Le prix Goncourt 2003 est un portrait de femme, mais au bout des trois cent pages, Maria Eich garde largement ses mystères pour elle. Qu’est-ce qui a décidé vraiment cette jeune actrice à espionner, pour le compte de la Stasi, le dramaturge Bertold Brecht, en devenant sa maîtresse ? Réelle admiration pour le « Maître » ou rachat politique auprès des autorités de la R.D.A. pour avoir eu pour père et pour mari des nazis partis à l’étranger ? Ou peut-être encore pour l’obtention de facilités pour rendre visite à sa fille, à Berlin Ouest ?
De fait Maria fait rapidement partie de la « famille » Brecht, aux côté de l’épouse Hélène et de la maîtresse en titre Ruth Berlau. Ce Brecht vieillissant ne nous est pas présenté sous des traits vraiment sympathiques : il profite de son aura de communiste pour utiliser les moyens que lui donne le nouveau pouvoir et semble vivre dans un petit monde théâtral tout consacré à sa gloire. C’est avec dérision qu’Amette évoque le rôle du dramaturge au moment de la montée de l’Allemagne nazie : « La casquette du rôdeur sur le coin du visage, gueule de voyou, le verbe ardent, Brecht parlait. Brecht pissait sur les braises dans un coin du jardin. Il éteindrait le nazisme comme ces braises, uniquement en ouvrant sa braguette. Voilà le genre de déclaration qu’il aimait faire devant ses femmes».
Du côté de la surveillance politique, on se méfie de lui car il revient des Etats-Unis où il s’était réfugié pendant la guerre. Maria prend autant de photos qu’elle peut des écrits de son amant, rapporte les conversations dont elle est témoin à l’officier de renseignements qui l’a engagée. Un temps elle vit bien son travail : « Quand elle écoutait les merles chanter près de la cuisine, par la fenêtre ouverte, elle se sentait à l’unisson. Eux aussi se dénonçaient les uns les autres, d’une branche à l’autre. (…) L’Histoire, les hommes et les oiseaux se débarrassaient d’un vieux monde pourri en chantant ».
Peu à peu un autre rêve prend forme chez elle, en la personne de Hans, l’officier de la Stasi, et voilà une vraie histoire d’amour qui naît dans cette ambiance de trahison. Mais Jacques-Pierre Amette reste toutefois assez distant par rapport à ses personnages, et la froideur du style est en phase avec l’histoire ratée entre Hans et Maria, qui passent finalement à côté de ce destin qui pouvait les unir, tandis que Brecht voit la fin approcher.
Andreossi
La maîtresse de Brecht. Jacques- Pierre Amette