La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude

publicite_basAvec La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude, le musée de la Publicité met à l’honneur un pan de la création photographique relativement méconnu et considéré généralement comme peu noble.

Le parcours chronologique permet d’embrasser les évolutions de la photographie publicitaire – et d’une certaine manière de la publicité – de sa naissance dans les années 1930 jusqu’à la période actuelle.

190 tirages et divers imprimés (annonces de presse, plaquettes, catalogues …) sont exposés dans un espace aéré et surprenant, aux murs anciens et épurés.

Les premières photos publicitaires étaient exclusivement dédiées aux produits de luxe : noir et blanc superbe, angle de vue et cadrage très étudiés, elles érigeaient l’objet en œuvre d’art.

D’un esthétisme raffiné, elles donnent au visiteur une impression de grande actualité, voire de modernité. Ces photographies publicitaires, signées François Kollar, Maurice Tabard ou encore André Vigneau étaient destinées à des brochures de luxe.

Les publicitaires mettront du temps avant de choisir la photographie pour illustrer leurs affiches.
Ce n’est qu’à partir des années 1950 et 1960, avec la montée en puissance progressive de la consommation de masse, que la photographie, venant alors remplacer l’affiche peinte, est utilisée pour vendre des produits de consommation courante.
Les publicitaires ont recours à un procédé de mise en scène inspiré de la mode américaine : montrer non plus l’objet seul, mais tel qu’il pourra être utilisé par le client potentiel.

La période des années 1970 et 1980 met en évidence les recherches créatives des photographes publicitaires contemporains.
On est ainsi passé de la simple représentation de l’objet ou de la situation à la suggestion d’une idée ou d’une sensation (photos de Claude Ferrand, Guy Bourdin), puis à une stylisation encore plus poussée, avec des photos dont la « patte » de tel ou tel publicitaire est aisément identifiable (Serge Lutens, Jean-Paul Goude).


Coups de cœur de Mag :

Les très belles photos de Jean-Loup Sieff (ci-dessus).
L’affiche publicitaire des années 1950 signée Lucien Lorelle, portant le slogan « Dévorez les livres » et montrant le visage du comédien Gérard Philipe croquant à pleines et belles dents dans un livre déjà bien entamé.

La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude
Musée de la Publicité
107, rue de Rivoli – Paris 1er
Jusqu’au 25 mars 2007
Du mardi au vendredi de 11 h à 18 h
Samedi et dimanche de 10 h à 18 h
Jeudi nocturne jusqu’à 21 h
Billet couplé avec le Musée des Arts Décoratifs : 8 € (TR : 6,50 €)

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Carte blanche à Fabrice Luchini

Luchini afficheAprès un voyage au long cours avec Céline, qui emmenait son public sinon au bout de la nuit, au moins au terme d’une excellente soirée, Fabrice Luchini reprend ses lectures pour une Carte blanche originale.

Ouvrages de Paul Valéry et Roland Barthes en main, porté par sa folle énergie, il ose cette fois des choix plus audacieux.

L’artiste ouvre le spectacle avec un extrait de Tel quel, Le pont de Londres de Valéry et des citations qu’il reprendra plusieurs fois au cours de la soirée :

La plupart des hommes ont une idée si vague de la poésie que ce vague même leur tient lieu de définition de la poésie.

Il n’existe pas d’être capable d’aimer un être tel qu’il est. On demande des modifications.

Puis il poursuit avec un décodage des premières pages des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Le ton est celui du professeur idéal, passionné ; la salle s’accroche.

La brèche est ouverte, le comédien lâche ses livres pour se lancer dans son propre texte.
Point de départ : un article dans Le Nouvel Observateur, dans lequel le célèbre essayiste louait le film d’Eric Rohmer Perceval le Gallois.
Le comédien, qui jouait dans le film, se lance dans une évocation de Perceval : le public est d’abord tout aussi perplexe que l’était la salle lors de la première du film.
Mais très vite Luchini-le pitre sort de sa boîte, se met à mimer et à chanter, pour la plus grande joie des spectateurs, rendus carrément hilares.

Il enchaîne avec le récit de sa mémorable rencontre avec Barthes. Façon plus nuancée qu’il n’y paraît de souligner son portrait : à l’immense déférence se mêle une tendre moquerie.

Le programme annonçait aussi du Flaubert : il y en eut deux lignes ; du Molière : il n’y en eut point.
A la place, une fable de La Fontaine avortée puis une autre littéralement abattue…

Fin de spectacle décevante pour une soirée qui avait plutôt bien commencé.
L’extraordinaire énergie semblait épuisée ; le fou de littérature et de scène, fébrile et pressé d’en finir, avait hâte de renvoyer son public – joliment éveillé – à ses livres…

Carte blanche à Fabrice Luchini
Complet au théâtre Paris-Villette
Reprise au Petit Montparnasse à partir du 20 mars

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Viva, une agence photographique

viva_metroEn janvier 1972, huit photographes (Alain Dabgert, Claude Dityvon, Martine Franck, Hervé Gloaguen, François Hers, Richard Kavlar, Jean Lattes, Guy Le Querrec) se réunissent autour d’un projet imprégné de l’esprit de Mai 1968.

L’idée est de mener, en se démarquant des grandes agences que sont Gamma et Magnum et en prenant du recul par rapport à l’actualité, un travail photographique de fond.

Dans une inspiration de gauche, communautaire, ses fondateurs ne se pensent pas comme de simples photo-journalistes fournisseurs d’images, mais comme des auteurs, animés d’un désir commun de réflexion, de critique sociale et de créativité.

Le positionnement singulier des membres de Viva a tenu leur production photographique à l’écart de la presse, qui publiait alors principalement des images liées à l’actualité internationale ou, pour ce qui concernait la société française, des illustrations beaucoup plus conventionnelles.

Ces images, dont la qualité esthétique pour un grand nombre d’entre elles incontestable, présentent surtout l’intérêt d’offrir un regard sur la société française d’alors ressenti désormais comme simple et réaliste : si l’approche était considérée comme décalée il y a trente ans, le visiteur d’aujourd’hui éprouve face à ces photographies une impression de grande proximité.

Des foins dans les Pyrénées aux usines à charbons en Bretagne en passant par les manifestations Lip à Besançon et les meetings des OS Renault à Paris ; des portraits d’intellectuels et d’artistes (Jean-Paul Sartre en conférence de presse à Libération, Ariane Mouchkine, Michel Foucault) aux photos d’hommes politiques en situation (Alain Krivine au Palais des Sports, François Mitterrand en meeting, ou dans un café à Creil, à une époque où on voit Georges Pompidou en train de jouer au billard dans sa maison de campagne, avant que le président Valéry Giscard d’Estaing ne découvre le métro en 1977), le travail de l’agence Viva souligne une France en pleine mutation économique, sociale et politique.

Au terme d’une aventure qui n’a pas excédé 10 ans, épuisée par les dissensions internes et les difficultés économiques, mais animée de la volonté de saisir sans concession les creux et les reliefs de la France de leur temps, cette poignée de photographes idéalistes nous a laissé un précieux témoignage des années 1970.


Coup de coeur de Mag :

Pour « Familles », le seul projet véritablement collectif qu’ont mené les membres de l’agence : loin de l’image d’Epinal de la famille unie et lisse, il montre des enfants s’égayant en liberté, des pères qui font les clowns, des regards qu’on devine happés par l’écran de télévision, des générations qui ne communiquent plus entre elles et s’ennuient ensemble à table, …
Beau et émouvant reportage mais auquel les média français ne se sont alors pas intéressés, préférant peut-être masquer les pages qu’une partie de la société française était en train de tourner …

Viva,une agence photographique
Jeu de Paume, site Sully
62, rue Saint-Antoine – Paris 4ème
Jusqu’au 9 avril 2007
Catalogue Les Années Viva, 30 €

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Les exilés de la mémoire. Jordi Soler

exilesLorsque Franco s’empare du pouvoir en 1939, Arcadi, artilleur républicain pendant la guerre civile, n’a guère le choix.

Laissant à Barcelone sa femme et sa fille, il préfère passer la frontière, comme 450 000 autres Républicains, plutôt que s’exposer aux représailles du dictateur.
Son coeur vaincu est porté par l’espoir d’être accueilli comme réfugié politique en France et, plus encore, celui de revenir le plus tôt possible dans une République restaurée.

Comment aurait-il pu imaginer ce qui l’attendait de l’autre côté ?
Lors de la retraite des antifranquistes, la Retirada, la plupart des républicains sont directement parqués dans des camps, notamment à Argelès-sur-Mer, où ils se retrouvent prisonniers à même le sable, livrés à des conditions d’existence atroces.

Beaucoup y périront ; Arcadi, au bout de 17 mois, aura la chance de s’en sortir, puis de gagner le Mexique, grâce au gouvernement de Lazaro Cardenas et à l’énergie de son ambassadeur, soucieux, contrairement à la France de Vichy, d’accueillir sur ses terres les réfugiés espagnols.
Arcadi s’installe dans la jungle mexicaine où il fait venir sa famille, retrouve des compatriotes républicains, fonde une prospère compagnie de production de café.

Tel est le récit que Jodi Soler, né au Mexique, nous livre : celui de son grand-père, reconstitué grâce aux souvenirs qu’Arcadi lui a laissé, soigneusement enregistrés sur des bandes, complétés par les témoignages d’autres protagonistes et par ses propres recherches.
A travers le destin particulier d’Arcadi, c’est tout un pan de l’histoire de l’Espagne et de ses victimes que Soler nous fait mieux connaître.
Mais il nous offre aussi, au fil des pages, le récit d’une quête, celle qu’il entreprend, à quarante ans, pour comprendre qui fut le père de sa mère, quelle fut sa guerre, sa perte, son exil ; et peut-être plus encore, ce qu’il a "fait" en définitive de cet exil.
Pour le petit-fils mexicain, il s’agit donc aussi d’une quête des origines.

La recherche et le témoignage de Jordi Soler obéissent aussi à la nécessité, devenue impérieuse, de sortir d’un insupportable oubli le triste sort de nombreux Républicains espagnols, en rappelant aux enfants de l’Espagne d’aujourd’hui l’atroce déchirure que leur pays a connu à la fin des années trente.

Dans Les exilés de la mémoire, il nous livre également une mélancolique méditation sur l’exil. Après la mort de Franco en 1975, Arcadi entreprend avec son épouse un voyage sur la terre natale. L’épisode en dit long :

Les trois mois qu’ils devaient consacrer à ce voyage de retrouvailles finirent par se réduire à quinze jours durant lesquels Arcadi arpenta comme une ombre le territoire de sa vie antérieure. (…) Sa soeur Neus, avec qui il avait parlé au téléphone chaque année en décembre pendant trente-sept ans, était une voix qui ne correspondait absolument pas à cette dame qui effectivement lui ressemblait, mais avec qui, et il venait de le découvrir tout à coup, il n’avait rien en commun. Arcadi avait construit une autre vie de l’autre côté de l’océan, tandis que sa soeur avait purgé sur place, comme elle l’avait pu, plusieurs décennies d’après-guerre. (…) Durant ces quinze jours, Arcadi qui était arrivé à Barcelone en se cherchant lui-même, finit, à force de rencontres brutales ou ratées, par effacer sa trace et par dire à ma grand-mère qu’il voulait rentrer à la maison, que pour lui sa soeur n’était qu’une voix et Barcelone une collection de petits films qui défilaient tous les dimanches sur le mur de la La Portuguesa.

Animée du respect attentif qu’un petit-fils porte au destin de son grand-père, la voix de Soler a la fraîcheur de celui qui découvre ; de l’histoire qui prend forme sous une plume au rythme propre.
D’une écriture riche et simple, sonore et imagée, alliant la concision au sens du détail, Jordi Soler nous offre un bouleversant ouvrage de mémoire, aux multiples échos : le sien, celui de son grand-père, celui de « son pays », mais aussi celui de la France ; et, peut-être, la voix de tous les exilés de la mémoire.

Les exilés de la mémoire. Jordi Soler
Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Editions Belfond, 264 p., 19 €
Les exilés de la mémoire est le premier livre traduit en français de Jordi Soler. Il est auteur de quatre romans, de poèmes et de nouvelles, et collabore à différents journaux.

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A l'ombre des jeunes filles en fleurs. L'adolescence

proust2Dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, le narrateur est fasciné par les jeunes adolescentes dont il fait la connaissance à Balbec (dont, évidemment, Albertine).

Ce bouleversement est pour lui l’occasion d’apprécier avec poésie les charmes de cet âge particulier :

Mais l’adolescence est antérieure à la solidification complète et de là vient qu’on éprouve auprès des jeunes filles ce rafraîchissement que donne le spectacle des formes sans cesse en train de changer, de jouer en une instable opposition qui fait penser à cette perpétuelle récréation des éléments primordiaux de la nature qu’on contemple devant la mer.

Il évoque sa propre adolescence avec radicalité – et peut-être lucidité :

Mais la caractéristique de l’âge ridicule que je traversais – âge nullement ingrat, très fécond – est qu’on n’y consulte pas l’intelligence et que les moindres attributs des êtres semblent faire partie indivisible de leur personnalité. Tout entouré de monstres et de dieux, on ne connaît guère le calme. Il n’y a presque pas un des geste qu’on a faits alors, qu’on ne voudrait plus tard pouvoir abolir. Mais ce qu’on devrait regretter au contraire, c’est de ne plus posséder la spontanéité qui nous les faisait accomplir. Plus tard on voit les choses d’une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose.

Lors de conversations avec son ami le peintre Elstir, le narrateur recueille l’avis éclairé de l’homme mûr sur la jeunesse et ses erreurs, passages obligés vers la sagesse, qui est "un point de vue sur les choses" :

Il n’y a pas d’homme si sage qu’il soit, me dit-il, qui n’ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles ou même mené une vie, dont le souvenir lui soit désagréable et qu’il souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu’il ne peut être assuré d’être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s’il a passé par toutes incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu’il y a des jeunes gens, fils et petits-fils d’hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l’esprit et l’élégance morale dès le collège. Ils n’ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu’ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles, n’ont pas été disposées par le père de famille ou le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d’elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l’image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tout cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c’est selon les lois de la vie, de la vie des ateliers, des coteries artistiques s’il s’agit d’un peintre, extrait quelque chose qui les dépasse.

Bon week-end à tous, et bonne lecture …

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Azul. Oscuro casi negro. Daniel Sanchez Arévalo

azulA Madrid, Jorge est sur le point de terminer ses études.

Ses journées commencent tôt et finissent tard : outre son emploi de gardien d’immeuble, il doit aussi s’occuper de son père handicapé. Celui-ci est en effet cloué dans un fauteuil et n’a plus toute sa tête depuis l’attaque cardiaque qu’il a subie, il y a sept ans, précisément lorsque Jorge a tenté de fuir le domicile familial afin de ne pas finir comme son père … gardien d’immeuble.

Mais Jorge mène cette vie sombre avec dignité, et non sans espoir : son diplôme enfin en poche, il se met en quête d’un travail qui le sortirait des poubelles de l’immeuble et des couches de son père.
Et Natalia, l’amie d’enfance pour qui il en pince depuis des années, revient habiter dans l’immeuble …
Sur ce chemin qui pourrait bientôt s’éclairer, surgit son frère Antonio, libéré de prison ; les retrouvailles sont chaleureuses. Mais il demande à Jorge un service pour le moins délicat : faire un enfant à sa petite amie Paula restée en prison.
Le très sincère Jorge (trop sincère selon une réplique du film) hésite …

Azul est le premier long-métrage de Daniel Sánchez Arévalo ; il n’évite pas quelques maladresses, dont celles de vouloir trop en dire, d’accumuler les scènes et d’opter pour un montage compliqué.
Il aurait pu, par exemple, faire l’économie de l’histoire sur l’homosexualité d’Israël, l’ami de Jorge.
C’est dommage, le film aurait certainement gagné en fluidité et sobriété.
D’autant que ses personnages principaux (notamment Jorge, son père, Paula) sont véritablement incarnés et formidablement bien interprétés, les rapports père/fils joliment dessinés. La relation entre Jorge et Paula sonne juste.
Daniel Sánchez Arévalo a su créer un univers propre, dans un décor de banlieue, loin des images connues de Madrid.
L’ambiance créée par le bleu de la photo n’a rien d’artificiel, en particulier dans les scènes montrant le monde carcéral.

Daniel Sanchez Arévalo fait mouche sur le thème du déterminisme social et réussit un émouvant mélange d’humour et de gravité, d’espoir et de désespoir, qui rend ce premier film très attachant.

Azul. Oscuro Casi Negro
Daniel Sanchez Arévalo
Avec Qim Gutierrez, Marta Etura, Antonio de la Torre, Eva Pallarés …
Durée 1h45
Espagne, 2006
Distribution MK2

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Bernard Guillot. Le Jardin des simples.

guillotBernard Guillot est un photographe de la nature. Son oeil capte la poésie d’un arbre, d’un oiseau, d’une eau tranquille. Il en réalise des tirages en noir et blanc argentiques clairs et éthérés.

Le choix des prises des vues renforce l’impression d’étrangeté, l’artiste privilégiant ce que la nature a gardé de sauvage : les rives des cours d’eaux, des étangs, où les végétaux poussent dans le désordre et forment un écrin flou onirique.

C’est un regard affranchi du présent qu’il nous offre lorsque son objectif gagne les bords de Seine, ou le delta du Nil. Dans les pas des peintres du XIX° siècle, il intitule l’une de ses photos des rives du Nil Déjeuner sur l’herbe (image) ; une autre est prise Chez Monnet à Giverny : un fouillis végétal qui a naturellement sa place dans Le Jardin des simples impressionniste de Bernard Guillot.

Certaines photos sont retravaillées à la gouache ou à l’encre de Chine : le trait ondule, sculpte, évoque le contours des feuilles, accentue le travail de composition photographique pour un rendu à la fois architectural et très libre.

Outre les photos et dessins, la Galerie Frédéric Moisan présente également des peintures a tempera, permettant ainsi au visiteur d’embrasser l’ensemble des techniques explorées par cet artiste singulier.

Le jardin des simples. Bernard Guillot
Galerie Frédéric Moisan
72, rue Mazarine – Paris 6ème
Du mardi au samedi de 11 h à 19 h
Jusqu’au 17 mars 2007
Entrée libre

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Sargent, Sorolla. Peintres de la lumière (1/2)

Lady AgnewJohn Singer Sargent (1856-1925) et Joaquin Sorolla (1863-1923) ont tous deux rencontré le succès de leur vivant mais sont peu connus aujourd’hui.

L’exposition se propose – avec succès – de mettre en avant le travail sur la lumière de ces deux artistes du XIX° siècle post-impressionnisme.

Sargent est né à Florence dans une famille américaine aisée ; il a reçu une éducation toute européenne.

Sorolla, né à Valence en Espagne, vient d’un milieu beaucoup plus modeste.
C’est en Espagne précisément que leurs inspirations se sont croisées, où les deux jeunes artistes ont été très impressionnés par la peinture de Velasquez, admiration très visible dans certaines de leurs oeuvres.
Le Petit-Palais , musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris avait donc plus d’un motif pour effectuer un rapprochement, qui n’a effectivement rien d’artificiel, entre les deux peintres.

Le parcours, à la fois chronologique et thématique, est étayé de commentaires simples et opportuns. L’éclairage des oeuvres, parfois naturel, est particulièrement réussi.

D’emblée, l’oeil est surpris avec les premiers tableaux d’intérieurs et portraits de Sargent : Robert Louis Stevenson et sa femme et Le verre de Porto : on est loin de l’académisme de la scène d’intérieur. Sargent peint ces couples appartenant aux classes sociales élevées avec une audacieuse humanité : sur les deux tableaux, chacun des époux regarde de son côté. Une porte ouverte sépare Stevenson de sa femme, curieuse sensation …

Sargent ne manquera d’ailleurs pas de choquer à Paris : le portrait de Virginie Goutreau Madame X, montrant le modèle les épaules nues dans une pose alors considérée provocante, exposé au Salon en 1884 va susciter un scandale qui le conduira à s’expatrier à Londres l’année suivante.
Cet épisode ne lui aura pas porté malchance, bien au contraire : dans la haute société britannique, il deviendra rapidement le portraitiste le plus demandé de son époque.
Dans ses peintures de groupe et portraits d’apparat, le rapprochement, comme pour Sorolla, avec Les Ménines de Velasquez est évident. Mais ses portraits sont aussi caractérisés par patte qui lui est toute personnelle, celle d’une certaine « verticalité ».
Les visages blancs, les vêtements pourpres ressortent des décors sombres, l’équilibre couleurs/composition est très séduisant.

On retrouve ici un contraste qu’on avait admiré plus avant du parcours : après son séjour en Espagne, Sargent, marqué également par la peinture de Goya, a réalisé des tableaux de scènes typiquement hispaniques montrant qu’il a su réinterpréter l’influence des maîtres qui l’ont inspiré : la magnifique Gitane ou encore La danse espagnole mettent en scène un clair/obscur parfaitement apprivoisé.

Plus personnelles sont ses oeuvres tardives : l’aquarelle autorise un coup de pinceau vif, enlevé, qui capte la lumière et rend la transparence. Avec Venise, il se place au niveau de l’eau pour saisir les gondoliers dans un tableau très vivant, magnifiquement coloré de verts et de bleus. Mêmes teintes et beaucoup de naturel avec Femme turque au bord d’une rivière : les vêtements du modèle étendu se fondent avec l’eau et les végétaux qui l’entourent, pour une impression de repos et de symbiose avec la nature est très réussi.
Preuve que John Singer Sargent a su déployer son talent dans des oeuvres de styles extrêmement différents.

Poursuite de la visite des Peintres de la lumière demain en compagnie de Joaquin Sorolla

Peintres de la lumière. Sargent / Sorolla
Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston-Churchill – Paris 8ème
Jusqu’au 13 mai 2007
Tlj sauf lundi et jours fériés de 10 h à 18 h
Nocturne le mardi jusqu’à 20 h
Tarif 9 € (TR 4,50 € et 6 €)
Catalogue de l’exposition 49 €, Petit Journal 2 €

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Sargent, Sorolla. Peintres de la lumière (suite et fin)

SorollaPoursuite de la visite de l’exposition Sargent et Sorolla au Petit-Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, avec les œuvres de Joaquin Sorolla.

Dès ses premiers tableaux, de grandes peintures réalistes, on mesure le goût évident de l’artiste pour le travail de la lumière.

L’écume, la toile écrue de la voile du bateau gonflée par le vent, celle des chemises, se prêtent merveilleusement bien au jeu de lumière dans Le retour de la pêche. Ou encore dans Le transport du raisin : scène partie à l’ombre, partie au soleil ; l’artiste joue avec les cotonnades claires, avec le vert et le doré du raisin …

Il poussera plus avant cette recherche avec En cousant la voile : dans cette grande composition géométrique, géraniums aux tons verts et roses vifs encadrent une grande voile à terre, autour de laquelle hommes et femmes s’affairent. Sous le reflet du feuillage, l’immense tissu blanc hésite entre ordre et désordre, ombre et plein soleil.

Soleil plus désirable encore lorsque Sorolla se met à peindre des scènes – de loisirs cette fois – au bord de la mer. Les modèles en sont l’épouse et les filles de l’artiste. L’angle photographique semble plus spontané, la peinture prise sur le vif, impressions que renforcent le naturel des fillettes, les couleurs belles et gaies, tout en mauves et dorés.

Bien qu’il s’en défende (« Moi, un peintre du portrait ? » disait-il avec ironie), Sorolla fut également un grand portraitiste.
Le travail d’exposition réalisé par le Petit-Palais permet d’établir une intéressante comparaison avec les portraits de Sargent.
Si l’Américain peignait en « verticalité », les portraits de Sorolla sont au contraire très pulpeux ; les teintes d’ocres et bruns magnifiques, l’angle parfois audacieux (Maria convalescente).
Les visages sont très expressifs, les yeux noirs impriment une présence, les traits « naturels » : visiblement, Sorolla cherchait à montrer « l’humanité » de ses sujets. A cet égard, son Autoportrait, dont le visage ressort avec force d’un éclatant col blanc, a quelque chose de fascinant.

Les oeuvres tardives de l’artiste sont, comme celles de Sargent, les plus personnelles.
Sorolla donne libre cours à son admiration pour les jardins arabo-andalous. Végétation luxuriante et organisée, fontaines, lumière et couleurs naturelles : Sorolla restitue dans ces tableaux l’ambiance calme et tout esthétique des décors hispano-mauresques.

La dernière salle présente des portraits marqués par l’évolution qu’a connue alors la peinture, mais aussi l’expérience et l’audace du peintre ; le cadrage s’enhardit, les détails réalistes l’obsèdent moins.
On sent que Joaquin Sorolla se régale.

Le visiteur aussi ; il est même un peu surpris de prendre autant de plaisir devant les oeuvres de ces peintres de la lumière qu’on avait un peu enterrés, mais tout à fait à tort.

Peintres de la lumière. Sargent / Sorolla
Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston-Churchill – Paris 8ème
Jusqu’au 13 mai 2007
Tlj sauf lundi et jours fériés de 10 h à 18 h
Nocturne le mardi jusqu’à 20 h
Tarif 9 € (TR 4,50 € et 6 €)
Catalogue de l’exposition 49 €, Petit Journal 2 €

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Du côté de chez Swann. Albert Bloch.

proust2Dans Du côté de chez Swann, le narrateur, tout jeune adolescent, devient l’ami d’un camarade plus âgé que lui, Albert Bloch.

Ce jeune bourgeois s’exprime dans un style ampoulé, un véritable jargon en réalité et joue un personnage antique et littéraire ridicule. Il a sur le narrateur beaucoup d’ascendant.

L’évocation de ce personnage est souvent l’occasion de goûter des scènes d’un grand comique.

C’est sur un ton sarcastique qu’il m’avait demandé de l’appeler « cher maître » et qu’il m’appelait lui-même ainsi. Mais en réalité nous prenions un certain plaisir à ce jeu, étant encore rapprochés de l’âge où on croit qu’on crée ce qu’on nomme.

L’admiration du narrateur pour Bloch ne sera guère partagée par sa famille, qui reprochera au jeune homme son manque de simplicité, de sincérité, d’éducation et plus encore ses « transports momentanés, ardents et stériles », jugés néfastes pour leur enfant.

Première visite de Bloch. Interrogé par le père du narrateur au sujet du temps qu’il fait, voici sa réponse :

Monsieur je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier.

Arrivé en retard, il ne trouve rien de plus original à avancer que :

Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps. Je réhabiliterais volontiers l’usage de la pipe d’opium et du kriss malais, mais j’ignore celui de ces instruments infiniment plus pernicieux et d’ailleurs platement bourgeois, la montre et le parapluie.

Mais Bloch jouera un grand rôle dans le développement du jeune narrateur. C’est lui qui lui fera connaître le fameux auteur Bergotte, au détour d’un exposé dans le style « blochéen » néo-homérique le plus pur :

Ils m’ont été signalés à la décharge de ces deux maladrins par un article de mon très cher maître, le père Leconte, agréable aux Dieux immortels. A propos, voici un livre que je n’ai pas le temps de lire en ce moment, qui est recommandé, paraît-il par cet immense bonhomme. Il tient, m’a-t-on dit, l’auteur, le sieur Bergotte, pour un coco des plus subtils ; et bien qu’il fasse preuve, des fois, de mansuétudes assez mal explicables, sa parole est pour moi oracle delphique. Lis donc ces proses lyriques, et si le gigantesque assembleur de rythmes qui a écrit Bhagavat et le Lévrier de Magnus a dit vrai, par Appolon, tu goûteras, cher maître, les joies nectaréennes de l’Olympos.

C’est encore lui qui évoquera les femmes sous un angle suffisamment nouveau et – bien qu’assez faux – particulièrement encourageant pour le jeune adolescent. A cette occasion d’ailleurs, le sort de Bloch est définitivement réglé aux yeux de la famille du narrateur.

Et on l’aurait encore reçu à Combray si, après ce dîner, comme il venait de m’apprendre – nouvelle qui plus tard eu beaucoup d’influence sur ma vie, et la rendit plus heureuse, puis plus malheureuse – que toutes les femmes ne pensaient qu’à l’amour et qu’il n’y en a pas dont on ne pût vaincre les résistances, il ne m’avait assuré avoir entendu dire de la façon la plus certaine que ma grand’tante avait eu une jeunesse orageuse et avait été publiquement entretenue. Je ne puis me tenir de répéter ces propos à mes parents, on le mit à la porte quand il revint et quand je l’abordais ensuite dans la rue, il fut extrêmement froid pour moi.

Bonne lecture et bon week-end à tous …

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