C’est grâce aux travaux de réfection du musée Bridgestone de Tokyo que l’on peut voir à Paris, unique étape occidentale de l’exposition, quelques uns des chefs d’œuvre de la fondation Ishibashi. Initiée à partir de la fin des années 1930 par Shojiro Ishibashi (1889-1976), industriel enrichi et ouvert sur l’Occident pendant l’ère Meiji, la collection continuée par ses fils et petit-fils compte aujourd’hui plus de 2 600 pièces.
Organisé en six sections, le parcours commence et finit par des œuvres orientales mais a pour corps essentiel des productions européennes impressionnistes, post impressionnistes et « modernes ».
On débute ainsi avec l’européanisation de l’art nippon au tournant du XX° siècle, occasion d’admirer quelques peintures de l’époque yogâ (1), dont les magnifiques Eventail noir de Fujishima, ou encore les Paradis sous-marin et Présent à la mer de Shigeru Aoki. On termine avec des tableaux abstraits de l’après-guerre mis en parallèle avec des œuvres de Soulages, Hartung, Pollock.
Mais si l’exposition souligne d’abord l’influence de l’art occidental sur la peinture japonaise, l’influence de celle-ci sur les artistes européens n’est ensuite que discrètement évoquée. Elle est pourtant largement connue et parfois criante, au point qu’on en découvre ici de nouveaux reliefs. Face à la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne, aussi bleue que majestueuse, comment ne pas penser aux 36 vues du Mont Fuji de Hokusai, malgré la différence de traitement qui les oppose ? Naturellement, on retrouve aussi les Nymphéas, qui ornaient le pont japonais de la résidence de Giverny de Monet, le pinceau simplifié et les aplats de Matisse et, plus surprenante, une Nature morte à tête de cheval de Gauguin, exécutée une fois n’est pas coutume chez lui dans un style pointilliste et sur fond d’éventail japonais.
Encore qu’ici ne soit pas l’intérêt principal de cette exposition qui annonce la célébration l’année prochaine des 160 ans des relations diplomatiques franco-japonaises. Son attrait réside dans les œuvres elles-mêmes et l’évidence avec laquelle elles cohabitent. A part les chanceux qui ont pu se rende à Tokyo, qui a pu découvrir tout à la fois ce saisissant Saltimbanque aux bras croisés de Picasso, cet autoportrait en pied de Manet, cette divine Toilette de Moreau, cet autoportrait d’un Cézanne vieillissant, dont le regard dissimule la pensée, l’hivernal mais chaleureux Potager au jardin de Maubuisson de Pissaro, le Saint Mammès et Les coteaux de la Celle de Sisley par un matin de juin (quelle lumière !).
On aime aussi le formidable Don Quichotte de Daumier – convaincante incarnation du « héros » de Cervantès se rendant par les montagnes aux noces de Gamaches avec son fidèle Sancho -, la Belle-Ile de Monet baignée de flots turquoise copieusement arrosés, le splendide 07.06.85 de Zaouki de la dernière section, dans lequel on plonge aussi longuement.
Les sculptures ne sont pas en reste et justement valorisées : intraitable Pénélope de Bourdelle, Baiser de Brancusi, Buste de Diego de Giacometti… Comme beaucoup de tableaux, elles aussi témoignent soit d’une pointe de mélancolie soit d’une grande douceur. Et bien souvent les deux se mêlent pour constituer le fil conducteur de ce très bel ensemble.
Tokyo – Paris, Chefs d’œuvre du Bridgestone Museum
Collection Ishibashi Foundation
Jardin des Tuileries – Paris 1er
Jusqu’au 21 août 2017
Cette exposition est organisée par le musée de l’Orangerie et le Bridgestone Museum of Art, Collection Ishibashi Foundation, Tokyo
(1) Peinture yogâ : peinture moderne japonaise de style occidental