Nous voilà transportés en plein Orient de rêve. Le vieil et miséreux Ahmed nous raconte, dix soirs de suite, sa jeunesse au temps du calife Harun al-Rachid et du vizir Djafar al-Barmaki. C’est qu’il est singulièrement impliqué dans la fabuleuse histoire de ces hauts personnages : il a été l’amant de Djafar et a assisté à la grande passion amoureuse entre Harun et son vizir. Roman historique, les considérations politiques ne sont pas absentes de l’œuvre, car le calife, de la dynastie des Abbassides, arabo-musulmans, hisse jusqu’à la gloire la famille des Barmakides, originaire de Perse, par sa relation à Djafar.
Par petites touches dispersées dans son récit, Ahmed nous fais pressentir que cette histoire se terminera mal. En effet, l’intrigue se fait plus piquante lorsque le calife décide de marier sa sœur Abassa à son favori et amant Djafar. A une condition impérative, que ce mariage ne soit jamais « consommé ». Et si les deux hommes ne se sont jamais privés de relations avec des femmes, ils peuvent espérer aller au bout de leur rêve : « Viens, mon beau Djafar, mon frère, dis-moi un poème pour me faire croire au bonheur, pour me faire t’aimer davantage encore et ne t’afflige pas, les femmes sont sans importance ; fragiles comme ces roses, elles passent, le vent de notre vieillesse les balaiera et nous resterons, toi et moi, seuls pour toujours ».
Mais Djafar et Abassa pourront-ils résister à leur attrait l’un pour l’autre ? Le caractère autoritaire d’Harun se renforce par son rapprochement avec la religion, et le frère de Djafar, Fadl, s’inquiète : « Grande était maintenant la piété d’Harun ; il fustigeait les impurs, les tièdes, ceux qui enfreignaient en quoi que ce soit la loi du Prophète. (…) Fadl al-Barmaki, l’ami des Shiites, l’homme tolérant, lettré, espérait encore que le calife refuserait d’être un tyran, pas lui, son frère de lait ».
L’autrice de ce roman prix Fémina 1981 sait rendre crédible l’ambiance de cet ancien orient, du moins en ce qu’elle fait écho à nos fantasmes occidentaux. Les parfums, la musique, les couleurs, les fontaines des jardins odorants sont omniprésents : « Les desserts arrivaient, pyramides de sucre, d’amandes et de miel, dorés et blonds dans des plats de vermeil, jattes de dattes et de fruits rares, lait caillé, compotes dans des coupes de porcelaine chinoise bleutée ». Les scènes de la vie quotidienne sont imagées : « Les orangers, les citronniers perdirent leurs fleurs, dans les champs les canaux d’irrigation fendaient une herbe verte, abondante que les chèvres voulaient brouter, écartées à grands coups de bâtons par de jeunes bergers rieurs ».
Andreossi