Mouvement, liberté, et grâce. Tels sont les mots qui viennent à l’esprit en découvrant l’exposition, très réussie dans sa mise en espace généreuse, présentée au Musée Matisse Le Cateau-Cambrésis jusqu’au 13 juin.
Il est désormais bien connu que le plus célèbres des sculpteurs depuis Michel-Ange fut un dessinateur très prolifique tout au long de sa riche carrière. L’on se souvient d’ailleurs avec bonheur d’une très belle exposition de dessins érotiques organisée au Musée Rodin à Paris en 2007.
Au Cateau-Cambrésis, les œuvres exposées relèvent de la même période, le "dernier Rodin", qui, vers la fin des années 1880 s’est mis à peindre des nus féminins en abondance, puis, à partir de 1896, a initié une nouvelle approche du sujet. Demandant à ses modèles d’évoluer librement dans l’espace, Rodin ne les quittait pas des yeux et, lorsqu’une attitude le séduisait plus qu’une autre, en faisait l’esquisse sur le vif, sans même regarder sa main.
Plus tard, il reprenait ses dessins pour les retravailler, souvent en plusieurs fois. Il estompait au doigt le trait crayonné pour rendre le modelé ; il en reprenait le contour sur une autre feuille en le simplifiant afin d’éliminer toute le "superflu" ; il ajoutait parfois des touches de couleur à l’aquarelle, ici sur un vêtement, là sur une chevelure. Il pouvait aller plus loin, en décalquant des parties du dessin, en les découpant pour les repositionner, ou encore en couvrant largement le dessin d’aquarelle, sans aucun souci de dépendance entre la couleur et le trait. De la même façon que ses nus sont parfaitement déconnectés de tout contexte, la couleur elle-même ne semble alors avoir plus aucun lien avec le motif. Ce sont des bleus indigo, des magenta, des violets, des ocres, des lavis dont la transparence permet de conserver la délicatesse du trait.
Ce processus d’élaboration, bien visible au fil du parcours, est révélateur de l’importance que Rodin attachait au dessin. L’exposition montre aussi à quel point le sujet féminin constituait l’inépuisable source d’inspiration de l’artiste. La femme et le désir qu’elle éveille apparaissent même comme le véritable moteur de l’énergie créatrice du maître : "Le désir exacerbe notre sensibilité. Il précise les images et leur donne la netteté d’hallucination. On peint, on sculpte, on écrit, guidé par des visions qui s’imposent et se matérialisent d’elles-mêmes".
Le sculpteur-dessinateur semble ne s’imposer aucune limite dans la quête du désir, suscitant et captant chez ses modèles une extrême volupté, qui se découvrent, ouvrent leurs corps, se caressent ou se livrent à des unions saphiques.
A lire ses propos et écrits, l’artiste renommé s’efface derrière l’homme Auguste Rodin dans ces séries de dessins, "qui procèdent d’une recherche intime, des études exécutées pour (son) seul usage, et qui se sont point sortis de (ses) cartons". Il en tire même, en une sorte d’aveu, sa définition de l’art : "L’art n’est en somme qu’une volupté sexuelle. Ce n’est qu’un dérivatif à la puissance d’aimer."
Parfait écho aux 67 dessins présentés – tous issus des fonds du Musée Rodin et dont près de la moitié sont exposés au public pour la première fois – les 9 sculptures des mouvements de danse et de Nijinski, elles aussi venues de Paris, apparaissent comme une autre forme de ce travail sur le corps et le mouvement.
Rodin, ami d’Isabelle Ducan, avec qui il partageait le goût de la beauté Antique, proche de Loïs Fuller dont il a fait son modèle, s’est pris de passion pour les danseuses cambodgiennes découvertes à Paris en 1906. Il les a dessinées avec ivresse, mais le résultat lui a paru inférieur à son ambition, trop peu cambodgien à ses yeux, au point de renoncer à la publication de son travail. Mais ce sont elles qui lui ont "fait comprendre la danse", et peut-être faut-il y voir aussi la source d’inspiration de cette merveilleuse série de sculptures. Comme les dessins de cette période, celles-ci révèlent une économie de moyens, une épure des lignes presque japonisante, une efficacité dynamique, une grâce et une modernité proprement époustouflantes.
Rodin, le plaisir infini du dessin
Musée Matisse Le Cateau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambrésis
TLJ sf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 5 € (expositions permanentes et temporaire, audio guide enfant/adulte)
Jusqu’au 13 juin 2011
Images : Auguste Rodin, Femme nue debout auprès de deux serpents, crayon au graphite, estompe, aquarelle et gouache sur papier, 49,1 x31,5 cm © ADAGP Paris 2011 et Auguste Rodin, Mouvement de danse F, bronze, 28,8 x 26 x 14,3 cm © ADAGP Paris 2011