Jeune fille. Anne Wiazemsky

jeunefilleAnne a 17 ans au milieu des années 60. Elle est une jeune fille comme les autres : timide, maladroite, peu assurée dans son corps et dans sa tête.
Elle est d’autant moins épanouie que depuis quelques années elle vit dans la tristesse qui l’a envahie à la mort de son père. Ses relations avec sa mère ne sont pas simples. Elle ne trouve compréhension et chaleur qu’auprès de son grand-père François Mauriac.

Une amie présente Anne à Robert Bresson, alors à la recherche de la comédienne qui tiendra le rôle de Marie pour Au hasard Balthazar. L’adolescente est d’emblée fascinée par le cinéaste, cet homme déjà âgé, qui de sa voix, de son regard l’enveloppe d’une attention toute particulière. Aussi lui obéit-elle parfaitement lorsqu’il lui demande de faire un essai de lecture « à plat » : elle ne joue pas. Elle est toute neuve. Elle est vraie. Il est immédiatement et totalement séduit.
S’ensuit un inoubliable été de tournage, où la toute jeune Anne, fraîche, spontanée, ignorante, va, sous et malgré la coupe de Bresson s’épanouir, prendre son indépendance, de l’assurance, et, bouleversée, se transformer.

C’est un livre magnifique sur la rencontre, magique littéralement, entre une jeune fille et une homme qui, en la comprenant, en lui portant un regard plein d’amour, la fait exister, la révèle à elle-même.
En cela, malgré ses excès, sa tyrannie, le personnage de Robert Bresson devient à son tour très attachant : il aura joué, finalement, un très beau rôle lui aussi.

La plume n’est pas celle d’une femme mûre évoquant ses souvenirs ; il s’agit du récit, qu’on lit au passé mais qu’on croirait écrit au présent, d’une jeune fille décrivant avec une merveilleuse fraîcheur les bouleversements qui, d’une adolescente bredouillante, ont fait d’elle une jeune femme.

Une nouvelle existence m’attendait, dont j’ignorais tout, mais qui allait modifier profondément le cours de ma vie, je le savais, je le voulais. Autour de moi, des vacanciers insouciants parlaient plages, météo, sorties en mer. En les regardant, en écoutant leurs propos, j’avais maintenant l’impression d’appartenir à un autre monde. Dans mon sac, il y avait une carte de Robert Bresson datée du 10 juillet : « Je vous attends. Je suis sûr que tout ira merveilleusement bien. A jeudi. » Plus tard, je comprendrais que j’avais, ce jour-là, commencé à tourner définitivement le dos à mon enfance.

Sa confiance absolue en lui, en son œuvre, me fit tressaillir d’émotion. Il ne lâcha pas tout de suite ma main et quelque chose de mystérieux se transmettait de lui à moi et me faisait voir différemment les deux enfants et au-delà d’eux, le monde. Il me semblait qu’auprès de lui j’apprenais à regarder et à entendre. Et ce que j’éprouvais pour lui, à cet instant, juste avant qu’il ne crie : « Moteur ! », c’était un inextricable mélange d’amour, d’admiration et de gratitude.

Depuis que je suis rentrée chez moi, j’ai le sentiment d’être une étrangère en visite. Ma vie n’est pas vraiment là. Ni auprès de Robert Bresson, ni auprès de l’équipe du film, comme je l’avais cru durant l’été : cela aussi est terminé. Je l’avais compris en les voyant retrouver leur femme ou leur petite amie. Ma vie, ce serait encore autre chose.

Jeune Fille
Anne Wiazemsky
Gallimard, 217 p., 17 €

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A l'ombre des jeunes filles en fleurs. M. de Norpois. Bergotte.

proust2 Très jeune, le narrateur fait part à ses parents de son projet de devenir d’écrivain.

Son père, désireux de le voir entreprendre quelque travail, fut-il littéraire – on a vu comment le narrateur avait renoncé, sur un coup de cœur, à la carrière diplomatique – lui conseille d’en parler à l’une de ses relations professionnelles, M. de Norpois :

« Je le ramènerai dîner un de ces soirs en sortant de la Commission. Tu causeras un peu avec lui, pour qu’il puisse t’apprécier. Ecris quelque chose de bien que tu puisses lui montrer ; il est très lié avec le directeur de la Revue des Deux Mondes, il t’y fera entrer, il réglera cela, c’est un vieux malin ; et, ma foi, il a l’air de trouver que la diplomatie, aujourd’hui ! … »

M. de Norpois vient donc dîner à la maison ; la mère du narrateur est pleine de respect et d’admiration :

Ma mère s’émerveillait qu’il fût si exact quoique si occupé, si aimable quoique si répandu, sans songer que les « quoique » sont toujours des « parce que » méconnus, et que (de même que les vieillards sont étonnants pour leur âge, les rois pleins de simplicité et les provinciaux au courant de tout) c’étaient les mêmes habitudes qui permettaient à M. de Norpois de satisfaire à tant d’occupations et d’être si ordonné dans ses réponses, de plaire dans le monde et d’être aimable avec nous. De plus, l’erreur de ma mère, comme celle de toutes les personnes qui ont trop de modestie, venait de ce qu’elle mettait les choses qui la concernaient au-dessous, et par conséquent en dehors des autres.

Le narrateur montre à M. de Norpois le petit écrit qu’il avait préparé et lui fait part de son immense admiration pour l’écrivain Bergotte.

Voici la réponse qu’il reçoit de la bouche du diplomate :

« Bergotte est ce que j’appelle un joueur de flûte ; il faut reconnaître d’ailleurs qu’il en joue agréablement quoique avec bien du maniérisme, de l’afféterie. Mais enfin, ce n’est que cela, et cela n’est pas grand’chose (…)au total, tout cela est bien mièvre, bien mince, et bien peu viril. Je comprends mieux maintenant, en me reportant à votre admiration tout à fait exagérée pour Bergotte, les quelques lignes que vous m’avez montrées tout à l’heure et sur lesquelles j’aurais mauvaise grâce à ne pas passer l’éponge, puisque vous avez dit vous même, en toute simplicité, que ce n’était qu’un griffonnage d’enfant (je l’avais dit, en effet, mais je n’en pensais pas un mot). A tout pêché miséricorde et surtout aux pêchés de jeunesse. (…) Il n’empêche que chez lui l’œuvre est infiniment supérieure à l’auteur (…) Vulgaire par moments, parlant à d’autres comme un livre, et même pas comme un livre de lui, mais comme un livre ennuyeux, ce qu’au moins ne sont pas les siens, tel est ce Bergotte. »

Tel est ce Bergotte ? à suivre …
Bon week-end
Bonne lecture.

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