Carl Larsson, L'imagier de la Suède

 

 Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile © Nationalmuseum, Stockholm

Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile
© Nationalmuseum, Stockholm

Quelle découverte merveilleuse ! Carl Larsson (1853-1919), grand peintre suédois, fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective en France. Elle est présentée au Petit Palais à Paris, « en contre-point de l’exposition Paris 1900 » ainsi que le souligne le musée.

Mais attention, si cette dernière exposition, qui rencontre un grand succès est visible jusqu’au 17 août, en revanche celle dédiée à Carl Larsson s’achève dès le 7 juin.

Cent vingt œuvres sont réunies, en majorité des aquarelles, mais aussi des peintures à l’huile, des dessins préparatoires et quelques eaux-fortes. Tout enchante. Carl Larsson, qui fit ses débuts dans la peinture d’histoire et dans l’illustration de presse, manifestant d’emblée un don pour le dessin évident, s’installa en France dès 1877 et pour une bonne dizaine d’années, espérant s’y faire connaître. Il passa quelques temps avec l’école de Barbizon et fréquenta la colonie d’artistes anglo-saxons et scandinaves établie à Grez-sur-Loing près de Fontainebleau. Mais ses espoirs furent déçus : ce n’est pas en France qu’il connut le succès.

 Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

L’exposition s’ouvre avec ces tableaux, peintures à l’huile et surtout aquarelles, exécutés France. Ce sont des scènes d’extérieur montrant des paysans et des potagers, peints d’une main douce et vaporeuse, avec des teintes printanières claires et gaies, que les touches blanches d’une coiffe ou d’un tablier font joliment twister.

Déjà, on remarque le regard respectueux, presque aimant, de ce peintre d’extraction très modeste à l’égard des travailleurs. On admire aussi dès le début le sens de la composition et le cadrage moderne de l’artiste suédois – cadrage qui deviendra de plus en plus audacieux avec le temps. Le superbe Le peintre en plein air réalisé en Suède en témoigne. La perspective de cette scène de neige est construite en douce diagonale, qui permet de montrer le peintre entouré des siens sur le côté, tout près du spectateur, et en même temps la profondeur du paysage si simple et si beau qu’il s’apprête à peindre. Ce que l’on découvre enfin dès ces premières oeuvres est la façon dont Carl Larsson donne vie à tout ce qu’il représente. Il est en cela un illustrateur extraordinaire. Avec lui, on n’est jamais dans la théorie ou la poésie. Les personnages, personnes pour la plupart mais aussi animaux domestiques, sont vibrants de vie. Leurs regards parlent – il n’a pas son pareil pour restituer la naïveté ou l’espièglerie dans les yeux d’un enfant -, leurs corps expriment l’abandon du repos ou l’attention soutenue de l’activité qui les anime. Les portraits, tels l’impressionnant dessin au fusain d’August Strindberg, son vieil ami devenu ennemi, ou celui, ô combien touchant de son menuisier, sont ceux de personnalités qu’il nous semble pouvoir connaître.

 Carl Larsson, "Murre". Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, « Murre ». Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

La suite de l’exposition confirme ces talents, magnifiquement épanouis dans le genre qui lui valu un très grand succès dans son pays et en Allemagne : la peinture d’intérieur. Sur ses aquarelles d’une grande finesse s’étale le bonheur familial du peintre à l’enfance malheureuse, entouré de son épouse, de leurs enfants, de leurs domestiques, sans oublier ni le chien ni le chat. Un film de cette vie-là montré vers la fin du parcours confirme l’ambiance gaie et apaisante des scènes représentées par Carl Larsson. Mièvre ? Pas du tout ! D’abord parce que comme on l’a dit, tout cela regorge de vie, mais aussi parce que les intérieurs – à savoir la maison de campagne de la famille – sont très surprenants. Ce sont des meubles aux couleurs vives (orange, vert, bleu), des murs aux décors plein de fantaisie (et néanmoins très harmonieux), des tissus clairs et modernes, des plantes souples et des fleurs du jardin en veux-tu en voilà… bref, tout sauf les atmosphères bourgeoises confinées voire étouffantes de l’époque.

Il faut dire que Mme Karin Larsson – peintre elle-même avant son mariage – était également dotée d’un grand sens artistique. Elle tissait ses propres tissus, dessinait des meubles (son support à plantes n’est-il pas extra ?), composait de splendides bouquets. Tout cela fait le cadre frais et chaleureux d’une vie domestique calme et joyeuse, si brillamment exécutée que l’on se demande pourquoi la France a boudé – ou tout au moins ignoré –  l’œuvre de Carl Larsson si longtemps.

Carl Larsson, L’imagier de la Suède

Petit Palais

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Tous les jours sauf lundi et jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Entrée : 8€ / 6€ / 4€ (gratuit jusqu’à 13 ans)

Jusqu’au 7 juin 2014

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Le Roi Lear au théâtre de la Ville

Après l’avoir créé au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône) dont il est le directeur, le metteur en scène Christian Schiaretti montre « son » Roi Lear au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’à la fin du mois. Il ne reste qu’une poignée de dates, alors précipitez-vous pour réserver la vôtre car cette production est une réussite totale. Une soirée de plus de trois heures de pur plaisir.

roi-lear

A la base, un texte formidable : la renversante pièce de Shakespeare – drame, humour et poésie tout mêlés – dans la traduction ciselée d’Yves Bonnefoy. Pour le servir, de superbes comédiens, avec une sorte d’OVNI au milieu (on adore quand Schiaretti dit à son propos : « Il est d’un métal inconnu », tant ceci est vrai), dans le rôle-titre : Serge Merlin, 81 ans à ce qu’on dit, un corps frêle et agile comme celui d’un oiseau, une barbe de philosophe grec, des yeux brillants comme l’émeraude et vifs comme l’éclair. Il interprète un Roi Lear des plus humains, aveuglé par son orgueil et d’une susceptibilité sans mesure, qui se comporte comme un vieillard retombant en enfance. La fragilité croissante du roi, de plus en plus démuni – et lucide – au fil de la pièce, Serge Merlin la restitue parfaitement, dans un jeu d’une variété inouïe, de l’être hurlant son ire à travers la lande, mains et regard interpellant les cieux, à la pauvre silhouette qui ne tient debout que par la force de son amour paternel lorsqu’à la fin il retrouve Cordélia.

Princes, filles, chevaliers, fou, sbires : ils sont tous excellents aussi, avec peut-être des coups de cœur tout particuliers pour Pauline Bayle, touchante à point dans le rôle de la pure Cordélia, Vincent Winterhalter dans celui du fidèle Kent, Philippe Duclos, parfait comte de Gloucester ou encore Christophe Maltot dans le rôle de son loyal fils Edgar.

La mise en scène est impressionnante de simplicité et d’efficacité : une scène circulaire ceinturée de murs percés de larges ouvertures, le tout d’un même bois clair, tient lieu d’unique décor. Des costumes d’époque, quelques accessoires et un jeté de terre fraîche complètent ce cadre sobre. Lumières, son et direction d’acteurs font le reste. Quand on doit être à la Cour, on y est (spectaculaires entrées en scène), quand on doit être dans la lande on y est (quel orage !… puis quel clair de lune…). Comme si la duperie sur laquelle est fondée la pièce de Shakespeare fondait aussi la mise en scène. Mais comme il est bon d’y « croire » aussi facilement, de se laisser emporter si loin et aussi longtemps par cette duperie merveilleuse qu’est le théâtre !

Le Roi Lear

de Shakespeare

Mise en scène de Christian Schiaretti, scénographie et accessoires de Fanny Gamet

Théâtre de la Ville

2 place du Châtelet – Paris 4e

Tél. 01 42 74 22 77

Jusqu’au 28 mai 2014

Puis au Bateau Feu, à Dunkerque, les 4, 5 et 6 juin 2014

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Van Gogh – Artaud. Le suicidé de la société. Musée d'Orsay

Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum
Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum

A la veille de l’inauguration d’une rétrospective consacrée à Vincent Van Gogh (1853-1890) présentée au Musée de l’Orangerie à Paris de janvier à mars 1947, le galeriste Pierre Loeb propose à Antonin Artaud (1896-1948) d’écrire un texte sur le peintre hollandais.

D’abord peu emballé, c’est lorsque il découvre dans la presse des extraits du livre du docteur Beer intitulé Un démon de Van Gogh que, fou de rage face au jugement porté par le médecin (et la société) sur la santé mentale de Van Gogh, il écrit, pratiquement d’un jet, Van Gogh, le suicidé de la société. Le texte, dicté à son assistante Paule Thévenin entre le 8 février et le 3 mars 1947, publié la même année, recevra le prix Sainte-Beuve.

L’exposition à voir jusqu’au 6 juillet 2014 au Musée d’Orsay redonne vie à cet essai dans lequel Artaud s’élève contre la médecine psychiatrique, laquelle avec la complicité de la société aurait poussé Van Gogh au suicide, tout en tressant une couronne de lauriers au peintre dont l’œuvre criait « d’insupportables vérités ».

Des extraits du texte servent de fil conducteur au parcours qui réunit une bonne quarantaine de tableaux, des aquarelles et des dessins du peintre, issus pour partie des collections du musée d’Orsay mais aussi de collections muséales et privées internationales.

S’y ajoutent des dessins d’Antonin Artaud et des photographies, principalement de Denise Colomb, ainsi qu’une de Man Ray de 1926 rappelant les liens de l’homme de théâtre avec le groupe des Surréalistes.

«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)
«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)

L’exposition évoque ainsi la personnalité et le parcours d’Artaud : une vie et une œuvre profondément marquées par la maladie mentale (depuis l’enfance), l’enfermement (neuf années en hôpital psychiatrique), mais aussi le théâtre (il fut comédien et créateur de décors scéniques), le dessin (significatif des plus grands tourments et de tentatives de « rassemblement »), et bien sûr l’écriture.

Le lien avec Van Gogh se fait évidemment autour de « la folie » qui était d’ailleurs le motif pour lequel Pierre Loeb, galeriste d’Artaud, lui avait suggéré cet écrit. Ce lien, à travers les extraits du texte, amène et présente les tableaux du peintre suicidé à 37 ans.

Malgré le caractère inédit et l’indéniable intérêt de l’exposition, une autre évidence se fait plus criante : l’œuvre de Van Gogh n’a besoin d’aucun avocat. Les tableaux « écrasent tout » sur leurs cimaises, y compris le texte d’Artaud à certains moments. Couleurs, touches, composition, regard : autoportraits, portraits, paysages et natures mortes ne sont que splendeurs. On redécouvre et découvre cette incroyable peinture et, cruellement, le reste semble presque anecdotique. Il est vrai que les propos d’Artaud, aussi beaux, poétiques et émouvants soient-ils, résonnent comme des adresses faites contre les docteurs autant pour son propre compte (on peut le comprendre, tant il a souffert) que pour celui de Vincent Van Gogh, pourtant sujet de son texte brillant.

Vincent van Gogh / Antonin Artaud. Le suicidé de la société
De 9h30 à 18h les mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche et jusqu’à 21h45 le jeudi
Métro Solférino, RER C, station Musée d’Orsay, bus 24, 63, 68, 69, 73, 83, 84, 94
Entrée 11 euros (tarif réduit 8,50 euros), gratuit le 1er dimanche du mois
Jusqu’au 6 juillet 2014
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Moi, Auguste, empereur de Rome. Grand Palais

Auguste, Camée Blacas, vers 14-20 ap. J.-C. Sardonyx, H. 12,8  l. 9,3 cm, Londres, The British Museum © The British Museum, Londres, Dist. RMN - Grand Palais / The Trustees of the British Museum
Auguste, Camée Blacas, vers 14-20 ap. J.-C. Sardonyx, H. 12,8 l. 9,3 cm, Londres, The British Museum
© The British Museum, Londres, Dist. RMN – Grand Palais / The Trustees of the British Museum

A l’occasion du bimillénaire de la mort d’Auguste, et en association avec le Musée du Louvre, les musées du Capitole et l’Azienda Speciale Palaexpo – Scuderie del Quirinale où elle était présentée cet hiver, les Galeries nationales du Grand Palais organisent une passionnante exposition sur le célèbre empereur romain.

Né en -63, il s’éteint en 14 de notre ère, après plus de quarante ans de règne. Laissant le pouvoir à Tibère, il est divinisé : la dernière statue du parcours, un nu héroïque monumental, témoigne du culte officiel dont il est alors l’objet et dont son épouse Livie est la prêtresse (belle statue de cette dernière également dans cette même salle).

C’est qu’Auguste a fortement marqué de son empreinte la Rome Antique. Jules César – son grand-oncle et père adoptif, qui lui lègue le pouvoir à sa mort – a laissé la capitale de l’Empire en proie à des querelles intestines. Pour venger son assassinat, Auguste, qui est encore Octave, constitue le deuxième triumvirat avec Lépide et Antoine, dix-sept ans après le premier formé par César, Pompée et Crassus. Les premiers pas du parcours rappellent ce contexte et ces moments politiques, autour d’une fresque historique et des portraits sculptés des différents protagonistes.

Pendant dix ans, Octave, Lépide et Antoine se partagent le pouvoir, jusqu’à la célèbre bataille d’Actium en -31 (racontée sur un magnifique ensemble de bas-reliefs), qui voit la défaite navale d’Antoine face à Octave grâce à l’aide de son ami Agrippa, suivie du suicide d’Antoine et de son épouse Cléopâtre.

En -27, Octave est sacré Augustus, c’est-à-dire vénérable, majestueux. Diplomate, il façonne l’Empire romain en le pacifiant, laissant la bride plus ou moins longue selon le contexte des provinces romanisées. Il s’applique à populariser son image, à travers sculptures et pièces de monnaies à son effigie. Autre vecteur de communication efficace : les copies du bouclier d’or (à voir dans l’exposition) décerné par le Sénat lorsqu’il est reconnu Augustus, et sur lequel sont inscrites les qualités du Princeps : vaillance, clémence, sens de la justice, sens du devoir envers les dieux et la patrie.

Relief avec personnification d'une province soumise, début du Ier s., marbre blanc, Naples, Musée archéologique national
Relief avec personnification d’une province soumise, début du Ier s., marbre blanc, Naples, Musée archéologique national

En parallèle, Auguste rénove la ville (ne se vantait-il pas, au sujet de Rome de l’avoir « trouvé de brique et laissé de marbre » ?), fait construire cirque et forum, tout en affichant un train de vie modeste, choisissant un habitat simple sur le mont Palatin. Il autorise le rétablissement du culte des Lares (divinités protectrices des foyers, d’origine étrusque), sans s’oublier pour autant : ainsi, sont réunies des statuettes en bronze de Lares et d’Auguste afin de rappeler que, comme le pater familias protège les siens, l’Empereur protège les citoyens.

Sous son principat, marqué par la paix et traditionnellement désigné comme « Age d’or » par les historiens, c’est également tout un art qui se déploie, dans l’aristocratie romaine mais aussi chez les affranchis et dans les provinces. Sous influence égyptienne et plus encore grecque, l’art romain sous Auguste voit, outre la reproduction (ou la récupération) de statues du siècle de Périclès, la ré-interprétation de cet art et la multiplication des savoir-faire. Les objets présentés, en métal repoussé, en verre, les splendides camées en sont autant de preuves éclatantes. Les motifs de rinceaux végétaux, typiques de l’Ara Pacis se multiplient, en frise sur les édifices publics mais aussi sur les objets d’arts décoratifs, comme on peut voir par exemple sur un beau cratère de marbre blanc qui devait orner quelque jardin aristocratique.

Venues du Louvre, de Naples, de Londres, ou encore de Rome bien sûr, les quelques 300 pièces exposées sont de haut vol et même souvent exceptionnelles. Elles sont mises en valeur au fil d’un parcours clair et didactique qui n’exclut ni les reconstitutions vidéo en trois dimensions ni les bonnes vieilles cartes. Le public est ainsi pris en main de bout en bout pour revisiter agréablement ce moment fort de l’histoire de l’Antiquité romaine que fut l’Empire d’Auguste il y a plus de deux mille ans.

 

Moi, Auguste, empereur de Rome

Galeries nationales du Grand Palais

Entrée Clemenceau, avenue Georges-Clemenceau, Paris 8e

Tous les jours de 10 heures à 20 heures, le mercredi jusqu’à 22 heures

Entrée de 9 € à 13 €, gratuit pour les moins de 16 ans

Jusqu’au 19 juillet 2014

 

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