Lorsqu’en 1937 Simone de Beauvoir termine « La primauté du spirituel » – titre qu’elle avait choisi initialement – elle est âgée d’à peine trente ans.
Ce premier roman est refusé par deux éditeurs, ce dont l’auteur ne s’étonne ni se choque.
Le manuscrit ne sera édité qu’en 1979 et à la demande de deux universitaires américains qui souhaitaient publier des inédits de l’écrivain. Simone de Beauvoir réitère alors dans l’avant-propos du livre le sévère jugement qu’elle porte à sa première œuvre : « Gallimard et Grasset refusèrent le manuscrit : non sans raison ».
La publication du roman se fait dans l’indifférence générale.
L’année dernière, Gallimard a eu l’heureuse initiative de le rééditer dans la collection Folio, le rebaptisant Anne, ou quand prime le spirituel.
Il s’agit d’une très bonne surprise.
On retrouve la belle plume de Simone de Beauvoir, mais délicieusement trempée d’ironie.
Utilisant tantôt le journal, tantôt le récit, elle donne une exquise peinture du milieu bourgeois et catholique, de l’éducation qu’on y dispensait dans les années 1920.
Milieu et éducation qui sont ceux que Simone de Beauvoir a connus dans son enfance et sa jeunesse et qu’elle a ensuite pris en horreur.
Le centre du roman, la mort d’Anne, est une référence à celle de son amie d’enfance, Zaza, épisode trouble, disparition qu’elle n’a jamais acceptée.
Le passage du spirituel au « réel » que suit le personnage de Marguerite n’est pas sans rappeler la propre évolution, pour ne pas dire la révolution que Simone de Beauvoir a connue et qu’elle a relatée dans ses mémoires (cf. Mémoires d’une jeune fille rangée et La Force de l’âge).
Le personnage de Chantal Plattard, jeune professeur enseignant dans une petite ville de province après avoir obtenu son agrégation en Sorbonne renvoie également sans complaisance au portrait que l’auteur a fait d’elle-même dans ses jeunes années.
Ainsi voici Chantal dispensant ses bons conseils à ses élèves pratiquement enamourées :
« Je vous dirai que dans ces occasions-là, je ne m’occupe pas de ce qui se passe autour de moi, dit Plattard. Mes collègues c’est pour moi comme si elles n’existaient pas. Vous leur accordez trop d’importance. »
Chantal voit sa vie comme un roman dont elle serait l’héroïne, se berçant de spiritualité et d’illusions, totalement déconnectée du réel.
Ainsi se pâme-t-elle en flânant dans les rues populaires, les trouvant charmantes ; mais quand la pauvre Andrée lui propose de pénétrer dans un de ses bars, elle rejette avec horreur une telle perspective.
Et lorsque la si poétique et belle Monique tombe enceinte : « Cette boue ! » déclare Chantal…
Anne, ou quand prime le spirituel. Simone de Beauvoir
Folio, 2006
(Gallimard, 1979)
357 p., 6,60 €
Très belle préface signée Danièle Sallenave