Le Douanier Rousseau, l’innocence archaïque

rousseau_charmeuse_de_serpentsUn dessin de Giorgio de Chirico montrant Picasso avec trois autres convives dînant sous un tableau du Douanier Rousseau ouvre l’exposition. Ce choix n’a rien de fortuit : Picasso et d’autres modernes tels que Delaunay, Kandinsky, Léger ou encore Morandi ont trouvé dans la création d’Henri Julien Félix Rousseau (1844-1910) une approche plastique nouvelle qui a séduit ceux-là mêmes qui allaient développer une œuvre d’avant-garde.

Au tournant du siècle, le Douanier Rousseau parvient en effet à s’imposer avec un style bien à lui, auquel il est resté fidèle tout au long de sa carrière (qui toutefois ne dura qu’une vingtaine d’années) et qui rend sa peinture immédiatement reconnaissable : un dessin aux contours nets mais souvent « maladroit », avec un affranchissement des lois de la perspective, un goût marqué pour la couleur, une impression de grande fraîcheur.

L’histoire d’Henri Rousseau pourrait évoquer celle d’un peintre du dimanche : ce natif de Laval issu d’une famille modeste, qui s’installe à Paris où il devient commis d’Octroi, commence à peindre en autodidacte à près de 40 ans. Pour toute formation : les conseils de quelques peintres tels que Bourguereau, l’exécution de copies au Louvre, et un travail acharné. C’est ainsi que malgré les moqueries que sa peinture naïve ne manque pas d’attirer, il parvient à exposer régulièrement au Salon des Indépendants à partir de 1886 et à vendre des tableaux, peut-être moins à des collectionneurs (Jean Walter fut l’un d’eux) qu’aux jeunes peintres qui l’admiraient.

rousseau_la_carriole_pere_junierAujourd’hui, le Douanier Rousseau (c’est son ami Alfred Jarry qui l’avait baptisé ainsi) est essentiellement connu pour ses « jungles », grandes compositions mettant en scène des animaux sauvages dans une végétation luxuriante. Celles-ci viennent achever merveilleusement cette belle exposition. Elles donnent d’ailleurs envie de s’y arrêter car elles sont significatives de la perplexité dans laquelle peut plonger l’œuvre du peintre. Car si le choix des sujets peut trouver à s’expliquer (la fascination pour l’exotisme d’un homme qui n’a jamais voyagé et fut marqué par les pavillons de l’Exposition universelle de 1889 et les espèces qu’on pouvait admirer au Jardin des plantes), les expressions recèlent un mystère plus grand.

Les yeux ronds des singes comme tout étonnés ou ceux des fauves dévorant leur proie sont difficiles à déchiffrer, comme le sont les regards des enfants que l’on découvre plus tôt dans le parcours : des expressions si adultes, si mélancoliques, sur ces visages potelés ! Quels sentiments animaient l’âme du Douanier Rousseau, capable de l’auto-portrait le plus « décomplexé », des compositions les plus fantastiques, des paysages les plus poétiques, des portraits de femmes les moins séduisants ?… On aime qu’au-delà d’une apparence naïve tout ne soit pas livré.

rousseau_pecheurs_a_la_ligneLes rapprochements effectués par le Musée d’Orsay et la Fondazione Museil Civici de Venise (où l’exposition fit une première étape l’an dernier) avec des œuvres fort variées au fil des salles thématiques sont souvent parlants bien que parfois surprenants : Picasso, Gauguin, Ernst, Morandi, Bourguereau, Ucello, Carpaccio… Ces rapprochements qui permettent d’éclairer avec davantage de relief l’œuvre du Douanier Rousseau, sont aussi la preuve de son inscription dans une tradition picturale – celle du rejet de l’académisme – et de l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à (re)découvrir ses tableaux, y compris en dehors de ses fascinantes « jungles ».

Musée d’Orsay

62 rue de Lille – Paris 7°

Entrée : 12 euros (TR 9 euros)

Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h45

Jusqu’au 17 juillet 2016

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