Coma. Pierre Guyotat

coma Pierre Guyotat a reçu le prix Décembre 2006 pour « Coma », texte dans lequel il fait le récit de la dépression qu’il a traversée.

Une perte du désir de vivre, un désamour de soi dans lequel se lit la poésie d’un écrivain confronté à une réalité devenue trop brutale : au delà de la poésie, de l’esthétique, Guyotat nous entraîne dans l’ultra-sensibilité qui l’a fait plonger dans la dépression.

Le texte qu’il nous livre est à l’image de l’épreuve qu’il traverse : violent, radical, douloureux, chaotique, mais tenu par un fil.
Celui de la quête qu’il entreprend pour, dans sa chute vertigineuse, retrouver un peu d’équilibre.

Il décrit cette recherche de façon très physique : sa peur de soi est telle qu’il voudrait ne devenir qu’Autre ; mais il se trouve toujours confronté à son propre contour : son corps.

La veille de l’anesthésie générale, un interne trace au feutre violet, avec désinvolture et maladresse, sur l’arrière de mes jambes, le dessin des incisions. Ce tatouage sur le dessus de ce qui sera le lendemain creusé à l’intérieur entre les muscles et les nerfs, s’il me rappelle à la réalité de l’écriture – où est la plus grande vérité, où est la plus grande beauté, dans les mots qui les suivent en surface comme des détecteurs, ou, dans la profondeur de notre vie intérieure, de notre art intérieur ? – renforce l’humiliation dans laquelle je vis sans vivre, mais sans laquelle on ne peut oser penser.

La reconquête de soi à laquelle il procède trouve sa voie dans l’écriture : une voie qui est ancienne, sienne ; et le terrorise :

Quoique j’aie devant moi la plaine la plus industrieuse et la plus lumineuse et, plus loin, la mer la plus chargée de mythes, la seule réalité, c’est, pour moi, la page où j’écris, plus réelle encore que le monde, les objets, les espaces fermés ou extérieurs, la lumière où je fais bouger mes figures.

Il est de ces lecteurs « sauvages » hors du milieu, pour lesquels les figures qu’on a créées sont des figures réelles et qu’en somme quand nous sautons de rocher en rocher dans l’entrecoupement des voix, ces figures qu’il nomme sont avec nous, même les plus modestes, les plus fugitives des livres (…) Bénédiction et terreur de créer des figures qui seront réelles au lecteur – et au juge.

La peinture guide ma main : toute ma création est dans mon regard intérieur : que cessent les tourments de ma vie et la voici devant moi : toutes les figues figures (1) de la fiction à faire, future, sont là, toutes devant moi avec tous les supports, tous les décors, toutes les lumières, tous les reliefs comme un tableau de la Création, à moi maintenant de les animer, de les faire parler sans en quitter une seule des yeux. Mais comment les faire parler depuis ma gorge muette ?

Le pouvoir de la pensée, celui de la parole, du Verbe, lui apparaissent comme les seuls pouvoirs possibles.
Il nous livre alors, au bout de ce temps long de l’écriture, et au delà de sa simple contemplation du monde, sa véritable captation, lente, son mouvement même, dont jaillit un rythme de vie étrange et beau : la langue de Guyotat, singulière, propre, inventée, d’une infinie poésie.

(1) Coquille initiale laissée apparente afin que le commentaire d’Andreossi conserve toute sa saveur.

Coma de Pierre Guyotat
Prix Décembre 2006
Mercure de France
240 p., 19 €
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A l'ombre des jeunes filles en fleurs – Albertine

proust2Dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, le narrateur part en villégiature à Balbec, sur la côte, avec sa grand-mère.
Il y aperçoit un groupe de jeunes filles sportives et enjouées.
Elles le fascinent, il les attend, les guette ; tombe amoureux d’elles toutes à la fois.
Mais bientôt, l’une d’entre elles l’obsédera tout particulièrement : il s’agit d’Albertine.
Avant que ne débute véritablement cette longue histoire d’amour, il faudra que cette jeune fille, d’abord avec son groupe d’amies, lui soit présentée, par son ami le peintre Elstir.
La description qu’il fait de ce moment est aussi comique qu’universelle.

Je n’en aimais aucune, les aimant toutes, et pourtant leur rencontre possible était pour mes journées le seul élément délicieux, faisait naître en moi de ces espoirs où on briserait tous les obstacles, espoirs souvent suivis de rage.

Si nous pensions que les yeux d’une telle fille ne sont qu’une brillante rondelle de mica, nous ne serions pas avide de connaître et d’unir à nous sa vie. Mais nous sentions que ce qui luit dans ce disque réfléchissant n’est pas dû uniquement à sa composition matérielle, que ce sont, inconnues de nous, les noires ombres des idées que cet être se fait, relativement aux gens et aux lieux qu’il connaît – pelouses des hippodromes, sables des chemins, où pédalant à travers champs et bois, m’eût entraîné cette petite péri, plus séduisante pour moi que celle du paradis persan -, les ombres aussi de la maison où elle va rentrer, des projets qu’elle forme ou qu’on a formés pour elle ; et surtout que c’est elle, avec ses désirs, ses sympathies, ses répulsions, son obscure et incessante volonté. Je savais que je ne posséderais pas cette jeune cycliste, si je ne possédais aussi ce qu’il y avait dans ses yeux.

Et cet atelier paisible avec son horizon rural s’était rempli d’un surcroît délicieux, comme il arrive d’une maison où un enfant se plaisait déjà et où il apprend que, en plus, par générosité qu’ont les belles choses et les nobles gens à accroître indéfiniment leurs dons, se prépare pour lui un magnifique goûter. Elstir me dit qu’elle s’appelait Albertine Simonet et me nomma aussi ses autres amies que je lui décrivis avec assez d’exactitude pour qu’il n’eût guère d’hésitation.

Sentant qu’il était inévitable que la rencontre entre elles et nous se produisit, et qu’Elstir allait m’appeler, je tournai le dos comme un baigneur qui va recevoir la lame ; je m’arrêtai net et, laissant mon illustre compagnon poursuivre son chemin, je restai en arrière penché, comme si j’étais subitement intéressé par la vitrine du marchand d’antiquités devant lequel nous passions en ce moment ; je n’étais pas fâché d’avoir l’air de penser à autre chose qu’à ces filles, et je savais déjà obscurément que, quand Elstir m’appellerait pour me présenter, j’aurais la sorte de regard interrogateur qui décèle non la surprise, mais le désir d’avoir l’air surpris – tant chacun est un mauvais acteur, ou le prochain, un bon physiognomoniste – que j’irais même jusqu’à indiquer ma poitrine avec mon doigt pour demander : « c’est bien moi que vous appelez ? » et accourir vite, la tête courbée par l’obéissance et la docilité, le visage dissimulant froidement l’ennui d’être arraché à la contemplation de vieilles faïences pour être présenté à des personnes que je ne souhaitais pas connaître.

Bonne lecture et bon week-end à tous !

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Une semaine de vacances – Jean-Marc Aubry

randonneeEt si on partait en randonnée ? Une vraie randonnée dans les Alpes, pendant une semaine, avec un accompagnateur ?

Une semaine de vacances ? Peut-être pour vous (quoique …), mais certainement pas pour le guide !

Preuve à l’appui. Jean-Marc Aubry, accompagnateur en montagne, raconte le quotidien de son métier : encadrer une groupe de citadins, en mal de nature et de sport, pendant une semaine.

De la réservation téléphonique jusqu’au moment de la séparation à la gare en fin de séjour, en passant par les nuits au refuge ou sous la tente, ou les gadins dans les nevés, on ne lâchera pas nos randonneurs d’une semelle.

Et pour notre plus grande joie, d’ailleurs, car quiconque a un jour mis le pied en montagne avec une petit groupe, même amical, reconnaîtra beaucoup de situations et de portraits, sinon soi-même …

La plume alerte, parfois facile, souvent habile, toujours efficace, Aubry est doué pour transcrire le vécu ; avec un humour irrésistible, il emmène le lecteur à l’intérieur de la situation.

De son ironie décapante il n’épargne pas le client (donc, potentiellement : nous !), mais on le lui pardonne de bon gré ; lui aussi a son lot d’angoisse et de panique : la responsabilité du groupe pèse parfois bien plus lourd que le sac à dos ! Même avec les « meilleurs » clients d’ailleurs …

Extrait.

« Il y a celle qui a tout fait. La pro. Ou presque pro. Parce que si elle n’a pas fait guide ou accompagnatrice, c’est uniquement pour des raisons obscures ou personnelles. Parce que sinon, vous pensez bien …
Elle a commencé très tôt, passant depuis toujours, vacances et week-ends, été comme hiver, à parcourir les montagnes et le monde. Alpiniste chevronnée, trekkeuse hors normes, skieuse de randonnée de très bon niveau, elle assène tout cela au groupe dans les trois premières minutes où on fait sa (crispante) connaissance.
Son équipement, son matériel sont flambant neufs et de la toute dernière génération, high-tech, à vous faire baver d’envie, vous le pro, avec vos grosses pompes en cuir et votre sac en coton bleu roi.
Invariablement, à un moment ou à un autre du séjour, il faudra bien que quelqu’un lui demande pourquoi elle part avec un accompagnateur (sinon pour le conseiller).
Et invariablement, à un moment ou à un autre du séjour, on comprendra pourquoi.»

Une semaine de vacances
Jean-Marc Aubry
243 p., 13 €
D’autres bonne feuilles sur le site des Editions Guérin

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Gilberte, le premier amour

proust2Dans Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles en fleurs, le narrateur tombe amoureux de la fille de Charles Swann, Gilberte.

Il l’aperçoit pour la première fois à Combray, c’est le coup de foudre.

Il la reverra ensuite régulièrement à Paris, sur les Champs Elysées, où tous les deux vont jouer. Il finit par gagner son amitié, peut-être même son amour.

Mais, souffrant sans relâche, il préfère mettre un terme à sa relation avec Gilberte.

Et ce « deuil » prématuré qu’il s’inflige ne se fait pas aussi facilement qu’il l’aurait voulu …

« Tout à coup, je m’arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s’adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perspectives plus profondes et dispose de notre être tout entier. » (la première fois qu’il aperçoit Gilberte)

« Je revins à la maison. Je venais de vivre le premier janvier des hommes vieux, qui diffèrent ce jour-là des jeunes, non parce qu’on ne leur donne plus d’étrennes, mais parce qu’ils ne croient plus au nouvel an. Des étrennes j’en avais reçu, mais non pas les seules qui m’eussent fait plaisir et qui eussent été un mot de Gilberte. J’étais jeune encore tout de même puisque j’avais pu lui en écrire un par lequel j’espérais, en lui disant les rêves solitaires de ma tendresse, en éveiller de pareils en elle. La tristesse des hommes qui ont vieilli c’est de ne pas même songer à écrire de telles lettres dont ils ont appris l’inefficacité. »

« C’est de même en vue de Gilberte et pour ne pas la quitter que j’avais décidé de ne pas entrer dans les ambassades. Ce n’est jamais qu’à cause d’un état d’esprit qui n’est pas destiné à durer qu’on prend des résolutions définitives. »

« Nous sommes tous obligés, pour rendre la réalité supportable, d’entretenir en nous quelques petites folies. Or mon espérance restait plus intacte – tout en même temps que la séparation s’effectuerait mieux – si je ne rencontrais pas Gilberte. Si je m’étais trouvé face à face avec elle chez sa mère, nous aurions peut-être échangé des paroles irréparables qui eussent rendu définitive notre brouille, tué mon espérance et, d’autre part, en créant une anxiété nouvelle, réveillé mon amour et rendu plus difficile ma résignation. »

« Mais j’étais encore bien loin de cette mort du passé. J’aimais toujours celle qu’il est vrai que je croyais détester. Chaque fois qu’on me trouvait bien coiffé, ayant bonne mine, j’aurais voulu qu’elle fût là. J’étais irrité du désir que beaucoup de gens manifestèrent à cette occasion de me recevoir et chez lesquels je refusais d’aller. Il y eût une scène à la maison parce que je n’accompagnais pas mon père à un dîner officiel où il devait y avoir les Bontemps avec leur nièce Albertine, petite jeune fille presque encore une enfant. Les différentes périodes de notre vie se chevauchent ainsi l’une l’autre. On refuse dédaigneusement, à cause de ce qu’on aime et qui vous sera un jour si égal, de voir ce qui vous est égal aujourd’hui, qu’on aimera demain, qu’on aurait peut-être pu, si on avait consenti à le voir, aimer plus tôt, et qui eût ainsi abrégé vos souffrances actuelles, pour les remplacer, il est vrai, par d’autres. ».

Où la petite Albertine est évoquée pour la première fois … à suivre.

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Aux origines du livre, conférence à la BNF

minidanseDépart pour un lointain voyage avec une conservatrice de la Bibliothèque nationale de France … C’était mardi dernier, et il y en aura d’autres …

Attention ! avertit d’emblée Annie Berthier, l’histoire du livre n’est pas celle de l’écriture : point de livre sans support répondant à des critères précis.
Mais tout le monde est d’accord : il a bien fallu commencer par l’écriture avant d’inventer le livre.

L’écriture est née en Mésopotamie et en Egypte autour de 3300/3200 av. J.-C.
C’est alors l’un des éléments d’une série d’innovations majeures, au nombre desquelles la sédentarisation, le développement des villes, de l’architecture, etc. : le début de la civilisation historique.

L’histoire du livre – on y arrive – c’est ensuite et surtout celle du support du livre. A cet égard, l’invention du livre est caractérisée par des invariants. Le premier est que, pour fabriquer un livre, on se sert de ce qu’on a autour de soi.
Dans le bassin méditerranéen, ce sera le papyrus, fait avec la moelle du roseau aquatique du même nom.
Certes, on a pu d’abord graver sur des stèles. Mais une stèle gravée n’est pas un livre : on ne peut pas la porter !

C’est quoi, alors, un livre ? Un livre (en grec, on dira biblion, en latin liber), c’est : un assemblage portatif d’éléments présentant une surface plane sur laquelle il peut être écrit de façon durable.

Le texte était d’abord écrit sur des tablettes recouvertes de cire, sur lesquelles on gravait à l’aide d’un stylet. Il était ensuite recopié à l’encre sur le papyrus.
Le livre a eu ainsi d’abord la forme du rouleau.
Le parchemin , peau d’animal dépilée et effleurée, est arrivé très tôt aussi, à Pergame (d’où l’origine du nom). On a tendance à croire que le parchemin a remplacé le papyrus. En réalité, les deux ont coexisté pendant très longtemps.
La forme a ensuite évolué. Du rouleau, on est passé au codex : le livre est formé de feuilles pliées et assemblées en un ou plusieurs cahiers cousus et couvert d’une reliure.
C’est la forme que nous connaissons aujourd’hui.

Si le papyrus, le livre et la bibliothèque – avec la célèbre Bibliothèque d’Alexandrie qui en –50 contenait 700 000 volumes – viennent du Proche-Orient, le papier est en revanche un apport de l’Orient : la Chine a inventé le papier au X° siècle avant J.-C., et l’a utilisé dès le Ier siècle de notre ère. De ce point de vue, « l’avance » de l’Orient est énorme : en Occident, au Moyen-Age, on en était encore au parchemin…


La question de Mag :

Le support est-il important ? François Weyergans a fait cette sage réponse à un journaliste qui lui demandait avec affolement son avis sur le « livre électronique »:
« On a lu sur des parchemins, on a lu sur des peaux de chèvres, on pourra bien lire sur un livre électronique. Personnellement, je préfère le papier, mais je ne vais pas imposer mon amour du papier à la terre entière. Ce qui compte, ce n’est pas sur quoi on lit, c’est ce qui se passe dans la tête du lecteur au moment où il lit. »

Oui. Mais si on s’est mis au papier avec tellement de retard, peut-être peut-on profiter encore un peu de sa douceur … et laisser aux Chinois la primeur du livre électronique ?

Tous les renseignements sur les conférences sont sur le site de la BNF

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L'histoire de l'amour – Nicole Krauss

histoiredelamourA New-York, Léo, vieil immigré juif de Pologne, vit seul dans son appartement exigu.
Il pense à son passé, douloureux, à ses années cachées pendant la guerre ; à son amour de jeunesse, définitivement perdu ; mais aussi à son fils, Isaac, écrivain célèbre, qu’il n’a pas connu.

Réchauffé de la seule amitié de son ami d’enfance, Bruno, il attend la mort arriver, tour à tour animé d’angoisse puis de résignation.
Certains jours il veut être vu, remarqué, exister : vivre encore un peu de cette vie ratée.

Alma a quatorze ans. Son père était son idole ; il est mort il y a plusieurs années. Sa mère continue à vivre sans son mari comme elle peut, traduisant des livres ; aimant ses enfants ; les élevant à sa façon.
Alma a donc du temps : pour penser ; regarder le monde ; aimer, son petit frère si différent des autres petits garçons, et aimer, aussi, un jeune homme de son âge.

Ces deux être si différents, le vieillard et la jeune fille, qui ne se connaissent pas, racontent tour à tour leurs doutes, leur désespoir, leurs luttes. Solitaires, les mains vides, ils regardent ceux qui les entourent et le monde ; et l’interrogent à leur façon. Ils plongent dans leurs souvenirs et, loin d’être résignés, cherchent au présent quelque chose de ce passé qui pourrait les aider, ou aider ceux qu’ils aiment.

Au milieu de ces deux histoires, il y a ce livre que la mère d’Alma traduit de l’espagnol L’histoire de l’amour

Par la voix de chacun des deux personnages, puis celle du frère d’Alma, le si attachant petit Bird, Nicole Krauss conte de magnifiques et poignantes histoires d’amour, dont le lien qui se dessine peu à peu au fil des pages est celui d’un livre dont le titre est …

La mort, les amours fous de la jeunesse dont il ne reste que le souvenir, les déchirures dont on ne peut guérir, la perte d’un père, l’absence d’un fils : dans ces douleurs, ce sont peut-être les mots qu’on n’a pas dits, les instants loupés, qui pèsent le plus.

Le roman de Nicole Krauss, à l’écriture fluide, directe, enlevée et poétique est un hymne à la littérature, qui nous donne à croire qu’elle peut sauver quelque chose du temps perdu, des manques, de l’absence, de tous ces moments qu’on pas vécus.

« Une seule fois quelqu’un était mort dans mes bras. (…) Son corps était tordu et convulsé. Je l’ai prise dans mes bras. Je crois que je peux dire qu’il n’y avait aucun doute, dans son esprit comme dans le mien, sur ce qui allait se passer. Elle avait un enfant. je le savais parce que je l’avais vu un jour en visite avec son père. Un petit garçon avec des chaussures vernies et un manteau à boutons dorés. Tout le temps de la visite, il était resté assis à jouer avec une voiture miniature, ignorant sa mère sauf quand elle lui parlait. Sans doute était-il mécontent d’être laissé seul avec son père pendant si longtemps. Lorsque j’ai regardé le visage de la femme, c’est à lui que j’ai pensé, au garçon qui allait grandir sans savoir comment se pardonner. J’ai senti un certain soulagement, une certaine fierté, de la supériorité même, à accomplir une tâche qu’il ne pouvait pas accomplir. Et ensuite, moins d’un un plus tard, ce fils dont la mère est morte sans lui, c’était moi. » (Léopold)

L’histoire de l’amour
Nicole Krauss
Gallimard
356 p., 21 €
Second roman de Nicole Krauss, L’histoire de l’amour est son premier livre traduit en français. Elle vit à New-York avec son mari le romancier Jonathan Safran Foer.

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Les sœurs de Prague – Jérôme Garcin

garcinLe roman commence par une cinglante lettre d’insultes bien soignée adressée par une certaine Klara à un « cher petit grand con ».

Le « cher petit grand con » en question, c’est le narrateur. Ecrivain, il mène sa vie d’habitudes à l’abri des passions. Un peu indécis, il est un garçon rangé et propre.

Pourtant, très vite, il va tomber sous la coupe de Klara, agent artistique à l’ambition dévorante, aussi puissante qu’elle est séduisante.
Le roman raconte l’ascension de l’agence de Klara, à laquelle s’est jointe sa soeur Hilda, puis de sa chute vertigineuse, et des « dommages collatéraux » qu’elles feront sur le narrateur…

Dans quel état notre « petit écrivain » sortira-t-il de cet ouragan ? Certainement dévasté, mais ce n’est pas si simple.
N’avoue-t-il pas : « J’ignore ce qui me lie à ce destin brisé et pourquoi il me tient éveillé, alors que j’ai tout abdiqué. Je ne sais pas davantage d’où vient que j’aie le sentiment de lui être redevable. Elle ne m’a pourtant apporté, depuis notre première rencontre, que des déconvenues (…) Mais elle m’a aussi révélé, le voulait-elle seulement, la part la plus noire de mon âme. Elle m’a sauvé du confort, elle a griffé ma bonhomie, elle m’a dessillé. En somme, je lui dois de ne pas m’être assoupi. »

Dans sa façon de décrire par le détail de menus gestes quotidiens, dans sa manière d’installer l’intrigue autour d’une mystérieuse blonde aux yeux verts … il y a du Jean Echenoz dans cette plume-là.
On retrouve vite, toutefois, le pays d’Auge, Stendhal, les chevaux, l’écriture léchée et un peu mélancolique qui signent bien leur auteur, celui de Théâtre intime et de Cavalier seul.

C’est avec un vif plaisir qu’on découvre l’ironie de Jérôme Garcin lorsqu’il croque sans complaisance le petit-bourgeois et l’hypocrisie de certains milieux artistiques.
Mais il y a aussi beaucoup de bonheur à retrouver, au fil des pages, la bienveillance de Jacques Chessex, le génie de Kundera, la légèreté des Demoiselles de Rochefort… et l’irrésistible douceur de certaines journées d’automne.

Les sœurs de Prague
Jérôme Garcin
Gallimard
175 p., 14,50 €
Lire les bonnes feuilles

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Le Musée des Arts décoratifs

lanvinLe Musée des Arts décoratifs a rouvert récemment, après une totale réhabilitation.
Le résultat est très réussi et mérite une bonne visite.

En suivant le parcours chronologique, on embrasse en quelques heures l’évolution des arts décoratifs du Moyen-Age aux années 2000.

L’équipe du musée a fait des choix d’exposition (6 000 pièces sur les 150 000 que comptent les collections), évitant ainsi de surcharger les salles, ce qui accroît la limpidité et le plaisir de la visite.

Toutes les périodes sont bien représentées ; mais, évidemment, une grande place est faite au magnifique dix-huitième siècle, particulièrement fécond.
Certaines salles méritent vraiment une pause : notamment celle consacrée à l’inénarrable style « Rocaille ». Sous le règne de Louis XV, il brise le carcan du style « Grand Siècle » de Louis XIV : tout à coup, les lignes prennent vie, ondulent, on ose l’asymétrie, l’exubérance ; des motifs de fleurs, de coquillages se posent ça et là … Un style un peu chargé mais dont on apprécie la fantaisie, dont on s’amuse à observer les détails.

Au fil du parcours, des « period rooms » donnent une idée de l’ensemble du décor d’une pièce à une époque donnée : de la chambre à coucher d’un aristocrate de la fin du XV° siècle, qui était alors un véritable lieu de vie et de réception, avec lit imposant et coffre sculpté, tapisseries … à l’appartement de Jeanne Lanvin dans les années 20 (photo), tout de soie, stuc, marbre, cristal avec son petit boudoir à vitrines, en passant par le goût néo-renaissance d’une chambre Louis Philippe… que de chemin parcouru !


Les coups de coeur Mag :

Bien sûr, de très belles pièces Art Nouveau et Art Déco.
Mais aussi les Chinoiseries, qui suscitent l’engouement en France sous Louis XVI : d’adorables petits meubles se parent de panneaux de laque, et deviennent de véritables « peintures », la porcelaine est finement décorée de scènes de la vie chinoise ; délicatesse des formes, des motifs, des couleurs … un véritablement ravissement face à ces « petites choses » qu’on ne se lasse pas de détailler.

Musée des Arts décoratifs
107, rue de Rivoli – Paris 1er
Du mardi au vendredi de 11h à 18h
Samedi et dimanche de 10h à 18 h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
M° Palais-Royal, Pyramides, Tuileries
Tarif : 8 € (TR : 6,5 €)

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Autour de 1900 : un ensemble Art nouveau. La donation Rispal

rispalcobra Antonin Rispal fut un passionné à qui les amateurs d’Art Nouveau peuvent dire un grand merci !

Une gratitude qui vaut aussi pour son épouse et sa fille, qui ont fait donation au Musée d’Orsay, deux après sa mort, de 300 pièces de son exceptionnelle collection.

Auvergnat venu en 1945 à Paris où il réussit dans l’hôtellerie, Antonin Rispal (1920-2003) s’éprend d’objets et meubles "style 1900" et commence très vite à les collectionner.

Ainsi, dans les années 1960, il va s’attacher à défendre un Art Nouveau, qui en avait alors bien besoin.

Ce style d’art décoratif, né à la fin du XIX° siècle, associé à la ligne courbe, sinueuse, asymétrique ; à l’emploi de formes organiques ou naturelles et à des structures géométriques, était en effet tombé dans le mépris dès les années 1910.

Pour accueillir la donation, le Musée d’Orsay organise une exceptionnelle exposition.

Le public découvrira ainsi une rare table à ouvrage en marqueterie de Dielh, présentée à l’Exposition universelle de 1878, ornée de petites tortues et sauterelles en bronze ; une cheminée élancée en bois sculptée qui n’est pas sans rappeler les célèbres entrées en fonte du métro parisien dessinées par Guimard, dont on verra, un peu plus loin, un modèle de plaque en plâtre satiné.

On admirera le mobilier de Pérol, aux formes courbes, en acajou orné de cuivre doré, celui de Bugatti, qui allie des formes géométriques et légères à un travail de marqueterie d’os et d’incrustation d’étain, presque d’inspiration andalouse, la vitrine Orchidées de Majorelle, un bureau de dame de Gallé, de magnifiques vases en verre translucide bleu et violet de Jean, aux lignes douces en volutes et corolles…

Dans le dernier espace, consacré au souvenir de Sarah Bernardt, une verrière à quatre panneaux déploie ses couleurs, un très beau lampadaire en métal patiné s’orne de roseaux et libellules…

Une exposition exemplaire des arts décoratifs de style 1900, qui avaient été inspirés par le désir de rompre avec les styles antérieurs, avec un objectif nouveau : rendre les arts décoratifs accessibles à des classes sociales plus étendues…


Le coup de coeur Mag :

Des sculptures de verre, oeuvres de Josette Rispal, fille du collectionneur, émaillent l’exposition. Ainsi, dans le 2ème espace, de surprenantes Fleurs lunaires et Fleurs intérieures sont posées à même le sol en un émouvant bosquet en verre de Murano, aux couleurs bleu, rouge, violet, vert, toutes magnifiques.
Un ensemble floral devant lequel on reste longtemps, fasciné par ce troublant mélange de force et de fragilité, de matière et de poésie, de naturel et de sophistication…
Une vraie découverte.

Musée d’Orsay 1 rue de la Légion d’Honneur Paris 7ème
Jusqu’au 28 janvier, TLJ sauf le lundi, de 9h30 à 18h et le jeudi jusqu’à 21h45
Tarif : 7,50 € (le dimanche : 5,50 €)
Gratuit le 1er dimanche du mois
Catalogue de l’exposition : 60 €
Photo : Presse-papier de Jean Dunand

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Proust : Un amour de Swann

proust&Dans le premier volume de la Recherche, Proust brosse le portrait de Charles Swann, être raffiné, cultivé, discret, reçu dans les milieux les plus élevés.

N’est-il pas celui qui a cette phrase merveilleuse :

"Ce que je reproche aux journaux, c’est de nous faire faire attention tout les jours à des choses insignifiantes, tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a les choses essentielles."

Sa passion pour Odette de Crécy, « cocotte » qui deviendra sa femme, va l’emmener à fréquenter assidûment les mercredi de Mme Verdurin, cercle réunissant quelques artistes, médecins, milieu petit bourgeois où il n’aurait jamais mis les pieds s’il n’avait voulu Odette pour lui tout seul.

Morceaux choisis de cet amour fou.

L’émotion de l’attente :

Et il s’était si bien dédoublé que l’attente de l’instant imminent où il allait se retrouver en face d’elle le secoua d’un de ces sanglots qu’un beau vers ou une triste nouvelle provoquent en nous, non pas quand nous sommes seuls, mais si nous les apprenons à des amis en qui nous nous apercevons comme un autre dont l’émotion probable les attendrit.

L’anxiété et la jalousie:

Il la voyait mais n’osait pas rester de peur de l’irriter en l’ayant l’air d’épier les plaisirs qu’elle prenait avec d’autres et qui – tandis qu’il rentrait solitaire, qu’il allait se coucher anxieux comme je devais l’être moi-même quelques années plus tard les soirs où il viendrait dîner à la maison, à Combray lui semblaient illimités parce qu’il n’en avait pas vu la fin.

L’aveuglement :

Swann comme beaucoup de gens avait l’esprit paresseux et manquait d’invention. Il savait bien comme une vérité générale que la vie des êtres est pleine de contrastes, mais, pour chaque être en particulier, il imaginait toute la part de sa vie qu’il ne connaissait pas comme identique à la partie qu’il connaissait. Il imaginait ce qu’on lui taisait à l’aide de ce qu’on lui disait.

Le désespoir lorsque Odette lève le voile sur ses « quelques » tromperies :

Swann avait envisagé toutes les possibilités. La réalité est donc quelque chose qui n’a aucun rapport avec les possibilités, pas plus qu’un coup de couteau que nous recevons avec les légers mouvements des nuages au dessus de notre tête, puisque ces mots « deux ou trois fois » marquèrent à vif une sorte de croix dans son coeur.

Les grandes lignes des rapports que le narrateur lui-même établira plus tard avec les femmes, notamment Gilberte, la fille de Swann, sont peut-être tracées …

Bon week-end à tous !

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