Mme de Guermantes n’est pas « une ».
Mondaine, intelligente, raffinée, audacieuse, pleine d’esprit, ne dédaignant pas la provocation, cette ultra-urbaine est aussi une « rurale ».
C’est dans sa voix que se retrouve une ascendance toute terrienne qu’elle ne renie pas.
Dans ces yeux et dans cette voix je retrouvais beaucoup de la nature de Combray. Certes, dans l’affectation avec laquelle cette voix faisait apparaître par moments une rudesse de terroir, il y avait bien des choses : l’origine toute provinciale d’un rameau de la famille de Guermantes, restée plus longtemps localisée, plus hardie, plus sauvageon, plus provocant ; puis l’habitude de gens vraiment distingués et de gens d’esprit qui savent que la distinction n’est pas de parler du bout des lèvres, et aussi de nobles fraternisant plus volontiers avec leur paysans qu’avec des bourgeois ; toute particularité que la situation de reine de Mme de Guermantes lui avait permis d’exhiber plus facilement, de faire sortir toutes voiles dehors. Il paraît que cette même voix existait chez des sœurs à elle, qu’elle détestait, et qui, moins intelligentes et presque bourgeoisement mariées, si on peut se servir de cet adverbe quand il s’agit d’unions avec des nobles obscurs, terrées dans leur province ou à Paris, dans un faubourg Saint-Germain sans éclat, possédaient aussi cette voix mais l’avaient réfrénés, corrigée, adoucie autant qu’elles pouvaient, de même qu’il est bien rare qu’un d’entre nous ait le toupet de son originalité et ne mette pas son application à ressembler aux modèles les plus vantés.
Sa prédilection pour la nouveauté semble quant à elle se limiter à l’art mondain. Dans le fond, la duchesse de Guermantes demeure extrêmement classique, comme le révèle son vocabulaire :
– Mais voyons, Basin, vous ne voyez pas que la princesse se moque de vous (la princesse n’y songeait pas). Elle sait aussi bien que vous que Gallardonette est une vieille poison, reprit Mme de Guermantes, dont le vocabulaire, habituellement limité à toutes ces vieilles expressions était savoureux comme ces plats possibles à découvrir dans les livres délicieux de Pampille, mais dans la réalité devenus si rares, où les gelées, le beurre, le jus, les quenelles sont authentiques, ne comportent aucun alliage, et même où on fait venir le sel des marins salants de Bretagne : à l’accent, au choix des mots, on sentait que le fond de conversation de la duchesse venait directement de Guermantes. Par là, la duchesse différait profondément de son neveu Saint-Loup, envahi par tant d’idées et d’expressions nouvelles ; il est difficile quand on est troublé par les idées de Kant et la nostalgie de Baudelaire, d’écrire le français exquis d’Henri IV de sorte que la pureté même du langage de la duchesse était un signe de limitation, et qu’en elle l’intelligence et la sensibilité étaient restées fermées à toutes les nouveautés.
Bonne lecture, bon week-end à tous.