Un an après le début de la Grande Guerre le prix Goncourt 1915 est donné à Gaspard, roman qui narre l’entrée en guerre d’un vendeur d’escargots parisien, hâbleur, vantard, qui sait amuser les compagnons d’infortune et faire tourner en bourrique les officiers. Le ton du livre tranche avec les quatre romans couronnés par les Goncourts suivants, tous consacrés à 14-18.
Si le portrait caricatural de ce Gaspard, fier d’être de Paname face à ces lourdauds de province qu’il doit côtoyer dans son régiment est agaçant, d’autres traits le rendent plus sympathique. Lui qui « à l’école, n’avait su qu’essuyer le tableau noir », s’attache les amitiés d’hommes plus instruits que lui, et il apprend à élargir ses conceptions : « Est-ce pas, mam’selle, v’s êtes de Paris ? Non, elle était de l’Anjou ; elle avait été élevée dans cette sage et maligne province, et elle le disait, les yeux si clairs, avec un rire si franc, que Gaspard, pour la première fois de sa vie, se demanda s’il y avait en France quelque chose de mieux que sa grande ville».
L’humour rugueux de l’ouvrage n’empêche pas les solides convictions sur l’ennemi. Même les chevaux allemands portent les stigmates repoussants : « Les fantassins écarquillaient les yeux, bouche bée. Il se fit un silence. Puis Gaspard lança : -Ah les sales gueules qu’ils ont ! Comme c’était vrai ! Pas seulement par la faute des harnais et des selles. Non ; ils ne regardaient pas ; ils avaient l’air servile ; ils n’entendaient rien au français : des Teutons ; des chevaux boches, -haïssables ».
Notre héros est blessé dans les premières semaines (comme René Benjamin l’a été lui-même), connaît des mois d’hôpital, puis retourne au front, et est confronté à la mort des amis. Les champs de bataille ne font pas rire : « Ce champ retourné, meurtri par des épaules et des genoux en détresse, c’était l’image vivante et poignante de deux cents hommes devenus cadavres, qui, les premiers, s’étaient acharnés à défendre, motte par motte, la terre française. Mais il ne restait plus que le moule de leurs efforts, le dessin effrayant de leur expression dernière ; eux, ils avaient disparu, enfouis dans leur dernier sillon, boursouflant la terre fraîche de leurs deux cents corps tassés, pour encombrer le moins possible les vivants ».
L’écriture s’applique à rendre compte de l’argot parisien de l’époque, mis en valeur grâce à la hâblerie de Gaspard. On sait ainsi l’origine du fameux « poilu » : on dirait aujourd’hui un « type », un « mec ».
Andreossi
Gaspard. René Benjamin