« L’empreinte du dieu », prix Goncourt 36, a inspiré Andreossi. Un billet qui donne bien envie d’aller y voir de plus près… Bonne lecture !
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Quel est donc ce dieu sans majuscule ? Il s’agit de l’écrivain Van Bergen, personnage pivot du roman de Maxence Van der Meersch qui lui a valu le Goncourt 1936. On peut apprécier le livre pour l’histoire attachante, sensible, et sentimentale, de Karelina ; ou se délecter de l’atmosphère de la Flandre maritime et urbaine qui rappelle l’ambiance des romans de Georges Simenon. Mais on peut y voir aussi une métaphore du travail de l’écrivain, et surtout de l’œuvre qu’il laisse derrière lui.
La jeune Karelina a épousé un cabaretier qui vit surtout de contrebande, tout près de la frontière franco-belge. L’homme est brutal, et la jeune femme rêveuse : elle a une tante, Wilfrida, de la ville, d’Anvers, qui a un mari, gentil, cultivé, écrivain, qui, lorsqu’elle était enfant l’a subjuguée. Elle finit par demander secours à ce couple, mais la relation entre Karelina et Van Bergen se transforme en amour passionné et charnel. De leur liaison naît une fille que l’on cache pour éviter le scandale, pendant que le mari violent et abandonné harcèle les amants. Tout cela finit par mort d’homme, mais le destin de la petite Domitienne reste ouvert, entre sa mère et Wilfrida.
La Flandre est davantage qu’un cadre de l’action, elle a une forte présence : par sa campagne lourde, boueuse, fermée ; par son rivage où le vent apporte le sentiment de liberté ; par sa ville, Anvers, pleine de la vie des marins, des ouvriers, et de l’ouverture des possibles. La campagne est le lieu des concours des pinsons d’Ardennes, ceux que l’on aveugle pour qu’ils croient en l’aurore : « L’oiseau, aveugle, devine quand même le jour. Et il y a quelque chose de pathétique à voir les petits captifs lever encore, vers ce qu’ils croient être l’aube, leurs yeux sans regards, et chercher la lumière avant de donner leur chant ». On se distrait aussi par les combats de coqs : « Du sang jaillit, un jet mince, de cette boule de plumes, et aspergea quelques assistants. Mais on s’en moquait bien ! On essuyait d’un geste machinal ».
L’écrivain Van der Meersh fait avancer l’action en limitant ses effets, dans un style opposé au personnage écrivain Van Bergen : « Il maniait les mots avec une espèce de maladresse puissante, une gaucherie, une lourdeur, qui arrivaient à de frappants effets. (…) Il bâtissait sa phrase comme un mur de granit, à gros blocs frustes, mal équarris, mal ajustés, mais indestructiblement, et dans un élan irrésistible, qui le faisait atteindre tout de même à une sorte de sauvage grandeur ». Mais les deux écrivains se retrouvent dans leur travail de révélation : « Et vous me montriez des tas de choses que je connaissais et que je ne voyais pas : l’air qui danse au-dessus des champs de blé coupés, la fumée qui traîne sur l’eau, le matin ».
Enfin l’empreinte c’est bien sûr celle de l’écrivain, qui par son œuvre transfigure son environnement et construit les images qui forment une ville : « Durer… Laisser une trace… Voilà ce qu’on désire par-dessus tout, n’est-ce pas, petite ? Moi, c’est de cela, c’est d’Anvers que j’espère une ombre de survie ». A l’écrivain la renommée posthume, aux femmes l’enfant qu’il laisse comme empreinte du dieu.
Andreossi
L’empreinte du dieu
Maxence Van der Meersch
Albin Michel