Ample, passionnante, l’exposition consacrée à Annie Leibovitz jusqu’au 14 septembre à la Maison européenne de la photographie est aussi très surprenante. La célèbre photographe des couvertures glacées américaines, de Rolling Stone à Vogue en passant par Vanity Fair a choisi de mêler à ses portraits les plus connus toute une série d’images personnelles.
Photos intimes de ses voyages à Venise avec sa grande amie l’écrivaine Susan Sontag, photos de ses enfants, de son frère, de sa mère débordante de vie dans son large maillot, de ses parents endormis, confiants, abandonnés, pris avec une tendresse infinie par le regard de leur fille.
Le regard, regarder : tout est là bien sûr. On dirait qu’il n’y a même que ça : quand Annie Leibovitz tire un portrait, elle ne parvient pas à converser en même temps. « Je suis trop occupée à regarder mon sujet (…). J’ai le même problème avec mes enfants. Je sais que je devrais plus m’impliquer, interragir, mais j’aime tellement les regarder. »
En suivant ses commentaires apposés aux photographies, l’on court de surprise en surprise, tout en comprenant mieux son choix de photos familiales, pleines de mouvements, de plein air et de naturel : « Je ne suis pas une grande portraitiste de studio (…). Je trouve cela faux et artificiel. En même temps, trop de dénuement fait peur. Je ne suis pas faite pour ce genre de travail. » Difficile à croire, tout de même, lorsque l’on revoit les photos des stars américaines, magnifiques, dont ressort un puissant érotisme, presqu’une animalité dans leur extrême sophistication. Ce sont des bombes de sensualité qu’elle photographie le plus souvent étendus ou à demi-couchés sur lits ou divans, comme Scarlett Johansson, Mick Jagger, Brad Pitt, Cindy Crawford, Demi Moore…
Mais les tirages les plus beaux de la sélection sont peut-être ceux du jardin de la maison de Vanessa Bell – la soeur de Virginia Woolf – à Charleston en Grande-Bretagne, jardin tout en fleurs et sauvage, photographies en noir et blanc on ne peut plus simples, mais qui échappent à toute banalité et témoignent une fois encore d’un voyage qu’Annie Leibovitz a fait avec son amie Susan Sontag, fan de Wirginia Woolf.
De son amie disparue en 2004, Annie Leibovitz a choisi, de façon extrêmement émouvante, de montrer la photographie qu’elle a prise d’elle sur son lit de mort, alors qu’elle l’avait revêtue de foulards ramenés de Venise et d’une robe en plissé couleur or « en hommage à Fortuny. »
Elle confesse aussi l’importance de son regard : « Si vous l’accompagniez dans un musée où elle voyait quelque chose qui lui plaisait, elle vous demandait de venir vous placer exactement à l’endroit où elle se tenait pour être sûre que vous voyiez la même chose qu’elle ». Avant d’ajouter, comme une ultime preuve d’amour : « J’ai préparé le livre pour la publication en songeant à elle comme si elle regardait par dessus mon épaule et me dictait mes choix. » (1).
Annie Leibovitz, A photographer’s life, 1990-2005
Maison européenne de la photographie
TLJ sauf lundi, mardi et jours fériés, de 11 h à 20 h
5/7 rue de Fourcy – 75004 Paris
Téléphone: (33) 1 44 78 75 00
Fax: (33) 1 44 78 75 15
M° Saint-Paul
Entrée 6 € (TR 3 €)
Gratuit tous les mercredis de 17 h à 20 h
(1) Annie Leibovitz, La vie d’une photographe, 1990-2005, éditions La Martinière, 480 p., 105 €
Image : Brad Pitt, Las Vegas, 1994