A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. « Je la reconnus, c'était Venise »

Marcel Proust La RechercheRevenu à Paris après de longues années passées en vain dans une maison de santé, le narrateur, qui a perdu tout espoir d’écrire, notamment en perdant, plus généralement, toute foi en la littérature, se rend à une matinée chez le prince de Guermantes.

C’est alors que, « au moment où tout nous semble perdu »:

J’étais entré dans la cour de l’hôtel de Guermantes, et dans ma distraction je n’avais pas vu une voiture qui s’avançait ; au cri du wattman je n’eus que le temps de me ranger vivement de côté, et je reculai assez pour buter malgré moi contre les pavés assez mal équarris derrière lesquels était une remise.

Il vit alors un moment de félicité, qui s’apparente à d’autres déjà vécus, dont celui, relaté au tout début de A la recherche du temps perdu, de la petite madeleine :

Au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion (…)

C’est alors qu’en un instant il retrouve et la foi en la littérature et celle en ses capacités d’écrivain :

Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires, et même de la réalité de la littérature, se trouvaient levés comme par enchantement.

Mais entre l’épisode de la petite madeleine et celui du pavé de Paris, s’est écoulée presque une vie, une vie presque « gaspillée » aux yeux du narrateur qui se voyait écrivain. Aussi « Cette fois, j’étais bien décidé à ne pas me résigner à ignorer pourquoi, comme je l’avais fait le jour où j’avais goûté d’une madeleine trempée dans une infusion »:

Chaque fois que je refaisais rien que matériellement ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et distincte me frôlait (…)

Et enfin :

Presque tout de suite, je la reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit, et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir, dans la série des jours oubliés.

On dirait qu’on "y est" enfin… à très bientôt, bon week-end à tous !

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