Pierre Guyotat a reçu le prix Décembre 2006 pour « Coma », texte dans lequel il fait le récit de la dépression qu’il a traversée.
Une perte du désir de vivre, un désamour de soi dans lequel se lit la poésie d’un écrivain confronté à une réalité devenue trop brutale : au delà de la poésie, de l’esthétique, Guyotat nous entraîne dans l’ultra-sensibilité qui l’a fait plonger dans la dépression.
Le texte qu’il nous livre est à l’image de l’épreuve qu’il traverse : violent, radical, douloureux, chaotique, mais tenu par un fil.
Celui de la quête qu’il entreprend pour, dans sa chute vertigineuse, retrouver un peu d’équilibre.
Il décrit cette recherche de façon très physique : sa peur de soi est telle qu’il voudrait ne devenir qu’Autre ; mais il se trouve toujours confronté à son propre contour : son corps.
La veille de l’anesthésie générale, un interne trace au feutre violet, avec désinvolture et maladresse, sur l’arrière de mes jambes, le dessin des incisions. Ce tatouage sur le dessus de ce qui sera le lendemain creusé à l’intérieur entre les muscles et les nerfs, s’il me rappelle à la réalité de l’écriture – où est la plus grande vérité, où est la plus grande beauté, dans les mots qui les suivent en surface comme des détecteurs, ou, dans la profondeur de notre vie intérieure, de notre art intérieur ? – renforce l’humiliation dans laquelle je vis sans vivre, mais sans laquelle on ne peut oser penser.
La reconquête de soi à laquelle il procède trouve sa voie dans l’écriture : une voie qui est ancienne, sienne ; et le terrorise :
Quoique j’aie devant moi la plaine la plus industrieuse et la plus lumineuse et, plus loin, la mer la plus chargée de mythes, la seule réalité, c’est, pour moi, la page où j’écris, plus réelle encore que le monde, les objets, les espaces fermés ou extérieurs, la lumière où je fais bouger mes figures.
Il est de ces lecteurs « sauvages » hors du milieu, pour lesquels les figures qu’on a créées sont des figures réelles et qu’en somme quand nous sautons de rocher en rocher dans l’entrecoupement des voix, ces figures qu’il nomme sont avec nous, même les plus modestes, les plus fugitives des livres (…) Bénédiction et terreur de créer des figures qui seront réelles au lecteur – et au juge.
La peinture guide ma main : toute ma création est dans mon regard intérieur : que cessent les tourments de ma vie et la voici devant moi : toutes les
figuesfigures (1) de la fiction à faire, future, sont là, toutes devant moi avec tous les supports, tous les décors, toutes les lumières, tous les reliefs comme un tableau de la Création, à moi maintenant de les animer, de les faire parler sans en quitter une seule des yeux. Mais comment les faire parler depuis ma gorge muette ?
Le pouvoir de la pensée, celui de la parole, du Verbe, lui apparaissent comme les seuls pouvoirs possibles.
Il nous livre alors, au bout de ce temps long de l’écriture, et au delà de sa simple contemplation du monde, sa véritable captation, lente, son mouvement même, dont jaillit un rythme de vie étrange et beau : la langue de Guyotat, singulière, propre, inventée, d’une infinie poésie.
(1) Coquille initiale laissée apparente afin que le commentaire d’Andreossi conserve toute sa saveur.
Coma de Pierre Guyotat
Prix Décembre 2006
Mercure de France
240 p., 19 €
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