Loin des expositions parisiennes qui régulièrement tapissent les pages culturelles des journaux, et des vastes musées où s’engouffrent en longues grappes des touristes empressés, on tombe toujours sur quelque visite intéressante, porté ici ou là par sa curiosité ou par un bon conseil.
Ici, à Saint-Malo, notre hôte nous envoie découvrir la Malouinière de la Ville Bague.
En réalité, entre les remparts, les rochers de Rothéneuf, Dinard, Dinan et le Mont Saint-Michel, le programme ne nécessite aucun complément. Mais en province le temps s’étire d’une façon merveilleuse et, charmé par la grâce de quelque confiture maison, on finit par se rallier à la cause du patrimoine local. C’est ainsi qu’on se retrouve devant une grande maison de maître, au milieu d’une poignée de personnes âgées extrêmement enthousiastes.
Le gendre de la propriétaire actuelle fait office de guide et nous embarque pour 1 h 1/2 de visite historique, ambiance vieille famille-ouvrons nos armoires.
Comme leur nom l’indique, les Malouinières sont des villas typiques du pays Malouin : une centaine furent construites entre 1650 et 1730 autour de Saint-Malo, par des armateurs avides de grand air, mais aussi soucieux de vider leurs cargaisons hors la vue du percepteur, sans toutefois trop s’éloigner du port.
La Ville Bague date de 1715 ; un manoir la précédait, d’où l’existence dans son enceinte d’une chapelle et d’un pigeonnier de la 2ème moitié du XVIIème siècle. Construite par Guillaume Eon, elle en est pierres de pays enduites de crépi ; sa façade régulière est ornée de fenêtres encadrées de granit, sa haute toiture surmontée d’impressionnantes cheminées.
Dans la partie basse du pigeonnier, cartes anciennes, coffre ouvert avec un brin de cérémonial et armes que les visiteurs sont invités à soupeser.
Dans la demeure, on passe du salon à la salle à manger puis à quelques pièces à l’étage, en admirant la belle rampe de l’escalier. On réalise à quel point la visite d’une maison remplie de vieux meubles et objets, où vivent aujourd’hui des particuliers a quelque chose de profondément anachronique et décalé. Fait-on visiter son vaisselier, tâter ses toiles de Jouy capitonnées et admirer ses croûtes plus ou moins familiales ? C’est assez comique à vrai dire, mais l’ambiance ne se prête pas à ce genre-là.
Alors on se garde de tout second degré, on joue le jeu à fond et finalement les yeux sont plutôt contents. En bas, un papier peint panoramique de 1820 montre l’arrivée de Pizzare chez les Incas (tout un poème) : un papier peint aux couleurs magnifiques et qu’il est rarement donné de voir, issu de la manufacture Dufour et Leroy et classé Monument historique. A côté, dans la salle à manger où sont exposées des pièces de porcelaine et d’argenterie pas du tout repoussantes, le maître des lieux se plaît à nommer, pour le plus grand bonheur de ces dames, des objets devenus totalement inusités. A l’étage enfin, derrière des vitrines, d’adorables ivoires, tout petits objets sculptés par les marins. C’est fin, simple et joli, ça sent le temps long, la minutie, mais aussi la passion et une forme de solitude ; ça en deviendrait presque émouvant.
Malouinière de la Ville-Bague
35350 – Saint-Coulomb
Ouvert de Pâques à la Toussaint
Visites guidées à 10h30 (sur RV), 14 h 30 et 16 h
Fermé le mercredi sauf en juillet et août
Ouvert aux groupes toute l’année sur rendez-vous
Entrée 8 € (adultes)
Dans la série "ouvrons nos armoires entre nos murs de granit", nous vous recommandons, sur la route du retour, la visite du château de Lassay, dans le nord de la Mayenne. Une forteresse impressionnante et méconnue. Aucun grand presonnage ne l’a habitée. Un seul a failli y dormir : Victor Hugo, sur la route de l’exil. Malheureusement, quand il s’est présenté à l’huis, il lui a été répondu : "Monsieur le comte ne reçoit pas les vagabonds"…