Le concert. Radu Mihaileanu

Film Le concert de Radu MihaileanuLe lancement de l’histoire est un peu celui de Space Cowboys : comment des anciennes gloires mises au rebut vont revenir au tout premier plan et éblouir le public.

Certes, ce n’est pas Clint Eastwood qui tient la caméra, mais le réalisateur du remarqué Va, vis et deviens. Autre différence, les protagonistes sont Russes : des ex étoiles du célèbre Orchestre du Bolchoï virées voici trente ans sous le régime de Brejnev.

Un beau soir, Andreï Filipov, l’ancien chef d’orchestre devenu balayeur tombe par hasard sur une invitation du théâtre du Châtelet et y voit l’occasion de remonter l’Orchestre du temps de sa splendeur, en lieu et place du véritable Bolchoï.
Sauf qu’on ne trouve pas cinquante musiciens de ce niveau sous le sabot d’un cheval. Andreï embarque donc son fidèle ami devenu lui ambulancier pour faire le tour des popotes : retrouvailles émues, instruments patinés ressortis enfin des étuis, mains un peu tremblantes mais foi toujours intacte. Comme cela ne suffit pas, il embauche aussi des tziganes aux rythmes endiablés, yeux malicieux et grandes familles… fort efficaces au demeurant pour établir les faux papiers (scène d’anthologie dans l’aéroport).
La joyeuse troupe hétéroclite et à tous points de vue d’un autre temps débarque ainsi à Paris, assoiffée de lumières, d’euros et de vodka…

Malgré une mise en scène qui ne marquera pas les anales, le capital sympathie du film est à ce stade-là déjà très confortable. Comment ne pas s’attacher à ces Russes miséreux, artistes de talent privés de l’exercice de leur art par la dureté du régime soviétique, dotés d’une solide envie d’y aller et d’en montrer, et qui arrivent sur la plus belle avenue du monde comme des chiens dans un jeu de quilles ? Ils sont filmés avec un humour irrésistible, tout comme le directeur du théâtre du Châtelet, joué par François Berléand (très à l’aise comme à son habitude dans un rôle exécrable), attaché à ses chiffres, à sa presse et à sa gloire avec une nervosité toute parisienne…
Radu Mihaileanu est doué pour donner le rythme et croquer ses personnages en quelques scènes, mais il l’est tout autant pour faire surgir l’émotion. Avec l’entrée en scène du personnage de la jeune violoniste interprétée par Mélanie Laurent, dont l’histoire intime est liée à celle de l’Orchestre du Bolchoï pour des raisons dont on ne dira rien puisqu’elle même ne les découvrira qu’à la fin, au registre de la comédie se juxtapose celui du drame.
Souvent très touchante, Mélanie Laurent est ici exceptionnelle et offre avec Aleksei Guskov, le chef d’orchestre, une longue scène finale bouleversante, portée tant par des échanges de regards d’une rare intensité que par la musique de Tchaïkovski.
Entre rires et larmes, Le concert est un film populaire au bon sens du terme : de l’ouvrage plutôt bien monté, qui respecte son public et lui fait passer un très agréable moment ; pourquoi n’en voit-on pas davantage dans le cinéma français d’aujourd’hui ?

Le concert
Une comédie dramatique de Radu Mihaileanu
Avec Mélanie Laurent, Aleksei Guskov, Dimitry Nazarov, François Berléand, Miou-Miou
Durée 2 h

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Le ruban blanc. Michael Haneke

Le ruban blanc, Michael HanekeLa réalisation est superbe ; elle mérite peut-être à elle seule la Palme d’Or descernée à Michael Haneke au 62ème Festival de Cannes.
Tourné à l’origine en couleurs afin d’imprimer à la pellicule toutes les sensibilités de la lumière, le film a été ensuite longuement travaillé pour obtenir une photo au noir et blanc très délicat, qui restitue la splendeur tristes des paysages ruraux du nord de l’Allemagne.
Les comédiens ont été soigneusement choisis – surtout les enfants – en fonction notamment de leurs traits, pour qu’ils soient crédibles dans le temps du film – 1913. Ces jeunes visages qui pourraient bien avoir un siècle contribuent à l’incarnation époustouflante des personnages, dirigés avec une grande maîtrise par le réalisateur autrichien. La mise en scène, le montage, fluides et rapides, ne se voient pas à force de science de l’art, tout comme la durée du film, bâti sur un scénario solide et délicieusement égarant. Il démarre très vite, avec une succession d’étranges événements survenant dans cette communauté paysanne de Prusse construite autour du pasteur, de l’instituteur, du médecin, de l’aristocrate propriétaire du domaine et de son régisseur. Le médecin est victime d’un "accident" de cheval provoqué par un câble, le fils du baron est brutalisé, un nourrisson exposé au froid glacial… La criminalité se déploie, insidieusement, imprévisible, jamais résolue, à peine regardée en face, de plus en plus cruelle. Alors même que sous la haute autorité morale des institutions et des pères en général, du pasteur en particulier, une éducation stricte est donnée aux enfants, celui-ci allant jusqu’à attacher aux bras de sa progéniture un ruban blanc censé lui rappeler l’impératif de pureté et d’innocence. Innocence, tout est dit ou presque puisque Haneke distille au contraire la thèse de la culpabilité des enfants… Culpabilité qui renverrait à celle, vingt ans après, de la génération qui a mis les Nazis au pouvoir. Cette éducation protestante rigoriste et la violence qu’elle contient auraient engendré des adultes capables du pire.
Est-si simple ? On touche là à la faiblesse du film : son fond. Car au delà des limites de la thèse historique contestable, le film est en tout état de cause totalement monolithique. Si l’on est intimement convaincu des ravages d’un dressage brutal et sclérosant infligé aux enfants, le propos perd de sa force lorsqu’il utilise toujours les mêmes arguments et illustrations. Ne disant qu’une chose, le film tourne sur lui-même et finit par tourner un peu à vide.
Malgré ce manque de nuances, Le ruban blanc reste un magnifique objet cinématographique et réserve même quelques passages émouvants, comme celui où un petit orphelin interroge sa grande sœur et finit par comprendre de la bouche de son aînée si tendre et aimante, mais franche face à ses questions, ce qu’est la mort. Certainement le plus beau moment du film, sur un immense fond noir.

Le ruban blanc (Das Weiße Band – Eine deutsche Kindergeschichte)
Un drame de Michael Haneke
Avec Christian Friedel, Ernst Jacobi, Leonie Benesch…
Durée : 2 h 24 min

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Tosca en direct du Metropolitan Opera de New York

Tosca au Met, mise en scène Luc BondyC’est comment l’opéra au cinéma ? Sans chanteurs, sans orchestre et sans plateau, évidemment ce n’est plus du spectacle vivant… mais sur l’immense écran de la Géode à Paris, et la qualité sonore de la salle, c’est quand même quelque chose !
Le Met reprend cette saison la diffusion en haute définition de ses plus grands spectacles, en direct dans le monde entier (42 pays, un millier de salles). Tosca samedi, Aïda le 24, Turandot le 7 novembre, Les Contes d’Hoffmann le 19 décembre… la programmation est faite pour attirer (avec succès) le grand public. Sauf que lors de sa première au Metropolitan Opera, le 21 septembre dernier, la mise en scène de l’un des plus célèbres opéras de Puccini, signée Luc Bondy a été huée. Ont scandalisé notamment les décors non conformes à "la tradition" de l’oeuvre, la représentation d’un Scarpia entouré de prostituées, ou d’un Cavaradossi embrassant la Vierge sur la bouche… Le metteur en scène français précisait dans Le Monde de samedi que cet accueil était dû à la particularité d’un public de première, "un public de gala pour une grande part venu pour se montrer", et que ces manifestations ne s’étaient pas reproduites lors des représentations suivantes…

Le fait est que la Tosca de ce 10 octobre, en matinée à New-York, en soirée à Paris, fut un régal absolu. Luc Bondy, a fait ressortir toute l’humanité des personnages et de l’histoire, captivante ("un thriller", pour reprendre le mot du metteur en scène) de Tosca. Les jeux d’acteurs accompagnent les chants de façon ultra-convaincante, George Gagnidze dans le rôle de Scarpia est plus abominable que jamais (forcément monolithique), Karita Mattila en Tosca et Marcelo Alvarez en Cavaradossi sont capables de faire passer la variété de leurs émotions d’une façon telle que l’on serait presque heureux de n’être "que" devant l’écran, où l’on peut lire en gros plan la moindre de leurs expressions et en savourer toute la force.
Karita Mattila est une Tosca bouleversante, immense d’humanité, tour à tour calme et brûlante. Et surtout, que dire de Marcelo Álvarez en peintre Cavaradossi ? Velours et puissance, humour et profondeur, la séduction de l’Argentin est totale. Tous deux longuement et justement applaudis.

Le coup d’essai de Luc Bondy à New-York est un coup de maître ; ses choix coulent de source, c’est-à-dire du livret. La lippe libidineuse et le rictus effrayant d’un Scarpia s’adonnant à la luxure est dans la droite ligne de ce personnage tortionnaire, jouisseur et manipulateur. Les décors sont superbes, tout en sobriété et verticalité, chapelle réchauffée d’amour, de fleurs et de peinture au premier acte, tour du château Sant’Angelo avant l’aube au dernier : on commence dans la légèreté, on finit dans la noirceur la plus absolue. C’est Tosca, c’est tout Tosca et il semblait ce soir-là que cela ne pourrait être rien d’autre.

Metropolitan live in HD
La saison 2009/2010 du Met en direct
Jusqu’au 1er mai 2010
Dates et salles sur cielecran.com

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Un prophète. Jacques Audiard

Un prophete de Jacques AudiardDurant 2 h 35, le réalisateur de Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté nous plonge dans l’enfer du monde carcéral. On en sortira que lors de brèves permissions, lesquelles ne sont d’ailleurs que le prolongement d’un même univers : celui du trafic et de la violence.
Le cinquième long métrage de Jacques Audiard n’a pourtant rien d’un documentaire. Le cinéaste raconte une véritable histoire, par laquelle il fait naître et déploie des personnages de fiction, comme seuls les grands romans et les grands films savent le faire.
Au départ, on découvre un jeune arabe de dix-neuf ans, Malik, qui passe à l’ombre pour six ans pour avoir agressé un policier à l’arme blanche. Mais dans l’ombre, Malik paraît y avoir été depuis sa naissance. Famille ? Amis ? Ecole ? Nada. Pense-t-il seulement, est-on tenté de se demander face à cette forme inachevée et muette qui entre là sans aide ni bagages, comme il semble avoir traversé sa courte vie.
La prison, avec ses clans et ses lois, lois arbitraires de la force, Etat dans l’Etat sans droit, amènera le jeune homme à subir de nouvelles règles et de nouveaux codes, puis à les accepter pour s’y adapter, et enfin à devenir quelqu’un.
Le film n’est que coups, virilité, injustice et noirceur. La morale n’a rien à voir dans cette affaire-là. Est-ce à dire que les questions humaines n’y ont pas leur place ? Naturellement non. Se déroulent sous nos yeux la formation d’un homme, la lutte pour la survie dans une société qui pour n’être point animale est bien humaine, mais aussi la chute d’un patriarche et le renversement des jeux de domination. En parallèle, grâce à l’amitié que Malik a nouée avec un ancien détenu, le monde extérieur existe, avec une femme, un enfant. Au début de l’histoire, ces valeurs-là ne semblaient pas exister pour le personnage.
Il est donc long le chemin parcouru par Malik pendant ces deux heures et demi. Pour le spectateur, ce temps long passe vite, tant le scénario est solidement construit (pas si évident qu’il n’y paraît, surtout avec ses excursions hors de prison), tant le fils de Michel Audiard maîtrise son entreprise, filme magnifiquement les lieux et les personnages, et tant ceux-ci sont interprétés de façon saisissante.

Un prophète
Un film de Jacques Audiard
Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif
Durée : 2 h 35

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Non ma fille tu n'iras pas danser. Christophe Honoré

Non ma fille tu n'iras pas danser, Christophe HonoréC’est une œuvre sombre, dans laquelle Christophe Honoré, après trois films « parisiens » très séduisants, fait un détour par la Bretagne pour aborder avec une force inouïe les difficultés d’existence d’une jeune femme d’aujourd’hui.

Léna, interprétée par une Chiara Mastroianni enfin placée au centre de la pellicule, mère de deux jeunes enfants et séparée de leur père, vient passer quelques jours de vacances dans la maison familiale. L’y attendent mère, père, frère et sœur, bref toute sa tribu qui l’adore, mais qui en même temps lui en demande beaucoup, la juge, lui fait la morale et l’étouffe. Cerise sur le gâteau, sa chère mère, pensant savoir mieux que sa fille ce qui est bon pour elle et ses enfants, n’a pas trouvé meilleure idée que d’inviter en même temps l’ex-compagnon de Léna.

Léna se heurte à l’incompréhension de tous, à leurs excellentes intentions, mais qui sont, au fond, non dénuées d’une certaine perversité. Au départ elle résiste, renvoie chacun dans ses cordes, avant de vaciller peu à peu.
Surgit alors un conte breton du XIXème siècle, scène de noces dont l’héroïne épuise ses cavaliers jusqu’à trépas, les uns après les autres. A la fin de cette séquence littéraire audacieuse, très noire malgré costumes et musiques, l’on quitte définitivement la Bretagne pour basculer dans la seconde partie du film. Elle se déroule entièrement à Paris, dans la grisaille ou la nuit. Léna y est confrontée à d’autres obstacles, le quotidien avec ses enfants, une patronne très dure vis-à-vis de la mère célibataire qu’elle est, un amoureux trop jeune, un ex-compagnon trop « vieux ». La famille continue de graviter autour d’elle ; la sœur si puissante s’effondre ; la reine-mère avoue des renoncements passés…
A travers le personnage de Léna, le regard de Christophe Honoré sans concession sur notre société dite moderne met à cru les difficultés des femmes devant l’impérieuse nécessité d’être – entre autres – de « bonnes mères ». Si Léna donne l’impression d’en être une, proche et à l’écoute de ses enfants, on la voit rongée petit à petit par le doute sous les coups de boutoir extérieurs.
Etre mère, fille, sœur, compagne, et bonne employée : comment être tout cela à la fois, comment répondre à toutes les attentes, et, au milieu de ce maelström, où et comment placer sa liberté ? Cruelle question que Christophe Honoré pose magistralement, via une Chiara Mastroianni surprenante à chaque plan, magnifique, bouleversante.

Non ma fille tu n’iras pas danser
Un film de Christophe Honoré
Avec Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr,
Fred Ulysse, Julien Honoré
Durée : 1 h 45 mn

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Le temps qu'il reste. Elia Suleiman

Le temps qu'il reste, Elia SuleimanTourné entièrement en plans fixes, avec une photo légèrement délavée qui évoque les vieilles pellicules, inondé de soleil et de longs moments de silence, Le temps qu’il reste plonge dans un univers d’immobilité et de réflexion.

Il est pourtant un film tout à fait narratif, dans lequel Elia Suleiman, né à Nazareth en 1960 de parents Arabes devenus citoyens israëliens après la création de l’Etat d’Israël, exilé à la fin de l’adolescence à New-York puis à Paris où il vit toujours, se tourne vers le passé pour en dérouler la pelote.

On le voit ainsi au début du film arriver à Nazareth, nuitamment et sous une pluie battante, demander au chauffeur de taxi lui-même complètement perdu : "Où sommes-nous ?"

Retour en arrière. Nous voici en 1948, bien avant la naissance d’Elia, lorsque celui qui allait devenir son père, jeune homme déterminé et brave, résistant avec les Arabes, a dû assister à l’arrivée de l’armée israélienne et à l’exil d’une partie de sa famille.
Les années passent, le jeune homme (magnifique figure héroïque dépeinte avec les yeux plein d’admiration de son enfant) a fondé une famille, Elia va à l’école, où il participe à des concours de chants hébraïques, où l’institutrice leur montre Spartacus, et où l’instituteur le gronde s’il parle d‘"Impérialisme américain".

Drôles de vies, marquées par autant de résistance sourde que de résignation ; vies qui continuent malgré tout là où elles en étaient lorsque la grande Histoire est venue les bouleverser. Si l’histoire politique d’Israël et de la Palestine est en fond et, par ses grands évènements (comme la mort de Nasser) rythme la narration, c’est l’histoire de sa famille qu’Elia Suleiman a choisi de raconter. Le souffle épique y est, mais amorti, adouci par un ton infiniment intimiste.
Pour élaborer le scénario (qui a dû subir moult coupes au moment du tournage, faute d’argent), Suleiman s’est servi des traces écrites laissées par ses parents : les notes consignées dans un carnet par son père et les lettres que sa mère adressait à la partie exilée de la famille. Ceci explique sans doute pourquoi Le temps qu’il reste est aussi touchant : sur ce matériau originel (l’histoire de ses parents), il pose son regard de fils, très singulier, aimant, souffrant, mélancolique.

Mais le cinéaste a trop de délicatesse pour faire de cette histoire un simple crève-coeur. A tout instant, il créé des situations burlesques (comme ces policiers incapables de faire respecter le couvre-feu devant une boum où s’amusent des adolescents, et finissent eux-même par marquer le tempo dans leur voiture), soulignant subtilement l’absurdité de la guerre, le désespoir des victimes, dont les cris silencieux ne sont audibles que par les leurs : la scène récurrente du voisin âgé tentant de s’immoler sans parvenir à brûler l’allumette est bouleversante malgré le sourire qu’elle provoque immanquablement.

Quand Elia Suleiman, à près de cinquante ans, revient à Nazareth, certes son père n’est plus, mais sa mère, bien que très malade est toujours là. Elle regarde encore la photo de son époux défunt, elle écoute toujours la chanson d’autrefois. Son fils la regarde, immobile, et cette femme assise sur son balcon comme elle l’a toujours fait semble concentrer un demi-siècle d’histoire. Tout l’hommage, tout l’amour que constitue le film de Suleiman est là, éclatant, profond, sans fin. En début d’année, sa mère est partie à son tour. Le titre du film n’en est que plus poignant.

Le temps qu’il reste (The Time That Remains)
De Elia Suleiman
Avec Elia Suleiman, Saleh Bakri, Yasmine Haj, Leila Muammar…
Durée : 1 h 45 min

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Etreintes brisées. Pedro Almodóvar

Pedro Almodóvar, Etreintes briséesS’il est un petit bonheur qui réconcilie avec la Capitale à la rentrée, c’est bien la possibilité d’aller au cinéma voir les films qu’on a loupés au moment de leur sortie.

On peut ainsi découvrir encore Etreintes brisées (quel titre, et qui illustre tellement bien le film !), le dernier film de Pedro Almodóvar présenté à Cannes cette année et, étrangement, revenu bredouille.

Le cinéaste espagnol livre ici une œuvre très personnelle, concentrée, malgré la profusion d’histoires qu’elle contient, sur ses thèmes fétiches, sur le cinéma et sur son cinéma.
C’est avant tout un film d’amour, et même plutôt d’amours : amours-amoureuses, amour-amitié, amour-filial, amour-possession aussi.

Ernesto, un homme d’affaires richissime s’éprend de Lena, sa secrétaire, qui accepte d’en devenir la maîtresse afin d’offrir une fin de vie digne à son père gravement malade. Devenue sa compagne officielle, désireuse de devenir actrice, elle rencontre le cinéaste Mateo Blanco ; ils tournent un film ensemble et tombent éperdument amoureux. Aux prises avec la jalousie et la surveillance d’Ernesto – via son fils -, Lena et Mateo s’enfuient loin de Madrid, jusqu’à ce qu’un accident de voiture tue Lena et laisse Mateo aveugle. Quinze ans après, à la mort d’Ernesto, son fils vient réveiller ce passé en déclarant vouloir faire un film avec Mateo devenu scénariste.

En réalité, Etreintes brisées ne peut se résumer, tant au delà de ces grandes lignes se déploient une multitudes de "branches", toutes abouties. Almodóvar y développe ses obsessions : les secrets longtemps enfouis sous le silence ; la sexualité ; l’homosexualité ; les liens mère/fille et père/fils ; la force des femmes ; la maladie, les accidents, la mort.
Il dépeint de façon toujours aussi poignante les relations humaines dans ce qu’elles ont d’entier et de douloureux, mais encore la difficulté de ceux qui veulent vivre leur désir jusqu’au bout.
Si les personnages admirables sont comme à l’accoutumée les femmes (magnifiquement incarnées par "ses" comédiennes, Penélope Cruz, d’une présence folle, mais aussi Blanca Portillo que l’on avait vue dans le sublime Volver), il créé ici une relation père/fils positive et très touchante. Ce n’est pas le seul moment bouleversant, loin de là ; bien souvent, sans qu’il s’y attende, une intense émotion vient saisir le spectateur, parfois furtivement – comme devant un simple regard par exemple.

Il y a aussi bien sûr, et elle embrasse tout le film, une forme de déclaration d’amour au cinéma, où Almodóvar convoque par citations directes ou indirectes ses maîtres, mais également son propre cinéma (avec la savoureuse scène du gaspacho aux somnifères de Femmes au bord de la crise de nerfs). Davantage qu’un hommage formel, ces références apparaissent comme l’expression d’une gratitude de la part d’un cinéaste devenu "grand" à son tour.
A la fin, la réplique de l’ancien réalisateur devenu scénariste "Il faut toujours finir un film… même en aveugle" tient à la fois de la signature, de l’inquiétude et de la foi du créateur. A l’image de ce dernier film, elle rend Pedro Almodóvar plus proche, plus humain, comme si une confiance, voire une complicité, s’étaient instaurées avec son public. Celles-ci sont peut-être bien plus importantes que n’importe quel "prix".

Etreintes brisées
(Los Abrazos rotos)
Un drame de Pedro Almodóvar
Avec Penélope Cruz, Blanca Portillo, Lluis Homar…
Durée : 2 h 9 mn

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Là-haut. Pete Docter

Là-haut, Pete DocterAprès avoir adoré sa belle Ellie toute sa vie, Carl, devenu veuf, se retrouve fort grincheux. D’autant que d’impitoyables promoteurs menacent de faire main basse sur son pavillon et que deux infirmiers l’attendent de pied ferme pour l’emmener fissa en maison de retraite. Qu’à cela ne tienne, Carl, comme s’il avait récupéré la malice et l’opiniâtreté de feue son épouse, s’envole un beau matin dans sa demeure, tous deux portés par une nuée de ballons multicolores.

Carl ne le sait pas encore, mais, outre lui-même et sa maison, un troisième personnage est à bord : Russel, boy-scout dodu, un peu idiot et très bavard, dont l’objectif est d’aider une personne âgée, afin d’obtenir la décoration pour « bonne action » qui lui manque…

Les voici donc navigant dans les cieux direction l’Amérique du Sud, précisément là où Ellie et Carl rêvaient d’aller depuis tout petits, quand ils se sont rencontrés. A l’arrivée, de surprises en surprises, les aventures ne feront que commencer.

Mené à très bon train, le dixième long-métrage du studio d’animation Pixar (Nemo, Ratatouille, Wall. E, …), réalisé par Pete Docter, regorge d’humour, gags inattendus et répliques bien envoyées.

Surtout, il déborde d’inventivité, poussant les possibles à leur maximum, là où seule l’imagination peut aller, faisant surgir le magique à tout instant. Mais au delà de l’amusement, de la narration et du merveilleux qui emportent, Là-haut est un film qui touche les « grands », n’évoquant en fait que des sujets graves. Derrière les couleurs des ballons et du plumage flamboyant de l’oiseau Kevin, se cache beaucoup de noirceur. Ainsi, même si elle est racontée très vite, on voit que durant leur vie commune, Ellie et Carl ont été maintes fois arrêtés dans leur élan. Russel le petit scout agaçant est au fond malheureux comme les pierres à cause d’un père absent. L’explorateur Muntz, ancienne célébrité désavouée, et retrouvé en Amérique du Sud inspire bien de la pitié malgré sa méchanceté.

Si tous les êtres de cette histoire sont des déçus de la vie, des rêveurs que la réalité à laissés dans la peine ou dans l’aigreur, le film délivre malgré tout dans ses dénouements un message vivifiant, sinon apaisant. Le voyage de Carl en Amérique du Sud, entrepris comme une promesse faite à Ellie et réalisée post mortem, lui permet finalement de faire le deuil de sa chère disparue ; et une fois ce deuil fait, de belles choses pourront certainement à nouveau advenir…

Là-haut
Un film d’animation de Pete Docter
Avec les voix de Charles Aznavour, Tom Trouffier, Guillaume Lebon, Richard Leblond
Durée 1 h 35

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Une journée particulière. Ettore Scola

Scola, Une journée particulièreC’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres infiniment beaux mais usés par le travail et l’humiliation. Sophia Loren incarne une mère de famille, Marcello Mastroianni un homme de lettres homosexuel. Rien de les prédisposait à se réunir, si ce n’est le hasard de cette « journée particulière ».
Nous sommes à Rome en 1938, Hitler rend visite à Mussolini, occasion d’une manifestation de propagande exemplaire. Hommes, femmes et enfants se rendent sur la voie du cortège pour applaudir dans la liesse le succès des régimes fascistes, après avoir déployé les étendards sur les façades des habitations et noué les bruns foulards autour du cou.
Trop occupée par les charges de son foyer, Antonietta ne se rend pas au défilé. Gabriele non plus, parce qu’il est anti-fasciste.
Dans l’immense immeuble à l’architecture mussolinienne, vidée de ses occupants, il ne reste qu’eux deux et la concierge.
L’oiseau échappé de sa cage amène Antonietta à aller frapper à la porte de Gabriele pour tenter de le récupérer.
Cet homme et cette femme que tout oppose vont passer la journée ensemble, à se découvrir, à se heurter autant qu’à s’attirer.

Chef d’œuvre sombre teinté d’un soupçon de comédie, élégantissime, ce film d’Ettore Scola de 1977 impressionne sur le plan historique et politique – avec des scènes effrayantes sur l’efficacité de l’endoctrinement fasciste -, émeut sur le plan humain et terrasse littéralement sur le plan cinématographique.
Les plans de Scola montrant l’immeuble à l’architecture vertigineuse, où tout le monde peut surveiller tout le monde, et l’appartement de la famille d’Antonietta, univers auquel se limite sa vie, sont stupéfiants.

Ettore Scola, Une journée particulièreLa personnalité d’Antonietta, bon sujet du régime, prête à faire un énième enfant pour recevoir la médaille du gouvernement touche par sa naïveté – facilement explicable compte tenu de sa condition et de l’ignorance pour ne pas dire le mensonge dans laquelle elle est tenue – mais aussi par sa façon, non dénuée d’humour, d’accepter son sort d’épouse, de mère et de fée du logis modèles : petits mensonges à son mari, commentaires in petto comme ce savoureux : « Il faudrait trois mamans, une pour faire la cuisine, une pour faire le ménage… et une pour se remettre au lit ».
Gabriele, lui, déborde de fantaisie et d’humour, mais ce n’est que pour mieux habiller son désespoir.
Tout comme Sophia Loren est le charme même en mère au foyer résignée, où la fatigue le dispute à une belle vivacité, Marcello Mastroianni en homme mystérieux, souriant et malheureux, est la séduction même. De la rencontre inespérée de ces deux personnages d’âge mur, portés par deux monstres sacrés portant alors magnifiquement leurs années, Ettore Scola a fait un film inoubliable.

Une journée particulière
Un film de Ettore Scola (1977)
Avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni, John Vernon, Francoise Berd
1 h 45 min

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Public Enemies. Michael Mann

Michael Mann, Public enemiesIl est beau comme un dieu (Johnny Depp lui va bien), porte magnifiquement le long manteau et le costume à rayures, plaît aux femmes et aux journalistes.
Avec son gang, il est capable de vider une banque en une minute quarante secondes. C’est dire la maîtrise du métier, l’organisation (l’appui de la mafia est utile pour la logistique), la personnalité du bonhomme.

Les braquages s’enchaînent, les halls de banque coulés marbres et or semblent du beurre. Les Une des journaux se suivent et se ressemblent, quand John Dilliger, puisque tel est son nom, ne paraît pas pressé d’arrêter ses lucratives activités.
Bref, Dilliger est devenu en quelques mois l’ennemi public n°1, une star en vérité qui fait même l’objet de films.

Côté police, Edgar J. Hoover et ses suivants n’en peuvent mais de celui qui leur file toujours sous la main et les tourne en ridicule. Ils vont devoir affiner leurs méthodes de recherche et de filature, se mettre au niveau de l’élite des dévaliseurs.
En marge des coups de feux, une idylle romantique à souhait se noue au quart de tour entre John qui veut « tout, tout de suite » et une très séduisante brunette, employée de vestiaire de son état. Marion Cotillard incarne à merveille cette jeune femme mi-fatale mi-innocente, aimantée sous les frissons par ce Dilliger qui lui promet un bonheur luxueux pour très vite.

Film de gangsters « classique », Public Enemies déploie sa somptueuse réalisation dans l’univers très bien restitué des années 1930. Plans et mouvements de caméras, esthétique de la photo, jeux des acteurs, le ballet signé Michael Mann est une splendeur.
En son centre, John Dilliger-Depp cache ses passions sous un calme – une minéralité même – impressionnantes. Le mystère qu’il dégage n’a d’égal que son irrésistible charisme.
Si Public Enemies est un de ces thrillers dont on oublie les détails de la trame aussitôt sorti de la salle, sa beauté et l’aura de son personnage, elles, restent longtemps en mémoire, comme un plaisir des yeux qui aurait laissé sa trace.

Public Enemies
Un film de Michael Mann
Avec Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard
Durée 2 h 13

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