Où sommes nous ? Dans un film d’Alain Cavalier ; tourné dans l’appartement d’Alain Cavalier. Que voit-on ? Les mains d’Alain Cavalier servant un repas. Qui tient la caméra ? Vincent Lindon. Qu’est-ce qu’ils font là, tous les deux ? Pour l’instant, ils mangent une assiette d’anti-pasti soigneusement préparée et boivent du vin.
Plus tard, ils poursuivront. Avec d’autres aussi, parfois.
C’est important, ce moment, ce partage. Alain Cavalier qui demande à Vincent Lindon : tu en as assez, je t’en mets un peu plus ? Déjà, un lien se dessine, celui que signe le titre du film : un lien filial, tendre et très fort.
Pendant 1 h 45, on va voir deux hommes qui à la fois jouent à être, l’un président de la République (Cavalier, magnifique) et l’autre son premier ministre (Lindon, impressionnant) et en même temps incarnent ce président et ce premier ministre. Ambiguïté délicieuse qui, loin d’égarer, additionne les bienfaits des deux situations.
Dans l’une, on découvre la complicité de deux artistes cimentée par un projet commun, se passant alternativement la caméra numérique, faisant ensemble du cinéma à faibles moyens et aux très ambitieuses idées.
Dans l’autre, on assiste à la relation respectueuse, amicale, et parfois très dure, entre deux hommes politiques, l’un en fin de parcours, l’autre en pleine ascension. Ce qui les unit ? Un même engagement politique pour une société moins injuste où, "de même qu’il existe un salaire minimum, il existerait un salaire maximum".
Difficile de décrire les sentiments de félicité et de gratitude qui envahissent le spectateur pendant et après le film.
Certainement viennent-ils de cet amour qui se dégage de ces deux êtres et de ces deux personnages ; mais aussi de la clairvoyance d’Alain Cavalier en matière politique (à laquelle se conjugue la vision de Vincent Lindon), qui montre avec une formidable acuité les ressorts de l’engagement dans l’action politique, les ressorts de compétition et les stratégies qu’elle implique. Dans une "sortie" confondante de naturel, Vincent Lindon démontre superbement comment les puissants peuvent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Dans une scène inoubliable, extraordinaire de vérité, de calme et de retenue, les deux hommes et l’un de leur ministre découvrent la photo d’un adversaire en situation compromettante.
En ce sens, ce qu’apporte le film d’Alain Cavalier est un regard qui peut sembler nouveau tant il tranche avec la vision actuelle du politique qui tend à l’assimiler à de la bouillie pour les chats : c’est un regard sur la noblesse de la politique quand elle est choisie pour porter des idées auxquelles on croit. Aux idées qu’il développe, le terme d’humanisme n’est pas étranger ; à la manière de servir, ceux d’intégrité et de dignité ont du sens ; le tout dans un mouvement multiple (politique, personnel, artistique) et totalement sublime de transmission.
Pater
Un film d’Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Durée 1 h 45
Sorti en salles le 22 juin 2011
Photo © Pathé Distribution