Dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, le narrateur est fasciné par les jeunes adolescentes dont il fait la connaissance à Balbec (dont, évidemment, Albertine).
Ce bouleversement est pour lui l’occasion d’apprécier avec poésie les charmes de cet âge particulier :
Mais l’adolescence est antérieure à la solidification complète et de là vient qu’on éprouve auprès des jeunes filles ce rafraîchissement que donne le spectacle des formes sans cesse en train de changer, de jouer en une instable opposition qui fait penser à cette perpétuelle récréation des éléments primordiaux de la nature qu’on contemple devant la mer.
Il évoque sa propre adolescence avec radicalité – et peut-être lucidité :
Mais la caractéristique de l’âge ridicule que je traversais – âge nullement ingrat, très fécond – est qu’on n’y consulte pas l’intelligence et que les moindres attributs des êtres semblent faire partie indivisible de leur personnalité. Tout entouré de monstres et de dieux, on ne connaît guère le calme. Il n’y a presque pas un des geste qu’on a faits alors, qu’on ne voudrait plus tard pouvoir abolir. Mais ce qu’on devrait regretter au contraire, c’est de ne plus posséder la spontanéité qui nous les faisait accomplir. Plus tard on voit les choses d’une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose.
Lors de conversations avec son ami le peintre Elstir, le narrateur recueille l’avis éclairé de l’homme mûr sur la jeunesse et ses erreurs, passages obligés vers la sagesse, qui est "un point de vue sur les choses" :
Il n’y a pas d’homme si sage qu’il soit, me dit-il, qui n’ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles ou même mené une vie, dont le souvenir lui soit désagréable et qu’il souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu’il ne peut être assuré d’être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s’il a passé par toutes incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu’il y a des jeunes gens, fils et petits-fils d’hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l’esprit et l’élégance morale dès le collège. Ils n’ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu’ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles, n’ont pas été disposées par le père de famille ou le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d’elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l’image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tout cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c’est selon les lois de la vie, de la vie des ateliers, des coteries artistiques s’il s’agit d’un peintre, extrait quelque chose qui les dépasse.
Bon week-end à tous, et bonne lecture …
Que dire ? proust est un continent