Cranach et son temps. Musée du Luxembourg

Exposition Cranach au Luxembourg, ParisOn connaît finalement assez peu ce peintre de la Renaissance germanique, qui exerça son art sur tout le premier XVI° siècle à la cour de Wittenberg, auprès du prince électeur de Saxe, Frédéric dit "le Sage".
Artiste prolifique, Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) connut pourtant un immense succès, développa un grand atelier et déploya son talent – de peintre, mais aussi de graveur, ainsi que l’exposition en témoigne – dans tous les genres : peinture religieuse, catholique bien sûr mais aussi au service de la Réforme (voir notamment les portraits de Martin Luther), peinture mythologique (Hercule et Antéeson, directement inspiré d’un médaillon italien, ou encore sa superbe Lucrèce se donnant la mort), portraits des grands d’Europe, comme le roi Ferdinand Ier, empereur du Saint-Empire romain germanique, tableaux de mœurs avertissant le spectateur des vertus à poursuivre et des travers dont il fallait se méfier (visiblement, faire confiance aux femmes faisait partie des pires) et bien sûr des nus, sans doute le pan le plus connu de l’œuvre de Cranach.

Le parcours présentant quelques 75 peintures et gravures fait le tour des différents thèmes iconographiques explorés par le peintre allemand. Il montre également, par d’opportuns rapprochements avec des œuvres de contemporains, ses sources d’inspiration : elles sont à rechercher chez Dürer essentiellement, dont des gravures sont également exposées, puis auprès des peintres flamands après son séjour aux Pays-Bas, même si chez tous ces artistes, la connaissance directe ou indirecte de la Renaissance italienne a joué également un rôle important.

La spécificité du style de Cranach apparaît clairement à travers ces confrontations, en particulier face à l’ensemble de représentations de Lucrèce se poignardant exécutées par différents peintres, dont l’un de ses fils, dit Cranach le jeune, l’un des piliers de l’atelier de Cranach père, et qui en deviendra le successeur.

Exposition Cranach au musée du Luxembourg, Adam et EveLe plus frappant dans sa peinture est certainement la délicatesse des chairs et des expressions – elle fait du coup oublier les maladresses anatomiques. Les visages ont souvent un air doux, des yeux presque mélancoliques. L’ambiguïté est très forte, en particulier dans les nus, où Cranach aime associer un message moralisateur ou une iconographie biblique traditionnelle à des détails plutôt osés, même parfois franchement érotiques. Les corps sont voilés d’une mousseline transparente ; une fine branche de trois feuilles de rien du tout vient cacher pour mieux souligner ce que la pudeur voudrait voir dissimulé. Les sourires sont esquissés, voire à peine suggérés, énigmatiques. On imagine cet artiste ambitieux au solide sens des affaires s’amuser quand même beaucoup dans son atelier. Il n’y a qu’à voir l’un des derniers tableaux de l’exposition, Les amants mal assortis : jeune femme et vieil homme : pendant qu’un vieillard pelote avec joie une jeune femme, celle-ci, l’air de regarder ailleurs, glisse la main dans une bourse gonflée d’or attachée à la ceinture du concupiscent… Comme quoi, malgré l’impression d’austérité que l’ensemble dégage, le rire peut aussi trouver sa place chez ce Nordique renaissant.

Cranach et son temps
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – 75006 Paris
Jusqu’au 23 mai 2011
TLJ de 10 h à 20 h, les vendredis et samedis jusqu’à 22 h
Fermé le 1er mai
Entrée 11 €

Images : Cranach, La Bouche de la Vérité, vers 1525-30, collection privée et Cranach et Adam et Eve, vers 1510, Musée national de Varsovie

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Manet, inventeur du Moderne. Musée d'Orsay

Exposition Manet inventeur du Moderne

Avec une exposition de près de 200 œuvres, dont quelques unes de ses contemporains, le Musée d’Orsay se propose de mettre en valeur des aspects peu connus de la peinture d’Édouard Manet (1832-1883).
Mission parfaitement réussie, au fil d’un parcours thématique en 9 étapes.
Pour autant, les amateurs de ses chefs-d’œuvres les plus connus ne seront pas marris : Le Déjeuner, Le Balcon et Olympia sont bien là eux aussi !
Délices et découvertes sont donc au menu de cette visite, dont on ressort avec la conviction que la peinture de Manet ne saurait se résumer à "Impressionnisme" ou "Hispanisme", tant sont nombreuses les voies explorées par l’artiste – souvent dans le but essentiel d’être admis au Salon et de rencontrer le succès.

Après avoir échoué à Navale, Manet apprend la technique de la peinture dans l’atelier de Thomas Couture, peintre en grâces à l’époque, auteur de tableaux d’histoire mais aussi de portraits. C’est dans ces derniers, dont certains sont exposés, que l’on voit que l’élève a passé plus de six ans dans l’atelier de son maître : les manières de l’un et de l’autre ne sont pas tout à fait étrangères, avec des portraits efficaces, peu léchés et d’une grande présence.

Exposition Manet à Orsay, Le fifreMalgré cet enseignement qualifié d’académique, Manet ne tarde pas à prendre son envol, se frottant à d’autres influences tout en développant avec une grande audace son propre style. Tout au long de l’exposition, on constate d’ailleurs que Manet a tout à la fois essayé de s’adapter aux attentes du jury du Salon afin d’y être admis (il l’a été certaines fois, mais les refus furent plus nombreux…), mais sans jamais se renier : il apparaît aujourd’hui comme celui qui aura, coûte que coûte, essayé d’imposer la modernité.
Ce n’est que dans le courant des années 1860 que le vent commence à tourner en sa faveur, mais auparavant il aura surtout compté sur ses amitiés. Son premier défenseur fut Baudelaire, qui appelait de ses vœux l’avènement d’une autre peinture. Une section évoque cette proximité, qui s’illustre avec le chat noir placé tout à droite d‘Olympia. Témoignait déjà de cette amitié La maîtresse de Baudelaire, dont le graphisme n’est pas sans rappeler celui du poète – certaines de ses gravures sont également à découvrir.

La passion de Manet pour l’Espagne – qui fut également une vogue générale à Paris à l’époque -, essentiellement celle de Velázquez, est ici l’occasion d’admirer Le torero mort venu de Washington, partie d’une toile plus vaste de scène de tauromachie que Manet lui-même avait découpée après le vert accueil réservé au tableau original. Raccourci en diagonale, netteté des lignes, sobriété des couleurs et des effets de dramaturgie, l’impression produite par la représentation n’en est pas moins des plus saisissantes.

Exposition Manet Inventeur du Moderne, le balcon On pense aussi à Velázquez devant Le jeune garçon à l’épée du MoMA ou cette Lola de Valence au jupon bariolé, dont on peut regretter que le peintre ait, après coup, ajouté un décor de théâtre alors que la pure "atmosphère" autour d’elle à la manière du maître espagnol aurait encore renforcé l’incroyable présence.
A travers des œuvres – assez peu connues – relatives à l’histoire contemporaine, Manet, qui était issu d’une famille anti-bonapartiste, a rendu hommage à la Commune (voir la lithographie La Barricade) et a dénoncé la situation au Mexique avec L’exécution de Maximilien, choisissant une composition extrêmement proche de celle du Tres de mayo de Goya.

L’évasion de Rochefort clôt ce riche parcours, tableau brossé à grands coups qui souligne l’impressionnisme de Manet, même s’il n’a jamais voulu, dans les expositions, être mêlé à ses amis et admirateurs impressionnistes.
Une section de l’exposition est d’ailleurs consacrée à cette peinture éclatante de lumière et une autre aux natures de mortes ; l’on découvre également des portraits de femmes et des scènes de vie urbaine au café ou au music-hall, ainsi que d’étonnants tableaux religieux.
Enfin, après avoir admiré une fois de plus les chefs-d’oeuvres que sont Olympia, Le déjeuner et Le Balcon, on quitte le Musée d’Orsay plus que convaincu par toutes les inventions de Manet, qui fut tout à la fois bien ancré dans son temps et le véritable père de la peinture moderne.

Exposition Manet à Orsay, homme mort

Manet, inventeur du Moderne
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’Honneur – Paris 7°
Jusqu’au 3 juillet 2011
TLJ sf lun., de 9 h 30 à 18 h, sam. jsq 20 h et jeudi jsq 21 h 45
Entrée 10 euros (TR 7,5 euros)

Images :
Édouard Manet, Olympia, 1863, Huile sur toile, 1,305 x 1,9 m, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt
Édouard Manet, Le fifre, 1866, Huile sur toile, 1,61 x 0,97 m, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt
Édouard Manet, Le Balcon, 1868-69, Huile sur toile, 170 x 124 cm, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt
Édouard Manet, Le Torero mort, 1864-1865, Huile sur toile, Washington, The National Gallery of Art © Widener Collection, Image courtesy National Gallery of Art, Washington

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Rodin, le plaisir infini du dessin

Exposition dessins Auguste Rodin au Musee Matisse Cateau-CambrésisMouvement, liberté, et grâce. Tels sont les mots qui viennent à l’esprit en découvrant l’exposition, très réussie dans sa mise en espace généreuse, présentée au Musée Matisse Le Cateau-Cambrésis jusqu’au 13 juin.

Il est désormais bien connu que le plus célèbres des sculpteurs depuis Michel-Ange fut un dessinateur très prolifique tout au long de sa riche carrière. L’on se souvient d’ailleurs avec bonheur d’une très belle exposition de dessins érotiques organisée au Musée Rodin à Paris en 2007.

Au Cateau-Cambrésis, les œuvres exposées relèvent de la même période, le "dernier Rodin", qui, vers la fin des années 1880 s’est mis à peindre des nus féminins en abondance, puis, à partir de 1896, a initié une nouvelle approche du sujet. Demandant à ses modèles d’évoluer librement dans l’espace, Rodin ne les quittait pas des yeux et, lorsqu’une attitude le séduisait plus qu’une autre, en faisait l’esquisse sur le vif, sans même regarder sa main.

Plus tard, il reprenait ses dessins pour les retravailler, souvent en plusieurs fois. Il estompait au doigt le trait crayonné pour rendre le modelé ; il en reprenait le contour sur une autre feuille en le simplifiant afin d’éliminer toute le "superflu" ; il ajoutait parfois des touches de couleur à l’aquarelle, ici sur un vêtement, là sur une chevelure. Il pouvait aller plus loin, en décalquant des parties du dessin, en les découpant pour les repositionner, ou encore en couvrant largement le dessin d’aquarelle, sans aucun souci de dépendance entre la couleur et le trait. De la même façon que ses nus sont parfaitement déconnectés de tout contexte, la couleur elle-même ne semble alors avoir plus aucun lien avec le motif. Ce sont des bleus indigo, des magenta, des violets, des ocres, des lavis dont la transparence permet de conserver la délicatesse du trait.

Ce processus d’élaboration, bien visible au fil du parcours, est révélateur de l’importance que Rodin attachait au dessin. L’exposition montre aussi à quel point le sujet féminin constituait l’inépuisable source d’inspiration de l’artiste. La femme et le désir qu’elle éveille apparaissent même comme le véritable moteur de l’énergie créatrice du maître : "Le désir exacerbe notre sensibilité. Il précise les images et leur donne la netteté d’hallucination. On peint, on sculpte, on écrit, guidé par des visions qui s’imposent et se matérialisent d’elles-mêmes".
Le sculpteur-dessinateur semble ne s’imposer aucune limite dans la quête du désir, suscitant et captant chez ses modèles une extrême volupté, qui se découvrent, ouvrent leurs corps, se caressent ou se livrent à des unions saphiques.
A lire ses propos et écrits, l’artiste renommé s’efface derrière l’homme Auguste Rodin dans ces séries de dessins, "qui procèdent d’une recherche intime, des études exécutées pour (son) seul usage, et qui se sont point sortis de (ses) cartons". Il en tire même, en une sorte d’aveu, sa définition de l’art : "L’art n’est en somme qu’une volupté sexuelle. Ce n’est qu’un dérivatif à la puissance d’aimer."

Exposition Rodin au Musee Matisse Cateau-Cambresis, sculpture mouvement de danseParfait écho aux 67 dessins présentés – tous issus des fonds du Musée Rodin et dont près de la moitié sont exposés au public pour la première fois – les 9 sculptures des mouvements de danse et de Nijinski, elles aussi venues de Paris, apparaissent comme une autre forme de ce travail sur le corps et le mouvement.
Rodin, ami d’Isabelle Ducan, avec qui il partageait le goût de la beauté Antique, proche de Loïs Fuller dont il a fait son modèle, s’est pris de passion pour les danseuses cambodgiennes découvertes à Paris en 1906. Il les a dessinées avec ivresse, mais le résultat lui a paru inférieur à son ambition, trop peu cambodgien à ses yeux, au point de renoncer à la publication de son travail. Mais ce sont elles qui lui ont "fait comprendre la danse", et peut-être faut-il y voir aussi la source d’inspiration de cette merveilleuse série de sculptures. Comme les dessins de cette période, celles-ci révèlent une économie de moyens, une épure des lignes presque japonisante, une efficacité dynamique, une grâce et une modernité proprement époustouflantes.

Rodin, le plaisir infini du dessin
Musée Matisse Le Cateau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambrésis
TLJ sf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 5 € (expositions permanentes et temporaire, audio guide enfant/adulte)
Jusqu’au 13 juin 2011

Images : Auguste Rodin, Femme nue debout auprès de deux serpents, crayon au graphite, estompe, aquarelle et gouache sur papier, 49,1 x31,5 cm © ADAGP Paris 2011 et Auguste Rodin, Mouvement de danse F, bronze, 28,8 x 26 x 14,3 cm © ADAGP Paris 2011

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Pinacothèque de Paris : la naissance des Musées

Vierge Esterhazy, Pinacotheque de ParisComment naît un musée ? Avec beaucoup de passion, d’audace et d’ingéniosité a-t-on envie de répondre en découvrant les nouveaux espaces de la Pinacothèque de Paris, et en écoutant son directeur, Marc Restellini, toujours enflammé, souvent emporté, et parfois l’air rêveur, comme déjà dans le "coup d’après".

L’après, ce sera une exposition de masques mayas en mosaïque en provenance de Mexico, qui viendront, à partir du mois de mars, prendre la place de la magnifique exposition L’or des Incas, dans le bâtiment "historique" (ouvert en 2007) de la Pinacothèque de Paris, désormais bien connu du grand public qui vient en nombre découvrir ses expositions phares place de la Madeleine.

Le présent, c’est l’inauguration toute récente de 3 000 m2 de nouveaux espaces, à quelques mètres du premier bâtiment, à l’angle de la rue de Sèze et de la rue Vignon. Là sont réunis trois événements autour de "La naissance d’un musée" : la présentation de la collection permanente de la Pinacothèque, entourée de deux expositions temporaires visibles jusqu’au 29 mai, l’une consacrée aux collections du Musée de l’Ermitage, l’autre à celles du Musée de Budapest.

La naissance de ces deux musées est liée aux passions de deux grandes dynasties : les Romanov, qui ont constitué à partir de la fin du XVII° siècle les abondantes collections impériales russes, pour aboutir à la création, au tout début du XIX° siècle, du célèbre musée de Saint-Pétersbourg.
Les Esterházy, grande famille nobiliaire austro-hongroise, ont commencé au XVII° une collection qui a atteint son apogée deux siècles plus tard avec Nicolas II, alors à la tête de plus de 1 100 tableaux. Elle forme depuis 1870 le cœur du musée des Beaux-Arts de Budapest.

David et J, Rembrandt Pinacotheque de ParisSi l’on n’a pas encore eu la chance de visiter ces deux institutions, dont les collections sont très occidentales, l’ensemble à voir à la Pinacothèque n’est que découverte. Car la collection permanente, constituée de dépôts de collectionneurs privés, est, elle, totalement inédite. Et le tout regorge de pépites.

Trois parcours, donc, et trois approches différentes. Si la centaine d’œuvres impériales russes est organisée selon l’ordre chronologique des règnes des tsars collectionneurs, l’accrochage des quelques cinquante tableaux venus de Budapest respecte la volonté de Nicolas II de présenter les oeuvres par écoles (italienne, française, espagnole, hollandaise…).

Enfin, pour la collection permanente de la Pinacothèque, Marc Restellini a cassé les codes, regroupant les œuvres – peinture essentiellement mais aussi sculpture – par thématiques (natures mortes, portraits, paysages…) et faisant ainsi dans chaque salle s’entrechoquer tous styles et époques. Le dispositif, profondément novateur pour un musée, ne manque pas de piquant, d’autant que la qualité des œuvres fait aller de surprise en surprise. Voici ainsi réunis dans cette originale galerie Magritte, Léger, Pollock, Utrillo, Modigliani, Ernst, Duchamp, Nicolas de Staël, Rothko, Barceló… mais aussi Ghirlandaio, Tintoret, Boucher, Rembrandt, Van Dyck… et même des statuettes primitives !

Le Lorrain, villa romaine, Pinacotheque de ParisLes collections de L’Ermitage et de Budapest, bien sûr antérieures à la peinture moderne, présentent elles aussi nombre de trésors.
Côté Saint-Pétersbourg, on démarre très fort avec un splendide David et Jonathan de Rembrandt, mais l’on croisera aussi Le portrait du comte-duc d’Olivares par Vélasquez, un autoportrait de Véronèse, Amours à la chasse de Poussin, La Malade et le Médecin de Metsu, Christ Salvador Mundi de Titien, Portrait de jeune homme au chapeau de Greuze, Nature morte aux attributs des arts de Chardin…

La partie consacrée aux Esterházy mérite des arrêts prolongés devant La Vierge et le Portrait d’un jeune homme de Raphaël, la Villa dans la campagne romaine de Claude le Lorrain et plus encore devant un petit tableau de Brueghel l’Ancien Paysage montagneux aux couleurs inoubliables, tout près d’un très beau Cranach Lamentation.

Au total, ce sont plus de deux-cent-cinquante tableaux de toutes écoles et époques qu’il faut aller découvrir à la Pinacothèque "II" : de quoi honorer comme il se doit la naissance de ces trois beaux musées.

L’Ermitage, la naissance du musée impérial. Les Romanov, tsars collectionneurs
Une exposition en association avec le Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg
La naissance du musée. Les Esterhàzy, princes collectionneurs
Une exposition en association avec le Musée des Beaux-Arts de Budapest
Jusqu’au 29 mai 2011
Pinacothèque de Paris
Entrée des expositions au 8, rue Vignon – Paris 8°
TLJ de 10 h 30 à 19 h 30 (fermeture des caisses à 18 h 45)
Le 1er mai ouverture de 14 h à 19 h 30
Nocturne tous les mercredis jusqu’à 21 h 30 (fermeture de la billetterie à 20 h 45)

Images : Raffaello Santi, dit Raphaël, La Vierge et l’Enfant avec le petit Saint Jean "La Madone Esterházy", Tempera en huile sur panneau de bois H: 28,5 L: 21,5 cm © Szépmuvészeti Múzeum, Budapest
David et Jonathan de Rembrandt (Harmensz Van Rij, dit) 1642. Huile sur panneau de bois (© Musée de l’Ermitage/Demidov)
Claude Gellée, dit Le Lorrain, Une villa dans la campagne romaine, Huile sur toile H: 68,8 L: 91 cm © Szépmuvészeti Múzeum, Budapest

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L'Antiquité rêvée au Louvre

Fragonard, Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé

C’est un XVIII° siècle tout en contrastes que l’on parcourt au fil de la riche exposition présentée au Louvre jusqu’au 14 février prochain. Sculptures, peintures, gravures et même mobilier s’y côtoient pour montrer les différents aspects de cet engouement pour l’Antique que l’on a trop souvent, à tort, réduit au "Néo-classicisme".

Longtemps associé aux fouilles de Pompéi et d’Herculanum à partir de 1738, le retour au style de l’art Antique leur est en réalité antérieur, né de la volonté, au début du XVIII° de repousser le style Rocaille, jugé peu sérieux : après ses errements fantaisistes, il est temps de retrouver les canons esthétiques et les lignes architecturales de l’art gréco-romain, ce qui est l’occasion de revenir aussi à son inépuisable source de sujets mythologiques.

Des sculpteurs comme Edmé Bouchardon, Augustin Pajou, Johan Tobias Sergel réinterprètent ainsi les grandes figures du panthéon classique.
L’Amour taillant son arc dans la massue d’Hercule de Bouchardon s’impose par la douceur de son expression, ses textures soignées (le rendu des plumes des ailes donne envie de les toucher), sa pose délicate, l’harmonie de l’ensemble.

Les artistes de l’époque ont presque tous fait leur Grand Tour en Italie, certains s’y sont même installés de nombreuses années, et cela se voit.
Du coup, leurs œuvres, loin d’être toutes néo-classiques, sont pour certaines aussi bien marquées par le baroque. On pense beaucoup au Bernin, face au Neptune de Pajou ou à la Venus marine du britannique John Deare…

Hormis les motifs mythologiques, les peintres se plaisent à figurer les chefs d’œuvre emblématiques de la Rome antique : Hubert Robert a peint le Panthéon, montrant d’ailleurs un intérieur assez curieux, plus ovale que rond, et très éclairé… Il a aussi mis en scène la découverte du Laocoon, en plaçant le célèbre groupe dans une belle et immense galerie sans rapport avec le site sur lequel il a été découvert. Le titre de l’exposition, L’Antiquité rêvée prend tout son sens.

Mais en peinture également, la multiplicité des styles reste le plus frappant : ici chez Greuze pointe l’influence de Poussin (dont est exposé Le Testament d’Eudamides venu de Copenhague), là avec David éclate l’exaltation des vertus classiques (Le serment des Horaces), alors que Füssli et son célèbre Cauchemar annoncent avec quelques autres la tentation du sublime et du fantastique du XIX°.

Où classer dans tout cela le grandiose tableau de Fragonard Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé ? A sa propre et magnifique place où, sur un autel délimité par de larges colonnes antiques, Fragonard raconte la légende de Corésus, grand prêtre du temple de Dionysos qui préfère se donner la mort plutôt que de sacrifier la jeune fille qu’il aime. Lors de sa recension du Salon de 1765, Diderot a longuement évoqué cette œuvre, dans des termes tout à fait oniriques.
Il est vrai qu’avec sa composition époustouflante, sa théâtralité, son étonnante lumière, la délicatesse de ses teintes, la variété et la force de ses expressions, deux siècles et demi après, le tableau ne finit pas de fasciner, tant il est dense de littérature, et d’une richesse picturale inouïe.

L’Antiquité rêvée. Innovations et résistances au XVIIIe siècle
Musée du Louvre
Hall Napoléon
TLJ sf mardi, de 9 h à 18 h, les mercredi et vendredi de 9 h à 22 h
Jusqu’au 14 février 2011
Catalogue, Gallimard/Musée du Louvre, 504 p., 45 €

Jean-Honoré Fragonard (Grasse, 1732 – Paris, 1806), Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé, Salon de 1765 © Musée du Louvre/A. Dequier – M. Bard

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Trésor des Médicis. Musée Maillol

Famille de banquiers florentins richissimes à partir de la fin du Quattrocento, la dynastie des Médicis a donné des princes, des papes, et même deux reines à la Couronne de France, Catherine épouse du futur roi Henri II puis Marie épouse d’Henri IV en 1600.

Leur fortune, ils l’ont en partie consacrée aux arts, mais aussi à la science et à la connaissance du monde.
Du XVème au XVIIIème siècles, ils ont accumulé des collections fabuleuses, d’antiques et de « curiosités » notamment ; mais ils ont aussi beaucoup fait travailler les artistes de leur temps.

Le musée Maillol retrace cette éblouissante épopée dans le règne du beau et du savoir à travers 160 œuvres, tableaux, dessins, sculptures, meubles, objets d’arts décoratifs, livres et même instruments de musique et… astronomiques.

De Cosme l’Ancien qui fut le premier grand collectionneur après son retour d’exil à Florence en 1434, à Anne-Marie Luisa, la dernière des Médicis qui, à sa mort en 1743 légua le trésor familial à l’État Toscan à condition que jamais rien ne quitte Florence et que les collections des Médicis soient mises entièrement à la disposition du public, l’on suit au fil des siècles les engouements de ces fous d’art qui, s’ils ne l’ont pas inventé, furent les premiers à développer le mécénat à une telle échelle.

L’exposition est de toute beauté, rendue plus agréable encore par la scénographie de Bruno Moinard. Dans une ambiance empreinte de richesse et de raffinement, la visite commence dans un très beau corail cuivré pour finir dans les tons de vieil or et de gris anthracite, tandis que les œuvres sont mises en valeur grâce à une installation aérée.

Remontant le temps, l’on s’arrête, tour à tour, devant d’admirables statues et camées romains, devant la Sépulture des saints Côme et Damien et de leurs trois frères de Fra Angelico, L’Adoration des Mages de Botticelli, un David de Michel-Ange, ou encore la crosse du pape Léon X…

Hommage incontournable aux illustres florentines qui ont lié leur destin à celui du royaume de France, une salle est consacrée aux fastueux portraits de deux Reines. L’on voit ainsi Marie de Médicis ornée d’une robe robe comptant quelques 300 grosses perles fines et plaques de diamants… Dans un coin, cette huile en grisaille de Rubens, qui a peint les grands épisodes de sa vie pour son palais du Luxembourg.

Dans le Cabinet des Merveilles de François 1er de Médicis, se côtoient des œuvres d’art premier venus d’Amérique Latine, d’Afrique et de l’Océan indien et des objets décoratifs aussi fins qu’originaux. Voici donc un manteau de plumes rouges de la culture tupinambá, un vase en forme de navire en lapis-lazuli, une verseuse en nacre et vermeil gravé composée de deux coquilles…
Parmi les raretés, l’on découvre, plus loin, les merveilleuses marqueteries de pierre dure sur marbre, avec notamment un cabinet en ébène du XVIIème siècle composé de 17 compartiments ornés, ou encore deux tables sur fond de marbre noir, justement appelées A la grenade et Au collier de perles.

La curiosité et les terrains d’investigation des Médicis étaient sans limites, comme en témoignent les objets d’astronomie liés aux découvertes de Galilée. Les livres n’étaient pas moins prisés, à voir les véritables œuvres d’art que sont le Livre d’Heures de l’une filles de Laurent le Magnifique ou encore les Editions princeps des œuvres d’Homère extraits de la bibliothèque médicéenne.

Trésor des Médicis
Musée Maillol
59-61, rue de Grenelle – 75007 Paris
Métro Rue du Bac, bus : n° 63, 68, 69, 83, 84
TLJ de 10 h 30 à 19 h sf 25 déc. et 1er jan., nocturne le ven. jusqu’à 21 h 30
Entrée 11 € (TR 9 €)
Exposition prolongée jusqu’au 13 février 2011

 

Images : Pierre Paul Rubens Les trois Grâces, 1627-1628 Huile en grisaille sur panneau, 47,5 x 35 cm Florence, Palazzo Pitti, Galleria Palatina Inv. 1890 n. 1165 Photo: Archivio fotografico della soprintendenza di Firenze
et Giusto Utens (Bruxelles ?-Carrare 1609) Vue du palais Pitti et du jardin de Boboli 1598-1599 Huile sur toile, 143 x 285 cm Inscription : en bas, au centre « Belveder (con Pitti) » Museo Storico Topografico Firenze com’era

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Le Musée Gustave-Moreau à Paris

Escalier du Musée Gustave Moreau

Quand les expositions de l’été se finissent, alors que celles annoncées pour l’automne n’ont pas encore commencé, une idée pour le touriste désemparé ou le Parisien revenu au bercail est d’aller tout simplement faire un tour du côté… des musées.
Par exemple, ceux auxquels on ne pense jamais, parce que peu d’événements y sont organisés et qu’ils sont cachés dans quelque hôtel particulier de rues essentiellement résidentielles.

Le Musée Gustave-Moreau dans le 9° arrondissement est typique de ce délaissement.
En vous y pointant à cette saison, un samedi en fin de matinée, vous avez la chance d’y croiser : une vieille dame venue d’Italie, un séminariste Camerounais, un jeune couple de Français plus ou moins amusé et, juste avant la fermeture, un duo de Japonaises en jupes courtes courant de bas en haut et de haut en bas. En comptant un gardien par étage plus une caissière, le rapport visiteurs/personnel est dans ce cas presque de un pour deux…

Le premier étage du bâtiment – aménagé par Gustave Moreau soi-même, qui a fait de sa maison un musée – abrite l’appartement de l’artiste. Depuis la fin du XIXème, le temps semble s’y être figé : meubles et objets décoratifs (céramiques de Palissy, chinoiseries, pièces venues du Japon) sont ceux du goût de l’époque. Ils cohabitent étroitement (trop !) avec les copies de Gustave Moreau : celles que l’artiste a fait des grands maîtres lors de son séjour italien entre 1857 et 1859 (tel un Saint George terrassant le Dragon copié de Carpaccio à Venise), ainsi que des copies d’œuvres originales du peintre symboliste.

Les deuxième et troisième étages s’ouvrent sur de grands espaces entièrement tapissés de peintures et de dessins de Moreau. Là, le plaisir commence vraiment, et l’on a envie de s’installer un moment face à ces grandes compositions où fourmillent mille détails. L’artiste formé à l’école académique – pour ensuite s’en détacher, déçu n’avoir pas été reçu au Prix de Rome – a en quelque sorte réinventé la peinture d’histoire, puisant son inspiration dans les sujets bibliques et mythologiques, notamment dans les Métamorphoses d’Ovide – pour parfois d’ailleurs les transformer au gré de son imagination.
Le rapprochement avec la peinture d’histoire s’arrête là, tant Gustave Moreau a imposé un style bien à lui, reconnaissable entre tous, alliant au ciselé du dessin le sfumato des atmosphères, à l’étrangeté des couleurs des détails décoratifs presque persans, à la violence des scènes des poses hiératiques et moyen-âgeuses.

Énigmatique, passionnante "à lire" (pour cela, ses propres écrits sont nécessaires !), la peinture de Gustave Moreau vaut avant tout pour ce qu’elle est : belle, raffinée et singulière, une peinture dont les sujets mythiques et l’esthétique puissante emportent loin, impriment leur marque et laissent songeur.

Musée National Gustave-Moreau
14, rue de La Rochefoucauld -75009 PARIS
info@musee-moreau.fr
M° Trinité ou Saint Georges, bus : 67, 68, 74, 32, 43, 49
TLJ de 10 h à 12 h 45 et de 14 h à 17 h 15 sf le mardi
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Entrée 5 euros (TR 3 euros)
Gratuit pour les moins de 18 ans et pour tous le premier dimanche de chaque mois
Tarif réduit pour les moins de 26 ans ressortissants de l’union européene

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Du Greco à Dalí. Musée Jacquemart-André

El Greco, miniature Tête du ChristL’exposition est courte (une soixantaine d’œuvres), voit large (cf. son titre), mais ne déçoit pas si l’on est prévenu de sa véritable substance.
Issus de la collection de l’homme d’affaires mexicain Juan Antonio Pérez Simón, ces tableaux ne sont pas de ceux que l’ont peut habituellement admirer dans les musées. Tel est l’intérêt de la visite, auquel s’ajoute celui d’offrir une idée de la production espagnole sur une période de pas moins de quatre siècles. Et si manquent deux très grands du XVII°, Vélasquez et Zurbarán, dans l’ensemble, du Siècle d’Or au XX° siècle, on fait ici un fort joli paseo ibérique.

Mêlant approches thématique et chronologique, le parcours débute par les fêtes espagnoles, avec deux tableaux de la Plaza Major, construite au début du XVII°, haut-lieu de festivités royales de Madrid devenue capitale sous le règne des Habsbourg en 1561. L’on découvre avec ravissement dans cette salle l’artiste catalan Anglada-Camarasa (1872-1959) avec une Feria de Valence (1907) éclatante de couleurs, où se lisent les inspirations parisiennes et viennoises, symbolisme, veine décorative de Klimt et Art nouveau. Y est également exposé un très beau Dalí bourré de références (dont celle au fameux Enterrement du Comte d’Orgaz du Greco à Tolède), qui était un projet de décor pour un ballet.

La peinture religieuse fut un des temps forts du Siècle d’or : après le Concile de Trente les autorités voulaient affirmer avec force images la vigueur de la religion catholique, couvrant les églises de peintures du Christ, de la Vierge et des Saints afin d’inculquer aux fidèles souvent illettrés les idées et les pratiques nées de la Contre-Réforme. Murillo (1617-1682), le plus doux, et Ribera (1591-1652), le plus poignant en produisirent un grand nombre. On admire ici une Immaculée Conception du premier et un frappant Saint Jérôme du deuxième. Le cher Greco est également présent grâce à une miniature de dix centimètres de haut Tête de Christ aux yeux plein de larmes sur un visage livide, d’une très belle humanité.

Goya, collection Perez SimonDans la salle consacrée à l’art du portrait, un grand portrait féminin de Goya se laisse longuement contempler. L’artiste semble avoir joué sur le contraste entre la monumentalité du buste drapé d’étoffes et de fourrure de l’Infante et un visage très naturel dont les yeux sont d’une extraordinaire expressivité.
Plus loin, les esquisses et les peintures de Sorolla répandent leur incomparable lumière, avec des scènes de loisirs sur la plage et de pêche au cadrage presque photographique (sur ce peintre, voir le billet du 6 mars 2007, rendant compte d’une exposition magnifique présentée au Petit Palais).
Ajoutez à cela deux natures mortes cubistes de haute tenue de Juan Gris et de Picasso, des nus de ce dernier, quelques Miró et même un Tàpies, et vous reconnaîtrez que les choix sot plutôt convaincants.

« Du Greco à Dalí : les grands maîtres espagnols. La collection Pérez Simón »
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann – 75008 Paris
Téléphone : 01 45 62 11 59
M° Saint-Augustin, Miromesnil ou Saint-Philippe du Roule
Jusqu’au 1er août 2010
Ouvert 365 jours par an, de 10 h à 18 h, lundi jusqu’à 21 h 30
Entrée 11 euros (TR 8,5 euros)

Images : Domenikos Theotokopoulos, dit Le Greco (1541-1614), Tête du Christ, Vers 1600, huile sur papier collé sur panneau de bois, 10,2 x 8,6 Collection Pérez Simón, Mexico © Fundación JAPS © Studio Sébert photographes
et Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828), Doña Maria Teresa de Vallabriga y Rozas, 1783, huile sur panneau de bois, 66,7 x 50,5, Collection Pérez Simón, Mexico © Fundación JAPS © Studio Sébert photographes

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Charles Avery – Onomatopoeia, part 1

Charles Avery, Le Plateau, Stone mouse sellers

Un planisphère, un serpent à bras, un objet exhumé d’un grenier : ainsi s’ouvre l’exposition de l’Écossais Charles Avery présentée au Plateau jusqu’au 8 août prochain.
Elle nous plonge dans le monde inventé par cet artiste de 37 ans aux multiples talents – sculpture, dessin, écriture – qui depuis 2004 dédie son œuvre a une seule entreprise The Islanders, archipel énigmatique dont Onomatopeia est la cité.

La visite s’apparente à la découverte de l’île mystérieuse. Des noms poétiques s’étalent sur le planisphère (Océan analytique, Mer de la clarté), des appellations étranges désignent de magnifiques bustes de bronze coiffés de chapeaux géométriques en papier ou en carton. Surtout, des dessins de très grand format nous racontent ce monde. Un des plus impressionnants présente le port d‘Onomatopoeia. Sur 2 m 40 de hauteur par 5 m 10 de large, s’entremêlent une foule abondante et variée, des animaux curieux, un vendeur de moules / œufs, des bâtiments plus ou moins désaffectés… Fourmillant de détails, le dessin s’examine à loisir dans tous ses recoins. Le trait est brillant, satirique, parfois très dur. Dans ses dessins magistralement composés comme dans ses sculptures, l’artiste allie les lignes souples et libres, réservées aux êtres vivants, aux formes géométriques, très présentes avec les énigmatiques chapeaux et l’architecture de la cité.

Ses textes nous en apprennent davantage sur son monde éclectique, contemporain et inquiétant : à quelques détails de science-fiction près, il ressemble beaucoup au nôtre, avec son Histoire (colonisation par les puissants, élimination des minorités, assimilation au groupe modèle dominant), société stratifiée, asservissement et stigmatisation des étrangers, pauvreté, création de valeur par la marchandisation, spéculation, addictions… Le tout dans un contexte de tourisme de masse moutonnier.

Mais si les extraits de récits d’explorateur (passionnants) de Charles Avery viennent éclairer ses créations graphiques et plastiques, leur lecture n’est pas un préalable nécessaire : les plaisirs de l’intrigue et de l’imagination n’en seront que plus grands en parcourant l’exposition du Plateau, la première exposition personnelle en France de Charles Avery. Un nom facile à retenir et une œuvre à découvrir… absolument.

Charles Avery – Onomatopoeia, part 1
Le Plateau – FRAC Ile-de-France
Place Hannah Arendt, à l’angle de la rue Carducci et de la rue des Alouettes
Paris 19ème
M° Jourdain (11) ou Buttes-Chaumont (7bis), bus 26 – arrêt Jourdain
Du mer. au ven. de 14 h à 19 h et les sam. et dim. de 12 h à 20 h
Jusqu’au 8 août 2010
Entrée libre

Charles Avery, Le Plateau, The bar of the one armed snake

Né en 1973 à Oban, en Écosse, Charles Avery vit et travaille à Londres. Il expose régulièrement dans des galeries en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Italie et à participé à de nombreuses expositions collectives, dont Altermodern pour la 4ème Triennale de la Tate et Walk in your mind à la Hayward Gallery, à Londres en 2009. Son travail a été présenté à la Biennale de Venise et à la Biennale de Lyon en 2007.

Rendez-vous au Plateau :
Chaque dimanche à 16 h visite guidée et gratuite de l’exposition
Jeudi 17 juin à 19 h 30, rencontre avec Charles Avery. Il s’entretiendra avec Nicolas Bourriaud, critique d’art et commissaire de l’exposition Altermodern de la Tate Triennal en 2009 et proposera une lecture de ses textes, récits d’expédition se rapportant au projet The Islanders.
Dimanche 27 juin à 18 h, visite avec Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition

Images : Charles Avery Untitled (Stone Mouse sellers) 96 x 132,5 cm et Charles Avery Untitled (The Bar of the One Armed Snake), 2009 Pencil and gouache on board 124 x 164 cm Courtesy Pilar Corrias Gallery Photo Andy Keate

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Crime et châtiment. Musée d'Orsay

Crime et châtiment, exposition au Musée d'Orsay, Robert Badinter et Jean ClairDeux mois après son inauguration, le souvenir de l’exposition demeure encore vif.
Comment oublier cette guillotine et ces grands tableaux accrochés les uns contre les autres montrant le sang versé, les corps mutilés, la tête qui roule : le meurtre et son implacable sanction ?
Ces meurtres privés et ces assassinats prescrits par nos lois, inlassablement livrés à la contemplation publique, de la Révolution jusqu’à la fin des années 30 (1) ?

Crime et châtiment, titre emprunté au roman de Dostoïevski se propose de mettre en lumière les approches artistiques du crime et de la peine de mort tout au long du XIX° et au début du XX° siècles.
Il apparaît assez rapidement que, plus encore que l’homme, la femme meurtrière a inspiré très largement les peintres, bien qu’elle fût tout à fait minoritaire parmi les assassins. La douzaine de tableaux du meurtre de Marat par Charlotte Corday et la section consacrée à la figure de la sorcière prouvent à quel point les fantasmes des artistes mêlaient violence, mort et érotisme.

Des tableaux de haut vol signés Géricault, Delacroix, Ingres, Goya, Moreau, Munch, Picasso… aux coupures de presse totalement terrifiantes (elles étaient faites pour), en passant par dessins et sculptures, cette exposition riche, dense, érudite s’avère bien à la hauteur de ses ambitions. Elle réalise la démonstration éclatante de la fascination que la mort de l’homme par l’homme exerce sur les artistes et le public, tous avides de gros plans et de détails.
Parmi les vitrines consacrées aux approches scientifiques, l’on retrouve avec effroi les fameux travaux physiognomiques de l’Italien Cesare Lombroso tentant d’établir avec forces études le lien irréfutable entre la forme du crâne, les traits du visage et la propension au crime, théories dont Degas (passionné par le crime en général) était friand, comme le montre sa Petite danseuse de quatorze ans présentée par l’artiste comme un parfait exemple de dangereuse dégénérée.

L’art interroge, met à distance, sublime. Mais ne fait pas écran au fond. On n’oubliera pas non plus la "Justitia" ni le "Ecce, le Pendu", bouleversants dessins à l’encre de Victor Hugo, ni cette porte de prison gravée dans les derniers instants du condamné, tout comme cette fameuse guillotine de noir habillée. L’immense Robert Badinter – l’initiateur de Crime et châtiment – et Jean Clair – son talentueux commissaire, à qui l’on devait la magnifique Mélancolie au Grand-Palais – y tenaient. Ils ont cherché cette machine infernale avec une opiniâtreté égale à celle qu’ils ont dû déployer pour faire accepter leur exposition. On rêverait de pouvoir y trouver un point final : hélas comme la chaise électrique d’Andy Warhol vient le rappeler, le châtiment suprême dans bien des Etats, y compris parmi les dits modernes, est encore d’actualité.

Crime et châtiment
Un projet de Robert Badinter
Commissariat général Jean Clair, de l’Académie française, conservateur général du patrimoine
Musée d’Orsay
Du mar. au dim. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Jusqu’au 27 juin 2010
Entrée 9,50 € (TR 7 €)

(1) Contrairement à la période inaugurée avec la Révolution et ses exécutions sur la place qui portait son nom, devenue place de la Concorde, de 1939 à la fin des années 1970, les exécutions se sont déplacées à l’ombre des prisons.

Image : Théodore Géricault, Étude de pieds et de mains, 1818-1819, Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération photo Frédéric Jaulmes

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