L’Alcazar rue Mazarine à Paris, hier cabaret mythique, aujourd’hui élégant restaurant repensé par Terence Conran accueille jusqu’au 5 mars 2012 une courte mais exceptionnelle exposition de photos de Raymond Depardon.
Certes, ce n’est pas toujours pratique de se faufiler entre les tables pour les regarder, mais en y allant entre deux services, le matin ou l’après-midi, le champ y est assez dégagé pour profiter de chacune des 33 photographies.
Exposée pour la première fois hors les murs de l’agence Magnum, le reporter-photographe avait réalisé cette chronique new-yorkaise pour Libération au cours de l’été 1981.
Chaque jour, du 2 juillet au 7 août, il envoyait au journal une photo légendée de sa main. A l’époque, sans internet, il fallait s’organiser pour tirer et envoyer les photos quotidiennement. Sur place, il s’est appuyé sur l’aide logistique de la grande presse new-yorkaise. Quand il arrive dans les bureaux du New-York Times, personne ne connaît évidemment notre Libé français. Un jour il finit par trouver "le seul exemplaire de Libération de la ville" afin de le leur montrer. Mais assez vite, le picture director du journal lui dit qu’il ne peut continuer à travailler dans les bureaux… Le Times magazine prend alors le relais. Il se rend aussi au magazine américain Geo, où il photographie les lavabos des toilettes pour dames devant une grande baie vitrée donnant sur des gratte-ciels. Vertigineux. Le commentaire de Depardon l’est tout autant : "J’ai envie de faire des photos "à la chambre". J’ai envie de faire ma famille dans la Dombes. Je pense à la campagne… ça doit être la moisson maintenant !".
Depuis, on a vu le travail documentaire, les films de Raymond Depardon sur le monde paysan. Mais en 1981, il n’avait pas encore fait un tel "retour" et lire ces lignes écrites à cette époque et à New-York est extrêmement émouvant. Assurément, ces photos s’admirent (elles sont toutes superbes) autant qu’elles se lisent.
En quelques lignes manuscrites, parfois deux, parfois dix, Depardon raconte l’atmosphère new-yorkaise : le 4 juillet, jour de l’Indépendance, il pleut, il n’y a presque personne. Visite de convenance à la Statue de la Liberté (atmosphère fort palpable sur le cliché pris sur le bateau pour s’y rendre).
Il y évoque sa solitude, les longs silences avec ses contacts locaux, car son anglais est bien pauvre. Alors qu’il indique "avoir dès le départ refusé de planifier comme un professionnel ou de visiter comme un touriste" et avoir "laissé les choses se faire au hasard des jours", le travail qu’il rend est remarquable : scènes ordinaires, mais ô combien typiques de New-York, cadrages à tomber, détails qui tuent, personnages qu’on a envie de connaître davantage…
Et toujours ce décalage immense. Il pense au Tchad, il pense à son film à poursuivre, il pense à un autre, qui serait tourné dans le désert, "un film épique, avec des châteaux forts et plein de figurants". En voyant les Unes des journaux locaux titrant sur les faits divers, il réfléchit à la violence, à l’image, au cinéma. Au Guggenheim, il pense au Guernica de Picasso, qui est (alors) encore au MoMA.
Surtout, ce qui revient le plus sous sa plume, c’est le vide, la tristesse de la ville en ce mois d’été, qui le renvoient à son isolement. Sentiment qui atteint son paroxysme sur les lieux de jeux, symboles du néant et de la misère humaine.
Après le 7 août, rentré en France, il retourne à la ferme du Garet de son enfance. Il fait du vélo avec sa petite-nièce, va voir les vaches. Va au cimetière sur la tombe de son père avec sa vieille mère. Ces photos font partie de l’exposition. On est à peine surpris, tellement Depardon est tout cela à la fois, grand reporter partout dans le monde et éternel enfant de sa terre.
« Correspondance New Yorkaise »
Raymond Depardon
L’Alcazar
62, rue Mazarine – 75006 Paris
Tel. : 01 53 10 19 99
Jusqu’au 5 mars 2012
Entrée libre
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