Il s’agit assurément de l’une des plus belles expositions de ce début de printemps. Degas et le nu est une merveilleuse façon de traverser le parcours de cet artiste majeur du XIXème siècle (1834-1917) qui a fait la transition entre l’Académisme et la modernité avec une extraordinaire souplesse.
Au départ, cet enfant de la haute bourgeoisie est formé à l’école ingresque classique, enseignement qu’il complète par la fréquentation des maîtres de la Renaissance italienne. Ses premiers dessins ici exposés témoignent de cette parfaite maîtrise du dessin, qui lui donnera sans doute plus tard l’aisance pour appréhender le corps de manière beaucoup moins conventionnelle. Rare corps masculin du parcours, son Nu aux bras croisés exécuté à la sanguine en 1857 relève certes de la tradition du nu en atelier d’après modèle, mais annonce déjà le désir d’une approche plus "naturelle", avec une pose en équilibre d’une étonnante décontraction.
Ses premiers grands tableaux appartiennent encore à la peinture d’histoire. Ils sont surprenants, quand on ne connaît que ce qui a fait plus tard le succès d’Edgar Degas ! Mais dans les années 1860, en s’essayant à des compositions historiques ou mythologiques, il était bien de son temps… Voici donc un très classique Petites filles spartiates provoquant les garçons, suivi d’une Scène de guerre au Moyen-Age entourée d’un ensemble aussi complet qu’intéressant de dessins préparatoires, où l’on voit que l’artiste commence à se défaire de sa formation académique, pour à la fois s’inspirer de certaines scènes des Désastres de la guerre de Goya, et innover de nouvelles postures des corps. D’ailleurs, ces dernières ne sont pas sans annoncer les baigneuses qu’il réalisera plus tard…
C’est une veine résolument naturaliste qu’il entreprend dans les années suivantes, oubliant les canons classiques, pour dévoiler les corps féminins tels qu’ils sont intrinsèquement, mais aussi tels qu’ils se tiennent, se courbent, s’abandonnent… Il ne semble y avoir chez le Degas moderne nulle recherche purement esthétique ou sensuelle, mais uniquement le désir de montrer la vérité des corps dénudés, là où ils se trouvent. C’est ainsi que l’on découvre, dans une salle améthyste à l’ambiance boudoir, une suite sur le thème des maisons closes, occasion pour l’artiste de se faire, comme les écrivains d’alors, chroniqueur de la réalité sociale, sans exclure de cette approche les rapports hommes/femmes sous un angle particulier : celui de l’homme qui va perdre sa morale et sa santé auprès des prostituées, alors que son célèbre tableau Le viol (venu du Phildelphia Museum of Art) souligne la domination masculine avec une violence rarement vue ailleurs chez Degas.
Puis, de plus en plus, sur dessins, monotypes et pastels, Degas travaille le thème des baigneuses, avec une prédilection pour les femmes se coiffant. Il atteint dans ce registre, et en utilisant à merveille le pastel, une maîtrise éblouissante, livrant dans les années 1880 une multitude de chefs d’oeuvres sur papier – dont il faut profiter ici pleinement, car leur fragilité ne permet pas au musée de les exposer fréquemment.
Degas transpose également ces magnifiques modelés en sculpture : outre les fameuses danseuses qui soulignent son travail sur le corps en mouvement, la statuette en bronze Le tub, montrant une femme étendue sur le dos dans son bain mais jambes repliées, est passionnante à regarder sous tous ses angles.
La dernière salle, à travers une poignée de tableaux seulement, permet de se faire une idée de l’étendue du "legs" de Degas : Bonnard, Picasso et Cézanne notamment n’aborderont le nu qu’instruits de l’immense travail de "dé-idéalisation" du corps et des recherches sur le modelé et le mouvement d’Edgar Degas.
Degas et le nu
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur – Paris 7°
TLJ sauf le lun., de 9h30 à 18h, le jeu. jsq 21h45
Entrée 12 € (TR 9,5 €)
Jusqu’au 1er juillet 2012
Publications : outre le catalogue de l’exposition, voir notamment le Hors-série Découvertes Gallimard, Degas et le nu par Xavier Rey (8,40 €)
Images :
Edgar Degas, Après le bain, une femme s’essuyant les pieds, 1886, Pastel sur carton, 54 x 52 cm, Paris, musée d’Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911 © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Edgar Degas, Femme se peignant ou La Chevelure, entre 1886 et 1890, Pastel sur papier beige collé sur carton, 82 x 57 cm, Paris, musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski