Goya et la modernité à la Pinacothèque de Paris

Goya et la modernité à la Pinacothèque de ParisOn garde grand souvenir de l’exposition de gravures de Francisco de Goya (1746-1828) organisée en 2008 au Petit-Palais.

Cette saison, la Pinacothèque de Paris présente à son tour une belle sélection de gravures, auxquelles elle adjoint des peintures du célèbre peintre aragonais.

Le titre de l’exposition sied bien à Goya, qui fut un grand moderne, tant dans sa manière que dans son propos, avec un pinceau libre et sans apprêt, et des sujets sociaux traités sur le mode de la satire, fustigeant vigoureusement les archaïsmes de son temps. Hélas, le discours que Goya, artiste des Lumières, délivre sur les horreurs de la guerre, l’hypocrisie sociale et l’aveuglement de l’Homme demeure aussi frais en 2013 qu’il l’était au tournant du XIXème siècle.

En quelques 200 œuvres, essentiellement venues de collections privées, le parcours auquel nous invite la Pinacothèque de Paris permet d’explorer les grandes thématiques du peintre espagnol.

La première de ses séries Les Caprices passe au crible aussi bien sur la religion, le mariage (pour exemples : Elles prononcent le oui et accordent leur main au premier venu, Personne ne se connaît, ou encore Quel sacrifice !), l’éducation (Et si le disciple en savait plus ?), la prostitution, que des visions cauchemardesques (dont le fameux Le sommeil de la raison engendre des monstres). Plus terrible encore, sa deuxième série est consacrée aux Désastres de la guerre. En vis-à-vis, la toile Scène de genre de la guerre civile espagnole n’est pas sans rappeler son très fameux Tres de Mayo (au Prado à Madrid).
La troisième série est dédiée à la Tauromachie, quand la dernière Les Disparates ou Les Proverbes invite à pénétrer un monde mystérieux et imaginaire.

Pinacothèque de Paris, Goya et la modernitéCôté peintures, à côté de quelques tableaux religieux, on se régale de ravissantes scènes de la vie quotidienne, avant d’aborder les grands portraits de Goya. Peintre officiel de la Cour, Goya tirait de ce genre l’essentiel de ses revenus et peignait aussi bien Charles III en chasseur que des intimes. Parmi les caractéristiques les plus admirables de ces portraits, on retiendra sans doute la force d’expression, à l’image d’une Marquise de Villafranca en veuve aux yeux de jais d’une présence extraordinaire par son seul regard.

Goya et la modernité
Pinacothèque de Paris
Pinacothèque I – 28 place de la Madeleine, Paris 8ème
TLJ de 10h30 à 18h30
Les mercredis et vendredis jsq 21h
Pour les différentes formules de billetterie, consulter le site
Jusqu’au 16 mars 2014

Images :
Goya, Los Caprichos, planche 42, Toi que no puedes (Toi qui n’en peux mais)
Goya, Los Caprichos, planche 6, Personne ne se connaît (Nadie se conoce)

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Masculin/Masculin au Musée d'Orsay

Masculin Masculin au Musée d'Orsay

Pour sa grande exposition de rentrée, le Musée d’Orsay a réuni pas moins de 200 peintures, dessins, sculptures et photographies ayant pour sujet le nu masculin. Si les œuvres présentées les plus anciennes remontent au XVIIème siècle, avec Pierre Mignard et Georges de La Tour, la majorité d’entre elles couvre une période allant du XIXème à nos jours.

Le thème est inédit en France et, en commençant la visite, on a tendance à se dire – trop vite – que l’on comprend pourquoi : comme cela semble ennuyeux !
En fait, plus on progresse dans l’exposition, plus elle s’avère au contraire intéressante. Il faut dire que le parcours – thématique, qui se plaît à mélanger au maximum les époques et les genres dans une même salle – débute avec le nu académique, que l’on faisait apprendre à tout artiste élève aux Beaux-Arts. Or, rien ne ressemble davantage à un nu canonique qu’un autre nu canonique, quels que soient les prétextes (parfois les plus artificiels) dont ils sont entourés. Y compris ceux de Pierre et Gilles, avec leurs gadgets et leur esthétique publicitaire contemporaine. Point commun de tout ce fatras : zéro expression, zéro émotion, zéro intérêt.

Si cet idéal classique a effectivement perduré jusqu’à nos jours, d’autres artistes ont heureusement, aux XIXème et au XXème siècles cherché d’autres approches, notamment réalistes comme par exemple Rodin (voir son Balzac), ou sur une période plus récente le peintre Lucian Freud. Voir aussi certaines représentations des corps morts, au-delà des représentations christiques : à côté de l‘Egalité devant la mort de Bouguereau (1848), voici l’hyper-réaliste et terrifiant Père mort de Ron Mueck (1996-97).

Tableaux et mise en espace s’éclaircissent considérablement dès la salle suivante, avec le thème de l’homme nu dans la nature, développé autour de celui des baigneurs, par exemple chez Cézanne, Munch, Hodler ou encore Bazille.

Si l’exposition se conclut sur l’érotisation du corps masculin – du moins de façon plus explicite cette fois – la partie la plus passionnante du parcours est sans nul doute celle consacrée au corps souffrant, avec notamment des peintures de Francis Bacon et d’Egon Schiele et la magnifique sculpture de Louise Bourgeois Arch of Hysteria (1993) venue de New-York. Un ensemble d’œuvres poignantes qui montre que le corps peut parfois être aussi expressif et bouleversant qu’un visage.

Masculin/Masculin
L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris 7e
Du mar. au dim. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 12 euros (TR 9,50 euros)
Jusqu’au 2 janvier 2014

L’exposition est organisée par le musée d’Orsay en collaboration avec le Leopold Museum de Vienne

Image : Gustave Moreau (1826-1898), Jason, 1865, Huile sur toile, 204 x 115,5 cm, Paris, musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Le musée de la Vie Romantique à Paris

Musée de la Vie Romantique

A la belle saison, touristes et parisiens aiment venir dans cette petite enclave de calme, de fraîcheur et d’émotion au coeur du quartier de la Nouvelle Athènes.
Le musée de la Vie Romantique, c’est avant tout un lieu : un pavillon à l’italienne niché au fond d’une allée, une cour pavée, des arbres centenaires, quelques tables pour profiter du jardin fleuri… et bien sûr ce musée rétro à souhait.

L’hôtel Scheffer-Renan fut construit en 1830 pour le peintre et sculpteur d’origine hollandaise Ary Scheffer (1795-1858) qui y vécut jusqu’à sa mort.
Depuis 1983, il abrite un musée de la Ville de Paris dédié à la vie littéraire et artistique de la première moitié du XIXème siècle. A la "maison Chaptal", le peintre recevait en effet le Tout Paris intellectuel et artistique de la Monarchie de Juillet : Delacroix, George Sand et Chopin, Liszt, Rossini, Tourgueniev, Dickens…

Si le musée est essentiellement consacré à George Sand et à Ary Scheffer, c’est bien sûr toute une époque qui est évoquée, celle de la génération des Romantiques.
Ainsi, au rez-de-chaussée, parmi les objets ayant appartenu à l’écrivain (légués par sa petite-fille Aurore Lauth-Sand à la Ville en 1923), outre bijoux et souvenirs personnels, on trouve des portraits, tels ceux de Maurice et de George Sand par le graveur Luigi Calamatta, celui de ce dernier par Ingres, des peintures et des dessins de Delacroix, des sculptures, dont les moulages en plâtre du bras de la romancière et de la main de Chopin par le sculpteur Auguste Clésinger rappelant les années de passion qui unirent les deux artistes.

A côté, le salon Restauration de George Sand a été recréé par le décorateur Jacques Garcia en grande partie à partir de meubles et objets d’art que la femme de lettres possédait au château de Nohant, tels son portrait par Auguste Charpentier, le pastel du Portrait du Maréchal de Saxe par Maurice Quentin de La Tour ou encore le dessin de son fils Maurice La mare au diable du bois de Chanteloup.

A l’étage, aux portraits un peu figés d’Ary Scheffer, on préfère son très romantique Faust, ou son curieux Lénore, les morts vont vite, inspiré de la ballade germanique du XVIIIème siècle Léonore de Bürger, mise à la mode par Mme de Staël et traduite par de Nerval. Autre tableau hyper romantique : Le Justicier peint par F.-Hippolyte Debon (1807-1872), élève de Gros, un autoportrait pour le moins théâtral exposé au salon de 1835.

S’arrêter aussi devant les très jolis médaillons de Sand, Liszt, Musset, Delacroix et leurs amis par David d’Angers… et devant tout ce qui séduit l’œil ou l’inspiration, au fil de cette balade dans le temps qui semble aujourd’hui nous faire remonter fort loin, ce qui en rend le charme irrésistible.

Musée de la Vie romantique
Hôtel Scheffer-Renan
16 rue Chaptal – 75009 Paris
Tél. : 01 55 31 95 67
Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf les lundis et jours fériés
Entrée libre pour les collections permanentes
La prochaine exposition à partir du 17 septembre 2013 sera consacrée aux esquisses de l’époque romantique

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Un Allemand à la cour de Louis XIV. Musée du Louvre

Durer, vue du val DEverhard Jabach (1618-1695) est un nom qui compte dans l’histoire des collections du Louvre.
Riche banquier d’origine colonaise, il vécut à Paris où il réunit l’une des plus grandes collection d’art de son temps.
En 1662 puis en 1771, en besoin de fonds, il vendit à Louis XIV une grande partie de sa collection, grâce à laquelle (grossie des œuvres acquises à sa mort, car il avait entre temps retrouvé fortune et poursuivi ses achats) s’est fondée la collection royale, dont est issue celle du musée du Louvre.

Tourné naturellement vers l’art italien conformément au goût de l’époque, Everhard Jabach ne négligea pas pour autant les peintres de l’Ecole du Nord, celle des maîtres anciens comme celle, "moderne", des artistes du XVIIème siècle.
C’est cette partie-là que le musée met à l’honneur à travers un accrochage de dessins et de peintures lui appartenant, à l’exception du portrait de Jabach par Antoon Van Dyck, prêté par un collectionneur privé. Ce choix reflète la spécificité de la collection de ce négociant éclairé qu’était Jabach : son ascendance germanique et ses liens d’affaires avec l’Angleterre, les Pays-Bas et l’Allemagne le conduisirent à s’intéresser plus que tout autre à l’art des pays du Nord.

L’exposition montre majoritairement des dessins ; la facture des peintures présentées fait regretter qu’elles ne soient pas plus nombreuses. La monumentale et somptueuse nature morte Le dessert de Davidsz de Heem (1640) nous saisit d’emblée par sa richesse. Comment ne pas tomber "en appétit" devant ces fruits, ce bout de gâteau, cette coupe d’eau citronnée ? La vaisselle et les étoffes brillent de mille feux, le tout dans l’atmosphère sombre propre au genre. D’autres joyaux jalonnent le parcours, tel le portrait de profil d‘Érasme écrivant (1523) par Hans Holbein, le portrait du collectionneur à l’âge de dix-huit ans portant le deuil de son père (1636, voir plus-haut), ou encore la Vue du val d’Arco (1495), petite et délicieuse aquarelle de Dürer.

Côté dessins, on admire notamment des paysages de Bril, dont Jabach était fort friand ou encore des dessins "italiens" que Rubens réalisait à partir de copies de dessins de Michel-Ange, par lui-même ou achetés, et qu’il retouchait et complétait. Comme s’il était bien difficile d’oublier complètement l’Italie…

Un Allemand à la cour de Louis XIV
De Dürer à Van Dyck, la collection nordique d’Everhard Jabach
Musée du Louvre
Paris 1er
Tous les jours de 9h à 18h, sauf le mardi
Nocturne le mercredi et le vendredi jusqu’à 21h45
Accès avec le billet d’entrée au musée : 11 €
Jusqu’au 16 Septembre 2013

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Giotto e compagni. Musée du Louvre

Giotto e compagni au LouvreOrganiser une exposition autour de Giotto di Bondone (vers 1267-1337) ne doit pas être une entreprise aisée.
Les œuvres qu’il a laissées sont en majeure partie des fresques – église de l’Arena à Padoue ainsi que celles illustrant la Vie de saint François à Assise et à Florence – donc fixées à demeure. Seulement trois peintures sont signées de sa main, dont le Saint François d’Assise recevant les stigmates du Louvre, et il faut tenir compte des querelles d’attribution dont nombre d’œuvres sont encore l’objet.

De fait, Giotto ayant imprimé un nouveau style – souvent qualifié de révolutionnaire – et ayant rencontré un grand succès, il a ouvert un atelier dans lequel beaucoup de disciples travaillaient en même temps que le maître et/ou sous ses directives. Dans ces conditions, comme le souligne le Musée, la distinction entre les œuvres de la seule main de l’artiste et celles issues de son atelier est assez peu pertinente.
Cela étant, à force de recherches et de rapprochements, désormais davantage fondés sur les études stylistiques que techniques, la création giottesque, caractérisée par un grand soin accordé aux détails des visages et des corps, à "l’humanité" des expressions, à la clarté de la lumière, à quelques tentatives de rendu, sinon de la perspective au moins de la profondeur est aujourd’hui beaucoup mieux cernée.

Le Musée du Louvre, riche de plusieurs œuvres, a bénéficié de prêts de pièces majeures venues des Etats-Unis, de Londres et de Florence. Il a ajouté à celles-ci des tableaux issus de son atelier ainsi que des exemples de l’art encore très hiératique du style byzantin que Giotto a totalement bouleversé. Enfin, le panorama est complété par des oeuvres d’artistes contemporains mais au coup de pinceau sensiblement différent.

Le tout est didactique, clair, cohérent, et très enrichissant. On laissera le visiteur se rendre compte par lui-même : à côté de l’école traditionnelle du Trecento, la manière de Giotto semble soudain faire apparaître non plus des figures mais des personnes. Délicatesse et expressivité des traits, précision des attitudes, inventivité dans la façon de représenter les scènes traditionnelles de la peinture religieuse – telle la Vierge à gauche du Christ dans la grande Croix du Louvre, qui tourne son visage de l’autre côté : nul doute qu’il y a bien eu un avant et un après Giotto.

Giotto e compagni
Musée du Louvre
Salle de la Chapelle
Tous les jours de 9h à 18h, sauf le mardi
Nocturnes mercredi et vendredi jusqu’à 21h45
Accès avec le billet d’entrée au musée : 11 €
Jusqu’au 15 juillet 2013

Image : Element de predelle, St François prêchant aux oiseaux, Bois © RMN – Grand Palais -Michel Urtado

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Manila Vice au MIAM à Sète

Ils sont Philippins d’origine ou d’adoption, ils sont nés entre 1956 et 1989 ; certains sont des artistes confirmés, d’autres des nouveaux venus sur la scène de l’art contemporain.
Quand les uns s’inscrivent dans la tradition de l’art populaire, les autres suivent une veine beaucoup plus sophistiquée.

Le Musée International des Arts Modestes, fondé par les artistes Hervé di Rosa et Bernard Belluc en 2000 a eu l’idée géniale de les réunir durant toute la belle saison à Sète, dans une exposition choc conçue par Manuel Ocampo et Pascal Saumade « Manila Vice ».
Les scénographes Isabelle Allégret assistée de Mathilde Grospeaud ont fait le choix d’une ambiance obscure dont émergent avec force des œuvres très colorées, certaines même rutilantes, mais aux thématiques souvent dures.

Les tableaux évoquent la violence – qui se perçoit en écho à l’histoire du pays – mais aussi les pulsions sexuelles avec une grande crudité. Pas de gratuité pour autant, les recherches esthétiques sont souvent extrêmement abouties, dans des compositions figuratives qui évoquent l’abandon (Valeria Cavestany), qui empruntent à l’inconscient (Romeo Lee), ou à l’imagerie moderne de masse pour mieux s’en distancier (Dina Gadia).

Les installations sont très directes, montrant l’importance de la religion catholique, les vestiges de l’histoire contemporaine (jeeps abandonnées par l’armée américaine), les conditions de vie à Manille (baraques de fortune débordant d’objets de récupération).
Quant à « Disco Bomb » de Kawayan de Guia, elle ne laisse pas davantage indifférent : tous couverts de miroirs à facettes, étincelants comme des poissons au rayon du soleil, voici suspendus dans l’air des obus déconcertants. « Une installation spectaculaire où l’absurdité de la guerre et ses conséquences terminales incroyablement présentes dans l’archipel » indique le livret de l’exposition. Manille a visiblement beaucoup à dire ; il faut aller l’écouter à Sète jusqu’au 22 septembre prochain.

« Manila Vice »
MIAM
23 quai Maréchal de Lattre de Tassigny – 34 200 Sète
TLJ de 9h30 à 19h du 1er avril au 30 septembre
TLJ sf lun. de 10 h à 12h et de 14h à 18 h du 1er octobre au 31 mars
Entrée 5 euros (TR 2 euros)
Jusqu’au 22 septembre 2013

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Une passion française au Musée d'Orsay

Pierre Bonnard, ParaventRetour – hélas temporaire ! – sur le sol natal pour ce magnifique ensemble de dessins, peintures, sculptures et objets d’art décoratif du XIXème et du début du XXème siècles.

Les époux Hays l’ont patiemment constitué depuis le début des années 1970 ; pour quelques mois ils ont accepté de s’en dessaisir afin de partager leur plaisir avec les visiteurs du Musée d’Orsay.

L’exposition qui les réunit est magnifique. La présentation est simple, d’abord intimiste, ce qui sied fort bien à l’esprit "collectionneur" et aux portraits et dessins exposés ; puis grandiose avec une belle galerie mettant merveilleusement en valeur les grands tableaux décoratifs, le mobilier et les sculptures.

Les œuvres choisies par les époux Hays portent en majorité sur la période post-impressionniste. Elles ont été sélectionnées pour décorer, l’axe est évident : voici le Paris de la Belle Epoque, voici les couleurs chatoyantes des Nabis, voici des pastels de Degas… Tout est agréable, beau, presque rassurant. Et les murs du Musée semblent ici un écrin aussi accueillant et cosy que doivent l’être l’appartement new-yorkais ou les hôtels particuliers des collectionneurs. Les Fillettes se promenant, panneau issu de la série des neuf formant les Jardins publics de Vuillard (dont le Musée possède cinq autres), le Café dans le bois de Bonnard, son Paravent à trois feuilles rouge, ou encore les splendides décorations Automne et Printemps de Denis auraient décidément tout leur sens dans les nouvelles salles du Musée d’Orsay dédiées aux arts décoratifs.

Une passion française – La collection Spencer et Marlene Hays
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’Honneur 75007 Paris
Tlj sf lun., de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jsq 21 h 45
Accès avec le billet du musée (9 €, TR 6,50 €)
Jusqu’au 18 août 2013

Image : Paravent à trois feuilles avec grue, faisans et oiseaux, canards et papillons, 1889 – Pierre Bonnard© ADAGP, Paris – 2013

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Chagall, Entre guerre et paix. Musée du Luxembourg

La danse, ChagallEn une centaine de peintures, dessins et gravures,l’exposition du Musée du Luxembourg donne une idée de l’intensité de l’œuvre de Marc Chagall (1887-1985).
Intense est également, au sens physique, l’exposition. Le manque d’espace entre les œuvres et le manque de recul pour les admirer sont évidents, dans un espace inadapté à l’accueil d’un public fourni.
Malgré ces réserves, la qualité et la variété des œuvres montrées raviront les amateurs de Chagall et conquerront aisément les autres. D’autant que l’exposition est l’occasion de voir, outre des œuvres conservées dans les musées parisiens, un grand nombre d’autres venues de musées européens et américains ou encore prêtées par des particuliers.

Le parcours est chronologique, au service de son propos : montrer les contrastes du travail de Chagall au fil des événements qu’il a traversés tout au long du XXème siècle, qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou des soubresauts de l’histoire contemporaine.

Même si sa première exposition a lieu en 1914 à Berlin, sa trajectoire d’artiste commence en 1910 à Paris, où il est venu étudier et où il rencontre les artistes de La Ruche : Soutine, Léger, Delaunay, Archipenko, Zadkine…
A partir de 1914, son retour en Russie, et notamment dans son village de Vitebsk est marqué par un resserrement des liens avec ses racines juives, par son mariage avec Bella Rosenfeld, par la révolution de 1917 et bien sûr par la Première guerre mondiale.
Ces deux premières périodes, parisienne puis russe, montrent une césure forte. Alors que les premiers tableaux affichent des sujets gais et des couleurs d’un éclat presque insolent, ceux des années russes sont beaucoup plus graves, voire sombres. Des figures du judaïsme apparaissent (rabbin, juif errant), mais également des soldats blessés et des populations en fuite.

En 1923, Chagall revient à Paris, où il se consacre à différents travaux, notamment d’illustration à la demande du marchand d’art Ambroise Vollard : Les âmes mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine. La commande d’illustration de la Bible sera pour lui l’occasion de se rendre en Palestine. Une partie de l’œuvre éblouissante qu’il en tirera est exposée ici. Elle témoigne de la grande simplicité et de l’immense humanisme avec lequel l’artiste a abordé les grands épisodes bibliques.

Pendant la Deuxième guerre mondiale, il trouve refuge aux Etats-Unis. Les massacres commis en Europe, qui ne sont pas sans lui rappeler les pogroms subis par les Juifs dans la Russie tsariste de son enfance, lui inspirent des tableaux montrant des scènes tragiques d’exodes et de villages en flammes. Chagall mêle des éléments juifs tels le châle de prière ou le chandelier à sept branches à des représentations de la crucifixion, symbole de la souffrance humaine.
En 1944, il est en outre frappé par le deuil de son épouse Bella. Les années suivantes, il ne cessera de la représenter dans des scènes pleines d’amour et de tendresse.

Songe d'une nuit d'été, ChagallAprès la Guerre, comme nombre de peintres, il s’installe sur la Côte d’Azur. La lumière du Midi insuffle à sa peinture des couleurs de plus en plus éclatantes, dont les immenses toiles du musée du Message biblique – à aller voir à Nice – seront évidemment les œuvres les plus emblématiques.

L’œuvre de Chagall s’accommode assez mal des descriptions. C’est une peinture à la fois du détail (il mêle tant de motifs sur une même toile), d’une large inspiration narrative (qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou de la Grande histoire, y compris biblique) mais aussi d’imagination (la puissance onirique est souvent très forte). C’est une peinture figurative – mais affranchie de toutes les lois de la représentation – et très allégorique.
Elle a une place particulière dans l’histoire de la peinture du XXème siècle, à l’écart de toutes les écoles, mais aussi, à voir l’enthousiasme (partagé) des visiteurs, dans l’intimité de ceux qui l’admirent, touchés par son souffle poétique, spirituel et humaniste.

Chagall, Entre guerre et paix
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – 75006 Paris
TLJ de 10h à 19h30 et le dimanche de 9h à 20h
Nocturne le lundi et le vendredi jusqu’à 22h
Ouverture exceptionnelle jusqu’à 22h les samedis du 23 mars au 20 avril
Fermeture le mercredi 1er mai
Entrée 11 euros, TR 7,5 euros
Jusqu’au 21 juillet 2013

Images :
Marc Chagall, La Danse, huile sur toile, 1950-1952, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988 © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Marc Chagall, Songe d’une nuit d’été , 1939, Musée de Grenoble © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®

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De l'Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann

Carl Gustav Carus, Haute MontagneDe l’Allemagne : le titre, emprunté à celui d’un ouvrage de Mme de Staël annonce clairement l’intention de l’exposition. Il s’agit, à travers la présentation d’œuvres picturales significatives du XIXème et du début du XXème siècles, d‘étudier les spécificités de l’art germanique. Le visiteur est là autant pour comprendre et apprendre que pour regarder et éventuellement admirer.

Une démarche intellectuelle, dont le visiteur profane se demande les parts respectives qu’elle emprunte à la vision française de l’art allemand et à la perception de l’art propre au peuple germanique.
Toujours est-il que cette approche, au demeurant fort intéressante et instructive, laisse assez peu de place aux notions d’esthétique, de style, de représentation et de technique, bref aux questions directement liées à la peinture.

En trois parties successives, les commissaires se sont attachés à mettre en lumière les trois grandes thématiques qui ont travaillé l’art allemand au fil de cette longue période qui va des derniers rayons du XVIIIème siècle au sombre entre-deux-guerre du XXème siècle : les rapports à l’histoire, à la nature, à l’humain. Si globalement l’on part du fameux tableau exécuté en 1786-1787 par Tischbein, Goethe dans la campagne romaine, prêt du Städel Museum de Francfort, pour finir avec ceux de Beckmann à la fin des années 1930, le parcours n’est pas purement chronologique, car les deux premières thématiques ont transcendé les recherches artistiques allemandes tout au long du XIXème siècle.

Ce qui frappe le plus à la visite de l’exposition est la recherche d’une identité nationale qui semble avoir obsédé les peuples germaniques longtemps politiquement morcelés (le statut d’Etat-Nation ne date que de 1871), et ce particulièrement à travers l’art.

Cette quête passe en premier lieu par l’interrogation continuelle de l’histoire afin d’y retrouver le creuset de la culture germanique : Grèce classique, catholicisme romain, peinture italienne, Moyen-Age vu comme l’époque de l’unité religieuse d’avant la Réforme et symbolisée par la cathédrale gothique, maîtres anciens allemands. Ce retour aux origines réelles ou supposées se retrouve – outre le tableau d’ouverture déjà cité, assez programmatique – dans des tableaux religieux, mythologiques, des scènes présentant de glorieux chevaliers, ou encore des ruines antiques.

Mais la recherche de l’unité nationale passe aussi par une approche très particulière de la nature et une grande réflexion autour de la peinture de paysage. Pour certains, la peinture doit refléter la connaissance scientifique de la nature. Pour d’autres, les artistes doivent représenter le paysage allemand dans sa spécificité, ce qui passe par la représentation d’une nature portant les traces du passé commun : forêt abritant les héros mythiques, fleuve, tombes druidiques… Pour tous, l’importance accordée au paysage est en soi une marque de l’identité germanique.

Après les tableaux tantôt "scientifiques", tantôt sublimes (dispute aux sommets enneigés de Friedrich, Koch et Carus), tantôt romantiques des paysagistes allemands, la dernière partie de l’exposition, intitulée Ecce homo (allusion à l’ouvrage de Nietzsche mais aussi aux nombreuses représentations de la Passion du Christ entreprises à partir de la première Guerre mondiale) ramène à de tristes réalités. Le nationalisme allemand a débouché sur la Grande guerre (au départ souhaitée par certains artistes à titre de souveraine Apocalypse), ses atrocités et ses conséquences durables. Puis à la faveur de la dépression économique ajoutant à l’humiliation de la défaite, le nazisme est venu se nourrir de ce penchant nationaliste pour aboutir aux conséquences que l’on sait.
Les œuvres issues de ces périodes font froid dans le dos. Partout, le sacrifice voire le martyre, partout des gueules cassées, des corps estropiés, des âmes perdues. Le noir et blanc domine ; les couleurs ne sont plus qu’au service de la violence.

Dans la première salle, l’on avait admiré la douceur du carton d’Overbeck Italia et Germania, la solide tranquillité d’un Apollon parmi les bergers de Schick, la grâce italienne d’une Vierge à l’enfant de Carolsfeld. Dans la dernière, c’est L’enfer des oiseaux de Beckmann, l‘Ecce homo de Corinth, la terrible série de gravures sur le thème de la guerre d’Otto Dix. Et, encadrant le tout, dans la rotonde qui à la fois introduit et clôt l’exposition, une monumentale gravure sur bois d’Anselm Kiefer.
Tout cela est le plus souvent aussi magnifique qu’impressionnant, mais empreint d’un sérieux tel que cette gravité-même risque d’apparaître comme la caractéristique essentielle de l’art allemand.

De l’Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann
Musée du Louvre
TLJ sf le mardi de 9 h à 18 h, nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h45
Entrée exposition, 12 €, billet jumelé collections permanentes et exposition, 15 €
Jusqu’au 24 Juin 2013

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L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst

L'Ange du bizarre, Musée d'OrsayA travers deux cents peintures, gravures et sculptures datées de la fin du XVIIIème au début du XXème siècles, mais aussi des films, L’ange du bizarre propose une large vision du « Romantisme noir ». Ce courant artistique européen est né en Grande-Bretagne au moment où, au siècle-même des Lumières, la toute puissance de la raison était déjà battue en brèche. Il s’est déployé au XIXème siècle, a été réactivé par les Symbolistes et enfin réinterprété par les Surréalistes dans l’Entre-deux-guerres.

Malgré la variété des artistes et des époques représentés, une grande unité se dégage des œuvres. Leur programme commun : mettre en exergue tout ce qui caché, enfoui, cadenassé, à savoir les vices, les peurs, la part sombre comme la part irrationnelle de l’Homme.

Les sujets de ce romantisme-là sont ainsi les anti-héros (Satan en premier chef), les atrocités tirées de la littérature, de la religion et de la mythologie, les lieux obscurs voire souterrains, la nuit, le rêve, la magie, la mort.

Il y a d’abord les citations shakespeariennes, comme Les trois sorcières de Füssli, tirées de MacBeth, mais aussi son propre et énigmatique Cauchemar, celles de Goethe (Méphistophélès dans les airs, une gravure de Delacroix pour Faust), sans oublier bien sûr Dante et sa Divine comédie, qui inspire Delacroix (La Barque de Dante) mais aussi, plus tard, le sage William Bouguereau. Quant à Géricault, avec son Radeau de la Méduse, il « ose ramener l’Enfer dantesque à la surface terrestre », comme le dit joliment un commentaire de l’exposition. Goya est bien entendu de la fête qui, perdant toute foi en l’Homme comme au reste, dit sans détour tout de l’ambiguïté de l’Homme (Les cannibales), son aveuglement (Les sorcières), son ignorance (la série des Caprices), sa cruauté (Les Désastres de la guerre).

Les paysagistes montrent une nature nouvelle où, la nuit venue, sous un clair de lune, tout semble possible. L’Homme recule, ne laissant que des ruines, qu’encore des montagnes étouffantes ou de profonds gouffres menacent. Avec les Symbolistes, loin des figures angéliques et victimes des premiers Romantiques noirs, la femme elle-même devient menaçante, se faisant vampire avec Munch, nature fatale avec Moreau, incarnant les figures mythologiques de la Méduse ou du Sphinx.
Même chez Bonnard les cauchemars viennent nous étouffer (Femme assoupie sur un lit), tandis que chez Ensor la mort rôde implacablement.

La liberté créatrice du Romantisme noir sera totalement réinvestie par les Surréalistes, photographes comme Brassaï ou Hans Bellmer, peintres comme Dali, Magritte, Masson ou Ernst, qui, à travers des paysages issus des rêves et des cauchemars, finissent de lâcher la bride à l’imaginaire, affranchis de toute référence explicite pour mieux représenter le spectre de l’irrationnel et de l’indicible.

Le Romantisme noir, Musée d'OrsayA l’instar des précédentes, cette nouvelle grande exposition du Musée d’Orsay est superbe, enrichissante, passionnante.
Sa scénographie est impeccable : sur des fonds gris et brun sourd, les œuvres sont précisément éclairées, créant une ambiance clair-obscur homogène qui fait corps avec le thème de l’exposition. Les cartels des tableaux sont – enfin ! – rendus lisibles par des lettrages nets. Last but no least, le didactisme du parcours laisse la place à la poésie, au détour de courtes citations, dont la dernière, signée Victor Hugo, est aussi la plus poignante : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. L’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir ».

L’ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
De 9h30 à 18h les mar., mer., ven., sam. et dim. et jsq à 21h45 le jeu.
Fermeture tous les lundis et le 1er mai
Entrée 9 euros (TR 6,5 euros)
Jusqu’au 9 juin 2013

Images :
Carlos Schwabe (1866-1926), La Mort et le fossoyeur, Aquarelle, gouache, mine de plomb, 76 x 56 cm Paris, musée d’Orsay, RF 40162 © RMN (Musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi
Paul Ranson (1861-1909), La Sorcière au chat noir, 1893, Huile sur toile, 90 x 72 cm Paris, musée d’Orsay, RF 2012 6 © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

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