Quoi de plus naturel qu’une exposition exclusivement consacrée à Chaïm Soutine (1893-1943) au Musée de l’Orangerie à Paris, où est conservée la plus grande collection d’Europe du célèbre peintre Russe, soit 22 tableaux réunis par le marchand d’art Paul Guillaume ?
Complétée par des prêts de collections publiques et privées, ce sont ici quelques 70 peintures qui sont présentées, au fil d’un parcours clair et net organisé en trois sections.
L’introduction, où figurent l’autoportrait de 1918 ainsi que le portrait de Soutine par Modigliani, est dédiée aux portraits des amis et mécènes. Occasion de rappeler à grands traits la carrière de celui qui, en 1913 à l’âge de 20 ans, quitte la Lituanie qui l’a vu naître dans une communauté juive pour rejoindre Paris et les artistes expatriés installés à Montparnasse. Pendant la guerre, son ami Modigliani lui présente son marchand Zborowski qui accepte de le financer : c’est son modeste début de carrière. En 1919, Zborowski l’envoie à Céret dans les Pyrénées Orientales, d’où il rentre trois ans après avec plus de 200 toiles dont de nombreux paysages du Midi. Nous sommes en 1922, Paul Guillaume présente des tableaux de Soutine au docteur Barnes. Séduit, le riche collectionneur américain qui est en train de créer une fondation près de Phidadelphie achète pour plus de 2 000 dollars de tableaux, assurant l’aisance financière du peintre et marquant le véritable lancement de sa carrière.
Parmi les tableaux de cette partie introductive, se trouve le portrait de Madame Castaing. Ce n’est pas un hasard : les époux Marcellin et Madeleine Castaing, rencontrés en 1925, deviendront des amis intimes et de fidèles soutiens après la ruine puis la mort de Zborowski en 1932. Soutine figure aussi dans les collections de Netter, Guillaume, Bing, Doucet. Quant à ses expositions personnelles, nombreuses de son vivant comme posthumes, elles eurent lieu dès 1927 à Paris et dès 1935 aux Etats-Unis.
Né dans la misère, rongé par l’angoisse toute sa vie, Chaïm Soutine fut l’auteur d’une peinture certes tourmentée et souvent incomprise, mais qui assurément trouva tôt son public.
La visite au Musée de l’Orangerie prouve que cette séduction ne s’épuise pas. Les trois sections dédiées respectivement aux paysages, aux natures mortes et aux portraits, sobrement et efficacement présentées font le tour des trois grands genres travaillés par l’artiste et qui en tant que tels le rapprochent des maîtres anciens, dont il n’a du reste jamais caché l’inspiration qu’il y trouvait. Voir Rembrandt pour les Boeufs écorchés, Chardin pour le Lièvre pendu, Fouquet pour le Petit pâtissier, Courbet pour les Enfants de chœur.
Dans une nature tourbillonnante, ses arbres sont les plus vivants qui soient. Bavards et mystérieux, ils captent notre attention comme pour se faire écouter. Ses natures mortes qui en séries évoluent vers l’abstraction (souvent mentionné, le rapprochement avec Françis Bacon tient toujours) font de sanglantes carcasses de splendides dépouilles.
Quant aux portraits, parmi les plus bouleversants qui aient jamais été peints, ils imposent la clairvoyance du peintre expressionniste qui, tout en jouant avec la matière et la couleur avec une grande modernité, dans des compositions par ailleurs fort classiques, a montré, dans la mélancolie d’un regard, dans la moue presque tremblante d’une bouche, dans le creux de deux mains vides, toute l’impuissance, l’incompréhension et le désarroi de l’homme face à l’existence.
Chaïm Soutine
L’ordre du chaos
Musée de l’Orangerie
Place de la Concorde – Paris 1er
TLJ sf le mar., de 9 h à 18 h
Entrée 7,5 € (TR 5 €)
Jusqu’au 21 janvier 2013
Images :
Le Petit Pâtissier, 1922-23, huile sur toile 73 x 54 cm, Paris, Musée de l’Orangerie © ADAGP, Paris 2012 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski
Les Glaïeuls, vers 1919, huile sur toile 54 x 44,5 cm, Jérusalem (Israël), collection particulière © ADAGP, Paris 2012 © Photo Elie Posner
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