Un prophète. Jacques Audiard

Un prophete de Jacques AudiardDurant 2 h 35, le réalisateur de Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté nous plonge dans l’enfer du monde carcéral. On en sortira que lors de brèves permissions, lesquelles ne sont d’ailleurs que le prolongement d’un même univers : celui du trafic et de la violence.
Le cinquième long métrage de Jacques Audiard n’a pourtant rien d’un documentaire. Le cinéaste raconte une véritable histoire, par laquelle il fait naître et déploie des personnages de fiction, comme seuls les grands romans et les grands films savent le faire.
Au départ, on découvre un jeune arabe de dix-neuf ans, Malik, qui passe à l’ombre pour six ans pour avoir agressé un policier à l’arme blanche. Mais dans l’ombre, Malik paraît y avoir été depuis sa naissance. Famille ? Amis ? Ecole ? Nada. Pense-t-il seulement, est-on tenté de se demander face à cette forme inachevée et muette qui entre là sans aide ni bagages, comme il semble avoir traversé sa courte vie.
La prison, avec ses clans et ses lois, lois arbitraires de la force, Etat dans l’Etat sans droit, amènera le jeune homme à subir de nouvelles règles et de nouveaux codes, puis à les accepter pour s’y adapter, et enfin à devenir quelqu’un.
Le film n’est que coups, virilité, injustice et noirceur. La morale n’a rien à voir dans cette affaire-là. Est-ce à dire que les questions humaines n’y ont pas leur place ? Naturellement non. Se déroulent sous nos yeux la formation d’un homme, la lutte pour la survie dans une société qui pour n’être point animale est bien humaine, mais aussi la chute d’un patriarche et le renversement des jeux de domination. En parallèle, grâce à l’amitié que Malik a nouée avec un ancien détenu, le monde extérieur existe, avec une femme, un enfant. Au début de l’histoire, ces valeurs-là ne semblaient pas exister pour le personnage.
Il est donc long le chemin parcouru par Malik pendant ces deux heures et demi. Pour le spectateur, ce temps long passe vite, tant le scénario est solidement construit (pas si évident qu’il n’y paraît, surtout avec ses excursions hors de prison), tant le fils de Michel Audiard maîtrise son entreprise, filme magnifiquement les lieux et les personnages, et tant ceux-ci sont interprétés de façon saisissante.

Un prophète
Un film de Jacques Audiard
Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif
Durée : 2 h 35

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Non ma fille tu n'iras pas danser. Christophe Honoré

Non ma fille tu n'iras pas danser, Christophe HonoréC’est une œuvre sombre, dans laquelle Christophe Honoré, après trois films « parisiens » très séduisants, fait un détour par la Bretagne pour aborder avec une force inouïe les difficultés d’existence d’une jeune femme d’aujourd’hui.

Léna, interprétée par une Chiara Mastroianni enfin placée au centre de la pellicule, mère de deux jeunes enfants et séparée de leur père, vient passer quelques jours de vacances dans la maison familiale. L’y attendent mère, père, frère et sœur, bref toute sa tribu qui l’adore, mais qui en même temps lui en demande beaucoup, la juge, lui fait la morale et l’étouffe. Cerise sur le gâteau, sa chère mère, pensant savoir mieux que sa fille ce qui est bon pour elle et ses enfants, n’a pas trouvé meilleure idée que d’inviter en même temps l’ex-compagnon de Léna.

Léna se heurte à l’incompréhension de tous, à leurs excellentes intentions, mais qui sont, au fond, non dénuées d’une certaine perversité. Au départ elle résiste, renvoie chacun dans ses cordes, avant de vaciller peu à peu.
Surgit alors un conte breton du XIXème siècle, scène de noces dont l’héroïne épuise ses cavaliers jusqu’à trépas, les uns après les autres. A la fin de cette séquence littéraire audacieuse, très noire malgré costumes et musiques, l’on quitte définitivement la Bretagne pour basculer dans la seconde partie du film. Elle se déroule entièrement à Paris, dans la grisaille ou la nuit. Léna y est confrontée à d’autres obstacles, le quotidien avec ses enfants, une patronne très dure vis-à-vis de la mère célibataire qu’elle est, un amoureux trop jeune, un ex-compagnon trop « vieux ». La famille continue de graviter autour d’elle ; la sœur si puissante s’effondre ; la reine-mère avoue des renoncements passés…
A travers le personnage de Léna, le regard de Christophe Honoré sans concession sur notre société dite moderne met à cru les difficultés des femmes devant l’impérieuse nécessité d’être – entre autres – de « bonnes mères ». Si Léna donne l’impression d’en être une, proche et à l’écoute de ses enfants, on la voit rongée petit à petit par le doute sous les coups de boutoir extérieurs.
Etre mère, fille, sœur, compagne, et bonne employée : comment être tout cela à la fois, comment répondre à toutes les attentes, et, au milieu de ce maelström, où et comment placer sa liberté ? Cruelle question que Christophe Honoré pose magistralement, via une Chiara Mastroianni surprenante à chaque plan, magnifique, bouleversante.

Non ma fille tu n’iras pas danser
Un film de Christophe Honoré
Avec Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr,
Fred Ulysse, Julien Honoré
Durée : 1 h 45 mn

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Le temps qu'il reste. Elia Suleiman

Le temps qu'il reste, Elia SuleimanTourné entièrement en plans fixes, avec une photo légèrement délavée qui évoque les vieilles pellicules, inondé de soleil et de longs moments de silence, Le temps qu’il reste plonge dans un univers d’immobilité et de réflexion.

Il est pourtant un film tout à fait narratif, dans lequel Elia Suleiman, né à Nazareth en 1960 de parents Arabes devenus citoyens israëliens après la création de l’Etat d’Israël, exilé à la fin de l’adolescence à New-York puis à Paris où il vit toujours, se tourne vers le passé pour en dérouler la pelote.

On le voit ainsi au début du film arriver à Nazareth, nuitamment et sous une pluie battante, demander au chauffeur de taxi lui-même complètement perdu : "Où sommes-nous ?"

Retour en arrière. Nous voici en 1948, bien avant la naissance d’Elia, lorsque celui qui allait devenir son père, jeune homme déterminé et brave, résistant avec les Arabes, a dû assister à l’arrivée de l’armée israélienne et à l’exil d’une partie de sa famille.
Les années passent, le jeune homme (magnifique figure héroïque dépeinte avec les yeux plein d’admiration de son enfant) a fondé une famille, Elia va à l’école, où il participe à des concours de chants hébraïques, où l’institutrice leur montre Spartacus, et où l’instituteur le gronde s’il parle d‘"Impérialisme américain".

Drôles de vies, marquées par autant de résistance sourde que de résignation ; vies qui continuent malgré tout là où elles en étaient lorsque la grande Histoire est venue les bouleverser. Si l’histoire politique d’Israël et de la Palestine est en fond et, par ses grands évènements (comme la mort de Nasser) rythme la narration, c’est l’histoire de sa famille qu’Elia Suleiman a choisi de raconter. Le souffle épique y est, mais amorti, adouci par un ton infiniment intimiste.
Pour élaborer le scénario (qui a dû subir moult coupes au moment du tournage, faute d’argent), Suleiman s’est servi des traces écrites laissées par ses parents : les notes consignées dans un carnet par son père et les lettres que sa mère adressait à la partie exilée de la famille. Ceci explique sans doute pourquoi Le temps qu’il reste est aussi touchant : sur ce matériau originel (l’histoire de ses parents), il pose son regard de fils, très singulier, aimant, souffrant, mélancolique.

Mais le cinéaste a trop de délicatesse pour faire de cette histoire un simple crève-coeur. A tout instant, il créé des situations burlesques (comme ces policiers incapables de faire respecter le couvre-feu devant une boum où s’amusent des adolescents, et finissent eux-même par marquer le tempo dans leur voiture), soulignant subtilement l’absurdité de la guerre, le désespoir des victimes, dont les cris silencieux ne sont audibles que par les leurs : la scène récurrente du voisin âgé tentant de s’immoler sans parvenir à brûler l’allumette est bouleversante malgré le sourire qu’elle provoque immanquablement.

Quand Elia Suleiman, à près de cinquante ans, revient à Nazareth, certes son père n’est plus, mais sa mère, bien que très malade est toujours là. Elle regarde encore la photo de son époux défunt, elle écoute toujours la chanson d’autrefois. Son fils la regarde, immobile, et cette femme assise sur son balcon comme elle l’a toujours fait semble concentrer un demi-siècle d’histoire. Tout l’hommage, tout l’amour que constitue le film de Suleiman est là, éclatant, profond, sans fin. En début d’année, sa mère est partie à son tour. Le titre du film n’en est que plus poignant.

Le temps qu’il reste (The Time That Remains)
De Elia Suleiman
Avec Elia Suleiman, Saleh Bakri, Yasmine Haj, Leila Muammar…
Durée : 1 h 45 min

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Etreintes brisées. Pedro Almodóvar

Pedro Almodóvar, Etreintes briséesS’il est un petit bonheur qui réconcilie avec la Capitale à la rentrée, c’est bien la possibilité d’aller au cinéma voir les films qu’on a loupés au moment de leur sortie.

On peut ainsi découvrir encore Etreintes brisées (quel titre, et qui illustre tellement bien le film !), le dernier film de Pedro Almodóvar présenté à Cannes cette année et, étrangement, revenu bredouille.

Le cinéaste espagnol livre ici une œuvre très personnelle, concentrée, malgré la profusion d’histoires qu’elle contient, sur ses thèmes fétiches, sur le cinéma et sur son cinéma.
C’est avant tout un film d’amour, et même plutôt d’amours : amours-amoureuses, amour-amitié, amour-filial, amour-possession aussi.

Ernesto, un homme d’affaires richissime s’éprend de Lena, sa secrétaire, qui accepte d’en devenir la maîtresse afin d’offrir une fin de vie digne à son père gravement malade. Devenue sa compagne officielle, désireuse de devenir actrice, elle rencontre le cinéaste Mateo Blanco ; ils tournent un film ensemble et tombent éperdument amoureux. Aux prises avec la jalousie et la surveillance d’Ernesto – via son fils -, Lena et Mateo s’enfuient loin de Madrid, jusqu’à ce qu’un accident de voiture tue Lena et laisse Mateo aveugle. Quinze ans après, à la mort d’Ernesto, son fils vient réveiller ce passé en déclarant vouloir faire un film avec Mateo devenu scénariste.

En réalité, Etreintes brisées ne peut se résumer, tant au delà de ces grandes lignes se déploient une multitudes de "branches", toutes abouties. Almodóvar y développe ses obsessions : les secrets longtemps enfouis sous le silence ; la sexualité ; l’homosexualité ; les liens mère/fille et père/fils ; la force des femmes ; la maladie, les accidents, la mort.
Il dépeint de façon toujours aussi poignante les relations humaines dans ce qu’elles ont d’entier et de douloureux, mais encore la difficulté de ceux qui veulent vivre leur désir jusqu’au bout.
Si les personnages admirables sont comme à l’accoutumée les femmes (magnifiquement incarnées par "ses" comédiennes, Penélope Cruz, d’une présence folle, mais aussi Blanca Portillo que l’on avait vue dans le sublime Volver), il créé ici une relation père/fils positive et très touchante. Ce n’est pas le seul moment bouleversant, loin de là ; bien souvent, sans qu’il s’y attende, une intense émotion vient saisir le spectateur, parfois furtivement – comme devant un simple regard par exemple.

Il y a aussi bien sûr, et elle embrasse tout le film, une forme de déclaration d’amour au cinéma, où Almodóvar convoque par citations directes ou indirectes ses maîtres, mais également son propre cinéma (avec la savoureuse scène du gaspacho aux somnifères de Femmes au bord de la crise de nerfs). Davantage qu’un hommage formel, ces références apparaissent comme l’expression d’une gratitude de la part d’un cinéaste devenu "grand" à son tour.
A la fin, la réplique de l’ancien réalisateur devenu scénariste "Il faut toujours finir un film… même en aveugle" tient à la fois de la signature, de l’inquiétude et de la foi du créateur. A l’image de ce dernier film, elle rend Pedro Almodóvar plus proche, plus humain, comme si une confiance, voire une complicité, s’étaient instaurées avec son public. Celles-ci sont peut-être bien plus importantes que n’importe quel "prix".

Etreintes brisées
(Los Abrazos rotos)
Un drame de Pedro Almodóvar
Avec Penélope Cruz, Blanca Portillo, Lluis Homar…
Durée : 2 h 9 mn

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Là-haut. Pete Docter

Là-haut, Pete DocterAprès avoir adoré sa belle Ellie toute sa vie, Carl, devenu veuf, se retrouve fort grincheux. D’autant que d’impitoyables promoteurs menacent de faire main basse sur son pavillon et que deux infirmiers l’attendent de pied ferme pour l’emmener fissa en maison de retraite. Qu’à cela ne tienne, Carl, comme s’il avait récupéré la malice et l’opiniâtreté de feue son épouse, s’envole un beau matin dans sa demeure, tous deux portés par une nuée de ballons multicolores.

Carl ne le sait pas encore, mais, outre lui-même et sa maison, un troisième personnage est à bord : Russel, boy-scout dodu, un peu idiot et très bavard, dont l’objectif est d’aider une personne âgée, afin d’obtenir la décoration pour « bonne action » qui lui manque…

Les voici donc navigant dans les cieux direction l’Amérique du Sud, précisément là où Ellie et Carl rêvaient d’aller depuis tout petits, quand ils se sont rencontrés. A l’arrivée, de surprises en surprises, les aventures ne feront que commencer.

Mené à très bon train, le dixième long-métrage du studio d’animation Pixar (Nemo, Ratatouille, Wall. E, …), réalisé par Pete Docter, regorge d’humour, gags inattendus et répliques bien envoyées.

Surtout, il déborde d’inventivité, poussant les possibles à leur maximum, là où seule l’imagination peut aller, faisant surgir le magique à tout instant. Mais au delà de l’amusement, de la narration et du merveilleux qui emportent, Là-haut est un film qui touche les « grands », n’évoquant en fait que des sujets graves. Derrière les couleurs des ballons et du plumage flamboyant de l’oiseau Kevin, se cache beaucoup de noirceur. Ainsi, même si elle est racontée très vite, on voit que durant leur vie commune, Ellie et Carl ont été maintes fois arrêtés dans leur élan. Russel le petit scout agaçant est au fond malheureux comme les pierres à cause d’un père absent. L’explorateur Muntz, ancienne célébrité désavouée, et retrouvé en Amérique du Sud inspire bien de la pitié malgré sa méchanceté.

Si tous les êtres de cette histoire sont des déçus de la vie, des rêveurs que la réalité à laissés dans la peine ou dans l’aigreur, le film délivre malgré tout dans ses dénouements un message vivifiant, sinon apaisant. Le voyage de Carl en Amérique du Sud, entrepris comme une promesse faite à Ellie et réalisée post mortem, lui permet finalement de faire le deuil de sa chère disparue ; et une fois ce deuil fait, de belles choses pourront certainement à nouveau advenir…

Là-haut
Un film d’animation de Pete Docter
Avec les voix de Charles Aznavour, Tom Trouffier, Guillaume Lebon, Richard Leblond
Durée 1 h 35

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Une journée particulière. Ettore Scola

Scola, Une journée particulièreC’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres infiniment beaux mais usés par le travail et l’humiliation. Sophia Loren incarne une mère de famille, Marcello Mastroianni un homme de lettres homosexuel. Rien de les prédisposait à se réunir, si ce n’est le hasard de cette « journée particulière ».
Nous sommes à Rome en 1938, Hitler rend visite à Mussolini, occasion d’une manifestation de propagande exemplaire. Hommes, femmes et enfants se rendent sur la voie du cortège pour applaudir dans la liesse le succès des régimes fascistes, après avoir déployé les étendards sur les façades des habitations et noué les bruns foulards autour du cou.
Trop occupée par les charges de son foyer, Antonietta ne se rend pas au défilé. Gabriele non plus, parce qu’il est anti-fasciste.
Dans l’immense immeuble à l’architecture mussolinienne, vidée de ses occupants, il ne reste qu’eux deux et la concierge.
L’oiseau échappé de sa cage amène Antonietta à aller frapper à la porte de Gabriele pour tenter de le récupérer.
Cet homme et cette femme que tout oppose vont passer la journée ensemble, à se découvrir, à se heurter autant qu’à s’attirer.

Chef d’œuvre sombre teinté d’un soupçon de comédie, élégantissime, ce film d’Ettore Scola de 1977 impressionne sur le plan historique et politique – avec des scènes effrayantes sur l’efficacité de l’endoctrinement fasciste -, émeut sur le plan humain et terrasse littéralement sur le plan cinématographique.
Les plans de Scola montrant l’immeuble à l’architecture vertigineuse, où tout le monde peut surveiller tout le monde, et l’appartement de la famille d’Antonietta, univers auquel se limite sa vie, sont stupéfiants.

Ettore Scola, Une journée particulièreLa personnalité d’Antonietta, bon sujet du régime, prête à faire un énième enfant pour recevoir la médaille du gouvernement touche par sa naïveté – facilement explicable compte tenu de sa condition et de l’ignorance pour ne pas dire le mensonge dans laquelle elle est tenue – mais aussi par sa façon, non dénuée d’humour, d’accepter son sort d’épouse, de mère et de fée du logis modèles : petits mensonges à son mari, commentaires in petto comme ce savoureux : « Il faudrait trois mamans, une pour faire la cuisine, une pour faire le ménage… et une pour se remettre au lit ».
Gabriele, lui, déborde de fantaisie et d’humour, mais ce n’est que pour mieux habiller son désespoir.
Tout comme Sophia Loren est le charme même en mère au foyer résignée, où la fatigue le dispute à une belle vivacité, Marcello Mastroianni en homme mystérieux, souriant et malheureux, est la séduction même. De la rencontre inespérée de ces deux personnages d’âge mur, portés par deux monstres sacrés portant alors magnifiquement leurs années, Ettore Scola a fait un film inoubliable.

Une journée particulière
Un film de Ettore Scola (1977)
Avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni, John Vernon, Francoise Berd
1 h 45 min

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Public Enemies. Michael Mann

Michael Mann, Public enemiesIl est beau comme un dieu (Johnny Depp lui va bien), porte magnifiquement le long manteau et le costume à rayures, plaît aux femmes et aux journalistes.
Avec son gang, il est capable de vider une banque en une minute quarante secondes. C’est dire la maîtrise du métier, l’organisation (l’appui de la mafia est utile pour la logistique), la personnalité du bonhomme.

Les braquages s’enchaînent, les halls de banque coulés marbres et or semblent du beurre. Les Une des journaux se suivent et se ressemblent, quand John Dilliger, puisque tel est son nom, ne paraît pas pressé d’arrêter ses lucratives activités.
Bref, Dilliger est devenu en quelques mois l’ennemi public n°1, une star en vérité qui fait même l’objet de films.

Côté police, Edgar J. Hoover et ses suivants n’en peuvent mais de celui qui leur file toujours sous la main et les tourne en ridicule. Ils vont devoir affiner leurs méthodes de recherche et de filature, se mettre au niveau de l’élite des dévaliseurs.
En marge des coups de feux, une idylle romantique à souhait se noue au quart de tour entre John qui veut « tout, tout de suite » et une très séduisante brunette, employée de vestiaire de son état. Marion Cotillard incarne à merveille cette jeune femme mi-fatale mi-innocente, aimantée sous les frissons par ce Dilliger qui lui promet un bonheur luxueux pour très vite.

Film de gangsters « classique », Public Enemies déploie sa somptueuse réalisation dans l’univers très bien restitué des années 1930. Plans et mouvements de caméras, esthétique de la photo, jeux des acteurs, le ballet signé Michael Mann est une splendeur.
En son centre, John Dilliger-Depp cache ses passions sous un calme – une minéralité même – impressionnantes. Le mystère qu’il dégage n’a d’égal que son irrésistible charisme.
Si Public Enemies est un de ces thrillers dont on oublie les détails de la trame aussitôt sorti de la salle, sa beauté et l’aura de son personnage, elles, restent longtemps en mémoire, comme un plaisir des yeux qui aurait laissé sa trace.

Public Enemies
Un film de Michael Mann
Avec Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard
Durée 2 h 13

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Whatever Works. Woody Allen

Whatever works, Woody AllenBeaucoup ont applaudi le retour de Woody Allen à Manhattan, se sont réjouis du côté délicieusement vintage de Whatever Works.

Appréciation vraie, mais qui en même temps a tendance à balayer un peu vite la réussite de ses films précédents, les "Européens", en particulier le dernier de la série, Vicky Cristina Barcelona. Il avait une fraîcheur revigorante, due en partie à la grâce de ses actrices, mais aussi à son scénario bâti autour de ces Américaines qui découvraient avec ingénuité et tonicité une Espagne de carte postale, dont les reliefs n’étaient pas pour autant des plus attendus.

Avec Whatever Works, notre so New-Yorkais revient au bercail et si cela lui va très bien, si on passe avec ce film un moment extra, il faut tout de même reconnaître que c’est cette fois un Woody Allen beaucoup plus convenu que les précédents. Il ne s’agit pas de bouder son plaisir, mais le revers de la tradition retrouvée a une couleur quelque peu sépia…

L’histoire est celle d’un septuagénaire grincheux, hypocondriaque et misanthrope, mais non dénué de génie (génie pour quoi ? est l’une des questions du film ; on sait très vite qu’il a quand même raté de peu le Prix Nobel de physique). Notre Boris, donc – un double de Woody Allen incarné par Larry David de façon très convaincante – rencontre (ou plutôt est alpagué par) une gamine de vingt ans tout fraîchement débarquée de sa province, aussi idiote que ravissante. Comme elle a tout à apprendre, de New-York comme de la vie, elle s’attache à ce lucide vieux cinglé, adopte à sa façon sa vision désabusée et lui demande de l’épouser. Il refuse, puis il accepte, les voilà mariés et peu après débarquent les beaux-parents, séparément puisqu’ils sont désormais séparés, mais aussi ploucs républicains dégoulinants de religiosité l’un que l’autre. C’est ainsi que la galerie de portraits hilarants se complète, au fil de dialogues jubilatoires de bout en bout.

Mais ce que Whatever Works a de profondément séduisant tient en même temps à la petite philosophie qui s’en dégage, dont la pierre fondamentale est posée d’emblée par notre physicien de génie (voici donc la réponse à la question initiale) : Le tout est que ça marche. Ce qui n’est dit qu’au fur et à mesure du film, c’est l’implicite de la maxime : "Le tout est que ça marche… ici et maintenant en tout cas". Alors l’union d’une écervelée et d’un nobellisable, OK, tant que ça marche. Et le reste, idem.
Mais s’il se trouve que la vie – "le destin" ! – fait évoluer les choses, et bien tant pis, et bien tant mieux, tout est bouleversé, les personnes changent de point de vue, d’idées, d’envies, de vie… "le tout est que…".
Bref, Woody Allen ouvre ici grand la porte au hasard, fait de son anti-héros associable et angoissé un philosophe qui accepte les événements tels qu’ils viennent, et délivre dans ce film une morale des plus vivifiantes, où rien ni personne n’est figé, où ce qui fait évoluer, les surprises et les rencontres constituent tout le sel de l’existence.

Whatever Works
Une comédie de Woody Allen
Avec Larry David, Evan Rachel Wood, Ed Begley Jr., Patricia Clarkson, Henry Cavill, Michael McKean…
Durée 1 h 32

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L'Alvin Ailey American Dance Theater au Châtelet

Alvin Ailey American Dance Theater
Pour fêter le cinquantenaire de l’Alvin Ailey American Dance Theater, les Etés de la Danse de Paris invitent à nouveau la célèbre compagnie américaine, après l’avoir accueillie dans la cour de l’Hôtel des Archives en 2006.

Cette année, la fête à lieu dans le très beau théâtre du Châtelet, pour une programmation éclectique déclinée selon trois menus différents.
La directrice de la compagnie – Judith Jamison, depuis la mort d’Alvin Ailey en 1989 – est restée fidèle à l’esprit de son fondateur. Autour de jeunes danseurs, noirs pour la plupart, elle explore la danse moderne américaine en puisant aussi bien dans ses racines afro-américaines, dans le jazz que dans le classique.
C’est avec Revelations, ballet créé en 1960 par Alvin Ailey sur des Negro Spirituals que l’Alvin Ailey American Dance Theater s’est fait connaître aux Etats-Unis puis dans le monde entier avec un succès immense.
Le talent de la compagnie ne se limitant pas à ses signatures, on découvre aussi ces danseurs et danseuses magnifiques dans des ballets de Maurice Béjart, Hans van Manen, Twyla Tharp, George Faison…

Les soirées du programme "A" étaient bien révélatrices de cette diversité. Pour qui découvre l’Alvin Ailey American Dance Theater, c’est un choc, l’une de ces surprises que l’on n’est pas prêt d’oublier.
Première partie flamboyante avec Festa Barroca, ballet de l’italien Mauro Bigonzetti créé en 2008 et montré en France pour la première fois à cette occasion. Jupes de soieries superbes, jaunes, roses, vertes, mauves, rouges, pour les hommes comme pour les femmes, chorégraphie hyper-moderne tout en dos et en bras, vibration des lumières autour des jeux de jambes dans un tournoiement époustouflant de corps et de soies. Cette folie créatrice se déploie sous des musiques de Haendel, opéras et oratorios, et de ce contraste naît un étonnement jubilatoire.

Ensembles, solos, duos alternent ; sous nos yeux semble s’inventer la danse à deux. Loin de la pâleur convenue d’une sensualité léchée, ici les corps se mêlent et s’imbriquent sans faux semblant, alternance de lenteur et de frénésie, tout en contacts et jeux charnels. Chaleur, beauté de la danse, sans compter celles des corps.

Enfin viennent les fameuses Revelations, près d’un demi-siècle d’âge – et c’est comme si le vrai feu d’artifice 2009 avait lieu ici et maintenant. Tempo de folie, joie contagieuse des danseurs, spectacle tout en classe à l’américaine. Les Negro Spirituals s’enchaînent, la salle est au bord du malaise (pour ne pas dire autre chose). Tout à coup, on se dit que là est l’essence, la vérité de la danse, dans un concentré d’énergie et de bonheur que voudrait admirer et vivre de longues minutes encore.

L’Alvin Ailey American Dance Theater
Les Etés de la danse de Paris
Jusqu’au 25 juillet 2009
Du mar. au dim. à 20 h, représentation supp. le dimanche à 15 h
Théâtre du Châtelet
1, place du Châtelet – Paris Ier
Location au théâtre du lun. au dim. de 11 h à 19 h, au 01 40 28 28 40 et sur le site
Places de 10 € à 75 €

Rencontres-spectacles les 15 et 22 juillet à 15 h (présentation d’un ballet suivi d’un échange entre le public et les danseurs)
Projections de films d’archives sur le 50ème anniversaire de la compagnie les 15, 18, 22 et 25 juillet à 11 h
Exposition de photos sur le 50ème anniversaire de la compagnie également au théâtre du Châtelet

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Gérard Pesson : Pastorale au Châtelet

Pastorale, Pesson, Sorin, Le ChâteletMêler à l’opéra la variété issue de la Star Académie est une entreprise audacieuse, qui s’expose aux risques de ridicule et de prétention, un peu comme sortir l’argenterie et le linge damassé pour servir du fast-food. Ces risques là, Gérard Pesson les a pris, en créant Pastorale, donnée ces jours-ci en première au théâtre du Châtelet à Paris. (1)

Le livret est inspiré de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman-fleuve du XVIIème siècle décidément revenu à la mode puisqu’il avait déjà inspiré en 2007 un très beau film à Eric Rohmer ("Les Amours d’Astrée et de Céladon").
Dans l’oeuvre d’Urfé, l’histoire est celle d’aristocrates endossant l’habit de bergers pour jouer aux jeux de l’amour, avec pour personnages centraux la belle Astrée et le jeune Céladon qui s’aiment et se fuient sans fin, trahisons et souffrances à la clé.

Dans Pastorale, ce sont de jeunes candidats à un jeu de télé-réalité qui se mettent dans la peau de bergers, entourés d’assistants et guidés par le druide Adamas.
Lookés façon néo-babas-cools, les jeunes partent donc chercher le bonheur dans de vertes prairies, dans une nature close et idéalisée, rejouant une fois de plus le mythe de l’Eden retrouvé. Les amours d’Astrée et de Céladon, quant à elles, assurent – a minima – la structure narrative de l’opéra.

Ce mélange d’inspirations (la littérature et la télé-réalité) pèse hélas sur la cohérence du spectacle et en brouille la lisibilité. Le livret est révélateur de ces contradictions (pas moins de quatre auteurs y ont d’ailleurs participé) : d’une écriture courte et erratique, il hésite entre prosaïsme et poésie, entre simple envoi de messages et romanesque, sans qu’aucune force ne parvienne à le faire décoller.
La cohabitation de voix lyriques et de la chanson est bien de ce tonneau-là, alliage quelque peu improbable, et grande est la menace – non totalement exécutée toutefois, fort heureusement – de voir la représentation sombrer du mauvais côté de la comédie musicale genre cucul-commercial. Quant à la chorégraphie, sortie de l’imagination, visiblement très limitée, de Kamel Ouali, elle semble appartenir à la même école artistique que les costumes : agitée à trop vouloir être jeune, banale à trop vouloir être à la mode.

Ça, c’est tout ce qui peut agacer. On passe pourtant une très bonne soirée. Et il y a de quoi : la musique de Gérard Pesson, que l’on range d’habitude du côté du bizarre et de l’intime, déploie dans cette ambiance pastorale et contemporaine tout ce qui en fait le charme. Ses couleurs variées et ses déclinaisons de formes infinies révèlent de magnifiques harmonies. Elles sont jouées avec de vrais instruments autant qu’avec toutes sortes d’objets domestiques et font la part belle aux pépiements d’oiseaux, bruits d’eau, respirations, bruissements (et déchirements) de feuilles…
La scénographie / mise en scène est signée du grand vidéaste Pierrick Sorin. Faite notamment d’images tournées directement à partir de maquettes posées sur scène et projetées sur grands écrans, elle fourmille d’inventivité, de surprises et bien souvent d’humour. Plein de vie et des plus plaisants, ce cadre visuel joue un rôle prépondérant dans le spectacle.
Finalement, la très bonne idée de cette Pastorale est certainement l’association Pesson – Sorin. A tous les deux ils sont capables de créer une telle poésie et une telle modernité que l’on ne voit pas bien pourquoi il a fallu aller chercher du côté de la télé et de la variété pour tenter d’enrichir le programme. Ce jeunisme quasiment affiché frôle la démagogie et encombre un spectacle dont la seule présence de grandes voix lyriques sobrement dirigées aurait à coup sûr garanti le succès. On peut rêver à un nouveau casting : ce serait la Pastorale II.

Pastorale
Gérard Pesson
Opéra en quatre actes et quarante-deux numéros
Théâtre du Châtelet – 1 place du Châtelet, 75001 Paris
Renseignements : 01.40.28.28.00
Jusqu’au 24 juin 2009, à 20 h
Durée : 2 h 25 avec entracte
Places de 15 € à 90 €

Livret : Martin Kaltenecker, Philippe Beck et Gérard Pesson, avec la collaboration de Hervé Péjaudier
d’après L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627)
Création scénique mondiale
Direction musicale : Jean-Yves Ossonce
Mise en scène, vidé, décors, costumes et lumières : Pierrick Sorin
Chorégraphie : Kamel Ouali
Astrée Judith Gauthier
Céladon et Alexis Olivier Dumait
Listandre Ivan Geissler
Adamas Marc Labonnette
Silvandre Pierre Doyen
Florice et Sylvie Marie-Ève Munger
Phillis Hoda Sanz
Diane Raphaelle Dess
Une bergère Melody Louledjian
Une bergère et Léonide Amaya Dominguez
Une bergère et Galathée Sophie Leleu
Hylas Jean-Gabriel Saint-Martin
Lycidas Thomas Huertas
Orchestre symphonique Région Centre-Tours
Chœur du Châtelet

(1) Pastorale est une commande de l’Opéra de Stuttgart, où l’oeuvre a été créée en version de concert en mai 2006. Pour cette création scénique, le Théâtre du Châtelet a passé commande à Gérard Pesson de deux nouvelles chansons, écrites par Adrien Léveillé et destinées à Diane et Phillis.

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