Louis Comfort Tiffany. Couleurs et lumières

Expo Tiffany au Luxembourg, vitrail magnoliasDes libellules, des plumes de paon, des pivoines, des iris, des fleurs de chèvrefeuille, des glycines, des jonquilles et des magnolias : ces splendeurs fragiles et éphémères, Tiffany les a rendues éternellement vivantes, chatoyantes et fraîches.
Un paradoxe magnifique puisqu’elles sont figées dans le verre et serties dans le plomb…

Tels sont le talent, l’inventivité et l’audace incroyables de Louis Comfort Tiffany (1848-1933) : faire entrer ces motifs délicats dans les maisons et les appartements, mais en y faisant pénétrer aussi la lumière.
Son médium : le verre, le verre, encore et toujours le verre.
Si ses aspirations sont celles de son temps, Orientalisme, Japonisme, Symbolisme, Art nouveau et Art déco, lui seul est en revanche l’inventeur de mille et une façons de travailler ce matériau, tant sur le plan de la technique que dans la façon de l’utiliser.

Dès le début de sa carrière de décorateur d’intérieur, ses innovations lui valent un grand succès auprès de la riche clientèle américaine, tels Henry O. Havemeyer de l‘American Sugar Refining Company, l’écrivain Mark Twain ou le président Chester Arthur. Il fait réaliser des paravents, des chenets, des écrans de cheminée, des panneaux muraux… qui ne ressemblent à aucun autre, incrustés de mosaïques de verre serties dans du fil métalliques aux volutes orientales. Il associe les lignes géométriques et les éclats irréguliers, la couleur et le noir, avec un style assuré qu’il ne cessera d’épanouir par la suite.

Déambuler librement comme dans une galerie dans l’exposition très agréablement mise en scène par Hubert Le Gall (le scénographe notamment de Mélancolie en 2005 au Grand Palais et de Lalique dans ce même musée du Luxembourg en 2007) permet d’admirer tous les aspects de l’oeuvre de Tiffany : les célèbres lampes, bien sûr, placées au centre, véritables bouquets à elles seules avec leurs motifs floraux ; sur les côtés, les vases aux formes organiques, que le verrier a interprété de multiples façons. Commercialisés sous le nom de Favrile (du latin fabriles, fait à la main), certains sont enrobés d’une couche de verre transparente et incrustés de fleurs "en flottaison", d’autres, les lava ont l’aspect de la matière en fusion, très inspirés des céramiques japonaises aux formes libres.

Exposition Tiffany au Musée du Luxembourg, encrierTiffany a également réalisé des bijoux et d’adorables objets décoratifs, comme cet encrier en verre et argent, ou des flacons à parfum en or, tourmaline et verre. Louis Comfort était bel et bien le fils du joailler new-yorkais Charles Lewis Tiffany : dans sa jeunesse, il avait baigné tant et plus dans le célèbre magasin dédié au luxe, où l’on trouvait aussi des vases en verre soufflé du français Emile Gallé, des porcelaines de Sèvres, des pièces en verre vénitien, ou encore anglais (superbe vase-camée signé Webb & Sons). Ces influences, ce raffinement, ce goût pour les milles couleurs et l’éclat se retrouvent tout naturellement dans les créations du fils. Mais lorsque Louis C. créé des bijoux, lui ne les incruste pas de diamants… mais de verre – le tour de cou aux scarabées bleus en est un bel exemple.

La grande découverte de cette exposition reste le travail sur vitraux de Tiffany : le maître-verrier les a fait installer dans les intérieurs de ses clients, mais a aussi reçu des commandes pour des édifices religieux. Les séries présentées au Luxembourg emportent l’enthousiasme. L’un de ses premiers vitraux, réalisé en 1880 pour son appartement new-yorkais témoigne de son talent artistique d’avant-garde : totalement abstrait, avec ses teintes originales et ses pièces de verre irrégulières, le vitrail se contemple comme un tableau. Occasion unique de les voir à Paris, les vitraux commandés pour l’église américaine de Montréal allient l’élancement et les motifs du gothique à la douceur des scènes bibliques. Les autres exemples présentés sont totalement renversants : ici une sirène aux écailles nacrées chevauche un hippocampe dans un océan aux verts et bleus enchanteurs, là une scène de cirque dessinée par Henri de Toulouse-Lautrec d’une modernité folle (encore plus belle vue à distance), plus loin des anémones et des étoiles de mer se devinent dans les couleurs outre-marines de denses compositions, quand La Nouvelle Jérusalem nous emporte dans un monde de dégradés de mauves, de bleus et de verts, où s’épanouissent plantes luxuriantes, iris et nymphéas…

Louis Comfort Tiffany. Couleurs et lumières
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – Paris 6ème
Jusqu’au 17 janvier 2009
TLJ de 10 h 30 à 19 h, jusqu’à 22 h les lun. et ven.
Sam., dim. et jours fériés de 9 h 30 à 20 h
Entrée 11 € (TR 9 €)

Images : Louis C. Tiffany, Vitrail "Magniolas", c. 1900, verre, plomb, Saint Petersbourg, Musée de l’Ermitage © Photo Yuri Molodkovets
et Louis C. Tiffany, Encrier, c. 1900-1903, verre, argent, Newark, The Newark Museum, Don de Mr & Mrs Ethan D. Alyea, 1967 © Photo The Newark Museum

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Le Voyage de Victor. Théâtre de la Madeleine

Le voyage de Victor de Nicolas Bedos, avec Guy Bedos, la MadeleineOn est un peu triste parce qu’on a beaucoup de respect et de tendresse pour Guy Bedos et qu’on a aucune raison d’en vouloir à son fils Nicolas.
Le spectacle a la politesse de la brièveté, c’est bien sa seule qualité : aucune raison de se déplacer jusqu’au théâtre de la Madeleine pour faire ce voyage avec Bedos, écrit par le fils et joué par le père.

Le pitch ? Une esquisse : le vieux Victor (Guy Bedos) semble avoir perdu la mémoire à la suite d’un accident de voiture dans lequel son fils a trouvé la mort. Une « dame de compagnie » (Macha Méril) chargée de l’aider dans sa convalescence essaie de lui faire retrouver le fil de ses souvenirs. Petit à petit, se dévoile un lien passé entre les deux protagonistes.

Deux comédiens célèbres en tête à tête sur une scène bien située dans Paris, avec un lit ou une table voire les deux pour tout décor, la recette gagnante de certains théâtres privés commence à être bien connue. Mais s’ils ne sont pas au service d’un texte consistant, c’est l’ennui assuré. Ici, les bâillements viennent très vite. Les thèmes sont survolés à une hauteur telle que l’on en distingue aucun ; les jeux d’acteur sont si conventionnels que l’on peut fermer les yeux sans rien louper de la pièce. L’ensemble est vieux avant d’avoir été, et dénué du moindre intérêt.

Le voyage de Victor
Une pièce écrite et mise en scène par Nicolas Bedos
Avec Guy Bedos et Macha Méril
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène – Paris 8° (Tel. 01 42 65 07 09)
M° Madeleine
Jusqu’au 30 janvier 2010
Les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 19 h
Le samedi à 16 h et le dimanche à 18 h
Durée 1 h
Places 32 €

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Admirer l'Âge d'or hollandais

Catalogue de l'exposition Age d'or hollandais à la Pinacotheque Pour permettre à ses nombreux visiteurs de mieux profiter de l’exposition L’Âge d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer organisée en association avec le Rijksmuseum d’Amsterdam, la Pinacothèque de Paris a élargi ses horaires d’ouverture depuis vendredi dernier.

Vous pouvez désormais la visiter de 10h30 à 20h tous les jours et jusqu’à 22h les mercredi et vendredi.

A signaler aussi, une très belle idée de cadeau, pour tout de suite ou pour les fêtes de fin d’année : le catalogue de l’exposition, magnifiquement édité avec les reproductions de l’ensemble des œuvres en pleine page et des textes riches et limpides.

Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – 75008 Paris
Jusqu’au 7 février 2010
TLJ de 10 h 30 à 20 h, jusqu’à 22 h les mercredi et vendredi
25 décembre et 1er janvier de 14 h à 18 h
Entrée 10 € (TR 8 €)

L’Âge d’Or hollandais de Rembrandt à Vermeer avec les trésors du Rijksmuseum
Éditions Pinacothèque de Paris
Relié – 28 x 24 cm, 304 pages, 45 €
ISBN : 9782358670043

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Art Nouveau Revival. 1900. 1933. 1966. 1974

Exposition au musée d'Orsay, Art nouveau, RevivalLe musée d’Orsay a souvent l’audace de proposer des expositions originales.
Celle-ci l’est tant par son thème – l’Art nouveau, à une époque où l’on revisite plutôt l’Art déco – que par sa démarche : parcourir ce style décoratif à l’aune de l’air du temps qui l’a porté au fil du XXème siècle.

L’Art nouveau a été une déferlante aux alentours de 1900 dans le domaine de l’architecture, du mobilier et des arts décoratifs, suscitant d’ailleurs de vives critiques, avant de retomber aussi vite qu’elle était montée, anéantie par la puissante vogue Art déco.

Il a fallu attendre les années 1930 et la vivacité des Surréalistes pour que l’Art nouveau retrouve ses reliefs, à partir de 1933 précisément lorsque Salvador Dalí publia dans la revue Minotaure un article intitulé De la beauté terrifiante et comestible, de l’architecture modern’style, illustré de photos de Brassaï et de Man Ray, le mouvement d’André Breton s’étant alors jeté avec enthousiasme sur les lignes libres de l’Art nouveau. Les superbes images des deux photographes avant-gardistes mettent en valeur l’aspect organique des entrées de métro dessinées par Hector Guimard et de l’architecture débridée d’Antoni Gaudí. Placés dans un même espace, le tableau de Dalí L’énigme du désir et les miroirs de Gaudí pour la Casa Milá semblent frappés de la même mollesse formelle…

Musée d'Orsay, expo Art nouveau, RevivalDeuxième revival de l’Art nouveau, les années 1950 et surtout 1960 dans le domaine du mobilier et des arts de la table : en réaction à la tyrannie du modernisme fonctionnel et froid, le design organique se déploie, privilégiant les courbes proches de la nature en général et du corps humain en particulier. Légèreté, fluidité sont les maîtres mots de ce style qui effectivement – la démonstration dans la grande salle est édifiante – s’est réapproprié pour les réinterpréter, le plus souvent avec bonheur, les lignes de Bugatti et de Guimard.

A la même époque, un autre domaine se place avec délices sous l’emprise des courbes sinueuses et asymétriques de l’Art nouveau, reprenant aussi ses motifs végétaux, floraux, voire animaliers : celui du graphisme. Magazines, affiches de cinéma et de concert, pochettes de disques, papiers peints et même les robes de nos mamans sont inondés de folles spirales, d’explosions florales et de couleurs pepsy. Exposées côte à côte, la ressemblance avec les affiches du début du siècle est troublante : si les couleurs sont devenues plus acides, les arabesques et les volutes avaient inspiré les graphistes depuis belle lurette.

Le parcours se termine de façon éclatante avec l’année 1974 et les miroirs commandés par Yves Saint-Laurent à Claude Lalanne, encadrés de branchages de cuivre et de bronze doré, motifs naturalistes à la fois simplissimes et sophistiqués, magnifiques échos aux œuvres non moins admirables d’Emile Gallé (girandole Coloquintes de 1902) et de Georges Hoentschel (cheminée ornée de ronces, de tournesols et d’iris, 1900-1902). La boucle semblait alors bouclée… ; mais la mode est paraît-il un éternel recommencement.

Art Nouveau Revival. 1900. 1933. 1966. 1974
Jusqu’au 4 février 2010
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion-d’Honneur – Paris 7°
TLJ sf lun., de 9h30 à 18h, le jeu. jusqu’à 21h45
Entrée 9,50 € (TR 7 €)

Images : Bonnie MacLean, affiche pour le concert The Yardbirds, 1967, Paris, galerie Janos © DR et Albert Angus Turbayne, affiche pour "Peacock", Edition. Macmillan’s illustrated standard novels, 1903, Lithographie couleurs Chemnitz, Städtische Kunstsammlungen © Kunstsammlungen Chemnitz / May Voigt

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Le concert. Radu Mihaileanu

Film Le concert de Radu MihaileanuLe lancement de l’histoire est un peu celui de Space Cowboys : comment des anciennes gloires mises au rebut vont revenir au tout premier plan et éblouir le public.

Certes, ce n’est pas Clint Eastwood qui tient la caméra, mais le réalisateur du remarqué Va, vis et deviens. Autre différence, les protagonistes sont Russes : des ex étoiles du célèbre Orchestre du Bolchoï virées voici trente ans sous le régime de Brejnev.

Un beau soir, Andreï Filipov, l’ancien chef d’orchestre devenu balayeur tombe par hasard sur une invitation du théâtre du Châtelet et y voit l’occasion de remonter l’Orchestre du temps de sa splendeur, en lieu et place du véritable Bolchoï.
Sauf qu’on ne trouve pas cinquante musiciens de ce niveau sous le sabot d’un cheval. Andreï embarque donc son fidèle ami devenu lui ambulancier pour faire le tour des popotes : retrouvailles émues, instruments patinés ressortis enfin des étuis, mains un peu tremblantes mais foi toujours intacte. Comme cela ne suffit pas, il embauche aussi des tziganes aux rythmes endiablés, yeux malicieux et grandes familles… fort efficaces au demeurant pour établir les faux papiers (scène d’anthologie dans l’aéroport).
La joyeuse troupe hétéroclite et à tous points de vue d’un autre temps débarque ainsi à Paris, assoiffée de lumières, d’euros et de vodka…

Malgré une mise en scène qui ne marquera pas les anales, le capital sympathie du film est à ce stade-là déjà très confortable. Comment ne pas s’attacher à ces Russes miséreux, artistes de talent privés de l’exercice de leur art par la dureté du régime soviétique, dotés d’une solide envie d’y aller et d’en montrer, et qui arrivent sur la plus belle avenue du monde comme des chiens dans un jeu de quilles ? Ils sont filmés avec un humour irrésistible, tout comme le directeur du théâtre du Châtelet, joué par François Berléand (très à l’aise comme à son habitude dans un rôle exécrable), attaché à ses chiffres, à sa presse et à sa gloire avec une nervosité toute parisienne…
Radu Mihaileanu est doué pour donner le rythme et croquer ses personnages en quelques scènes, mais il l’est tout autant pour faire surgir l’émotion. Avec l’entrée en scène du personnage de la jeune violoniste interprétée par Mélanie Laurent, dont l’histoire intime est liée à celle de l’Orchestre du Bolchoï pour des raisons dont on ne dira rien puisqu’elle même ne les découvrira qu’à la fin, au registre de la comédie se juxtapose celui du drame.
Souvent très touchante, Mélanie Laurent est ici exceptionnelle et offre avec Aleksei Guskov, le chef d’orchestre, une longue scène finale bouleversante, portée tant par des échanges de regards d’une rare intensité que par la musique de Tchaïkovski.
Entre rires et larmes, Le concert est un film populaire au bon sens du terme : de l’ouvrage plutôt bien monté, qui respecte son public et lui fait passer un très agréable moment ; pourquoi n’en voit-on pas davantage dans le cinéma français d’aujourd’hui ?

Le concert
Une comédie dramatique de Radu Mihaileanu
Avec Mélanie Laurent, Aleksei Guskov, Dimitry Nazarov, François Berléand, Miou-Miou
Durée 2 h

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Titien, Tintoret, Véronèse – Rivalités à Venise

Rivalités à Venise, Titien, Vénus au miroirTitien, Tintoret, Véronèse, mais aussi Bassano, que l’on connaît moins : c’est à une véritable rencontre au sommet que le musée du Louvre nous convie jusqu’au 4 janvier 2010.

Pourquoi faut-il y aller ? Parce que la peinture vénitienne du XVIème siècle ajoute aux acquis de la Renaissance italienne la chaleur de la lumière et la passion de la couleur, et concentre des artistes dont la rivalité a exacerbé le talent.
Le contexte politique vénitien l’explique en partie : alors qu’ailleurs dans la péninsule une seule famille à la tête d’une principauté (comme les Médicis à Florence ou les Gonzagues à Mantoue) privilégie un artiste "officiel" destinataire de l’essentiel des commandes, Venise au contraire est une république où plus d’une centaine de familles de patriciens se partagent le pouvoir. Chacune choisit ses artistes pour asseoir son prestige, multiplie les commandes et favorise la pluralité. Même les institutions jouent sur l’émulation, en attribuant par concours les commandes pour les édifices religieux et publics.
Titien, le patriarche, et le plus renommé d’entre tous bien au delà de la République (l’empereur Charles Quint et son fils le roi Philippe II d’Espagne sont ses amis) ne "régnait" donc pas seul. Malgré ses efforts pour écarter Tintoret de la scène artistique, celui-ci se fit connaître par sa peinture très affirmée et un style bien différent de celui de son aîné. Véronèse en revanche n’a pas eu de mal à décrocher de grandes commandes dès son arrivée à Venise, notamment pour le palais des Doges, car le grand maître le soutenait…

Cette compétition des plus fécondes est parfaitement lisible à travers le parcours, pour lequel les commissaires Vincent Delieuvin et Jean Habert ont choisi des thématiques fortes de la peinture vénitienne et confronté pour chacune d’entre elles des tableaux des différents artistes. Rivalités à Venise réunit ainsi toutes les qualité qu’on voudrait toujours trouver à une exposition : intelligence et clarté du propos, sûreté et audace dans les choix, rythme du parcours, entre rupture et progression des sujets. Qualité des œuvres enfin, puisqu’à ceux du Louvre répondent des chefs d’œuvre venus d’un peu partout, de Vienne, de Londres, du Prado, du Capodimonte à Naples, de Chicago, de Washington…

Sur les mérites respectifs des artistes, chacun se fera son opinion bien sûr, voire verra confortée celle qu’il a déjà. Le fou de Titien le restera et gardera un peu de son dédain pour les démonstratives contorsions des corps de Tintoret. A celle de la pose, on préfère l’apparence du naturel ; aux postures héroïques, les figures de ce monde ; aux musculatures antiques, la délicatesse des chairs ; à la dramaturgie extrême, l’expression toute humaine des sentiments… Comblés donc, les amoureux de Titien observeront l’évolution de sa peinture au fil du temps, grâce à des sujets proches ou identiques traités à différentes époques (Danaé, Tarquin et Lucrèce…).
La virtuosité de Véronèse apparaît de façon éclatante, comme dans le Christ guérissant une femme souffrant d’épanchements de sang de la National Gallery : par l’emploi de couleurs claires et brillantes, il rend parfaitement distincts une foule de personnages, servis par une composition classique superbe, alors que la finesse des traits et l’expression de la femme agenouillée tournant son visage vers le Christ impriment au tableau une grâce inouïe. Harmonie, lumière, richesse de la palette : c’est tout Véronèse et c’est une splendeur.

Rivalités à Venise, Tintoret, Suzanne et les vieillards, ViennePortraits de patriciens et patriciennes, autoportraits, nus féminins (avec notamment une confrontation de Tarquin et Lucrèce de haut vol), scènes religieuses quelque peu "profanées", nocturnes sacrés singuliers (des Saint-Jérôme plus poignants les uns que les autres) … les différentes sections de l’exposition sont tout aussi passionnantes. On s’attarde aussi sur celle consacrée au reflet, qui renvoie notamment à l’un des grands débats esthétiques et théoriques de la Renaissance : le paragone, à savoir la question des mérites respectifs de la peinture et de la sculpture. Dans la suite de Giorgione qui avait peint au tout début du siècle un tableau avec une figure d’homme dont le corps se reflétait à la fois dans une armure polie, un miroir et une fontaine d’eau (aujourd’hui disparu), les artistes vénitiens se sont surpassés dans le domaine du reflet et du miroir en peinture, permettant de représenter tous les aspects d’un personnage sans se déplacer, alors qu’avec une sculpture, le spectateur est obligé de tourner autour… Tintoret a interprété ce thème avec espièglerie (l’humour et la légèreté sont d’autres traits que l’on retrouve chez ces artistes), dans son fameux Suzanne et les vieillards de Vienne. La représentation de cette scène par Jacoppo Bassano, exposée, à juste titre, dans la partie Femmes en péril est beaucoup plus directe et inquiétante. Elle montre au passage l’influence du Titien sur Bassano qui dans son dernier style emprunte au maître sa large touche. Un tableau admirable de simplicité et de clarté dans sa composition, de douceur et de sobriété dans les visages, avec ce goût des chairs blanches éclairées dans une atmosphère sombre chère à Bassano, décidément devenu lui aussi un grand de Venise.

Titien, Tintoret, Véronèse – Rivalités à Venise
Jusqu’au 4 janvier 2010
Musée du Louvre
Hall Napoléon (accès par la pyramide, la galerie du Carrousel ou le passage Richelieu)
TLJ sf le mar., de 9h à 18h, jusqu’à 20h le sam. et jusqu’à 22h les mer. et ven.
Entrée 11 € (14 € si on veut aussi profiter du Musée)

Images : Titien , Vénus au miroir, National Gallery of Art © Board of the Trustees of the National Gallery, Washington
et Tintoret , Suzanne et les vieillards, © Kunsthistorisches Museum, Vienne

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Michel Onfray : le post anarchisme expliqué à ma grand-mère

Le post anarchisme expliqué à ma grand-mère par Michel Onfray au théâtre du Rond PointJeudi dernier, la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point était pleine à craquer, où, à l’heure du déjeuner, Michel Onfray donnait une conférence intitulée "Le post anarchisme expliqué à ma grand-mère".
Derrière ce slogan, le philosophe se moquait des livres de vulgarisation de la pensée et de l’histoire des idées que les intellectuels commettent régulièrement à peu de frais, en s’adressant à leurs lecteurs adultes comme ils le feraient à des enfants.

Rejetant ce genre de démarche simpliste, Michel Onfray, dans l’esprit de l’Université Populaire de Caen, s’attache à revisiter l’histoire de la pensée anarchiste – très multiple et même contradictoire – en revendiquant un droit d’inventaire : retenir les idées qui lui semblent encore de valeur aujourd’hui et repousser les prises de position inacceptables et/ou considérablement datées.

En suivant cette logique du "prélèvement", l’auteur de la Contre histoire de la philosophie trace les contours du post anarchisme, un courant qui existe aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Il commence par balayer sans ménagement un certain nombre de dogmes (une de ses grandes affaires) de la pensée anarchiste : le rejet de l’Etat ; le refus des élections ; l’idée selon laquelle le capitalisme ne serait qu’un moment dans le déroulement du monde. Au contraire, pour le philosophe, l’Etat est utile, voter permet de manifester un rapport de force et le capitalisme est une forme consubstantielle du monde – c’est le capitalisme libéral qui est à dénoncer.

Michel Onfray passe ensuite au crible les écrits des auteurs dits anarchistes pour y faire son tri : exit les positions bellicistes, homophobes et phallocrates de Proudhon, mais oui à son pragmatisme ; exit le christianisme de Tolstoï et la négativité de ceux qui sont devenus anarchistes par amertume ; oui à la positivité, à tout ce qui est susceptible de développer la pulsion de vie ; oui à la place de la Justice défendue par Louise Michel, à l’impératif catégorique de La Boétie – "Soyez résolu de ne plus servir et vous serez libre " – réactivé par Thoreau, aux phalanstères de Fourrier, à l’anarcho-syndicalisme d’Albert Camus de L’Homme révolté, à l’éducation, aux plaisirs du corps…

Si la pensée anarchiste a été saignée par la Commune puis par la Guerre de 14-18, avant d’être terrassée par le triomphe du marxisme, l’auteur du Traité d’athéologie pense que, tel le fleuve Alphée, l’anarchisme un temps disparu dans la mer est ensuite réapparu, citant Orwell, la philosophe Simone Weil, Jean Grenier, la French Theory avec Foucault, Deleuze, Bourdieu, Guattari, Lyotard, le Derrida de Politiques de l’amitié et du Droit à la philosophie, mais aussi Mai 68, qu’il considère comme une révolte nietzschéenne pour avoir mis fin à la Vérité "Une", révélée, en mettant en évidence la diversité de vérités, pour avoir fait disparaître les idéaux ascétiques chrétiens et fait surgir de nouvelles possibilités d’existence.

Suite et fin de la conférence en mai, même lieu et même heure : Michel Onfray y proposera un post anarchisme pour aujourd’hui et pour demain.

Calendrier des conférences de l’Université Populaire de Caen au Théâtre du Rond-Point
Théâtre du Rond-Point – 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris
M°Franklin D. Roosevelt, Champs-Élysées Clemenceau
Entrée libre sur réservation

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Le Recours aux forêts. Michel Onfray

Michel Onfray, le recours aux forêts, GaliléeA l’issue de sa conférence Le post anarchisme expliqué à ma grand-mère tenue le 5 novembre dernier au théâtre du Rond-Point, Michel Onfray signait son dernier ouvrage joliment intitulé Le Recours aux forêts, La tentation de Démocrite.

A travers ce texte destiné à être monté à la Comédie de Caen, le philosophe, qui projetait avec quelques amis "en remède aux misères du monde", de se rendre en Islande, "cette terre où la nature compte plus que les hommes", adopte, sans y être allé en raison de la maladie d’un être cher, la "sagesse universelle, païenne, virgilienne" des hyperboréens.

Si Onfray a une très ancienne origine scandinave, ses ascendants se sont implantés voici mille ans en pays normand, où Michel Onfray vit toujours, dans la ville d’Argentan. C’est là, lisant Ronsard et Whitman, qu’il a écrit cette courte pièce, disant son désir de rejoindre, le moment venu, la terre de ses ancêtres dont il est issu.

Dans des pages d’abord violentes, l’auteur du Traité d’athéologie rappelle la folie et la barbarie des hommes, leur vanité, leur petitesse, leur envie, leur opportunisme, leur hypocrisie et leurs trahisons, les maux faits au nom de la religion, les fausses sagesses et la fausse Justice, impostures de tout poil répétées à l’infini.

Puis, se plaçant sous le signe de Démocrite, "ce philosophe, figure du matérialisme radical qui après avoir beaucoup voyagé (…) se fit construire une petite maison au fond de son jardin pour y vivre le restant de ses jours", Onfray livre une ode à la nature, à la simplicité, au repli sur soi pour retrouver la paix, près du ciel, des oiseaux, des fleurs et de l’eau.
Le jeune quinquagénaire y retrouve les goûts et les parfums de son enfance, la fleur de sureau et les groseilles à maquereau, mais aussi son effroi face à la vipère, la couleuvre ou l’orvet, et encore son émerveillement lorsqu’il lève la tête vers le ciel ; enfin, toutes ces choses qui, décidément, et c’est une consolation souveraine, chez lui non plus ne passent pas :

Je veux prendre le temps des nuages
M’abandonner à leurs mousses, à leurs cotons, à leurs veloutés
Rentrer dans la plume de leurs ventres
Dans le duvet de leur esprit
Dans la chair de vapeur de leur âme
Flotter sur eux
Y accrocher mon vagabondage
M’y reposer des hommes
Je veux calculer leurs courses, poussés par le vent
Y guetter le secret du temps à venir
Chercher dans les filasses
Scruter dans leurs panses parfois grises
Me perdre dans la forme de l’un d’entre eux
Solitaire dans un azur insolent
Savoir, déniaisé, qu’on n’y trouve ni les anges
Ni les dieux, ni Dieu
Mais l’haleine des fleurs parties vers les étoiles.

Le Recours aux forêts, La tentation de Démocrite
Michel Onfray
Galilée, 2009, 80 p., 14 €

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Le ruban blanc. Michael Haneke

Le ruban blanc, Michael HanekeLa réalisation est superbe ; elle mérite peut-être à elle seule la Palme d’Or descernée à Michael Haneke au 62ème Festival de Cannes.
Tourné à l’origine en couleurs afin d’imprimer à la pellicule toutes les sensibilités de la lumière, le film a été ensuite longuement travaillé pour obtenir une photo au noir et blanc très délicat, qui restitue la splendeur tristes des paysages ruraux du nord de l’Allemagne.
Les comédiens ont été soigneusement choisis – surtout les enfants – en fonction notamment de leurs traits, pour qu’ils soient crédibles dans le temps du film – 1913. Ces jeunes visages qui pourraient bien avoir un siècle contribuent à l’incarnation époustouflante des personnages, dirigés avec une grande maîtrise par le réalisateur autrichien. La mise en scène, le montage, fluides et rapides, ne se voient pas à force de science de l’art, tout comme la durée du film, bâti sur un scénario solide et délicieusement égarant. Il démarre très vite, avec une succession d’étranges événements survenant dans cette communauté paysanne de Prusse construite autour du pasteur, de l’instituteur, du médecin, de l’aristocrate propriétaire du domaine et de son régisseur. Le médecin est victime d’un "accident" de cheval provoqué par un câble, le fils du baron est brutalisé, un nourrisson exposé au froid glacial… La criminalité se déploie, insidieusement, imprévisible, jamais résolue, à peine regardée en face, de plus en plus cruelle. Alors même que sous la haute autorité morale des institutions et des pères en général, du pasteur en particulier, une éducation stricte est donnée aux enfants, celui-ci allant jusqu’à attacher aux bras de sa progéniture un ruban blanc censé lui rappeler l’impératif de pureté et d’innocence. Innocence, tout est dit ou presque puisque Haneke distille au contraire la thèse de la culpabilité des enfants… Culpabilité qui renverrait à celle, vingt ans après, de la génération qui a mis les Nazis au pouvoir. Cette éducation protestante rigoriste et la violence qu’elle contient auraient engendré des adultes capables du pire.
Est-si simple ? On touche là à la faiblesse du film : son fond. Car au delà des limites de la thèse historique contestable, le film est en tout état de cause totalement monolithique. Si l’on est intimement convaincu des ravages d’un dressage brutal et sclérosant infligé aux enfants, le propos perd de sa force lorsqu’il utilise toujours les mêmes arguments et illustrations. Ne disant qu’une chose, le film tourne sur lui-même et finit par tourner un peu à vide.
Malgré ce manque de nuances, Le ruban blanc reste un magnifique objet cinématographique et réserve même quelques passages émouvants, comme celui où un petit orphelin interroge sa grande sœur et finit par comprendre de la bouche de son aînée si tendre et aimante, mais franche face à ses questions, ce qu’est la mort. Certainement le plus beau moment du film, sur un immense fond noir.

Le ruban blanc (Das Weiße Band – Eine deutsche Kindergeschichte)
Un drame de Michael Haneke
Avec Christian Friedel, Ernst Jacobi, Leonie Benesch…
Durée : 2 h 24 min

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James Ensor au Musée d'Orsay

James Ensor, exposition à Orsay, 2009-2010Tout en contrastes, l’oeuvre du peintre belge James Ensor (1860-1949), présenté au Musée d’Orsay à travers une exposition de 90 tableaux, dessins et gravures, ne cesse d’intriguer au fur et à mesure de la visite.

On découvre d’abord des paysages, des natures mortes et des scènes de genre à la veine naturaliste très marquée. Ce sont les premiers tableaux de l’artiste qui, après ses études à l’Académie de Bruxelles, revient à l’âge de vingt ans dans sa ville natale d’Ostende, peu emballé par sa formation traditionnelle et préférant alors travailler, pour reprendre son expression, sur « la forme de la lumière ».

Sur ce point, ses toiles ne sont pas transcendantes, malgré ses péremptoires affirmations et son dédain pour les impressionnistes, par lui qualifiés de « faiseurs de plein air ». Cette première période – qui sera aussi celle de cuisants échecs, dont l’artiste restera marqué à jamais, comme on le verra par la suite – n’est pour autant pas dénuée d’intérêt. Dans ses scènes d’intérieur de cette ville de Flandre, La coloriste, La femme endormie, ou encore l’immense Mangeuse d’huîtres, Ensor peint des pièces sombres et calfeutrées, des ambiances étouffantes, l’ennui incommensurable de ces heures où tout semble figé, où les objets, le mobilier et les tentures tirées semblent pétrifier les êtres. Dans L’après-midi à Ostende, le regard tourné vers le spectateur de la femme en visite chez une autre plus âgée trempant ses lèvres dans une tasse de thé semble par son expression résumer tout ce qu’évoquent les tableaux de la série.

Quelques années après, l’oeuvre de James Ensor prend toute sa singularité et sa saveur. A la fin des années 1880, souffrant du mauvais accueil qu’il reçoit, époque aussi à laquelle il perd son père et sa grand-mère, il change à la fois de manière et de sujets : «Pour arriver à rendre les tons riches et variés, j’avais mélangé toujours les couleurs… J’ai modifié alors ma manière et appliqué les couleurs pures. J’ai cherché logiquement les effets violents, surtout les masques où les tons vifs dominent. Ces masques me plaisent aussi parce qu’ils froissaient le public qui m’avait si mal accueilli ».

Les tons sont beaucoup plus clairs, voire acides. Des êtres masqués et des squelettes peuplent ses tableaux, renvoyant à l’univers dans lequel le jeune James a grandi, dans la boutique de souvenirs et de curiosités de ses parents, et dont le grand Ensor a continué à peupler son atelier plus tard. On peut en voir certains exemplaires dans l’exposition, comme une étrange sirène, faite d’une queue de poisson, d’un corps en squelette et d’une tête de singe.
James Ensor, exposition à Orsay, 2009-2010, L'IntrigueCes squelettes et ces masquent amusent par le grotesque des scènes, oscillant entre pure fantaisie et satire sociale – on pense aux caricatures de Daumier, au Carnaval, à Guignol – non sans un soupçon d’effroi évidemment comme devant le défilé de tristes mondains de L’intrigue. L’artiste ne craint pas l’ambiguïté, au contraire, associant à ses figurations macabres un registre chromatique gai avec des couleurs pures et pétillantes renvoyant à la fête. D’ailleurs, sous les dehors de la farce, sourd une certaine violence : par exemple dans Les poissardes, en dessous du message «Mort ! Elles ont mangé trop de poisson », les deux vieilles poissardes en question rappellent sous une toute autre forme mais avec une force inouïe l’ennui et l’absence de vie des tableaux naturalistes de jeunesse.

Les innombrables autoportraits de l’artiste manifestent, outre le souci de se voir reconnu, tous les vents contraires qui semblent l’avoir animé : parfois il se représente selon la tradition du genre, devant son chevalet ; plus loin découvrant son visage au milieu d’une foule de masques de tous poils ; à l’occasion, il se dessine au fusain sous les traits d’un beau jeune homme. Mais il y a aussi les poignants L’homme de douleur ou Squelette peintre. Comme si la provocation, le rire suscité par ces Squelettes se disputant un hareng saur n’étaient là que pour habiller élégamment son désespoir.

James Ensor
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur – Paris VII°
Jusqu’au 4 février 2010
Tlj sauf le lundi, de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Entrée 9,50 €, tarif réduit 7 €

Images : Squelettes se disputant un hareng saur, 1891, Bruxelles, Musées royaux des Beaux Arts de Belgique, © MRBAB, Bruxelles © ADAGP, Paris 2009
L’Intrigue, 1890, Koninklijk Museeum voor Schone Kunsten, Anvers, Belgique © Courtesy Lukas-Art in Flanders © ADAGP, Paris 2009

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