Pascale Ferran. Lady Chatterley

lady_chatterleyLady Chatterley est un film sur le désir, la découverte de l’autre, la découverte de soi, la transformation, la renaissance. On en sort sous l’emprise d’un charme – qui n’est peut-être autre que le charme de la vie-même – et, longtemps, durable, son empreinte demeure.

Après avoir été conquis par ce film magnifique, on découvre sa réalisatrice, Pascale Ferran. Elle apparaît comme une dame simple, sincère, dont la timidité s’efface derrière la détermination.

Sa voix, singulière, semble venir d’un autre monde, qui n’est pas celui du cinéma. Pourtant, qui mieux qu’elle au cours de ces dernières années a aussi justement parlé du cinéma ?

Que ce soit à l’émission Le Masque et la Plume sur France-Inter, dont les auditeurs ont désigné Lady Chatterley meilleur film français de l’année, ou lors de la soirée de remise des Césars, dont le jury de professionnels a confirmé le choix du – d’un certain – public, Pascale Ferran, après son film, a elle-même séduit.

Avec le numéro du mois de mars, Les cahiers du cinéma offrent à leurs lecteur un petit « Carnet d’une cinéaste » contenant des notes de Pascale Ferrand, des croquis, photos qui ont servi à la préparation et à la réalisation du film.

Tout y est beau, simple, extraordinairement précis, délicat.

Notamment, on peut lire une longue « note d’intention en forme de lettre au futur coscénariste du film ».
La lettre est une telle merveille qu’on ne peut que conseiller de la lire dans son intégralité.
Elle commence par des considérations – passionnantes – purement cinématographiques pour se clôturer sur de très belles réflexions personnelles de la cinéaste. En voici tout de même des extraits.

4. (…) Il me semble de la plus haute importance d’arriver à restituer cinématographiquement l’extraordinaire impression de première fois qui se dégage du livre :
La première fois que cette histoire a été racontée.
La première fois que cet homme et cette femme se sont rencontrés.
La première fois qu’un homme et une femme se sont aimés.
(Il y a quelque chose d’archaïque dans ce projet, de pré-moderne. Je pense tout le temps à Blissfully Yours et aux films de Boris Barnett. Je ne sais pas grand-chose et pourtant j’ai souvent l’impression que c’est un projet pour lequel il me faudrait encore désapprendre).
5. Etre le plus possible dans le présent des choses, dans l’espoir d’arriver à faire venir au premier plan la présence des choses et des gens. C’est évidemment l’un des motifs souterrains du livre (et du film à venir) : le miracle de l’incarnation. L’émerveillement devant la pure présence de l’autre. Mais on n’a pas le droit d’en parler. C’est comme la poésie pour Cocteau.
8.Il n’empêche, c’est un projet fou. La tâche paraît, par moments, écrasante. Mais la beauté du projet tient tout entier dans son étranger paradoxe : l’ambition la plus folle n’est accessible ici qu’au moyen de la plus grande modestie.

Carnet d’un cinéaste. Pascale Ferran, Lady Chatterley
Supplément au dernier numéro des Cahiers du Cinéma (mars, n° 621)
A lire également : le discours de Pascale Ferran lors de la cérémonie des Césars
sur le site du journal Le Monde

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Les Bottin aux sports d'hiver. Jean-Marc Aubry

bottin aux sports d'hiverDans la série « la montagne et nous », voici Les Bottin aux sports d’hiver.

Une fois le matériel acheté – à Paris … – la petite famille commence par passer une journée orange bien foncé sur la route des vacances qui se transformera vite en galère.

A leur arrivée, les Bottin découvrent enfin leur lieu de séjour rêvé ; mais cette station alpine ressemble étrangement au quartier de la Défense…
Nous voici alors embarqués pour une semaine « multi-sports » bien remplie : un cours de ski alpin avec un inénarrable moniteur, une journée de ski de fond avec un autre tout aussi gratiné, une très odorante visite de la fromagerie locale, ou encore, passage désopilant du récit, une inoubliable ballade en chiens de traîneaux apathiques, clôturée par une soporifique soirée diapos.

Avec l’humour qu’on lui connaît, Jean-Marc Aubry passe en revue les péripéties, mille et un tracas, petites et grosses crises qui font le quotidien de cette famille "exemplaire".

Occasion aussi pour l’auteur de brosser d’une plume corrosive le tableau des rapports familiaux (le couple, la fille aînée en pleine puberté …), sans se priver au passage de donner un bon coup de griffe à certains professionnels des sports d’hiver…

Skectches, burlesque de situation, description minutieuse et satirique de scènes et personnages de la vie quotidienne, Jean-Marc Aubry, malgré une écriture un peu trop démonstrative, qui est l’excès du genre, a le chic pour nous faire passer, bien à l’abri des dangers alpins, un joyeux moment de détente.

Là, pour une journée « Chiens de traîneaux », nous avions gagné un Franck. Il y allait avoir probablement beaucoup de soleil, parce qu’il portait un chapeau de cow-boy, type « Stetson » à large bord, ceint d’un bandeau de sioux orné de perles de couleur. Il arborait également un énorme collier sioux sur sa chemise, canadienne bien évidemment, entrevue par le col de sa veste en peau et à frange, au-dessus d’un pantalon en cuir, cousu par sa femme, sioux elle aussi. Aux pieds, des bottes « grand froid », fabriquées par un ami à lui, inuit d’Alaska.
La totale, la panoplie ! Mais même avant d’apprendre de source sûre (et malveillante) que sa femme était originaire de Bécon les Bruyères et son fabricant inuit, nul autre que Le Vieux Campeur rue des Ecoles à Paris, il était trop ce type. Trop tout.
Il avait ce côté ringard des illustrations des années trente pour un roman de Jack London. Même sa barbe, on avait envie de tirer dessus, pour si c’était du vrai, comme dans Tintin.

Les Bottin aux sports d’hiver. Jean-Marc Aubry
Editions Guérin
242 p., 14 €

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Le livre au Grand Siècle. L’art du livre (1/4)

discours de la methodeLe « Grand Siècle » évoque les splendeurs de Versailles, le classicisme français, le siècle de Louis XIV, l’apogée du l’absolutisme.

En revanche, le XVII° siècle est du point de vue de l’art du livre un siècle d’austérité.

Cette période n’a connu en ce qui concerne les métiers du livre aucune innovation technologique importante par rapport l’époque de Gutemberg.
L’esthétique du livre est même en retrait par rapport à la Renaissance.

Raison essentielle : le papier, élément important du prix de revient du livre, et dont la France est alors le premier producteur en Europe, se voit lourdement taxé (à hauteur d’environ 30 %) suite à la décision prise par Richelieu en 1630 pour financer la guerre de 30 ans.
En conséquence, on va rogner sur la qualité du papier.

Par ailleurs, se généralise au XVII° siècle une nouvelle technique de gravure : la gravure en taille-douce, qui se fait sur cuivre et donne un rendu plus fin que la gravure sur bois. Mais elle oblige à recourir à la presse en taille-douce, qui demande plus de temps et d’argent.
Dès lors, l’image se raréfie. On assiste à un « divorce » entre le texte et l’image : d’un côté des livres, d’un autre des estampes.

Ainsi, dans la plupart des livres, l’essentiel des images sera constitué soit d’un frontispice (gravure placée en regard du titre), soit de portraits.

En matière typographique, on se contente d’unifier les caractères mis au point au XVI° siècle, à savoir ceux de Claude Garamond.

A cette époque, l’essentiel de l’innovation a en fait lieu dans les Pays-Bas du Nord (Provinces Unies), où les imprimeurs Hollandais fabriquent – selon un procédé tenu secret – une encre de qualité supérieure, plus brillante, nette, propre.
La famille Elzévir, établie à Leyde et Amsterdam, conçoit en outre des caractères qui seront imités en Belgique et en France.
Mais la nouveauté la plus importante tient à la mise en page : afin d’aérer le texte et respecter l’articulation de la pensée, on introduit des alinéas et des paragraphes.
Le pionnier est René Descartes : il insistera pour que les imprimeurs respectent ses paragraphes ; Le Discours de la méthode sera d’ailleurs édité pour la première fois aux Pays-Bas (image).

« Point zéro » de l’art du livre en France, le XVII° siècle est toutefois l’époque au cours de laquelle l’offre d’imprimés va augmenter de façon spectaculaire : on s’achemine alors vers le « livre populaire ».

Tel est le programme de demain…

Le livre au Grand Siècle. Bibliothèque Nationale de France
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Jean-Dominique Mellot,
Service de l’inventaire rétrospectif
Conférence du 8 mars 2007
Le découpage et le titre sont le choix de Mag

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Anne, ou quand prime le spirituel. Simone de Beauvoir

AnneLorsqu’en 1937 Simone de Beauvoir termine « La primauté du spirituel » – titre qu’elle avait choisi initialement – elle est âgée d’à peine trente ans.

Ce premier roman est refusé par deux éditeurs, ce dont l’auteur ne s’étonne ni se choque.

Le manuscrit ne sera édité qu’en 1979 et à la demande de deux universitaires américains qui souhaitaient publier des inédits de l’écrivain. Simone de Beauvoir réitère alors dans l’avant-propos du livre le sévère jugement qu’elle porte à sa première œuvre : « Gallimard et Grasset refusèrent le manuscrit : non sans raison ».

La publication du roman se fait dans l’indifférence générale.

L’année dernière, Gallimard a eu l’heureuse initiative de le rééditer dans la collection Folio, le rebaptisant Anne, ou quand prime le spirituel.
Il s’agit d’une très bonne surprise.

On retrouve la belle plume de Simone de Beauvoir, mais délicieusement trempée d’ironie.
Utilisant tantôt le journal, tantôt le récit, elle donne une exquise peinture du milieu bourgeois et catholique, de l’éducation qu’on y dispensait dans les années 1920.
Milieu et éducation qui sont ceux que Simone de Beauvoir a connus dans son enfance et sa jeunesse et qu’elle a ensuite pris en horreur.

Le centre du roman, la mort d’Anne, est une référence à celle de son amie d’enfance, Zaza, épisode trouble, disparition qu’elle n’a jamais acceptée.

Le passage du spirituel au « réel » que suit le personnage de Marguerite n’est pas sans rappeler la propre évolution, pour ne pas dire la révolution que Simone de Beauvoir a connue et qu’elle a relatée dans ses mémoires (cf. Mémoires d’une jeune fille rangée et La Force de l’âge).

Le personnage de Chantal Plattard, jeune professeur enseignant dans une petite ville de province après avoir obtenu son agrégation en Sorbonne renvoie également sans complaisance au portrait que l’auteur a fait d’elle-même dans ses jeunes années.

Ainsi voici Chantal dispensant ses bons conseils à ses élèves pratiquement enamourées :

« Je vous dirai que dans ces occasions-là, je ne m’occupe pas de ce qui se passe autour de moi, dit Plattard. Mes collègues c’est pour moi comme si elles n’existaient pas. Vous leur accordez trop d’importance. »

Chantal voit sa vie comme un roman dont elle serait l’héroïne, se berçant de spiritualité et d’illusions, totalement déconnectée du réel.
Ainsi se pâme-t-elle en flânant dans les rues populaires, les trouvant charmantes ; mais quand la pauvre Andrée lui propose de pénétrer dans un de ses bars, elle rejette avec horreur une telle perspective.
Et lorsque la si poétique et belle Monique tombe enceinte : « Cette boue ! » déclare Chantal…

Anne, ou quand prime le spirituel. Simone de Beauvoir
Folio, 2006
(Gallimard, 1979)
357 p., 6,60 €
Très belle préface signée Danièle Sallenave

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Le côté de Guermantes. Albertine, premier baiser

proust2A la moitié du volume Le côté de Guermantes, le troisième de La Recherche, le narrateur évoque pour la première fois un moment amoureux avec une femme, l’une de ces femmes qui l’a longuement obsédé : Albertine.

Cet instant sera précédé de multiples observations, d’ordre visuel, imaginatif ou purement sensuel :

Mais en laissant mon regard glisser sur le beau globe rose de ses joues, dont les surfaces doucement incurvées venaient mourir aux pieds des premiers plissements de ses beaux cheveux noirs qui couraient en chaînes mouvementées, soulevaient leurs contreforts escarpés et modelaient les ondulations de leurs vallées, je dus me dire : « Enfin, n’y ayant pas réussi à Balbec je vais savoir le goût de la rose inconnue que sont les joues d’Albertine. Et puisque les cercles que nous pouvons faire traverser aux choses et aux êtres, pendant le cours de notre existence, ne sont pas bien nombreux, peut-être pourrai-je considérer la mienne comme en quelque manière accomplie, quand, ayant fait sortir de son cadre lointain le visage fleuri que j’avais choisi entre tous, je l’aurai amené dans ce plan nouveau, où j’aurai enfin de lui la connaissance par les lèvres ».

De longues réflexions pour aboutir soudain au constat :

Mais hélas ! – car pour le baiser, nos narines et nos yeux sont aussi mal placés que nos lèvres, mal faites – tout d’un coup, mes yeux cessèrent de voir, à son tour mon nez, s’écrasant, ne perçut plus aucune odeur, et sans connaître pour cela davantage le goût du rose désiré, j’appris, à ces détestables signes, qu’enfin j’étais en train d’embrasser la joue d’Albertine.

Le narrateur en est tout étonné, puisque lors d’une première tentative d’obtenir d’elle un baiser, à Balbec, Albertine s’était vivement refusée.

Ce fut tout le contraire. Déjà, au moment où je l’avais couchée sur mon lit et où j’avais commencé à la caresser, Albertine avait pris un air que je ne lui connaissais pas, de bonne volonté docile, de simplicité presque puérile. Effaçant d’elle toutes préoccupations, toutes prétentions habituelles, le moment qui précède le plaisir, pareil en cela à celui qui suit la mort, avait rendu à ses traits rajeunis comme l’innocence du premier âge. Et sans doute tout être dont le talent est soudain mis en jeu, devient modeste, appliqué et charmant ; surtout si, par ce talent, il sait nous donner un grand plaisir, il en est lui-même heureux, veut nous le donner bien complet.

Très bon week-end à tous.

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Le côté de Guermantes. L'art dans les salons

proust2Dans Le côté de Guermantes, le narrateur est régulièrement reçu dans le monde aristocratique, les meilleurs salons de Paris, dont celui de la duchesse de Guermantes.

Sa découverte de ces milieux « élevés » est pour lui l’occasion d’apprécier les relations parfois nuancées, parfois grotesques que les gens du monde entretiennent avec l’art.

Dans le salon de Madeleine de Villeparisis, dame de haute noblesse mais simple, par ailleurs amie de la grand-mère du narrateur, et peintre à ses heures, M. de Norpois, interrogé sur l’exposition de peintures de Fantin-Latour, livre sans sourciller sa conviction :

– Elles sont de premier ordre et, comme on dit aujourd’hui, d’un beau peintre, d’un des maîtres de la palette, déclara M. de Norpois ; je trouve cependant qu’elles ne peuvent pas soutenir la comparaison avec celles de Mme de Villeparisis où je reconnais mieux le coloris de la fleur.
Même en supposant que la partialité du vieil amant, l’habitude de flatter, les opinions admises dans une coterie, dictassent ces paroles à l’ancien ambassadeur, celles-ci prouvaient pourtant sur quel néant de goût véritable repose le jugement artistique des gens du monde, si arbitraire qu’un rien peut le faire aller aux pires absurdités, sur le chemin desquelles il ne rencontre pour l’arrêter aucune impression véritablement sentie.

Chez Mme de Guermantes, il n’est pas rare qu’un poète soit invité à la fine table. Voici alors comment le déjeuner se déroule :

Mais le repas continuait, les plats étaient enlevés les uns après les autres, non sans fournir à Mme de Guermantes l’occasion de spirituelles plaisanteries ou de fines historiettes. Cependant le poète mangeait toujours sans que duc ou duchesse eussent eu l’air de se rappeler qu’il était poète. Et bientôt, le déjeuner était fini et on se disait adieu, sans avoir dit un mot de poésie, que tout le monde pourtant aimait mais dont, par une réserve analogue à celle dont Swann m’avait donné l’avant-goût, personne ne parlait. Cette réserve était simplement de bon ton. Mais pour le tiers, s’il y réfléchissait un peu, elle avait quelque chose de fort mélancolique, et les repas du milieu Guermantes faisaient alors penser à ces heures que des amoureux timides passent souvent ensemble à parler de banalités jusqu’au moment de se quitter, et sans que, soit timidité, pudeur ou maladresse, le grand secret qu’ils seraient plus heureux d’avouer ait pu jamais passer de leur cœur à leurs lèvres.

Bon week-end à tous.

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Le côté de Guermantes. Albertine, l'après-première fois

proust2Dans Le côté de Guermantes, le narrateur obtient d’Albertine à Paris ce qu’il avait fortement désiré en vain à Balbec.

A cette première étreinte se succèdent des réactions bien différentes.

Albertine :

Elle semblait gênée de se lever tout de suite après ce qu’elle venait de faire, gênée par bienséance, comme Françoise, quand elle avait cru, sans avoir soif, devoir accepter avec une gaîté décente le verre de vin que Jupien lui offrait, n’aurait pas osé partir aussitôt la dernière gorgée bue, quelque devoir impérieux qui l’eût appelée. Albertine – et c’était peut-être, avec une autre que l’on verra plus tard, une des raisons qui m’avaient à mon insu fait la désirer – était une des incarnations de la petite paysanne française dont le modèle est en Pierre à Saint-André-des-Champs. De Françoise, qui devait pourtant bientôt devenir sa mortelle ennemie, je reconnus en elle la courtoisie envers l’hôte et l’étranger, la décence, le respect de la couche.

Quand est-ce que je vous revois ? ajouta-t-elle comme n’admettant pas que ce que nous venions de faire, puisque c’en est d’habitude le couronnement, ne fût pas au moins le prélude d’une amitié plus grande, d’une amitié préexistante et que nous nous devions de découvrir, de confesser, et qui seule pouvait expliquer ce à quoi nous nous étions livrés.

Comme les courtes relations que nous avions eues tout à l’heure ensemble étaient de celles auxquelles conduisent parfois une intimité absolue et un choix du cœur, Albertine avait cru devoir improviser et ajouter momentanément aux baisers que nous avions échangés sur mon lit, le sentiment dont ils eussent été le signe pour un chevalier et sa dame tels que pouvait les concevoir un jongleur gothique.

Quant au narrateur, voici ce que cette nouvelle situation lui inspire :

C’est la terrible tromperie de l’amour qu’il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde extérieur, mais avec une poupée intérieure à notre cerveau, la seule d’ailleurs que nous ayons toujours à notre disposition, la seule que nous posséderons, que l’arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que celui de l’imagination, peut avoir faite aussi différente de la femme réelle que du Balbec réel avait été pour moi le Balbec rêvé ; création factice à laquelle peu à peu, pour notre souffrance, nous forcerons la femme réelle à ressembler.

Très bon week-end à tous.

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La musique du hasard. Paul Auster

la musique du hasardAprès le départ de sa femme, Nashe, âgé d’une trentaine d’années laisse sa fille chez sa sœur, quitte son emploi de pompier et, l’héritage de son père en poche, se met à avaler des kilomètres, le volant d’une routière rouge entre les mains.

Il traverse des Etats et encore des Etats. Dans la transe du voyage il ne fait halte que lorsqu’au bord de sa route apparaît une pauvre silhouette, celle de Jack Pozzi, qu’il prend en affection et désignera vite « gosse ».

Avec lui, pour lui, puisqu’il ne sait que faire de lui-même, il va miser le reste de son héritage au jeu. Les deux personnages vont alors pénétrer dans une maison de milliardaires très étrange.

L’un et l’autre n’en sortiront que pour mourir.

La musique du hasard commence en lignes sympathiques, derrière lesquelles se profile de plus en plus d’inquiétude, jusqu’à ce que la peur, d’abord diffuse, puis de plus en plus présente, imprègne complètement l’atmosphère.
L’imaginaire y joue un grand rôle, mais il est également question de liberté, de choix, et, bien sûr, son symétrique : le hasard … Tout à coup, face à l’inutilité de nos choix, faire celui, ultime, du hasard …

Paul Auster est très impressionnant lorsque il décrit l’ambiance fascisante dans laquelle ses personnages finissent par se trouver, à la merci de deux fous furieux milliardaires et policés, impitoyables et épris de perfection.
Mais qui ne sont que deux parvenus qui ont gagné au loto…

Très beaux passages sur la fuite, l’envie, irrésistible, de partir et, par là-même, de disparaître comme on fait disparaître son passé :

Car en réalité personne là-bas ne s’attendait à le revoir avant deux semaines et, puisqu’il avait tout son temps, pourquoi aurait-il dû rentrer ? C’était une perspective vertigineuse – imaginer toute cette liberté, comprendre à quel point ses choix importaient peu. Il pouvait aller où il voulait, faire ce qui lui plaisait, personne au monde ne s’en soucierait. Aussi longtemps qu’il ne prendrait pas le chemin du retour, il pouvait aussi bien être invisible. (…)
Il ressentait avec une satisfaction profonde la témérité et la violence de ces gestes, mais rien n’égalait le simple plaisir de jeter (…) Quand il avait commencé le lendemain après-midi à considérer ses propres possessions, Nashe s’était conduit avec la même brutale intransigeance, traitant son passé comme bric-à-brac bon mettre au rebut.

Les relations père/fils sont également très présentes. Jack Pozzi raconte son enfance à Nashe, décrit l’absence de son père, qu’il n’a vu qu’à de rares occasions. Il reconstitue les pensées qui étaient les siennes lorsqu’il était enfant :

Il pourrait au moins m’écrire. Au lieu de râler, je commence à inventer des histoires pour expliquer pourquoi il se manifeste pas. J’imagine, merde, j’imagine que c’est une espèce de James Bond, un de ces agents secrets qui travaillent pour le gouvernement et qu’il peut pas prendre le risque de se faire reconnaître en venant me voir (…) Bon Dieu, quel foutu imbécile je devais être pour imaginer ça.
– Fallait bien que tu inventes quelque chose. Le vide est inconcevable. L’esprit s’y refuse.

Après avoir écouté l’histoire de Pozzi, Nashe pense à sa propre enfance :

Du moment qu’un homme commence à se reconnaître dans un autre, il ne peut plus considérer cet autre comme un étranger.

La musique du hasard Paul Auster
Babel (Actes Sud), 1991/2005
320 p., 8,50 €

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Triomphe du temps. Quatre contes. Pascal Quignard

triomphe du tempsLes contes s’enchaînent sans aucune frontière matérielle.

La première phrase est « Dans chaque maison, tout recoin a ses larmes ».

Le conteur dit l’histoire d’un homme qui tomba amoureux de la fille de son meilleur ami – La jeune fille elle-même peu à peu s’enflamma d’amour pour cet homme qui l’aimait avec tant de passion. Elle n’y eut aucun mal : son père l’admirait tellement -, l’épousa, lui fit un enfant, la quitta dès que sa mère arriva, la retrouva trente et un an après, et ne la quitta plus.

Dans un autre, Virgile depuis le monde des morts visite Jean Racine enfant qui étudie avec son percepteur Hamon, lequel s’endort au coin de la table, puis se permet de gronder l’enfant.

Nous sommes si peu nombreux à être morts, reprit Virgile. Ce ne serait pas une bonne chose que ce secret fût éventé. Je pense que cela assombrirait les jours de ceux qui vous entourent.
– Je n’éventerai pas votre secret, dit l’enfant. De toute façon, l’éventerais-je que je doute que je fusse cru.
Virgile était assis devant le feu, sur la pierre chaude de l’âtre.
Il étendit les jambes. Il se frotta le gras des genoux.
Il dit encore :
– Et les vivants sont-ils toujours aussi rares sur la terre?
Je ne saurais dire s’ils vivent ; ils dorment sur le coin des tables, murmura Jean Racine.
Mon enfant, d’une part il faut oublier qu’il y a si peu d’ombre chez les ombres. Et d’autre part il faut avoir en mémoire qu’il n’y a pas beaucoup de vivants chez ceux qui vivent sur toute l’étendue où portent les rayons du soleil.

Puis une femme est battue à mort par son mari pour avoir accueilli un mendiant qui revenait du monde des morts, et lui avoir offert de quoi faire le voyage pour apporter des vêtements chauds à sa mère morte qui craignait le froid.

C’était un temps où on disait Monsieur aux mendiants et où on témoignait du respect pour les morts.
Même, il arrivait qu’on leur fît dire des prières.
Même, on rêvait qu’allongés dans la vie éternelle ils reposent.

Triomphe du temps. Quatre contes. Pascal Quignard
Galilée, collection Lignes Fictives
74 p., 15 €
Août 2006

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Rencontres Cinémas d'Amérique Latine de Toulouse

rencontresLes 19èmes Rencontres Cinémas d’Amérique Latine se dérouleront à Toulouse du vendredi 16 au dimanche 25 mars.

Réunissant professionnels et amateurs, elles mettront en lumière et distingueront des longs métrages inédits en France, des documentaires et des courts-métrages.

Seront ainsi décernés notamment le Grand Prix Coup de Coeur, le Prix Découverte de la critique française de cinéma, le Prix SIGNIS du meilleur documentaire.

Cette année, une rétrospective est consacrée au réalisateur Raoul Ruiz et un hommage est rendu à un autre cinéaste chilien, "disciple" de Ruiz : Cristian Sanchez.

Les projections Noir Brésil mettront à l’honneur les acteurs noirs brésilien, avec un hommage à Lazaro Ramos, le comédien le plus caméléon de sa génération selon un critique de son pays.

Cette fête aux cinémas d’Amérique Latine, qui associe des hauts lieux de l’activité culturelle toulousaine, tels la Cinémathèque de Toulouse, le cinéma ABC, les librairies Terra Nova et Ombres Blanches, l’Instituto Cervantés … sera aussi l’occasion de manifestations autour des cultures sud-américaines : expositions, concerts, rencontres littéraires.

Des Rencontres qui auront lieu au coeur de la ville à plus d’un titre : y participeront activement les étudiants de la ville qui décerneront le Prix Courtoujours, mais aussi tous les toulousains, invités à voter à l’issue de chaque projection pour attribuer le Prix du Public Intramuros à un long métrage de la même section que le Grand Prix.

Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse
Du 16 au 25 mars
Programme complet, catalogue et informations pratiques sur :
cinelatino.com
Profiter d’une visite du site pour découvrir la passionnante et nécessaire entreprise :
Cinéma en construction

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