Le narrateur prend conscience que pour saisir les moments de félicité qu’il a éprouvés furtivement à l’occasion de ses réminiscences – tel l’instant où il a butté sur deux pavés inégaux dans la cour de l’hôtel des Guermantes, ou celui où il a goûté d’une petite madeleine trempée dans du thé lorsqu’il était enfant – bref, pour rechercher ce temps perdu, il devra écrire « son livre ».
Seul celui-ci lui permettra de trouver sa réalité ; car la réalité est peut-être ceci – et l’image à laquelle le narrateur recourt est magnifique :
Le goût du café au lait matinal nous apporte cette vague espérance d’un beau temps qui jadis si souvent, pendant que nous le buvions dans un bol de porcelaine blanche, crémeuse et plissée qui semblait du lait durci, quand la journée était encore intacte et pleine, se mit à nous sourire dans la claire incertitude du petit jour. Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément (…) rapport unique que l’écrivain doit retrouver pour en enchaîner à jamais dans sa phrase les deux termes différents.
Et l’art seul permet de nous faire connaître la vie :
La grandeur de l’art véritable, au contraire de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie.
Finalement, notre vie véritable n’est peut-être seulement que littérature :
La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu’ils ne cherchent pas l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas « développés ».
Très bonne lecture et très bon week-end à tous.