Deux mois après son inauguration, le souvenir de l’exposition demeure encore vif.
Comment oublier cette guillotine et ces grands tableaux accrochés les uns contre les autres montrant le sang versé, les corps mutilés, la tête qui roule : le meurtre et son implacable sanction ?
Ces meurtres privés et ces assassinats prescrits par nos lois, inlassablement livrés à la contemplation publique, de la Révolution jusqu’à la fin des années 30 (1) ?
Crime et châtiment, titre emprunté au roman de Dostoïevski se propose de mettre en lumière les approches artistiques du crime et de la peine de mort tout au long du XIX° et au début du XX° siècles.
Il apparaît assez rapidement que, plus encore que l’homme, la femme meurtrière a inspiré très largement les peintres, bien qu’elle fût tout à fait minoritaire parmi les assassins. La douzaine de tableaux du meurtre de Marat par Charlotte Corday et la section consacrée à la figure de la sorcière prouvent à quel point les fantasmes des artistes mêlaient violence, mort et érotisme.
Des tableaux de haut vol signés Géricault, Delacroix, Ingres, Goya, Moreau, Munch, Picasso… aux coupures de presse totalement terrifiantes (elles étaient faites pour), en passant par dessins et sculptures, cette exposition riche, dense, érudite s’avère bien à la hauteur de ses ambitions. Elle réalise la démonstration éclatante de la fascination que la mort de l’homme par l’homme exerce sur les artistes et le public, tous avides de gros plans et de détails.
Parmi les vitrines consacrées aux approches scientifiques, l’on retrouve avec effroi les fameux travaux physiognomiques de l’Italien Cesare Lombroso tentant d’établir avec forces études le lien irréfutable entre la forme du crâne, les traits du visage et la propension au crime, théories dont Degas (passionné par le crime en général) était friand, comme le montre sa Petite danseuse de quatorze ans présentée par l’artiste comme un parfait exemple de dangereuse dégénérée.
L’art interroge, met à distance, sublime. Mais ne fait pas écran au fond. On n’oubliera pas non plus la "Justitia" ni le "Ecce, le Pendu", bouleversants dessins à l’encre de Victor Hugo, ni cette porte de prison gravée dans les derniers instants du condamné, tout comme cette fameuse guillotine de noir habillée. L’immense Robert Badinter – l’initiateur de Crime et châtiment – et Jean Clair – son talentueux commissaire, à qui l’on devait la magnifique Mélancolie au Grand-Palais – y tenaient. Ils ont cherché cette machine infernale avec une opiniâtreté égale à celle qu’ils ont dû déployer pour faire accepter leur exposition. On rêverait de pouvoir y trouver un point final : hélas comme la chaise électrique d’Andy Warhol vient le rappeler, le châtiment suprême dans bien des Etats, y compris parmi les dits modernes, est encore d’actualité.
Crime et châtiment
Un projet de Robert Badinter
Commissariat général Jean Clair, de l’Académie française, conservateur général du patrimoine
Musée d’Orsay
Du mar. au dim. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Jusqu’au 27 juin 2010
Entrée 9,50 € (TR 7 €)
(1) Contrairement à la période inaugurée avec la Révolution et ses exécutions sur la place qui portait son nom, devenue place de la Concorde, de 1939 à la fin des années 1970, les exécutions se sont déplacées à l’ombre des prisons.
Image : Théodore Géricault, Étude de pieds et de mains, 1818-1819, Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération photo Frédéric Jaulmes