Les croix de bois. Roland Dorgelès

Les croix de bois, ce sont celles que les soldats plantaient hâtivement pour marquer le lieu où ils laissaient les cadavres de leurs camarades morts au cours de la guerre de 14-18. Roland Dorgelès, alors journaliste, mobilisé à 28 ans dès le début des combats, nous a donné un récit sous forme de reportage à la première personne, devenu une des plus fortes œuvres qu’a inspiré la Grande Guerre.

Ce prix Fémina 1919 n’est pas sans rappeler le Goncourt 1916 d’Henri Barbusse, Le Feu. Nombre de thématiques sont identiques : la vie dans les tranchées, les bombardements, l’attaque, le ravitaillement, la distribution du courrier, l’évacuation des blessés, l’infirmerie, et, souvent, la mort. Même étonnement sur l’équipement des soldats, loin de l’uniforme réglementaire : « le bonnet de fausse loutre du père Hamel, le fichu blanc crasseux que Fouillard se nouait autour du cou, le pantalon de Vairon cuirassé de graisse, la pèlerine de Laguy, l’agent de liaison qui avait cousu un col d’astrakan sur un capuchon de zouave… »

Les deux auteurs ne manquent pas de mettre en scène l’exécution « pour l’exemple » du soldat qui dans un moment de faiblesse n’a pas obéi aux ordres. Ici, dans un court chapitre intitulé acidement « Mourir pour la patrie » Dorgelès est très sobre. Car il reste dans le cadre du reportage, il n’a pas besoin d’intrigue, il lui suffit de la guerre comme misérable héroïne. Une guerre où le soldat ignore tout des événements qu’il vit hors des limites de son escouade, une guerre où l’on ne voit rien : « Les betteraves aux hautes fanes et l’herbe folle des champs incultes trempaient les jambes jusqu’aux genoux et tendaient les collets aux pieds pesants. On ne voyait rien. Le monde s’arrêtait à quelques pas, la terre noire et le ciel sombre confondus ».

Ces soldats restent des jeunes gens malgré tout, avec leurs blagues, les facéties qu’ils réservent aux crédules (inénarrable soupe au chocolat), les accents de leur région d’origine, la confiance, malgré l’évidence, qu’ils sortiront vivants de l’enfer : « Mourir, allons donc ! Lui mourra peut-être, et le voisin, et encore d’autres, mais soi, on ne peut pas mourir, soi… Cela ne peut pas se perdre d’un coup cette jeunesse, cette joie, cette force dont on déborde ».

Ils découvrent leur héroïsme lorsqu’ils reviennent de la bataille, vainqueurs, et défilent dans le village : « C’était un hommage de larmes, tout le long des maisons, et c’est seulement en les voyant pleurer que nous comprîmes combien nous avions souffert ».

Andreossi

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