En réfléchissant sur le sentiment de félicité qui l’envahit lors de ses réminiscences, lesquelles le font revivre les sensations heureuses de son voyage à Venise ou encore de son enfance à Combray, le narrateur réalise que ce n’est que dans ces moments « extra-temporels » qu’il touche l’essence des choses.
Mais si ces instants fugaces sont le moyen de saisir l’essence des choses, ce n’est pas en elles-mêmes qu’il faut les chercher, puisque, le narrateur l’a tant de fois éprouvé, elles sont toujours décevantes :
Des impressions telles que celles que je cherchais à fixer ne pouvaient que s’évanouir au contact d’une jouissance directe qui a été impuissante à les faire naître. La seule manière de les goûter davantage, c’était de tâcher de les connaître plus complètement, là où elles se trouvaient, c’est-à-dire en moi-même (…). Je n’avais pu connaître le plaisir à Balbec, pas plus que celui de vivre avec Albertine, lequel ne m’avait été perceptible qu’après coup. (…) Je sentais bien que la déception du voyage, la déception de l’amour n’étaient pas des déceptions différentes, mais l’aspect varié que prend, selon le fait auquel il s’applique, l’impuissance que nous avons à nous réaliser dans la jouissance matérielle, dans l’action effective.
C’est alors qu’il comprend que, qu’il s’agisse de décrire les clochers de Martinville près de Combray – ainsi qu’il avait tenté de le faire lorsqu’il était enfant –, ou d’évoquer des réminiscences, il s’agit toujours de faire un travail de recherche en soi-même, de mise en lumière d’une « vérité » : il s’agit de faire acte de création.
En somme (…), il fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées, en essayant de penser, c’est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j’avais senti, de le convertir en un équivalent spirituel. Or, ce moyen qui me paraissait le seul, était-ce autre chose que faire une oeuvre d’art ?
Très bon week-end et très bonne lecture à tous.