Alice au Pays des Merveilles. Tim Burton

Alice au pays des merveilles, Tim Burton, Johnny Depp

L’univers merveilleux de Lewis Carroll étreint par celui non moins magique de Tim Burton, cela ne pouvait que fonctionner. Le mariage est librement et plutôt bien honoré.
Entraînée par un lapin à gilet loin d’un monde qui l’ennuie à périr, Alice âgée de 19 ans retrouve au pays des merveilles le Chapelier délicieusement fou, la terrifiante Reine rouge et son opportuniste valet, les animaux qui parlent, chat invisible, chenille fumeuse d’opium, chien fidèle…
Alice grandit, rapetisse, grandit à nouveau, jusqu’à ce que la belle Reine blanche la remette à sa taille, pour le plus grand bonheur de notre adorable Chapelier-Depp. Mais elle n’a pas été projetée de l’autre côté du miroir pour conter fleurette, et une mission de haute épée l’attend pour rétablir la justice parmi ces créatures extraordinaires.
Même si les scènes de combat reposent sur des dispositifs vus mille fois, tout le reste régale sa faim : mélange d’images filmées des vrais comédiens et de dessins animés, explosion de couleurs, de clins d’oeil et de jeux avec les mots rafraîchissants, le tout transporte jusqu’à sa fin avec entrain, et bien sûr, puisque c’est à la mode, en trois dimensions… lunettes glissantes sur le nez.

Alice au Pays des Merveilles
Réalisé par Tim Burton
Avec Johnny Depp, Mia Wasikowska , Michael Sheen
Durée 1 h 49

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

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Gainsbourg – (vie héroïque). Joann Sfar

Gainsbourg, Vie héroïque, Joann SfarEn choisissant de faire de Serge Gainsbourg le sujet de son premier long-métrage, le dessinateur Joann Sfar ne s’est pas seulement attaqué à un monument national de la chanson. Il s’est aussi attaqué à un mythe : celui d’un provocateur, qui, dans les années 1980 a mis le feu dans le paysage médiatique.

Parmi les multiples visages de l’Homme à la tête de choux, l’auteur du Chat du rabbin a pris des options judicieuses. Portés par une réalisation inspirée, ses choix donnent un film brillant, singulier, onirique même.

Le début de l’histoire est celle d’un fils d’immigrés russes juifs, harcelé par son père du côté du piano, adoré par sa mère et ses sœurs, caché pendant l’occupation, rejeté par les filles à cause de sa laideur.
La suite est ce que le môme Lucien tirera de tout cela pour devenir Serge Gainsbourg : une star qui dynamite la chanson française, se balade le nez au vent dans sa Rolls-Royce, les plus belles femmes du monde lovées contre lui. Joann Sfar montre comment, pour en arriver là, le bonhomme a été poussé par un formidable élan de vie et surtout un incommensurable désir de plaire.
Il commence à exister par le dessin, puisque, face aux exigences paternelles, il a décidé qu’il n’aimait pas le piano. Et c’est lors d’une séance de dessin à l’Académie de Montparnasse qu’il séduit une femme pour la première fois. Il n’est encore qu’un gamin, mais armé d’une audace, d’une obstination, d’un bagout et d’un talent hors du commun : il la séduit en deux secondes.
Une poignée d’années plus tard, poussé par son démon-ange gardien (c’est toute l’ambiguïté de son double Gainsbourg, la marionnette surgissant à tout moment dans le film), qui lui montre le chemin du succès et de l’argent (faciles), il choisit la chanson. Les femmes sont comme aimantées. Et il fait chanter les plus belles, Gréco, Bardot, Birkin…
Musicien de génie, as de la provocation (mais qui a ses raisons : il faut voir le gamin parler aux policiers lorsqu’il va chercher son étoile jaune pendant la Guerre, puis, des décennies plus tard, balancer un bras d’honneur aux Paras en furie à la fin de sa Marseillaise), le Gainsbourg de Joann Sfarr est aussi un homme blessé et émouvant, qui a aimé follement – magnifiques séquences avec Laetitia Casta en Bardot plus magnétique que jamais -, souffert tout autant, mais toujours gardé une élégance incroyable. Le comédien Eric Elmosnino l’incarne d’une façon presque troublante, en interprétant de surcroît avec une grande justesse certaines des chansons, choisies parmi les meilleures du grand Serge.

Serge Gainsbourg, vie héroïque

Gainsbourg – (vie héroïque)
Joann Sfar
Avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Anna Mouglalis
Durée : 2h10 min

Photos © Universal Pictures International France

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In the Air. Jason Reitman

In the air, Jason Reitman

Décalé, c’est le terme qui convient le mieux à cette "comédie romantique" à l’humour un peu amer et au romantisme tout épisodique…

Ryan mène une vie assez singulière et totalement conforme à ses désirs – ce qui est déjà une preuve de singularité : quand il n’est pas dans un avion, il fait office de "chargé de transition de carrière", à savoir faire le sale boulot des grandes entreprises qui n’ont pas le courage d’annoncer elles-mêmes à leurs salariés leur licenciement. Il s’en acquitte très proprement, et hop, à l’aéroport. Autre activité, les conférences : Ryan explique à des parterres médusés pourquoi et comment il faut se débarrasser de la plupart des choses que l’on possède, nécessairement encombrantes. Similitude entre les deux métiers : des interventions courtes aux quatre coins des Etats-Unis. Pas d’installation, pas d’attachement, mais un point de convergence : the air.

Ainsi, chaque jour ou presque, Ryan œuvre au but de son existence : atteindre un million de miles pour rejoindre le cerce très fermé des quelques voyageurs (moins de dix) les plus chouchoutés des compagnies aériennes. Clooney interprète ce rôle de fidèle de la class affair à merveille : la classe, la classe, et… la classe.

Autonome dans son travail, célibataire bien sûr, conquêtes faciles le soir au bar de l’hôtel, peu de famille (deux sœurs qu’il ne voit guère), Ryan est effectivement peu encombré dans son existence : aérienne à tous points de vue.
Mais… il rencontre une autre grande voyageuse ; elle lui plaît assez. Au travail, on le flanque d’une jeune coéquipière. Et sa jeune sœur se marie.

Évidemment, pas question de raconter la fin, ce serait d’autant plus dommage qu’elle est imprévisible. Une raison de plus de recommander ce film, et pas seulement aux fans de George Clooney, car sous couvert de comédie, Jason Reitman fait passer plein de choses et cette légèreté est sans aucune doute la plus élégante manière de les dire : la dénonciation de la dure réalité économique et, pire encore, le cynisme froid et l’hypocrisie doucereuse de ses acteurs ; le conditionnement des consommateurs qui "volontairement" abandonnent leur liberté de choix au profit des firmes qui octroient points et autres miles ; la déperdition de la rencontre humaine au profit des relations protégées par écran ; le modèle de la cellule familiale hors de laquelle point de salut ; le grand rêve de la moitié idéale…
Tout ça tranquillement, presque gaiement, pour, cerise sur le gâteau, ne délivrer aucune morale en définitive. C’est reposant et même carrément souverain. Décalé comme on aime.

In the Air
Jason Reitman
Avec George Clooney, Anna Kendrick, Jason Bateman
Durée 1 h 50 min

© Paramount Pictures France

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Bright Star. Jane Campion

Bright star, Jane Campion

A 22 ans, il exerce le plus beau métier du monde : poète. A 18 ans, elle réalise de magnifiques robes. Elle en vit ; lui pas. Elle est d’une famille bourgeoise qui l’entoure chaleureusement. Lui n’a que son talent, pas même reconnu, et quelques amis.

1822, nous sommes à Hampstead dans la campagne anglaise près de Londres.
Le poète John Keats (1795-1821) séjourne dans la maison voisine à celle de Fanny Brawne. Avec son ami et protecteur, également poète, Brown, ils passent leurs journées à lire, à écrire, à chercher l’inspiration. Fanny coupe, brode, enrubanne.
La première fois qu’elle rencontre Keats, elle commence par railler son vêtement. Mais très vite, elle se met à lire ses poèmes, à vouloir tout connaître de la poésie. Lui est séduit par l’humour, l’assurance et l’inventivité de Fanny. La passion surgit, irrésistible, entre ces deux êtres que tout oppose si ce n’est l’amour de la beauté et de la poésie.
Mais les obstacles se dressent les uns après les autres, avec Brown qui juge Fanny frivole et craint qu’elle ne détourne son ami de la littérature, l’entourage de Fanny alerté par cette possible mésalliance, enfin et surtout le mal insidieux qui ronge le jeune homme – il en mourra trois ans plus tard : la tuberculose.

De ce drame romantique (et réel), Jane Campion a fait un film superbe, la plus belle histoire d’amour au cinéma depuis Lady Chatterley. Comme dans le film de Pascale Ferran, la nature et le fil des saisons forment un écrin sensuel à la narration. La campagne anglaise, ses fleurs mauves, ses papillons et ses forêts forment autant de tableaux de maître.
Mais Bright Star n’est pas pour autant, loin s’en faut, un film contemplatif. La réalisatrice Néo-Zélandaise cadre de très près ses personnages pour, dans le calme, la bienséance et parfois l’orage, capter l’incandescence de leur amour. Tout n’est que subtilité, échanges de regards, de lettres, conversations, attentions, poésie – les textes de Keats ont toute leur place dans le film et l’irradient sans artifice de leur beauté. Les deux comédiens (Abbie Cornish et Ben Whishaw, tous deux époustouflants) n’échangeront que quelques baisers. Jane Campion les fait brûler autrement, et cette façon-là qui prend mille tournures et autant de gestes poétiques, est certainement la plus brillante.

Bright Star
Jane Campion
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw
Durée 1 h 59 min

Photo © Laurie Sparham

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A Serious Man. Joel et Ethan Coen

A serious man, frères Coen

Nous sommes en 1967 dans une famille juive établie dans le Middle West, quelque part dans une résidence pavillonnaire aux pelouses impeccablement coiffées et à l’uniformité exemplaire. Larry est professeur d’université en attente de titularisation. Avec son épouse Judith il élève ses enfants conformément à la tradition. Il prend aussi en charge son frère autiste en l’hébergeant sous son toit.
Bref, Larry est un homme droit, digne, méritant : un homme sérieux.

Mais voici que les ennuis commencent à pleuvoir et, pire, à s’accumuler : son fils préfère fumer du hasch et écouter Jefferson Airplane plutôt que les cours d’hébreu ; sa fille ne pense qu’à ses shampoings ; son épouse a un amant et entend divorcer ; cet amant n’est autre que son meilleur ami et le convainc avec force mielleries de libérer la maison familiale ; un de ses étudiants l’accuse de corruption, pendant que le voisin empiète sur son terrain… N’en jetez plus, on se demande – et Larry le premier – quand cette série noire va s’arrêter. Mais la poisse le poursuit, alors Larry, qui justement fait tout comme il lui semble devoir le faire, veut comprendre pourquoi le mauvais sort s’acharne sur lui : quelle est la volonté de Dieu en somme ?

Pour trouver la clé, il va rendre visite à trois rabbins : les conversations fumeuses auxquelles on assiste sont de véritables scènes d’anthologie, empreintes d’humour juif, cet humour particulier qui fait davantage sourire que rire, dont le film déborde et qui parfois déroute.
On retrouve la maestria des frères Coen à chaque scène, comme dans la synagogue lors de la bar-mitzvah du fils de Larry, où grâce à des plans fabuleux, le spectateur se retrouve dans la tête du gamin – enivré de marijuana – invité à devenir un homme…
A serious man ne délivre aucune réponse aux questions de Larry et aux nôtres, il se contente de rappeler l’enseignement du rabbin médiéval Rachi : "Reçois avec simplicité tout ce qui arrive". Si le film peut déconcerter, il touche aussi beaucoup, tant il relève d’une démarche autobiographique de la part de Joel et Ethan Coen et apparaît comme la signature qui donne à leur filmographie un autre relief.

A Serious Man
Joel et Ethan Coen
Avec Michael Stuhlbarg, Sari Lennick, Richard Kind
Durée 1 h 45 min

Photo © StudioCanal

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Les herbes folles. Alain Resnais

Les herbes folles, Alain ResnaisQuelle chance de trouver quelques salles qui projettent encore Les herbes folles, le dernier film d’Alain Resnais…
Dès les premiers plans au ras du sol, d’abord quelques herbes échappées du bitume, puis des paires de jambes et de souliers colorés qui trottinent fermement, une bouffée de plaisir envahit le spectateur : il sent bien là que le réalisateur va lui montrer du cinéma, du vrai, inventif et beau. A l’arrivée : un Resnais plus aérien que jamais.

La caméra tourne autour du visage de Sabine Azéma dans la Galerie du Palais-Royal, chevelure rouge sur fond de grille à pointes dorées dans un coin de ciel bleu d’hiver : flamboyant juste comme il faut, premier coup de pinceau de notre Resnais à son héroïne Marguerite, rouge et incandescente, désirable et désirante. Un sac jaune comme un soleil s’élance dans les airs, le sac à main de Marguerite, volé comme dans un courant d’air chaud ascendant : si cet incident, le vol de ce sac n’était pas arrivé, nous dit la voix off d’Edouard Baer, faussement ingénue, toute la suite, évidemment… On se rappelle Smoking / No smoking

Car le rouge portefeuille du sac jaune dérobé finit par arriver, quelques kilomètres plus loin, aux pieds de Georges Palet (ce jeu avec les noms, quel régal), joué par André Dussollier, jeune retraité dont le calme apparent ne masque guère une agitation intérieure des plus troubles… et troublantes. Le voici dans le halo de lumière de la lampe en verre vert de son bureau, prêt à appeler Marguerite nuitamment pour la prévenir, déjà obsédé par deux photos d’identité, un nom et un prénom…
Une drôle d’histoire d’amour est en route, très vite démarrée dans la tête de Georges. Les faits, eux, mettent plus de temps à venir. Tout le monde a le droit de se faire des idées lui écrit Marguerite pour clore l’affaire. Croirez-vous qu’elle s’arrête là ? Gardons à l’esprit l’incandescence de Marguerite ; qui plus est, pas du tout du genre à se laisser consumer…

Autour d’eux, Alain Resnais fait vivre des personnages secondaires tout aussi parfaits ; il les aime autant que les premiers. Des flics (Mathieu Almaric et Michel Vuillermoz) nommés Bernard de Bordeaux et Lucien d’Orange que l’on adore. Une Emmanuelle Devos les deux pieds sur terre qui décolle au premier courant d’air frais entré par la fenêtre de sa voiture. Anne Consigny en épouse plan-plan qui s’abandonne elle aussi à la passion de Georges pour Marguerite.
Il y a au sol et dans le ciel un avion façon Saint-Exupéry de très grande importance aussi ; des fleurs autres que Marguerite, jusque dans les lieux ; des herbes folles et une pelouse tondue de près qui ne trompe personne. Sur la route qui sépare Marguerite et Georges, il y a des feux qui passent au rouge, puis au vert, puis au rouge ; et aussi du cinéma, un film de cinéma dans une salle de cinéma, et un baiser de cinéma avec une musique de cinéma. Il y a… mille choses, les mille reflets de la fantaisie d’Alain Resnais (87 ans) : brillante, colorée, follement réjouissante.

Les herbes folles
Un thriller amoureux d’Alain Resnais
Avec Sabine Azéma, André Dussollier, Anne Consigny, Mathieu Almaric, Emmanuelle Devos…
Durée 1 h 44

Les herbes folles est adapté du roman de Christian Gailly L’incident. Il a reçu le Prix exceptionnel du Jury au dernier festival de Cannes et est nominé dans 4 catégorie pour les César 2010, dont le César du meilleur film.

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Les chats persans. Bahman Ghobadi

Les chats persans

Tant d’énergie, de bonne humeur et de sourires nous feraient presque oublier la tragédie filmée par Bahman Ghobadi, purement et simplement tirée de la réalité iranienne d’aujourd’hui.
La musique, qu’elle soit rock, hip-hop, heavy metal ou rap est interdite par le régime d’Ahmadinejad. La police en barbe a l’oeil sur tout et tous, le voisinage lui prête ses oreilles pour parfaire la surveillance généralisée. Les artistes non autorisés par la censure nationale sont contraints de jouer terrés dans des caves, à l’extérieur de la ville dans des étables, dans des abris de fond de cour, fenêtres calfeutrées par des couvertures. Comment organiser un concert dans ces conditions ? Projet impossible.

Negar et Ashkan, dont le CD circule sous le manteau depuis trois ans, déjà incarcérés, décident sitôt sortis de prison de quitter le pays avec un groupe, pour pouvoir enfin jouer en live. Il faut trouver des musiciens prêts à les suivre ; il faut surtout trouver des faux passeports. Et puis, avant de partir, Negar voudrait faire un petit concert, pour que la famille, les amis, puissent la voir chanter. Au moins une fois.

Ce documentaire-fiction serait totalement déchirant si le film n’était ce qu’il est : pris sur le vif caméra à l’épaule (il a été tourné clandestinement en 17 jours – et nuits) et débordant de naturel, de couleurs et de musiques. Un peu clip, un peu artisanal.
On découvre la variété et l’abondance des groupes et des musiciens qui déjouent la traque du régime, à Téhéran mais aussi dans toutes les grandes villes du pays. On découvre une capitale iranienne underground, où les jeunes, et parfois les moins jeunes se serrent les coudes, blaguent sans cesse, dorlotent chats et chiens interdis de sortie par la loi islamique. Où l’on voit hélas que depuis les années 1980 montrées par Marjane Satrapi dans Persepolis, la situation n’a guère évolué. On voit surtout ce que liberté veut dire quand elle n’existe pas ; et comment une génération assoiffée essaie de l’inventer, patiente, obstinée, mais pleine de l’audace que lui inspire un irrésistible désir d’être et de vivre.

Les chats persans
Une fiction documentaire de Bahman Ghobadi
Avec Negar Shaghaghi, Ashkan Koshanejad, Hamed Behdad
Durée 1 h 41

Lire l’interview de Bahman Ghobadi sur rue89.com

Photo © Memento Films Distribution

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Le père de mes enfants. Mia Hansen-Love

Le père de mes enfants, Mia Hansen-LoveProducteur indépendant à Paris, Grégoire Canvel choisit des films exigeants, le plus souvent refusés par les autres producteurs. Seule la qualité des projets l’intéresse, jeune scénariste inconnu ou réalisateur suédois insupportable.
On le suit dans son métier – et c’est passionnant – toujours entre deux coups de fil, deux cafés, deux cigarettes ou deux excès de vitesse. Mais toujours stoïque et sûr de ses choix. Quand arrive la fin de semaine, il rejoint ses quatre femmes – son épouse et leurs trois filles – à la campagne, où rayonne le bonheur familial. C’est à la fois doux, sur la corde et lumineux. Mais peu à peu, un autre aspect de la réalité fait surface, versant cruel de la production indépendante : le gouffre financier dans lequel Grégoire s’est progressivement enfoncé au fil des années. Il ne voit pas de solution et se résout au pire.
On passe alors dans la seconde partie du film, concentrée sur l’entourage de Grégoire, sa femme en premier lieu, mais aussi l’un de ses amis, lui aussi producteur, et enfin ses filles, les deux petites et Clémence, l’aînée, adolescente silencieuse. La douleur de la perte est traitée avec sobriété, la caméra de Mia Hansen-Love caresse ses personnages, les montrant tour à tour déterminés dans l’action, celle de poursuivre l’entreprise de Grégoire, et bouleversés par ce drame. Avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, loin d’aborder ce sujet en tire-larmes, la réalisatrice fait l’impasse sur la classique scène d’enterrement pour explorer la vie de ses personnages dans cet après, ce flottement, ce temps du deuil mais aussi des questions. Secondaire au début du film, Sylvia l’épouse prend une épaisseur et un relief inattendus. Clémence, la fille aînée, interprétée par Alice de Lencquesaing (la propre fille de Louis-Do de Lencquesaing, qui joue Grégoire) étonnante de maturité et de profondeur, devient le personnage le plus intéressant. Son nom est à retenir, comme celui des autres comédiens, tous très "naturels" (les deux petites, quelles merveilles !), à l’image de ce film plein de sensibilité et de douceur, auquel on croit de bout en bout, inspiré d’une histoire réelle, celle d’Humbert Balsan, producteur qui s’est donné la mort en 2005.

Le père de mes enfants
Un film de Mia Hansen-Love
Avec Chiara Caselli, Louis-Do de Lencquesaing, Alice de Lencquesaing
Durée 1 h 50

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La route. John Hillcoat

film la route de John HillcoatOn était curieux de découvrir l’adaptation cinématographique du livre sobre et fort de Cormac McCarthy, La route, Prix Pulitzer 2007 et très grand succès de librairie des deux côtés de l’Atlantique (lire le billet du 8 avril 2008).

Sensation rare, dès les premières images, les paysages post-apocalyptiques d’arbres calcinés et de cendres correspondent exactement à ceux que l’on imagine en lisant le roman. Même immensité, même désolation, couleurs grisâtres, bruns sales, humidité collante et ciel sans cesse en menaces. On ignore ce qui s’est passé exactement, et surtout pourquoi, mais ce furent des "crêtes en feu, suivies d’éclairs foudroyants", puis le noir, le froid, la disparition de la faune et de la flore, la faim.
Les hommes eux-mêmes se sont presque éteints, ceux qui restent, à l’instar de ce père (joué par Viggo Mortensen, impeccable) et de son fils de dix ans, lancés comme ils peuvent sur la route du Sud, poussant un charriot, épuisés, cherchent minute après minute à se protéger du froid, à se nourrir, et même à échapper aux autres survivants. Nombre d’entre eux sont devenus cannibales, organisant des battues à l’homme et des garde-mangers humains.
On n’en finit pas de frissonner, de se glacer devant cette humanité gagnée par l’horreur, suivant le rythme à la fois lent et tendu de John Hillcoat, celui-là même de l’écriture de McCarthy. Si au passage à l’écran le récit perd un peu de sa force émotionnelle, en particulier dans la scène finale, ici beaucoup moins bouleversante, il n’en demeure pas moins que la réalisation de John Hillcoat, grâce au jeu de ses interprètes, grâce à une puissance impressionnante dans la reconstitution des scènes de traque et de combat, restitue la substantifique moëlle d’une histoire qui nous plonge dans des questions anciennes, essentielles de l’humanité. Et les dialogues entre le père et le fils, très épurés mais beaux et touchants, fournissent une partie des réponses.

La route
Un film de John Hillcoat
Avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Guy Pearce
Durée : 1 h 59

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Vincere. Marco Bellocchio

Bellocchio, Vincere

Fresque de l’histoire politique italienne des années 1910 aux années 1930, Vincere montre l’ascension de Benito Mussolini, jeune homme socialiste et pacifiste de la région de Trente, bien vite devenu belliciste et fasciste. Galvanisant les foules, son charisme mais aussi sa volonté et son opportunisme le mèneront au faîte du pouvoir. Dans l’ombre de cette victoire éclatante, drame pour l’Italie et pour l’Europe, se déroule durant ces mêmes décennies une autre tragédie : celle d’Ida Dalser, jeune femme aussi belle qu’intelligente, folle amoureuse du futur maître de Rome et qui pour lui sacrifia tout, sa fortune, sa vie, son fils.

Si au départ Mussolini est lui aussi des plus passionnés (avec une attraction charnelle très forte), dès le déclenchement de la guerre de 1914, alors qu’Ida est enceinte, il la raye de sa vie et ne veut plus en entendre parler. En 1915, le petit Benito Albino naît, mais Mussolini avait déjà une fille et c’est avec la mère de celle-ci qu’il mènera sa vie conjugale et aura d’autres enfants.
Ida est encore très jeune quand le Duce l’abandonne, mais jamais elle ne détournera les yeux vers un autre homme ; elle aime aveuglément son héros et estime avoir seule sa place auprès de lui. Elle se battra, écrira à toutes les autorités du pays, agira de façon inconsidérée ; elle n’essuiera que brimades, humiliations, jusqu’à l’enfermement psychiatriques, d’elle-même d’abord puis de son fils. Tous deux y mourront, dans la souffrance et l’oubli.

Autant l’histoire est affreuse, autant Marco Bellocchio la filme de façon brillantissime. Comme si rien n’était trop beau, ni de trop, il a toutes les audaces. Il y a de l’opéra, du théâtre, et une musique incroyable (signée Carlo Crivelli) ; des trouvailles à chaque plan, une modulation du rythme, un souffle qui tient jusqu’au bout. Bellocchio convoque la peinture (terrifiante inauguration par le Duce de l’exposition Futuriste en 1917) et surtout le cinéma, au service de la grande Histoire (avec les images d’archives du triomphe du fascisme), mais aussi de l’histoire d’Ida (scène poignante où elle découvre le Kid de Charlie Chaplin au début des années 1920).
Du destin sordide d’Ida Dalser, il fait une tragédie magnifique, la montrant en héroïne sans cesse inspirée et refusant toujours la pitié. Remarquablement dirigée et douée, Giovanna Mezzogiorno tient son rôle au cordeau de bout en bout. Le cinéaste met en scène l’ascension du dictateur en faisant jouer Filippo Tim d’abord, puis par la seule puissance d’images d’archives savamment montées, et enfin (sacrée idée), par le truchement du fils Benito Albino imitant son père (joué par le même Filippo Tim). En parallèle, il dénonce avec non moins d’efficacité et d’inventions l’horreur des institutions psychiatriques de l’époque et la doucereuse complicité de l’Eglise. Mais il sait aussi créer des moments d’une poésie folle, comme cette scène inoubliable où, accrochée aux hautes grilles de l’hôpital, Ida regarde la neige tomber comme sont tombées ses lettres jetées au ciel avec toute la foi et la rage de son amour.

Vincere
Un drame de Marco Bellocchio
Avec Giovanna Mezzogiorno, Filippo Timi, Fausto Russo Alesi
Durée 1 h 58

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