Jacqueline Kiang. Sentiers insoupçonnés

Jacqueline Kiang à la galerie Frédéric Moisan, Paris

Frédéric Moisan est un galeriste parisien dont on aime suivre les choix, tant les artistes qu’il expose présentent dans leur diversité et celle de leurs supports une grande cohérence. L’on a pu admirer dans sa galerie par exemple les photos de François Sagne, les œuvres sur papier de Denis Polge, les photos retravaillées de Bernard Guillot… Des artistes reliés entre eux par un même fil, celui de la poésie et de la rêverie.

Jacqueline Kiang, que Frédéric Moisan présente pour la deuxième fois, appartient bien à cette lignée. Cette femme aux longs cheveux gris, élégante et naturelle, peau fine et attaches délicates, explique avec sa gentillesse et sa courtoisie extrêmes que si son âge ne lui permet plus de voyager comme autrefois, c’est à travers son art qu’elle le fait désormais et retrouve de beaux souvenirs.

Son accent new-yorkais natal semble s’être mâtiné au fil du temps d’autres influences. Avant même de lui demander lesquelles, ses œuvres nous mettent sur la voie de l’Italie, où elle a effectivement vécut de nombreuses années et qui l’on profondément marquée.
Ses œuvres sur papier – une quarantaine est actuellement visible sur les murs de la galerie – associent différentes techniques (éléments gravés, collages, aquarelle, gouache, encre…) pour former des compositions extrêmement équilibrées, solides malgré leur apparente légèreté et leur petit format de 40 cm x 30 cm.
Elles "installent" d’emblée le regard, sollicitant l’imagination tant par leurs splendides couleurs nuancées que par leurs formes, composant des ensembles aux approches multiples.

Si les titres ou les inscriptions de certaines œuvres sont des hommages directs à l’Italie, le pinceau de Jacqueline Kiang parle aussi de lui-même, choisissant une palette lumineuse d’ocres, de mauves, de bleus méditerranéens qui parfois autour d’espaces blancs font place à davantage de clarté encore, quand les formes évoquent tour à tour la densité architecturale, la légèreté du linge, la transparence de l’air et de l’eau.
Outre la palette impressionniste, l’on retrouve aussi la délicatesse orientale et la minutie ornementale des miniatures : nul doute que ce que Jacqueline Kiang, aujourd’hui installée à Paris, restitue sur le papier est une vie extraordinairement riche en observation, en rencontres, et en amour de la beauté.

Jacqueline Kiang
Sentiers insoupçonnés
Technique mixte sur papier
Galerie Frédéric Moisan
72, rue Mazarine – Paris 6ème
Du mardi au samedi de 11 h à 19 h
Ouvert exceptionnellement pendant l’exposition les dimanches de 15h30 à 19 h
Jusqu’au 3 mars 2012
Entrée libre

Durant l’exposition, Frédéric Moisan présente dans un espace de sa galerie un accrochage de ses artistes permanents.

Image : Secrets d’automne, 2010, technique mixte sur papier

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Marcel Storr. Bâtisseur visionnaire

Bâtisseur Visionnaire

Quel est cet inconnu dont on ne sort qu’aujourd’hui les superbes dessins merveilleusement colorés ?
Un bâtisseur un peu fou, maintenant mort depuis 30 ans, et dont on ne découvre l’œuvre que grâce à la passion d’un couple bombé amoureux de ses dessins. Par bonheur, ils sont dans leur totalité (une soixantaine s seulement, mais quel travail derrière chacun d’eux !) visibles jusqu’au 31 mars au Carré Baudouin dans le 20ème arrondissement de Paris.

L’exposition est un voyage dans un autre monde construit de toutes pièces par un "non-artiste", au sens où Marcel Storr s’est fait tout seul après une enfance digne des Misérables, orphelin devenu sourd après avoir été battu dans la ferme où il était placé, n’ayant jamais appris les techniques des beaux-arts, mais ayant passé sa vie à dessiner, totalement dans l’ombre après ses journées de travail physique – il a été tour à tour balayeur, empierreur aux parcs et jardins de la Ville de Paris…

Sa production artistique s’échelonne de 1930 (il n’avait alors pas 20 ans) à 1975. Le parcours, chronologique, montre une grande évolution sur cette longue durée. Si l’on y retrouve toujours un art du dessin extraordinaire (malgré un non-académisme donnant lieu à une interprétation parfois fantaisiste des règles de la perspective), un soin du détail obstiné, un goût exclusif pour le motif architectural monumental qui remplit tout le papier, en revanche plus Marcel Storr avance dans son œuvre, plus il élève et élargit ses représentations.
D’abord, ce ne sont que des cathédrales, puis des tours immenses – le conduisant parfois au polyptyque. Enfin, ce sont carrément des mégapoles sur grands formats où, dans une ambiance futuriste, la place laissée à l’humain est toujours aussi réduite – au plus, de minuscules traits noirs.

Marcel Storr, exposition au Carré BaudoinLes couleurs qu’il passait ensuite avec un soin toujours aussi poussé sur un papier buriné par la pointe de sa plume sur-appuyée sont splendides, chaudes, faites de jaunes, d’oranges, de rouges et de violines chatoyants.
Comme si par les couleurs Marcel Storr venait enchanter quelque peu un monde de constructions étouffant, écrasant, d’une effrayante modernité.

Marcel Storr
Bâtisseur visionnaire
Pavillon Carré Baudouin
121 rue de Ménilmontant – Paris 20°
Du mardi au samedi de 11 h à 18 h
Jusqu’au 31 mars 2012
Entrée libre

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Signé Dalí – La collection Sabater

Signé Dali, la collection SabaterVivante ! Tel est le mot qui qualifie le mieux l’exposition tout juste commencée à l’espace Dalí haut perché sur la butte Montmartre.
Après avoir été présentée durant deux ans au musée de Cadaquès, elle s’installe jusqu’au mois de mai dans le seul musée de France entièrement dédié à l’artiste surréaliste catalan.
L’on y découvre, autour des sculptures appartenant à l’espace Dalí, une centaine d’œuvres dédicacées par Salvador Dalí à son secrétaire particulier et ami Enrique Sabater – qui en possède quelque trois cents.

Pour l’histoire, les deux hommes font connaissance en 1968, alors que Sabater est un jeune journaliste venu l’interviewer à son atelier de Port Lligat en Catalogne. La conversation s’installe et Dalí lui dit de revenir le sur-lendemain pour poursuivre les échanges. Et ainsi de suite de jour en jour, si bien qu’une amitié se construit progressivement. Au bout de quelques années, Sabater devient non seulement le comptable, le conseiller, le chauffeur, le garde du corps et l’attaché de presse de Dalí, mais aussi le complice de la vie quotidienne du couple qu’il forme avec Gala. Ce lien durera jusqu’en 1981, soit plus de douze ans.

L’exposition témoigne pleinement de cette confiance. Y sont présentés pêle-mêle, dans une ambiance un peu foutraque absolument délicieuse, photos, livres, dessins, huiles, aquarelles, maquettes et gravures tous dédicacés de la main du maître à son ami.
A travers ces œuvres, c’est tout un univers qui s’ouvre au visiteur : celui d’un artiste brillant, profondément enraciné dans la culture littéraire classique et en même temps révolutionnaire, mais aussi d’un homme d’amour (quelle tendresse se lit sur les photos le montrant avec Gala !) et d’amitié, qui octroyait avec générosité les dédicaces aux personnes qu’il aimait – les œuvres exposées en sont la preuve matérielle.

Exposition Signé Dali à l'espace DaliL’image publique du mégalomane se pavanant tel un paon faisant la roue est remise à sa juste place derrière le témoignage d’Enrique Sabater qui révèle combien cette attitude était calculée : "Dalí et Gala étaient des gens simples. Leur vie à Port Lligat, c’était la routine : Dalí peignait durant de longues heures et Gala lui lisait ses textes préférés pour le relaxer. Dalí me demandait toujours de lui rappeler la visite d’un journaliste cinq minutes avant, pour qu’il mette son "costume d’interview". Dès qu’il était en présence d’un inconnu, son ton changeait, il se métamorphosait pour interpréter son rôle".

Il faut prendre le temps de déambuler au milieu des œuvres pour ressentir l’extraordinaire vitalité qui s’en dégage : liberté absolue, inventivité débridée, mais avec toujours un fini soigné, des couleurs qui font mouche, des lignes virtuoses – ses splendides dessins à l’encre de chine évoquent une calligraphie traditionnelle qui aurait pris ses aises…
On en ressort tout régénéré, avec l’avis que le charme du surréalisme a aujourd’hui encore de beaux jours devant lui, tant l’on a besoin de sa fantaisie et de sa légéreté, qui chez le Catalan s’épanouissent avec une grâce particulière.

Signé Dalí – La collection Sabater
Espace Dalí
11 rue Poubot – Paris 18ème
M° Anvers, Abbesses, bus 54, 80 et Monmartrobus
TLJ de 10 h à 18 h
Entrée plein tarif 11 €
Jusqu’au 10 mai 2012

Images :
A Sabater, Paysage de l’Empordà, huile sur cuivre – 18 x 23,7 cm – 1978 © Collection Enrique Sabater
A Sabater, une accolade sur le Quin Elisabet (sic) Encre sur papier – 28,5 x 44 cm – 1975 © Collection Enrique Sabater

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Edvard Munch, l'Oeil moderne

Exposition Munch, l'Oeil Moderne à BeaubourgIl ne reste plus beaucoup de temps pour aller voir l’exceptionnelle exposition Munch (1863-1944) au centre Pompidou, qui fermera ses portes le 9 janvier prochain.

Exceptionnelle, elle l’est assurément puisqu’elle réunit à Paris des tableaux majeurs de la longue carrière du plus célèbre des peintres norvégiens, malgré tout bien peu connu en France en dehors du "Cri".

Au printemps 2010, le public français avait pu admirer à la Pinacothèque de Paris un bel ensemble de lithographies et de peintures. Ici, un programme différent permet de compléter à merveille la connaissance de la production de cet artiste passionnant.

Dans ses vastes espaces, le centre Beaubourg propose une fois de plus une exposition riche, lisible et très bien pensée, à travers 140 œuvres : des tableaux bien sûr, mais également des œuvres gravés et, ô surprise, des photos et même un bout de film, le tout réalisé par Munch. Grâce aux salles thématiques, préférées à un parcours chronologique, au terme de la visite on a l’agréable impression d’avoir "saisi" l’artiste.

Les deux premières salles sont formidables à tous points de vue. Elles présentent les mêmes sujets, traités à des périodes différentes, en commençant par celles du XIXème siècle. Toutes sont des chefs-d’œuvre : L’enfant malade, Puberté, Jeunes filles sur un pont, Baiser, Vampire, Les amants solitaires. La touche est douce, parfois marquée par l’impressionnisme, mais les sujets sont déjà totalement singuliers. Dès le début, Munch a exprimé des thématiques et des sentiments troubles et forts. On est à mille lieux de la peinture de paysage, d’histoire, de la scène de genre, de l’esthétisme.

Ce qui est sous nos yeux ce sont des personnages qui ne sont que souffrance, inquiétude, mélancolie, abandon. Même le tableau des jeunes filles, avec sa ligne de fuite caractéristique du style de Munch, semble plonger les calmes demoiselles dans une solitude infinie, dans un lointain vide et source de bien des questions.
Dans la salle suivante, les mêmes motifs se retrouvent, mais peints au XXème siècle. La touche a considérablement évolué. Entre temps, Munch a découvert Paul Gauguin et Vincent Van Gogh et cela se voit : coups de brosse détachés, formes simplifiées, parfois stylisées, impression d’inachevé : sa manière, synthétique, est bien celle de la pleine modernité. Il n’empêche que ses œuvres antérieures étaient déjà très modernes à bien des égards, que ce soit par le choix des sujets, par le cadrage (L’enfant malade vue du dessus) ou encore les compositions qui mêlent profondeur du regard et simplicité d’ensemble.

Ces deux salles sont l’occasion de souligner à quel point Munch a repris les mêmes thématiques tout au long de sa vie (six versions de L’enfant malade, une dizaine de Vampire, etc), animé par les mêmes problématiques existentielles mais sans doute épris aussi du besoin d’évolution. Or, quoi de mieux que de reprendre le même sujet pour constater comment on peut l’aborder différemment au fil du temps ?
Cette obsession se retrouve dans les salles consacrées aux autoportraits, qu’il s’agisse des peintures ou des photographies : Munch qui malgré ses problèmes de santé et ses souffrances morales a tout de même vécu jusqu’à 80 ans, n’a jamais cessé de se peindre ou de se photographier, réalisant ainsi une sorte de "journal" de soi-même, comme des écrivains l’ont fait à l’époque à leur manière.

L’importance que les nouveaux media ont eu pour Munch est également mise en évidence : le cinéma, la photo, le reportage de presse. Certains de ses tableaux montrant des "faits divers" (encore des scènes d’une folle gaité !) sont de véritables témoignages journalistiques. Cela étant, l’artiste va plus loin, grâce à son pinceau qui à la fois épure la forme et renforce les sentiments, montrant au fond des thèmes universels.
L’on découvre aussi un Munch "social", qui a peint de poignantes sorties d’usine, des groupes de travailleurs dans la neige…

Munch, l'Oeil moderne, expositions à PompidouLa neige, une autre voie magnifiquement exploitée par le peintre Norvégien, jamais en tant que sujet mais toujours au service du sujet. Voir par exemple sa scène inspirée de Van Gogh La nuit étoilée : une splendeur placée en face d’une autre Le Soleil, et dont, de l’une comme de l’autre, l’on est bien en peine de s’éloigner…

Edvard Munch, l’oeil moderne
Centre Pompidou – 75004 Paris
Métro Rambuteau
TLJ sauf le mardi, de 11h à 21h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Tarifs: 12 € plein tarif (9 € tarif réduit)
Jusqu’au 9 janvier 2011

Images : Puberté, Nasjonalmuseet et Le soleil, Munch Museet, Oslo © ADAGP

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Fra Angelico et les Maîtres de la lumière

Exposition Fra Angelico et les maîtres de la LumièreQuiconque a vu à Florence les fresques de Fra Angelico ornant le cloître, la salle capitulaire et les 44 cellules du couvent de San Marco n’a pu qu’en garder un souvenir ébloui. Près de 600 ans après leur exécution, elles imposent encore leur incroyable force, faite de sobriété, de sérénité et de douceur.

Fran Angelico, de son vivant Fra Giovanni était un frère Dominicain, un ordre prêcheur fondé en 1215 avec pour vocation de promouvoir un renouveau spirituel auprès des Chrétiens afin de contrer les superstitions et autres menaces d’hérésies.
Ce Toscan, né aux alentours de 1400 a mis tout son talent au service de la religion et de la prédication. Son succès à Florence fut tel que le Pape Eugène IV l’invita à travailler à Rome.

L’exposition du musée Jacquemart-André inscrit l’art du Frère des Anges dans le contexte pictural florentin, grâce à des œuvres de certains de ses contemporains : Strozzi, Balnovetti, Filippo Lii, Masolino di Panicale… mais aussi Gentile Fabriano dont un Saint-François recevant les stigmates capte immanquablement le regard. L’utilisation de la lumière – un or des plus chaleureux – et la précision des traits ont certainement marqué Fra Angelico, tout comme l’apparition de la perspective sous le pinceau de Masaccio.

Mais l’on voit surtout au fil du parcours l’affirmation d’un style propre (et évolutif bien sûr), fait de l’appropriation en une synthèse toute personnelle de l’état de l’art dans le premier quattrocento italien : un héritage gothique très fort, avec notamment l’utilisation des fonds et traits d’or de la lumière divine, une grand soin du détail venu sans doute de sa formation initiale à l’enluminure (l’exposition en montre de superbes exemplaires) auquel Fra Angelico mêle les apports de la Renaissance avec une grande maîtrise. Ainsi, son modelé des visages et des traits, ses expressions empruntent à l’humanisme renaissant, conférant à ses représentations religieuses une présence et une proximité nouvelles, dont la grâce qui s’en dégage dans le même temps est une autre marque du peintre.

Au delà des fonds d’or médiévaux, la lumière divine donne chez Fra Angelico des couleurs somptueuses, accrochant au manteau de la Vierge et aux vêtements des Saints de ses tempera sur bois d’ondoyants reflets. Aux teintes claires d’un magnifique Couronnement de la vierge (venu des Offices) inondé de lumière répondent la profondeur des bleus et des rouges de ses Vierge d’humilité, dont celle venue de Turin, daté de 1450, un véritable chef d’œuvre.
Moderne, Fra Angelico l’est aussi dans son utilisation de l’architecture et de la profondeur comme cette Vierge le prouve, mais aussi ses ensembles narratifs, telle que la prédelle Naissance et vocation de Saint-Nicolas, aumône aux trois jeunes filles pauvres.

En fin de parcours, prendre le temps de détailler les compartiments de l’Armoire des ex-voto d’argent, panneaux prêtés par le musée San Marco, où à travers 11 scènes bibliques partant de la Montée au calvaire et aboutissant à la Loi d’Amour, le peintre des Anges met une fois de plus son art au service de la foi sans renoncer à une merveilleuse simplicité.

Fra Angelico et les Maîtres de la lumière
Musée Jacquemart-André
158 boulevard Haussmann – 75008 Paris
TLJ de 10h à 18h
Nocturnes les lundis et samedis jusqu’à 21h30, sauf les 24 et 31 déc.
Nocturnes exceptionnelles les 27, 28, 29 et 30 déc., 8 et 15 janv.
Plein tarif 10 €, TR 8,5 €, audioguide 3 €
Jusqu’au 16 janvier 2012

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Matisse, Cézanne, Picasso… L'aventure des Stein

Matisse, la femme au chapeau, exposition Stein, grand palaisIl semble qu’à jamais ces tableaux resteront dans notre mémoire. Ces paysages de Matisse, sa Femme au chapeau, son Nu bleu, ces portraits de Picasso, son Meneur de cheval nu, cette Femme renversée de Degas, cette Sieste de Bonnard, cette Femme de l’artiste dans un fauteuil de Cézanne…
Ils viennent de New-York, Chicago, San Francisco ou Los Angeles, de la fondation Barnes ou de collections particulières, et sont enfin réunis sous nos yeux !
Ces œuvres immenses sont celles achetées par les Stein, Américains d’origine juive, fous d’art et fous de Paris, au point de s’y établir et, pour Gertrude, d’y rester pendant les funestes années de l’Occupation. Au tout début du XXème siècle, ils ont décidé de soutenir des peintres "hérétiques", dans un monde de l’art qui alors digérait tranquillement l’impressionnisme et s’écriait face aux taches matissiennes du Salon d’Automne de 1905 : "Voici la cage aux fauves !". C’était la Femme au chapeau de Matisse, faite de grosses touches de couleurs, révolutionnaire avec son vert vif sur le nez et son orange sur na nuque, qui scandalisait et suscitait l’opprobre mais fut acquise par Léo Stein.

Gertrude Stein, ses frères Léo et Michael, et Sarah l’épouse de ce dernier sont arrivés à Paris avec ce qu’il fallait pour vivre, mais peut-être pas la grande fortune, certainement pas celle des grands collectionneurs que furent un peu plus tard Barnes ou Rockefeller. Mais ils était allés en Italie, avaient aimé l’art classique, le Moyen-Age et la Renaissance.
L'aventure des Stein au Grand Palais, Matisse En témoignent les photos de l’appartement de la rue de Fleurus, dans le 6ème arrondissement, où Gertrude tenait salon, réunissant le samedi soir hommes et femmes de pinceau comme de plume et amateurs éclairés : les tableaux d’avant-garde surplombaient des meubles d’inspiration médiévale, des statues de toutes époques, et côtoyaient des primitifs italiens.
Ce n’était pas qu’affaire d’œuvres et de collections, c’était aussi affaire humaine. Longue et profonde amitié entre Gertrude et Picasso. Longue amitié et immense admiration entre Sarah et Matisse, jusqu’à la fin de sa vie.

Aujourd’hui, le prix de ces tableaux sur le marché de l’art semble en faire des objets de spéculation (presque) comme les autres. On annonce des sommes folles à l’issue et même avant les ventes publiques, on déclame des records.

L'aventure des Stein au Grand Palais, Picasso Mais à l’époque, c’était tout autre chose, c’était une entreprise de pionniers, d’inventeurs au sens premier du terme. Cette aventure a eu lieu dans l’enthousiasme et avec ce qu’il fallait d’émulation : la confrontation de Picasso et de Matisse a bien pris racine dans le salon des Stein, où l’un et l’autre étaient exposés et se rendaient.
Depuis, les natures mortes cubistes de PIcasso et de Juan Gris n’interpellent plus personne. Les gros seins cernés de bleu de Matisse ne scandalisent plus qui que ce soit. Les paysages constellés de taches, aux limites de l’abstraction et les portraits aux allures de masques primitifs sont presque l’ABC de l’amateur d’art.
Et pourtant ! Il a fallu les repérer, les montrer, habituer les yeux et les esprits, jusqu’à ce qu’ils deviennent référence, au point que leurs inventeurs, cruel succès, les Stein soi-même, quelques dix ou vingt ans plus tard, ne soient plus en mesure de les acquérir tant leur côte avait grimpé !

Cézanne à l'exposition Stein au Grand PalaisIl est malgré tout un choc qui demeure, pas celui de l’avant-garde, mais celui de la beauté pure que l’exposition du Grand Palais sait rendre, ne cherchant rien d’autre qu’à accrocher les peintures sur de grands murs blancs, regroupées par artistes et par style, simplement.
L’aventure des Stein est racontée dans les coins, avec photos et écrits de l’époque, c’est indispensable et passionnant. Les cartels sont quasiment illisibles comme il est de coutume en ce lieu. Mais les tableaux demeurent, tranquillement, passés peut-être de mains en mains après avoir été adorés dans un salon de la rue de Fleurus ou de la rue Madame il y a un siècle, et aujourd’hui à nouveau montrés à Paris, avec toutes leurs audaces, leurs couleurs, leur inventivité et leur force. Leur révolution relève de la permanence et de l’indissoluble, comme un insoluble mystère qui n’a d’autre nom sans doute que la beauté de l’art.

Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein
Galeries Nationales du Grand Palais – 3, av. du General Eisenhower – Paris 8°
Jusqu’au 16 janvier 2012
Du ven. au lun. de 9h à 22h, le mar. de 9h à 14h,
le mer. de 10h à 22h, le jeu. de 10h à 20h
Pendant les vacances, du 17 déc. au 2 jan. inclus, TLJ de 9h à 23h
Fermeture à 18h les 24 et 31 décembre et toute la journée le 25 décembre
Entrée : 12 €, tarif réduit : 8 € (13-25 ans, demandeur d’emploi, famille nombreuse)
Gratuité pour les moins de 13 ans, bénéficiaires du RSA et du minimum vieillesse
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Images :
Henri Matisse, Femme au chapeau, San Francisco Museum of Modern Art, don d’Elise S. Haas, San Francisco, USA © Succession H. Matisse. Photo : Moma, San Francisco, 2011
Henri Matisse, Femme en kimono, The Courtauld Gallery, Londres, Grande-Bretagne © Succession H. Matisse. Photo : The Courtauld Galery, London, 2011
Pablo Picasso, Les pierreuses, 1902, Huile sur toile, 80 x 91,5 cm, Hiroshima, Hiroshima Museum of Art © Succession Picasso 2011
Paul Cézanne, Les baigneurs, Lyon, Musée des Beaux Arts, dépôt du musée d’Orsay © service presse Rmn-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda

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Le nouvel Orsay

Nouvel Orsay, Salle Courbet

On l’aimait déjà beaucoup, notre musée d’Orsay. Nous les Français, mais aussi les visiteurs étrangers, pour lesquels il constitue une étape incontournable, notamment ses salles dédiées aux impressionnistes.
Mais la conception d’origine, qui remontait à 1986, avait vieilli. Les espaces de circulation n’étaient plus adaptés à la fréquentation de 3 millions de visiteurs par an. Les éclairages et les fonds rendaient pâlottes certaines couleurs, gommaient certains contrastes. Enfin, l’enchaînement de l’impressionnisme et du post-impressionnisme reléguait certaines œuvres comme celles de Toulouse-Lautrec dans des espaces confinés.

Il fallait revoir tout cela et Guy Cogeval, le directeur du musée, aidé d’architectes talentueux et de designers inspirés a mené à bien l’entreprise. Celle-ci ne s’est pas limitée à de simples aménagements puisque quelques 1200 m2 de surfaces supplémentaires ont été dégagées.

Le résultat, visible depuis le 20 octobre dernier, est très convaincant.
Le volet le plus audacieux du projet est certainement la rénovation du pavillon Amont – l’ancienne salle des machines de la gare – placé au fond à gauche de la nef.
Introduisant le violet et le rouge cardinal à Orsay, il consacre aux grands formats de Courbet (L’atelier, Un enterrement à Ornans, L’hallali du cerf…) la salle du rez-de-chaussée, quand les étages jouent la carte de l’innovation. En effet, pour permettre au public de profiter de sa riche collection d’objets d’art et de mobilier jusqu’à présent en grande partie remisée dans ses réserves, tout en plaçant la peinture dans son époque et son contexte "domestique", Guy Cogeval a installé de toutes nouvelles salles où l’une et l’autre disciplines cohabitent en se complétant naturellement.
L’on trouve ainsi au 2ème étage les décors et peintures modernes français de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, incarnés par les Nabis, et aux 3ème et 4ème étages l’Art nouveau et ses développements en Europe et aux Etats-Unis.
Les plafonds sont resserrés, les couleurs chics, les œuvres groupées par artistes ; c’est lisible, harmonieux, très cosy.

Le 5ème niveau débouche sur un vaste pallier dépourvu d’œuvres – si ce n’est le canapé de repos, L’étoile de mer, dessiné par les brésiliens Humberto et Fernando Campana, également auteurs de la réfection du café de l’Horloge, qui évoque des fonds sous-marins où étincellerait le soleil, au bout de la galerie des impressionnistes. Mais avant de la traverser, le visiteur peut se clarifier l’esprit en faisant étape dans cet espace de respiration offrant une vue magnifique sur la Seine et les grands monuments de Paris. Une nouvelle boutique est installée à proximité.

Galerie des impressionnistes, nouvel Orsay

Puis l’on aborde les Impressionnistes, dans une galerie entièrement rénovée. Les tons beiges et l’éclairage naturel parfois blafard ont cédé la place à des teintes sombres au sol (parquet) et aux murs, et la lumière de la verrière complétée de projecteurs soigneusement disposés. Des bancs en verre blanc du designer japonais Tokujin Yoshioka ont été installés. L’accrochage a lui aussi été repensé et fait de la "traversée" un enchantement de chaque instant. La plus-value en termes d’élégance est évidente. Mais surtout, les couleurs des toiles de Van Gogh, Gauguin, Manet, Monet et autres Degas, plus belles que jamais, gagnent considérablement en éclat et en nuances.

Côté rue de Lille, la galerie post impressionniste au niveau médian (désormais galerie Françoise Cachin), de même que la galerie symboliste, répondent aux mêmes objectifs de gagner en fluidité dans l’enchaînement des périodes et dans la circulation, et de plus grande mise en valeur des œuvres avec des cimaises aux couleurs profondes.

Au total, 7000 m2 ont été rénovés et un millier d’œuvres sur les 1850 exposées ont été déplacées ou réaccrochées, pour un coût total de 20 million d’euros.
Plus qu’une remise en beauté, c’est avec un supplément d’art que le musée d’Orsay s’apprête à fêter, le 1er décembre prochain, son vingt-cinquième anniversaire.

Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’honneur – Paris 7ème
TJL de 9 h 30 à 18 h, sf le lundi et jusqu’à 21 h 45 le jeudi
Entrée 8 € (TR 5,5 €)

A voir également en ce moment au musée d’Orsay : l’exposition Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde jusqu’au 15 janvier 2012

Photos © Musée d’Orsay Sophie Boegly

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I. et G. Kremer, héritiers de l'Âge d'or hollandais

Exposition Kremer à Pinacothèque, vieil homme au turban de RembrandtDeux ans après la magnifique exposition L’Âge d’or hollandais, la Pinacothèque de Paris revient sur cette période, en présentant près d’une soixantaine d’œuvres, essentiellement des tableaux mais aussi quelques gravures sur cuivre, issue de la collection entreprise par Ilone et George Kremer à partir de 1995.

Découpée en 5 séquences, l’exposition permet de faire le tour des différents registres abordés par les artistes du XVII° siècle : les gens, la vie quotidienne, les paysages et les animaux, le clair-obscur et les scènes religieuses.

Les Provinces du Nord, majoritairement protestantes, sont alors extrêmement riches grâce au commerce international. Une bourgeoisie aisée vient grossir les rangs des commanditaires privés pour orner leurs intérieurs, s’inscrivant dans une tradition très présente aux Pays-Bas, celle des collections, de tableaux bien sûr mais aussi d’objets d’art décoratif. Ils aiment se faire représenter pour mettre en valeur leur réussite. Frans Hals, qui s’est presque exclusivement voué à l’art du portrait, et Rembrandt, le portraitiste le plus en vue d’Amsterdam, connaissent un grand succès.
Du premier sont présentés deux portraits d’hommes, caractéristiques de son style vif, avec des coups de pinceau nets et des oppositions de blancs et de noirs. Du deuxième, l’on peut admirer un très beau Vieil homme en buste avec turban : Rembrandt fait du clair-obscur une utilisation d’une nuance extrême, comme pour mieux souligner la mélancolie de son personnage dont les yeux noirs, qui ne sont pas dirigés vers le spectateur, expriment une profonde tristesse.

Dans la même salle, L’allégorie de l’avarice attire immanquablement l’attention. Honthorst, après avoir séjourné à Rome, a ramené à Utrecht sa ville natale ce style très caravagesque, simple et fait de francs clairs-obscurs. Adapté à la peinture "morale" comme avec cette vieille femme examinant une pièce de monnaie à la lumière d’une lanterne, il fait des ravages…

Exposition Kremer à la Pinacothèque, Allégorie de l'avariceAutres genres très prisés, celui des scènes domestiques, très présent dans l’exposition avec notamment Metsu (Femme préparant des crêpes avec un jeune garçon) et Hooch (Homme lisant une lettre à une femme), ainsi que celui des paysages et des animaux. Admirez le soyeux des plumages des gallinacées des Volailles attaquées par un renard de Luyckx ou la douceur des pelages des animaux de ferme de Weenix dans ses Personnages et bétail parmi les ruines ! Les Hollandais se plaisaient à peindre les objets, les matières et leurs contrastes : leurs tableaux sont souvent très tactiles et peuvent dégager une sensualité bien indépendante de leurs sujets.

Douceur est aussi le mot qui vient à l’esprit face à certains paysages, par exemple celui de Ostade Paysage d’hiver près d’une auberge : dans une composition très réussie jouant sur la complémentarité entre la clarté du ciel et du lac gelé et le brun de la terre, de la végétation hivernale et de la chaumière, Ostade a peint personnages et animaux avec une grande minutie, en recourant à une lumière étonnamment chaude et un style naïf qui évoquent la joie d’être ensemble dans une atmosphère des plus charmantes.

Ilone et George Kremer, héritiers de l’Age d’or hollandais
Pinacothèque de Paris
8 rue Vignon – Paris 9°
TLJ de 10h30 à 18h30, les mer. et ven. jsq 21 h
Les dim. 25 déc. et 1er jan., de 14h à 18h30
Entrée 10 € (TR 8 €)
Jusqu’au 25 mars 2012

A voir aussi en ce moment à la Pinacothèque au 28 place de la Madeleine : Giacometti et les Etrusques ainsi qu’une exposition sur les expressionnistes allemands.

Images :
Vieil Homme en buste avec turban, c.1627/1628, huile sur bois 26,5 x 20 cm © photo : The Kremer Collection/Fondation Aetas Aurea
Gerrit van Honthorst (c.1590/1592 – 1656) Vieille Femme examinant une pièce de monnaie à la lumière d’une lanterne (Allégorie de l’Avarice) c. 1623, huile sur toile, 75 x 60 cm © photo : The Kremer Collection/Fondation Aetas Aurea

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L'Espagne entre deux siècles, 1890-1920. Musée de l'Orangerie

Casas, La Paresse, Espagne entre deux siècles, OrangeriePour le public parisien, l’exposition ouverte ce mois-ci au Musée de l’Orangerie relève en grande partie de la découverte.

Certes, Sorolla fit l’objet, avec Sargent, d’une magnifique exposition au Petit Palais en 2007, certes les tableaux sur lesquels le parcours s’achève – quatre Picasso – sont pour certains familiers. Mais en dehors de ces deux artistes, les peintres ibériques "de la modernité", c’est-à-dire de la période fin XIX°-début XX° si féconde où convergent vers Paris des artistes venus d’un peu partout en Europe, sont aujourd’hui bien peut connus en France.

Fruit de la collaboration initiée depuis trois ans entre le Musée d’Orsay et la Fundación MAPFRE madrilène (1) L’Espagne entre deux siècles, de Zuloaga à Picasso, 1890-1920 contribue, avec une soixantaine de tableaux, à combler ces manques. Et à démontrer que ces artistes sont représentatifs des novations picturales apparues au tournant du XXème siècle et au cours de ses deux premières décennies.

Ainsi, en premier regard, le plus évident est la proximité de nombre de ces œuvres avec celles des peintres français. La plupart des artistes exposés ont séjourné à Paris, certains durant de longues années, et s’y sont liés d’amitié avec Degas, Toulouse-Lautrec, Gauguin, Cézanne… Cela se voit !
Comment ne pas songer à Henri de Toulouse-Lautrec devant les peintures de Ramon Casas, croquant une vue de Montmartre ou une Madeleine assise seule face à son verre rempli, vêtue d’une blouse rouge et main à l’abandon sur un cigare ? Ou face à La buveuse d’absinthe de Picasso ? Comment ne pas évoquer Degas devant la si belle Paresse du même Casas, solitaire, à plat ventre sur son lit, songeuse au milieu du jour ? Et que dire de cette Mestiza desnuda de Juan de Echevarría, citation de Gauguin ? Ou d’un matissien Interior sevillano de Francisco Iturrino ?

Sorolla, La sieste, Espagne entre deux siècles, OrangerieMais l’approche la plus intéressante de l’exposition est celle faisant, au contraire, toute leur place aux spécificités de la peinture ibérique, où l’on voit tantôt comment ces artistes se sont approprié en le modernisant fondamentalement le riche héritage des grands maîtres espagnols, tantôt comment, continuateurs de la peinture moderne européenne, ils ont profondément inscrit celle-ci dans la tradition de leur culture nationale.
Appartiennent assurément à cette seconde catégorie les post-impressionnistes Santiago Rusiñol et Joaquín Sorolla, dont les tableaux déploient des couleurs claires et des effets de lumière éblouissants. A la modernité de la touche et du cadrage des compositions, Sorolla mêle deux thématiques bien hispaniques, celle du réalisme, avec la représentation des métiers du quotidien (Retour de pêche, Préparation des raisins secs), mais aussi l’inspiration "méditerranéenne", avec ses célèbres et non moins merveilleuses scènes de bord de mer.

Zuolaga, Barrès, Espagne entre deux siècles, OrangerieD’autres peintres apparaissent plus directement comme les héritiers de leurs aînés ibériques. La marque du Gréco et de Goya est très présente chez les artistes que l’exposition désigne comme révélateurs de "l’Espagne noire" (alors que les précédents appartiennent selon ce classement à "l’Espagne blanche", mais ce parti pris ne s’avère pas toujours évident au fil de la visite) : tableaux magnifiques et impressionnants, où domine une palette sombre parfois éclairée de rouge sang, tels le Portrait de Maurice Barrès devant Tolède de Ignacio Zuloaga, son Anachorète, aussi tordu par le vent sous un ciel tourmenté que les cyprès en arrière-plan, mais aussi la Paloma et les Deux gitanes au visage émacié de Isidre Nonell, ou encore les peintures de la période bleue de Picasso tel L’enterrement de Casagemas.
Impossible de citer toutes ces œuvres remarquables ! Mais il faut absolument aller découvrir ces peintres à l’Orangerie, tant leur place dans l’histoire de la peinture moderne, faite autant d’hommages que d’inventivité, est passionnante.

L’Espagne entre deux siècles, de Zuloaga à Picasso, 1890-1920
Jusqu’au 9 janvier 2012
Musée national de l’Orangerie – Jardin des Tuileries – Paris 1er
Métro Concorde
TLJ sf le mar. et le 25 déc., de 9 h à 18 h
Entrée 7,5 € (TR 5 €)

(1) On doit notamment à cette collaboration les expositions Oublier Rodin ? La sculpture à Paris 1905-1914 et Voir l’Italie et mourir, photographie et peinture dans l’Italie du XIX° siècle présentées au Musée d’Orsay à Paris et à Madrid.

Images :
Ramón Casas (1866-1932), La Pereza, 1898-1900, Huile sur toile, 64,5 x 54 cm, Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya © MNAC – Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone / Photo : Calveras/Mérida/Sagristà © Droits réservés
Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923), La Siesta, 1911, Huile sur toile, 200 x 201 cm, Madrid, Museo Sorolla © Droits réservés
Ignacio Zuloaga y Zabaleta (1870-1945), Barrès devant Tolède, 1913, Huile sur toile, 203 x 240 cm, Nancy, Musée lorrain (dépôt de musée d’Orsay), © Collection Centre Pompidou, dist. RMN / Philippe Migeat © ADAGP, Paris 2011

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Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde

Beauté, morale et volupté, PavionaL‘aesthetic movement, qui se déploya en Angleterre des années 1860 jusqu’à la fin du règne de la reine Victoria, fut un mouvement artistique global, porté par la peinture, la littérature et tout autant par les arts décoratifs.
Ce courant novateur entendait rompre à la fois avec la rigidité morale qui imprégnait la société victorienne et la laideur des objets manufacturés du XIXème siècle.
Promouvoir "l’art pour l’art", telle était la devise de ce groupe d’artistes d’avant-garde qui effrayèrent d’abord par leurs principes affranchis et la volupté revendiquée de leurs œuvres, puis séduisirent certains cercles d’aristocrates et de bourgeois, avant d’influencer, notamment en matière d’aménagement intérieur, l’ensemble de la société.

Cependant, le mouvement ne cessa jamais tout à fait d’être moqué, et les esthètes, caricaturés en précieux quelque peu coupés de la réalité, finirent "décadents" à la fin du siècle. Il n’en demeure pas moins que le mouvement esthétique a ouvert une brèche dans les domaines traditionnels de l’art, a hissé les arts décoratifs au rang de la noblesse de l’art et eut des suites considérables, si l’on pense à l’Art nouveau en France, au Stile Liberty. en Italie, à la Sécession viennoise…

Tant la rupture qu’a constitué l‘aesthetic movement que la globalité qu’il embrassait sont parfaitement restitués dans la splendide exposition qui vient d’ouvrir au Musée d’Orsay. Au fil d’un parcours à la scénographie très réussie, déambulation douce dans des tons de vert sauge et de violine, peintures, sculptures, photographies, dessins, livres, pièces de mobilier, objets d’arts décoratifs, vêtements et bijoux nous entraînent dans un monde fascinant de beauté et de raffinement.
La progression à la fois chronologique et thématique met en valeur les influences et les innovations des esthètes, qui puisèrent dans le Moyen-Age (voir les tableau richement colorés de Sir Edward Burne-Jones Laus Veneris et L’Adoration des Mages) et plus encore dans l’art japonais, révélation de la deuxième moitié du XIXème siècle. Ils cherchèrent aussi leur inspiration du côté des Antiquités égyptienne et grecque, même si, par rapport au néo-classicisme du XVIIIème, les esthètes eurent sur la Grèce classique un regard plus romantique, exaltant davantage le drapé des robes et la sensualité des corps que la géométrie architecturale.
Le mouvent esthétique adopta aussi ses propres motifs de prédilection, parmi ceux symbolisant avant tout la beauté : le tournesol, le paon et le lys reviennent comme des leitmotivs sur tous les supports. D’autres plus étranges expriment le besoin de singularité des esthètes, friands de chauve-souris (à voir sur un surprenant éventail gris fumé !), de grenouilles et de scarabées… ces derniers rejoignant bien sûr les inspirations égyptiennes.

Beauté, morale et volupté, buffet japonisantCôté décoration intérieure, les meubles se transforment, adoptant des lignes simples et légères (Edward William Godwin réalise une synthèse des styles anglais et japonais en un buffet d’une incroyable modernité), des paravents semblent droits venus du pays du Soleil levant, les faïences blanches et bleues font l’objet de collectionites aiguës, les théières font la révolution (magnifiques modèles design de Christopher Dresser), les papiers peints s’ornent de motifs floraux, végétaux et animaux inédits, merveilleusement stylisés sous les pinceaux de William Morris ou Walter Crane, les intérieurs se couvrent de verts et de bleus sourds chicissimes.
Les robes de dégagent de leurs corsets et gagnent en souplesse ; l’élégance n’est jamais sacrifiée, on brode de superbes capelines et s’orne de bijoux inspirés et colorés (turquoise, corail), quand les hommes portent costume de velours à culotte, bas de soie et escarpins… C’est tout un mode de vie dédié à la beauté qui se déploie, sur soi et dans son chez-soi, et qui ne pourra qu’influencer les contemporains. La peinture (et la photographie, avec Julia Margaret Cameron) rassemble cet état d’esprit, fort bien résumé du reste par le poète Algernon Swinburne : "le sens de la toile est la beauté et sa raison d’être est d’être". Beauté et sensualité des femmes, somptuosité des couleurs, parfois très claires comme chez Albert Moore (Une Venus), références à l’Antique (merveilleux Jardins et Azalées du même Moore), intérieurs raffinés (Cerises de Frederic Leighton), mais aussi peinture mystérieuse et audacieuse, comme les Nocturne, Symphonie de Whistler dont le flouté laissa au public dérouté une impression d’inachevé.

Beauté, morale et volupté, DresserEt côté littérature ? Oscar Wilde of course ! Certes, parmi bien d’autres, mais quand même en avant de tous les autres. Chef de file de ce dandysme autant adoré qu’honni, il accompagne l’exposition à travers livres précieusement décorés (couverture du Sphinx par Charles Ricketts), photos de Napoléon Sarony et moult citations que l’on retrouve toujours avec le sourire. Exemple : "A quoi diable cela nous servirait-il à nous autres hommes , de nous parer de pureté et d’innocence ? Une fleur à la boutonnière, choisie avec discernement, fait beaucoup plus d’effet"

Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
Mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 9h30 à 18h
Jeudi de 9h30 à 21h45
Fermeture tous les lundis et les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Entrée 8 € (TR 5,5 €)
Jusqu’au 15 janvier 2012

Cette exposition a également présentée à Londres, Victoria & Albert Museum, du 2 avril au 17 juillet 2011 et, après Paris rejoindra San Francisco, au Fine Arts Museums, du 18 février au 17 juin 2012

Images :
Frederic Leighton (1830-1896), Pavonia, 1858-1859, Huile sur toile, 53 x 41,5 cm, Londres, collection particulière, c/o Christie’s © Christie’s Images
Edward William Godwin (1833-1886), Buffet, 1867-1875, Acajou ébénisé avec poignées en argent plaqué et panneaux insérés en papier cuir brocardé, Londres, Victoria and Albert Museum © V&A Images
Christopher Dresser (1834-1904), Théière Diamant, vers 1879, Fabriqué par James Dixon & Sons, Sheffield, Argent et nickel électrogalvanisés, poignée en ébène, Londres, Victoria and Albert Museum © V&A Images

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