La pièce entre au répertoire de la Comédie Française cette saison.
L’entrée est double pour son auteur, Michel Vinaver (né en 1927), qui en assure également la mise en scène, avec la collaboration de Gilone Brun.
Michel Vinaver a fait le choix de l’épure, où seuls les vêtements et quelques accessoires tiennent lieu de décor. La scène, avancée vers l’orchestre, amène les acteurs au plus près du public. Le dispositif n’est pas artifice mais au contraire cohérent avec l’option de l’auteur-metteur en scène : porter le texte au spectateur. Non pas le lancer, comme on le voit trop souvent. On est davantage dans l’offrande que dans la projection.
Dans ces circonstances, tout paraît reposer sur les épaules des comédiens. Ils sont tous très bons, voire même excellents – en particulier Léonie Simaga dans le rôle de Sue, Elsa Lepoivre dans celui de Pat, Sylvia Bergé dans celui de Bess ou encore Jean-Baptiste Malatre qui interprète Bob.
Mais ce serait faire fi de la direction d’acteurs, précise, réfléchie, pleine de sens. La troupe semble se l’être appropriée corps et âme.
L’on sent un plaisir, une conviction, et ceux-ci sont totalement partagés avec le public.
Le texte (dont la lecture seule vaut déjà le coup) prend sa source dans une histoire réelle qui a marqué les esprits : celle d’un avion tombé dans la neige de la cordillère des Andes et dont les rescapés ont dû, pour survivre, se résoudre au cannibalisme.
Michel Vinaver a transposé l’histoire dans le monde de l’entreprise – dont il est familier en sa qualité d’ancien PDG de la société Gillette. Le groupe de survivants compte le président de l’entreprise Housies, spécialisée dans l’implantation de logements préfabriqués, sa secrétaire, son épouse, ses vices-présidents, la fille de l’un d’eux et la maîtresse d’un autre. Autrement dit, à la fois la classe décidante et un cercle aux contours plus fluctuant qui gravite autour.
La pièce est passionnante en ce qu’elle montre ce que devient cette structure ultra établie et rigide une fois transposée en conditions extrêmes. Où l’on voit que l’obsession de ceux qui ont le pouvoir n’est autre que de le conserver tandis que la priorité de ceux qui ne l’ont pas (ou plutôt de celles qui ne l’ont pas, puisque bien sûr il s’agit des femmes) est de vivre, voire de vivre mieux, en trouvant apaisement ou épanouissement. La situation d’isolement, de danger, de manque et d’incertitude dans laquelle les protagonistes se trouvent est traitée sans détours ni pathos. L’Ordinaire a près de trente ans, mais, hormis le contexte politique – on était sous l’ère Reagan – le texte paraît bien peu daté.
L’audace de Michel Vinaver d’avoir monté la pièce avec tant de sobriété et de confiance dans la troupe est admirable. On se demande comment ça tient.
C’est que, pendant 2 h 30, sur ce proscénium pentu et dénudé, les comédiens, par la seule force de la langue, créent le froid, la faim, la soif, la neige, la carlingue de l’avion et la chaîne rocheuse. Un brin d’éclairage, une couverture et une tranche de viande font le reste. Il y a de la magie dans ce théâtre là, qui prend le texte à bras-le-corps sans craindre de jouer grand et franc, mais sans cri, presque tranquillement.
L’Ordinaire
Pièce en sept morceaux de Michel Vinaver
Mise en scène de Michel Vinaver et Gilone Brun
Avec Sylvia Bergé, Bess – Jean-Baptiste Malartre, Bob – Elsa Lepoivre, Pat –
Christian Gonon, Jack – Nicolas Lormeau, Joe – Léonie Simaga, Sue – Grégory Gadebois, Jim – Pierre Louis-Calixte, Dick – Gilles David, Ed – Priscilla Bescond, Nan – Gilles Janeyrand, Bill
Comédie Française
Salle Richelieu – Place Colette 75001 Paris
Jusqu’au 19 mai 2009
En matinée à 14 h et en soirée à 20 h 30
Places de 5 € à 37 €
Renseignements et location : TLJ de 11 h à 18 h aux guichets du théâtre, par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute) et sur le site internet
La pièce est publiée chez Actes Sud (Babel, janvier 2009, 255 p., 7,50 €)