélia Chaplin a présenté en février dernier aux Abesses le spectacle Oratorio d’Aurélia.

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Trash. Mouron/Pascal Rostain.

TrashMontre-moi ce que tu jettes, je saurai ce que tu manges, bois, fumes, et même ce que tu lis …

Telle est la quête que Bruno Mouron et Pascal Rostain, paparazzis pour Paris-Match, ont entreprise il y a plus de quinze ans : photographier le contenu des poubelles des stars, d’abord en France puis aux Etats-Unis.

C’est ainsi que le grand public peut aujourd’hui détailler à la Maison européenne de la photographie à Paris les déchets de Nicolas Cage, Ronald Reagan, Clint Eastwood (oh ! …), Sharon Stone et autres grands noms de Los Angeles.
Mauvais goût, curiosité malsaine, voyeurisme ?

Sur de grands tableaux noirs sont alignés par catégorie d’articles bouteilles et canettes vides, emballages alimentaires, flacons de produits d’entretien, mais aussi cartons d’invitation, documents administratifs, petits mots, journaux …

On découvre ainsi que Arnold Scharzeneger se parfume au Brut de Fabergé, que Tom Hanks est un fou-furieux du Colgate, Marlon Brando un fidèle des teintures cheveux maison … toutes sortes de détails bien amusants.
Et dans le frigidaire des athlétiques Madonna et de Cyndy Crawford ? Que d’eau, que d’eau ! Est-ce bien étonnant ?

Au fur et à mesure du parcours que le visiteur peut décrypter à sa guise, de grandes tendances se dégagent et l’exposition prend une tournure sociologique.
La question surgit inévitablement : comment ces célébrités dorées d’Hollywood se nourrissent-elles – et plus largement les riches américains ?

Il y a d’abord le basique, ce qu’on retrouve sur tous les tableaux-poubelles : les chips, le coca-cola, les jus de fruits et l’eau d’Evian.
Puis les reliefs variables : sucreries en tout genre, bonbons, glaces, biscuits.
On voit alors les champions : Antonio Banderas et Steven Spielberg ; ou encore John Travolta : Mr catastrophe de l’équilibre alimentaire !

Finalement bien peu de solide dans tout ça : on en vient à se demander où se passent les vrais repas, sans doute au restaurant … à moins qu’il n’y en ait pas du tout !
Ne leur reste donc plus qu’à boire … ? Certes, mais pas d’alcool : seule la corbeille de Jack Nicolson, ou presque, révèlera quelques petites Veuve Cliquot (et autres Corona).
Quant au café, Liz Taylor semble être la seule à l’apprécier. Inutile dans ces conditions de chercher trace de beurre ou de confiture !

De quoi réfléchir un peu, donc ; mais en définitive rien d’indécent dans les poubelles que les compères paparazzis nous ont ramenées de Los Angeles, d’autant qu’ils ont eu le respect d’éliminer d’emblée tous les déchets de médicaments.

En réalité, on a qu’une envie en sortant de l’exposition : connaître les déchets des stars françaises, juste pour comparer, et compléter une étude qui n’est pas aussi « ras du caniveau » qu’on aurait pu le présupposer …

Trash. Mouron/Pascal Rostain
Jusqu’au 3 juin 2007
Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
Entrée 6 € (TR 3 €), libre le mercredi à partir de 17 h

Image : la poubelle de Madonna (1996)

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Le côté des Guermantes. La duchesse de Guermantes cultivée.

proust2Lorsque le narrateur fait ses débuts dans le monde, il est rapidement et chaleureusement accueilli dans le salon des Guermantes.

Ce sera pour lui l’occasion de découvrir la personnalité séduisante et multiple de la duchesse.

On a vu comment elle reçoit un poète, au cours d’un repas où l’on parle de tout sauf d’art lyrique. (billet du 30 mars 2007).
Pour autant, Mme de Guermante ne manque ni de culture, ni d’intérêt pour l’art et les artistes :

D’ailleurs il faut ajouter que ce silence gardé sur les choses profondes qu’on attendait toujours en vain le moment de voir aborder, s’il pouvait passer pour caractéristique de la duchesse, n’était pas chez elle absolu. Mme de Guermantes avait passé sa jeunesse dans un milieu un peu différent, aussi aristocratique, mais moins brillant et surtout moins futile que celui où elle vivait aujourd’hui, et de grande culture. Il avait laissé à sa frivolité actuelle une sorte de tuf plus solide, invisiblement nourricier et où même la duchesse allait chercher (fort rarement car elle détestait le pédantisme) quelque citation de Victor Hugo ou de Lamartine qui, fort bien appropriée, dite avec un regard senti de ses beaux yeux, ne manquait pas de surprendre et de charmer. Parfois même, sans prétentions, avec patience et simplicité, elle donnait à un auteur dramatique académicien quelque conseil sagace, lui faisait atténuer une situation ou changer un dénouement.

En réalité, si Mme de Guermantes observe une grande discrétion vis-à-vis de l’art lyrique lorsqu’elle reçoit un poète, c’est qu’en parler en abondance serait contraire à sa conception de l’art du salon, lequel doit éviter toute ostentation facile, tout « étalage » du savoir et des richesses, dans tous les sens du terme :

Par exemple, chez la princesse de Parme, il y avait une quantité de personnes que l’Altesse recevait parce qu’elle les avait connues enfant, ou parce qu’elles étaient alliées à telles duchesse, ou attachées à la personne de tel souverain, ces personnes fussent-elles laides, d’ailleurs, ennuyeuses ou sottes ; or, pour un Courvoisier, la raison « aimé de la princesse de Parme », « soeur de mère avec la duchesse d’Arpajon », « passant trois mois tous les ans chez la reine d’Espagne », aurait suffi à leur faire inviter de telles gens, mais Mme de Guermantes, qui recevait poliment leur salut depuis dix ans chez la princesse de Parme, ne leur avait jamais laissé passer son seuil, estimant qu’il en est d’un salon au sens social du mot comme au sens matériel où il suffit de meubles qu’on ne trouve pas jolis, mais qu’on laisse comme remplissage et preuve de richesse, pour le rendre affreux. Un tel salon ressemble à un ouvrage où on ne sait pas s’abstenir des phrases qui démontrent du savoir, du brillant, de la facilité. Comme un livre, comme une maison, la qualité d’un « salon », pensait avec raison Mme de Guermantes, a pour pierre angulaire le sacrifice.

Bonnes lectures, bon week-end, à très bientôt.

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Arshile Gorky. Centre Pompidou/Centre culturel Calouste-Gulbenkian

Arshile GorkyArshile Gorky (1904-1948), peintre américain d’origine arménienne demeure assez peu connu en Europe.
Il fut pourtant admiré dans les années 40 par les surréalistes parisiens réfugiés aux Etats-Unis, au premier rang desquels André Breton.

Un discret mais profitable hommage lui est rendu jusqu’au 4 juin en deux points de Paris. (1)

A l’âge de 16 ans, il fuit son pays ravagé par le génocide du peuple arménien, mais aussi des événements familiaux tragiques – il a vu sa mère mourir du typhus – pour rejoindre son père émigré aux Etats-Unis.

Il fait ses classes à l’école d’art de Boston, mais sa véritable école est celle des grands maîtres européens (Cézanne, Matisse, Picasso, Braque, Léger, Kandinsky et Miró), qu’il étudie attentivement dans les livres, les expositions.
De cette formation approfondie naît une œuvre d’abord très visiblement influencée par ses contemporains, en particulier par Miró et Picasso.
Cela est saisissant avec les cubistes Nuit, énigme et nostalgie (1931-1932) au Centre Pompidou ou encore la lithographie Chambre de la Création, de la même période, exposée au Centre culturel Calouste-Gulbenkian.

C’est à partir du début des années 1940 que l’inspiration d’Arshile Gorky s’exprime pleinement.
Son trait se libère de la géométrie, trouve ses courbes et ses orientations.
Très bel Acte de création (1947) : dessin au graphite et pastel, fouillis en apparence mais très composé dans un bouillonnement de vie et de couleurs d’une grande légèreté.
Des motifs reviennent – à peine esquissés, un oiseau, un pied, une cheville – au milieu de champs d’abstraction de plus en plus larges.
La couleur, vive, explose dans Jardin à Sochi (1940-41) aux teintes fauves, puis déborde en laissant respirer la toile dans le magnifique et poétique Champ de maïs vivifiant (1944).

Les origines, enfin, ressurgissent. Elles sont désormais lointaines ; c’est à l’âge de la maturité qu’elles jaillissent avec une émouvante fraîcheur.
Voir le délicat Vallée des Arméniens (1944), dessin au graphite, à peine constellé de pastel : le trait fluide ondule en une profonde et élégante tristesse, venant évoquer les souffrances anciennes.

Mais c’est au cours de ces années de création parfaitement maîtrisé que le drame croise à nouveau son chemin. Il tombe malade, subit un accident de voiture.
Surtout, son épouse le quitte pour le surréaliste Robert Matta.

Arshile Gorky met fin à ses jours à l’âge de 44 ans, laissant une œuvre fondatrice de l’expressionnisme abstrait américain, qui influencera à son tour profondément ses successeurs.
On espère avoir l’occasion de la connaître plus largement en France. (2)

(1) Centre Georges-Pompidou
19, rue Beaubourg, place Georges-Pompidou – 4ème
Tlj sf mardi de 11h à 21h (fermé le 1er mai)
Entrée 10 € (TR 8 €), libre pour les – de 18 ans, le 1er dimanche du mois et les titulaires du laissez-passer

Fondation portugaise Calouste-Gulbenkian
51, avenue d’Iéna – Paris 16 ème
Du lundi au vendredi de 9 h à 17 h 30
Entrée libre
Jusqu’au 4 juin 2007 sur les deux sites

(2) Une rétrospective complète sera consacrée à Arshile Gorky à Philadelphie en 2009. Elle fera étape à la Tate Modern de Londres.

Image : Jardin à Sochi (1940-1941)

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