Comment faire le plus possible avec, le moins possible contre ?
La question évoque l’économie des forces, ou le principe de certains arts martiaux, comme l’aïkido.
Pour Gilles Clément, ce doit être notre façon de faire avec la nature, lorsque nous devons agir avec elle.
Ce jardinier paysagiste a une belle carrière derrière lui : il est le co-auteur du parc André Citroën à Paris, jardin exemplaire de l’art qui sait montrer la diversité des alliances possibles entre le naturel et l’artifice ; il a réalisé un beau festival des graminées au pied du musée des arts premiers dans la même ville ; à Lille, il a eu le culot d’imposer l’île Derborence, refuge inaccessible où la diversité végétale fait ce qu’elle veut, hors de la présence humaine.
Bien d’autres réalisations (ainsi que les projets qui sont restés dans les cartons) sont présentées dans ce beau livre confectionné par Clément et Louisa Jones.
Mais on retiendra surtout la personnalité d’un homme qui ne joue pas à l’artiste, dont le « faire » s’inscrit dans une réflexion très élaborée sur notre place de jardiniers de la planète. Il développe, pratiquement et théoriquement, trois concepts qui aident à saisir dans quelle direction le paysage peut évoluer pour peu qu’on laisse sur la touche le modèle productiviste.
Le « jardin en mouvement » insiste sur le fait que les éléments en présence dans un jardin interagissent à leur manière : telle graine germera à telle place et pas ailleurs, et la fleur qui s’épanouit de cette graine a le droit de vivre là.
Le « jardin planétaire » met l’accent sur la dimension écologique de nos actions sur le vivant : diversité et brassage caractérisent l’histoire de notre planète, et on doit s’appliquer à ne pas interrompre ces processus.
Le « Tiers-Paysage » désigne ces espaces que l’homme a abandonné (friches, talus, marais, rives…) : une « nature » s’y développe à son aise, et devient un réservoir génétique riche d’une diversité qui disparaît à grand pas dans les territoires trop gérés par l’homme.
Les très nombreuses photos de l’ouvrage rendent compte à la fois du travail de Gilles Clément et de ses partis pris de jardinier écologiste humaniste.
On y trouvera même celle du papillon qui porte son nom (Buaenopsis clementi), qu’il a découvert au Cameroun !
Gilles Clément, Louisa Jones une écologie humaniste
Aubanel (2006), 350 p.