Cette semaine, 5ème épisode de notre feuilleton des Goncourt signé Andreossi, avec le prix 1956. Lisez, et vous n’aurez qu’une envie : le découvrir à votre tour… ou vous y replonger !
Le mot « écologie » était d’utilisation rare en 1956. Pourtant Romain Gary bâtit un roman sur ce thème, à travers le combat que mène son héros pour la sauvegarde des éléphants d’Afrique. C’est déjà pour lui l’occasion de poser bien des questions qui, grâce à un roman aux personnages d’une grande densité, sont toujours très actuelles : quelle est la place de l’écologie dans le politique en général, quel sens prend la défense des bêtes dans la définition même de l’humain ?
Le Français Morel, sorti des camps nazis, apparaît comme un obsessionnel irrémédiable : pour lui une seule cause vaut la peine d’être défendue, celle des éléphants, qui sont la proie, à la fois des Africains pour leur alimentation, et des Européens pour l’ivoire et la chasse « sportive ». Morel plonge avec entêtement dans une nature africaine qu’il ne peut plus quitter, observant les interdépendances essentielles : « On n’était pas très haut ; les collines avaient des pentes douces ; parfois leurs pentes se mettaient à bouger, à vivre : les éléphants ».
Mais les années cinquante sont en Afrique le temps de la montée des indépendances. Waïtari, chef occidentalisé, ancien député, représente ceux qui veulent développer leur pays par l’économique, sans souci pour les cultures traditionnelles et la nature : « Et vous les verrez valser, les us et coutumes, sorciers, tam-tams et négresses à plateaux… Moi, je leur ferai bâtir les routes, les mines, les usines et les barrages. Moi je peux. Parce que je suis moi-même un Africain, que je sais ce qu’il faut, et que j’en connais le prix ». Un père jésuite reconnaît une part de responsabilité de l’occident dans les valeurs exportés dans le continent noir : « racisme, nationalisme absurde, rêve de domination, de puissance, d’expansion, passions politiques, tout y est (…) ce que je voudrais éviter à une race que j’aime, ce sont les nouvelles Allemagne africaines et les nouveaux Napoléon noirs, les nouveaux Mussolini de l’Islam, les nouveaux Hitler d’un racisme à rebours ».
Morel veut être totalement en dehors des questions politiques. Les éléphants à défendre font partie pour lui de la part de l’humain à sauvegarder, l’humanité étant incluse dans cette nature dont font partie les « autres espèces animales ». Une notion est mise en avant à plusieurs reprises par Gary, celle de « marge », qu’il fait présenter ainsi à son héros : « Ce que je défends, c’est une marge –je veux que les nations, les partis, les systèmes politiques, se serrent un peu, pour laisser de la place à autre chose, à une aspiration qui ne doit être jamais menacée… Nous faisons ici un boulot précis –la protection de la nature, à commencer par ses plus grands enfants… Faut pas chercher plus loin ».
Minna, seul personnage féminin du livre, qui avait été violée par les soldats Russes libérant Berlin, s’engage aux côtés de Morel : ce n’est pas que les éléphants méritent plus de considération que les hommes, c’est qu’en les défendant on relève le niveau de valeur de l’humanité. Les Racines du ciel, un Goncourt 1956 de grande cuvée.
Andreossi
Les racines du ciel
Romain Gary
Gallimard Folio, 1980
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