Proust ou les intermittences du coeur

Ballet de l'Opéra, Roland Petit, Proust ou les intermittences du coeur
Roland Petit s’est toujours attaché à mettre en lien la danse et la littérature.
En 1974, celui qui allait rester à la tête du Ballet national de Marseille pendant vingt-six ans créé à l’Opéra de Monte-Carlo Proust et les intermittences du cœur.
Il est alors le premier à proposer une adaptation chorégraphique de La Recherche.
En 2007, le ballet entre au répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris. Sa reprise cette saison est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir ce magnifique spectacle.

Accompagné d’un choix séduisant de compositeurs du XIXème, les deux actes réunissant au total treize tableaux sont dédiés successivement aux univers féminins puis masculins du roman. Après une ouverture sur le clan Verdurin – esprit duchesse de Guermantes, ce qui est déjà un programme en soi – Roland Petit s’attèle à ce qui constituera le fil conducteur de sa "lecture dansée" de Proust : les passions.

L’évocation de la sonate de Vinteuil – cette phrase musicale devenue pour Charles Swann symbole de l’amour – surgit d’un splendide duo, tendre, fluide, à l’épure émouvante. Viendront ensuite les aubépines de l’enfance du narrateur et sa prime passion pour Gilberte, puis Balbec et ses jeunes filles en fleur et, déjà, les soupçons quant aux amours d’Albertine et Andrée. Son incurable jalousie conduira le narrateur à faire d’Albertine sa prisonnière. Ce dernier tableau La regarder dormir, se clôturant sur la disparition d’Albertine, extrêmement métaphorique, est d’une splendeur à couper le souffle.

Tout au long de ce premier acte, la délicatesse puis la force des sentiments, mais aussi la finesse d’écriture de Marcel Proust sont merveilleusement transposés, tandis que les costumes et les décors (que Roland Petit a fait recréer pour l’entrée du ballet au répertoire de l’Opéra de Paris), où dominent blancheur et transparence illustrent élégamment le propos.

La deuxième partie nous plonge dans l’univers tourmenté des hommes et du vice, notamment celui du terrible baron de Charlus, sempiternellement aux prises avec ses passions et ses démons. Un acte beaucoup plus sombre, où la duplicité de Morel, le jeune violoniste dont Charlus est amoureux fou s’incarne dans un contraste de noir et de blanc, où les maisons de plaisir apparaissent dans un classique rouge et noir, où le supplice du baron est teinté de gris.
L’obscurité de la ville privée de ses lumières pendant la guerre donne lieu à un tableau de corps dénudés en ombres chinoises d’une troublante beauté.
Enfin, sur une musique de Wagner, survient "Cette idée de la mort…", ballet macabre où les mondains hier si brillants apparaissent comme de pauvres automates dont les années ont figé les traits, où la duchesse de Guermantes elle-même se révèle dans toute sa vanité, où le narrateur, face au miroir que constitue cette société réalise que le temps a passé et que la mort ne va pas tarder.

Proust ou les intermittences du cœur
Chorégraphie et mise en scène : Roland Petit
Musiques : Ludwig van Beethoven, Claude Debussy, Gabriel Fauré, César Franck, Reynaldo Hahn, Camille Saint-Saëns, Richard Wagner
Décors : Bernard Michel, cosumes : Luisa Spinatelli
Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Koen Kessels
Opéra national de Paris
Palais Garnier – Place de l’Opéra, Paris 2ème (tel. : 08 92 89 90 90)
M°Opéra, bus 20, 21, 22, 27, 42, 66, 68, 81, 95
Du 27 mai 2009 au 8 juin 2009
Tous les jours sauf le dimanche à 19 h 30
Places de 6 € à 85 €

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Dans la brume électrique. Bertrand Tavernier

Dans la brume électrique, Bertrand TavernierBertrand Tavernier est allé en Louisiane pour tourner son dernier film, et il y a mis tout ce qui fait l’histoire et l’essence des Etats-Unis : la guerre de Sécession, la justice privée, les armes, les inégalités sociales, les rapports raciaux, l’alcool, la drogue, la mafia, le cinéma, l’argent, la prostitution, l’immigration mexicaine, les flics et le FBI.

Et, sur le bayou, pour accompagner son héros, inspecteur aux prises d’une méchante enquête criminelle, interprété par Tommy Lee Jones, il y a ajouté les fantômes.
Brumeuse, troublante communication avec les morts. Ce n’est pas pour rien si "dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants". Même bien plus tard, on n’est jamais à l’abri de la visite d’un défunt.

L’assemblage de tant d’éléments aurait pu donner un film brouillon, frôlant tous les thèmes sans en aborder aucun et assommant pour le spectateur.
Il n’en est rien. Dès les premières scènes, dès les premiers mots de la voix off – le récit de l’inspecteur Robicheaux – le plaisir de cinéma est là. La fluidité et l’efficacité de la caméra de Bertrand Tavernier embarquent immédiatement dans le "ici et maintenant" du film, à savoir l’enquête de Robicheaux, mais aussi son passé, son règlement avec les morts. Autant dire qu’il est difficile de démêler ce qui captive le plus, de la macabre énigme – crimes atroces commis contre de jeunes femmes belles et pauvres -, ou du cheminement personnel de l’enquêteur.
Plus encore, il est impossible, après avoir suivi passionnément Tommy Lee Jones pendant deux heures, d’imaginer une seule seconde un autre acteur dans la peau de Robicheaux.
Poliment, il est dit ici que le comédien a collaboré de façon très serrée non seulement à la manière de jouer, mais aussi au scénario du film de Tavernier. Ailleurs, on comprend qu’il a été des plus pénibles à diriger. Ce que l’on voit à l’écran est une interprétation qui semble aller de soi, magnifique, juste, émouvante. Elle est au service d’un vrai regard de cinéaste, original, humaniste, et, visiblement, envers et contre tout, amoureux fou des Etats-Unis.

Dans la brume électrique
Un film de Bertrand Tavernier
Adapté du roman de James Lee Burke
Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard
Durée : 1 h 57

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Ponyo sur la falaise. Hayao Miyazaki

Ponyo sur la falaise, MiyazakiUn petit poisson rouge du genre féminin vivait en eau profonde avec ses sœurs et sa mère, enfermées dans un royaume sur lequel régnait un savant un peu fou. Ennemi des hommes, il préparait le retour du monde marin sur la terre et surveillait de près ses nombreuses créatures.
Juste de l’autre côté du rivage, tout en haut de la falaise, vivaient le petit Sosuke et sa jeune maman, toute énergique et très aimante de ses prochains. Quant au papa, on ne le voyait jamais que sur son bateau, d’où il envoyait des mots tendres, en morse, à Lisa son épouse et à leur fils.

Mais le destin de nos deux petits êtres changea le jour où, aventurée hors de sa prison dorée, le petit poisson rouge rencontra Sosuke sur la plage. Ils s’aimèrent immédiatement et n’envisagèrent plus de se quitter. C’était oublier le vieux luné des fonds marins qui n’escomptait pas laisser son poisson hors de l’eau où, rebaptisée Ponyo, elle deviendrait une petite fille…

Bienvenue dans un monde où le quotidien côtoie le merveilleux, le prosaïque le magique et la modernité de notre temps l’imaginaire le plus débridé. Au fil d’une narration qui captive petits et grands de bout en bout, Miyazaki nous plonge dans un très bel univers, débordant de couleurs et accueillant.
Il dessine des personnages singuliers, totalement incarnés, auxquels il attache le spectateur sans que son histoire ne frôle la mièvrerie.
Il suffit d’aimer les grands contes pour abandonner sa raison et se laisser embarquer, deux heures durant, dans ce voyage japonais où l’amour et l’authenticité rendent la grâce possible. A coup sûr qu’à tout âge, on en reviendra enchanté.

Ponyo sur la falaise De Hayao Miyazaki
Avec les voix de Tomoko Yamaguchi, Hiroki Doi, Kazushige Nagashima…
Durée : 1 h 41 min
Film pour enfants à partir de 6 ans

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Villa Amalia. Benoît Jacquot

Villa Amalia, Benoît JacquotAdapté du très beau roman de Pascal Quignard, Villa Amalia est l’histoire d’une jeune femme qui, après avoir aperçu derrière les grilles et les feuillages d’un jardin l’homme de sa vie embrasser une autre femme, décide "d’éteindre sa vie".
Mourir ? Non, tout au contraire, il s’agit plutôt d’une renaissance. Un effacement, une disparition, pour partir et faire autre chose. Ou, plus simplement, pour "être".
Dans une scène de la première partie du film, celle où Ann organise minutieusement, presque scientifiquement son "extinction", elle demande à son compagnon de quitter le domicile conjugal sur le champ. Celui-ci lui dit que ce n’est pas possible, qu’il ne peut pas partir comme ça du jour au lendemain. Ann lui répond : "Si, tu dois t’en aller ; l’appartement est à moi. Et d’ailleurs, ma vie aussi m’appartient".
Il y a chez Ann le désir impérieux, irrésistible de se dessaisir de tout ce qu’elle a construit, de le raser, pour ne poursuivre qu’avec elle-même. Juste avec son corps, pourrait-on dire. De ses vêtements, elle se dépouille progressivement au fil du voyage qui la mènera vers la Villa Amalia, une petite bâtisse perchée sur une île du sud de l’Italie. Ses cheveux, elle les écourte sans hésitation. Quant à l’intérieur de sa tête, nul ne sait ce qui s’y passe. L’une des réussites de Benoît Jacquot est d’ailleurs d’avoir respecté l’absence de psychologie du roman de Quignard. Comme l’auteur de Tous les matins du monde, il se contente de suivre et montrer son personnage au plus près.
Isabelle Huppert semble ici au delà de toutes les déclinaisons du jeu d’acteur. Elle interprète ce rôle avec une telle simplicité, un tel naturel, qu’elle est Ann, cette femme qui longtemps fut pianiste reconnue, parisienne chic et femme d’un autre, pour devenir étrangère dans un coin perdu et sauvage, un corps qui nage jusqu’à l’épuisement sur une mer nouvelle, une âme qui s’attache à une jeune italienne rencontrée là.
Dans le rôle de l’ami de passage qui l’aide matériellement à passer, justement, dans cet autre monde, celui où elle n’est plus connue de personne, et d’elle ignoré, Jean-Hugues Anglade est magnifique de sensibilité, de discrétion et de sincérité.
Tout en sobriété, en profondeur et en finesse, comme l’est cette Villa Amalia qui, à l’écran comme sur la page, à travers l’histoire d’Ann, semble être celle d’un rêve ancien et enfoui, et peut-être l’un des mieux partagés.

Villa Amalia
Un film de Benoît Jacquot
Avec Isabelle Huppert, Jean-Hugues Anglade, Xavier Beauvois
Durée 1 h 31

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A Paris, les films primés aux Rencontres de Toulouse

Vil Romance, José CampusanoLes 21° Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse se sont achevées hier.
Dès demain mardi 31, au Nouveau Latina, les Parisiens pourront découvrir en avant-première trois des films primés.

La soirée commence à 20 h, avec le prix Signis du Court-métrage Café Paraiso de Alonso Ruiz Palacios (Mexique, 10 min, 2008). Il sera suivi du Grand Prix Coup de Cœur Impulso de Mateo Herrera (Equateur, 1 h 24, 2009), puis à 22 h, du Prix Découverte de la Critique Française et Rail d’Oc Vil Romance.

Ce dernier film, réalisé par l’Argentin José Campusano, n’a pas laissé les festivaliers indifférents. Il met en scène une histoire d’amour tragique entre le jeune Roberto et Raúl, un homme de trente ans son ainé. Malgré la dureté de Raúl, Roberto s’attache à lui, se sent à l’abri sous son aile. Mais ce lien s’avère de plus en plus dangereux, Roberto révélant sa duplicité et sa violence au fil de cette vie de couple singulière. En même temps, le spectateur découvre la famille et les amis de Roberto, et entrevoit ce qui peut le pousser à s’obstiner dans cette relation d’amour douloureuse.
Vil Romance est un film profondément dérangeant, sur la violence, sur les masques qu’elle prend (le portrait de Raúl est captivant), sur les chaînes qu’elle instaure et le pouvoir – ou non – de les briser. Filmé à la manière d’un documentaire dans un quartier peu amène de Buenos Aires, magnifiquement interprété de toutes parts, ce prix Découverte marque durablement les esprits.

Vil Romance de José Campusano (Argentine, 1 h 43, 2008)
A voir demain mardi 31 mars à 22 h
Précédé, à 20 h, de Café Paraiso et de Impulso
Au Nouveau Latina
20, rue du Temple – Paris 4ème
Tél. 01 42 78 47 86

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Tourbillons à Toulouse

Tourbillons, Lais BodanzkyAux Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse, entre deux films argentins qui explorent les thématiques récurrentes depuis une dizaine d’années du cinéma argentin (l’homosexualité, la religion, la violence), l’heureuse surprise vient cette année d’un film brésilien, présenté hors compétition dans la section "Panorama".

Tourbillons, dont le titre original « Chega de Saudade » évoque plus directement l’unité de lieu du film – un dancing de São Paulo – aborde pourtant un sujet glissant. Risques de condescendance, d’accumulation des clichés, sans compter celui de tourner en rond. Laís Bodanzky les évite tous avec une solide maîtrise pour nous offrir un film très emballant.

Tourbillons se déroule pratiquement de bout en bout dans un bal d’habitués d’âge mûr que l’on va suivre de son ouverture en début de soirée jusqu’à sa fermeture à minuit. Pendant ces quelques heures denses, la caméra souple et inspirée du Brésilien suit ces hommes et ces femmes, couples légitimes ou de circonstances, amis et amies, célibataires, divorcés, veufs faux et vrais.
Les années ont argenté les tempes et plissé les peaux, mais laissé intact le goût du tango, de la rumba et du cha-cha-cha, l’admiration pour la précision d’un pas, la grâce d’un chaloupé et l’harmonie d’un duo. Les sandales dorées ont toujours le talon haut et fier, les yeux et les bouches leur rimmel pailleté, les hommes leur bagout et leur torse engageant.

Tourbillons à ToulouseLaís Bodanzky ne filme pourtant pas une micro-société vieillissante qui refuserait son âge ou se donnerait l’illusion de revivre sa jeunesse éternellement. Tourbillons ne donne d’ailleurs rien "en spectacle" : il est avec ses personnages, au plus près d’eux, à hauteur d’eux. Il les aime, nous les fait aimer et nous empêche de les juger. Ces hommes et ces femmes acceptent leur âge et le considèrent avec beaucoup de lucidité, ce qui ouvre la porte à l’humour, un humour parfois doux-amer, parfois même cruel.
Et si tous sont des fous de danse, c’est la vie qu’ils viennent chercher avant tout à la Chega de Saudade. A un moment donné, deux femmes se crêpent le chignon au sujet d’un homme qui est le mari de l’une et l’amant de l’autre. La première dit à la seconde : "Tu ne sais pas ce que c’est que l’amour !". Et l’amante de répondre : "Moi, ce qui m’intéresse, c’est de me sentir vivante !".

De vie, le dancing n’en manque pas. Il est le lieu où se se retrouvent les peurs et les doutes, l’âge, la mort, la jalousie, l’abandon ; mais aussi ce qui peut en sauver, au moins pour un temps, l’amour, l’amitié, la fidélité, la confiance, la dignité.
Laís Bodanzky caresse les drames, surprend les instants de mélancolie, de sensualité et de colère sans détour mais avec délicatesse, et nous donne le plaisir de voir exister des personnages magnifiques, de leur laisser nous apprendre des choses sur eux-mêmes, sur nous-mêmes et sur la vie, quelque chose de gai et d’un peu douloureux, mais qui vaut le coup d’être dansé, en gardant sa souplesse, son rythme et sa superbe.

Tourbillons / Chega de Saudade
De Laís Bodanzky
Brésil – 2007 – 1h35
Scénario : Luis Bolognesi
Interprétation : Tonia Carrero, Leonardo Villar, Cassia Kiss, Betty Faria, …
Distribution : Arte cinéma

Le site du film

Le palmarès des 21° Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse qui s’achèvent aujourd’hui

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Les 21e Rencontres Cinémas d'Amérique latine à Toulouse

Rencontres des cinemas d'Amerique latine de Toulouse 2009Les Rencontres des Cinémas d’Amérique latine ont démarré ce vendredi jour du printemps et se déroulent jusqu’au dimanche 29 mars à Toulouse.

Conformément à une tradition désormais bien établie, elles seront l’occasion de distinguer les films les plus marquants de la production cinématographique contemporaine venue d’Amérique latine, avec :

– le Grand Prix Coup de cœur et le Prix du Public Intramuros (sept longs métrages inédits en France),
– le Prix Découverte de la Critique Française de Cinéma et ceux des Cheminots Cinéphiles (six premiers films inédits en France),
– le Prix de la FIPRESCI (premiers films),
– le Prix Signis, qui récompensera l’un des sept documentaires en compétition,
– les prix Courtoujours du CROUS et Signis des meilleurs courts-métrages.

Egalement au programme de ces 21e Rencontres :
Otra mirada / Autre regard : un zoom sur des longs-métrages repérés pour leur traitement formel original
– Un panorama de la production récente, présentée pour la première fois à Toulouse
– Une rétrospective sur le documentaire chilien post-dictature
– Un hommage aux cinquante ans de cinéma cubain, lancé grâce à la naissance de l’Institut Cubain de l’Art et de l’Industrie en mars 1959
– Un retour sur le Jeune cinéma argentin, vague novatrice apparue il y a une dizaine d’années
– Des sélections spéciales pour le jeune public
– Les rendez-vous des professionnels : Cinémas en Construction pour aider des films en post-production, Cinéma en Développement, plateforme de projets et Cinéma sans Frontière, nouvelle initiative pour promouvoir la diffusion des œuvres, soutenue par l’Union Européenne et qui permettra à une trentaine de professionnels d’Europe et d’Amérique latine de se réunir et d’échanger.

Et bien sûr, cette très sympathique manifestation fait la part belle aux rencontres – à la librairie Ombres Blanches notamment -, aux débats, aux concerts, sans oublier le tango avec projection de films, démonstration et… initiation.

Toutes les infos sur
le site de l’Association Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse
Et aussi :
Peliculas, le journal sur Mediapart
Le blog sur arte.tv

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Gran Torino. Clint Eastwood

Gran Torino, film de Clint EastwoodWalt Kowalski, vieil homme à l’ancienne, droit comme un i (incarné par Clint Eastwood soi-même), planté de longue date dans ses principes, enterre son épouse.
La descendance se tient à distance de ce caractère inflexible, tout en guettant l’héritage, qui le divan, qui la maison, qui la Ford Gran Torino – déesse faite automobile, que Walt entretient savamment, polit jalousement.

Veuf, Walt Kowalski se retrouve désormais seul, au fil de journées sans surprise. Ses travaux de bricolage terminés, il s’assied devant sa porte, sa chienne Daisy et sa glacière à ses côtés, et là, il boit des bières, fume et fulmine.
Et lorsqu’il voit débarquer dans la maison voisine une famille asiatique de plus, ses souffrances d’ancien combattant de la guerre de Corée, son amertume et son racisme s’exacerbent contre ces ‘faces de citrons" exécrées.

Pourtant, c’est pour d’autres motifs que Walt ressortira sa vieille arme.
Car au dessus de ses petites haines ordinaires, il y a la haine de la violence faite aux enfants et aux femmes, y compris le mal qu’il a lui-même commis et qu’il ne se pardonne pas.

Gran Torino commence tranquillement, avec ses personnages bien posés, son scénario que l’on sent sûr de ses arrières.
Mais, petit à petit, Clint Eastwood se met à nous "promener", à nous surprendre en dessinant des personnages de plus en plus attachants.
Sa mise en scène, indémodable, son épure, qui est la marque de son style, ne font pas pour autant de son film un cinéma prévisible – la fin nous le rappelera si besoin est. Quant à l’humour et l’auto-dérision, ils viennent rappeler que cet immense cinéaste sait ne pas se prendre au sérieux et insufflent à ce drame un souffle de tendresse irrésistible.

Clint Eastwood ramasse dans ce film les thématiques qui lui sont chères avec une incroyable efficacité. Il évoque à nouveau la rédemption, bien sûr ; mais il s’obstine surtout, et visiblement sans aucune fatigue, à dénoncer les injustices, toujours les mêmes, comme si le cœur de l‘Impitoyable ne prenait pas une ride.
Film après film, et en suscitant toujours autant d’émotion, il ne cesse d’explorer aussi le thème de la transmission, pour atteindre dans Gran Torino un sommet final qui touche au génie.

Gran Torino. Clint Eastwood
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her
Durée 1 h 55

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L'Autre

L'Autre, avec Dominique BlancL’Autre est d’abord l’occasion de retrouver à l’écran la magnifique Dominique Blanc, justement récompensée pour ce rôle au festival de Venise.

Elle y incarne Anne-Marie, une assistante sociale divorcée de quarante-sept ans, qui entend enfin "vivre sa vie". Cette raison, précisément, l’amène à rompre – presque joyeusement – avec Alex, son jeune et bel ami du moment qui, lui, souhaite s’engager dans une relation maritale.
Peu de temps après, celui-ci annonce à Anne-Marie qu’il a retrouvé "quelqu’un". Cette fois, le désir de vie commune est partagé.

Peut-être Anne-Marie entre-t-elle dans le cercle infernal de la jalousie au moment où, pressé par ses questions, Alex lui apprend que sa nouvelle compagne a le même âge qu’elle. A cet instant, la si légère et assurée Anne-Marie se trouble ; un voile se déchire et un souffle irrésistible l’attire vers cette Autre dont Alex refuse de dire le nom. Le chemin que prend alors Anne-Marie va la mener à une descente aux enfers, où la connaissance de cette femme devient une obsession. Que fait-elle, où habite-t-elle, comment vit-elle,… qui est-elle ?? Le monde d’Anne-Marie se referme sur cette quête. Dans son appartement hautement sécurisé, la femme moderne, indépendante, qui "contrôle tout", se met à perdre complètement les pédales.
Mais, au bout de sa folie, réalise-t-elle que cette rivale traquée sans relâche n’est peut-être autre qu’elle-même ? Comme si, à travers sa soif de tout savoir de cette congénère il y avait l’attrait – autant que la répugnance – pour soi-même ?

Dominique Blanc, dont le talent excède la mesure du prêt-à-jouer, endosse ce rôle de haute-couture avec une maestria époustouflante. Elle révèle petit à petit la jalousie et l’angoisse qui peuvent surgir sans crier gare derrière la tranquillité d’un individu apparemment tout à fait à l’aise dans ses baskets.
La mise en scène porte cette traversée de façon magistrale, filmant la banlieue parisienne d’une façon nouvelle, loin de tout cliché, s’attardant sur les architectures modernes, bureaux et appartements hauts perchés, centre commercial devenu refuge des moments d’intimité, y compris pour écouter un morceau de piano, RER, arrêts de bus, voies périphériques empruntées sans cesse. Les cinéastes en font un monde à part entière, l’univers – comme un autre, mais qui en constitue un de bien précis – dans lequel leurs personnages travaillent, vivent, aiment. Aucun jugement, mais des glissements de caméra dans la nuit et les lumières qui, sur une très belle photo, invitent tour à tour à la poésie ou à l’inquiétude. Quant à la dimension fantastique, souvent frôlée pour mieux évoquer le trouble d’Anne-Marie, elle contribue à conférer une ambiance singulière à ce film ambitieux, brillant et tenu de bout en bout.

L’Autre
Un film de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic
Avec Dominique Blanc, Cyril Gueï
Durée 1 h 37

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Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard. Alain Fleischer

Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, Alain FleischerLorsqu’on annonce Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, on voit les yeux de ses interlocuteurs s’arrondir comme sous l’effet d’une trouble frayeur. Si le cinéaste a sa renommée, l’homme a aussi la sienne, et elle moins flatteuse que la première. Alain Fleischer n’en a eu cure, qui est allé "s’y coller", recueillir auprès du grand maître, à sa demande, ses réflexions sur le cinéma et l’image.

Le premier mérite d’Alain Fleischer, cinéaste, photographe, écrivain et directeur de l’école d’art audiovisuel du Fresnoy à Tourcoing, qui n’ose pas appeler "film" son documentaire, est de n’avoir pas voulu retirer son pied, une fois glissé dans la porte de M. Godard. Le tournage a duré un an et demi, dans des conditions pas toujours faciles, avec un refus de la part de l’artiste de tout dispositif cinématographique autour de lui. L’image est donc brute, presque artisanale.

Mais le plus grand mérite de l’opiniâtre Fleischer est d’avoir réussi, malgré l’aspect parfois décousu de son film, et malgré les difficultés inhérentes au discours même de Godard, souvent plein de détours, à réaliser un documentaire passionnant même pour les non-initiés. Cette réussite tient sans doute à la distance, intellectuelle comme affective, que le réalisateur a su garder vis-à-vis de son personnage, évitant l’exercice d’admiration comme la facilité d’un portrait à charge.

Jean-Luc Godard est successivement dans sa maison et dans son studio en Suisse, puis au Fresnoy, visitant une exposition d’installations vidéos des étudiants de l’école, et enfin dans sa propre exposition (avortée) au Centre Pompidou en 2006.
Evidemment, il délivre sa vérité, fait la leçon à des étudiants tour à tour captivés et perplexes, martelant entre deux tétées de cigare que le cinéma est ce qui doit montrer ce que seule la caméra peut montrer ; que le cinéma doit révéler de l’Homme un aspect jusqu’alors inconnu à lui-même ; que la caméra n’est pas une certitude mais un doute, etc. Cahin-caha, il y a toujours à prendre et à apprendre chez cet immense théoricien.

Au cours de conversations avec le producteur Dominique Païni, les critiques Jean Narboni et Christophe Kantcheff, les cinéastes Jean-Marie Straub, Danièle Huillet et André S. Labarthe, l’on aime écouter le brillant orateur et penseur, l’on s’amuse aussi à relever ses contradictions ou son chic pour "botter en touche" sans en avoir l’air lorsqu’il se sent pris dans le filet de son interlocuteur.
Car en définitive, c’est un Godard très humain, voire émouvant qu’Alain Fleischer nous donne à voir et à entendre, doutant plus qu’il n’y paraît (malgré ses jugements tranchants), y compris de son propre travail ; ne cessant de réfléchir et de créer ; homme âgé constatant le passage à une époque qui ne lui appartient plus ; rendant hommage aux pionniers du cinéma et à l’Histoire ; et, à la toute fin du film, regrettant, dans les larmes, de n’avoir pas été suffisamment compris et "reconnu"

Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard
Filmés par Alain Fleischer
Durée 2 h 05
Photos et extraits sur www.editionsmontparnasse.fr

Au Reflet-Medicis – 3, rue Champollion – Paris 5°
Séance tous les soir jusqu’au 3 février
puis hebdomadaire du 4 février au 12 mars
Séance du jeudi suivie d’un débat pendant les 2 mois de programmation :
29 janvier : Arnaud des Pallières, cinéaste
5 février : André S. Labarthe, cinéaste
12 février : Catherine Millet et Jacques Henric, écrivains
19 février : Sarkis, artiste
26 février : Nicole Brenez, essayiste, réalisatrice et professeur de cinéma
5 mars : Alain Bergala, essayiste, réalisateur et professeur de cinéma
En mars : Jean Nouvel, architecte

Au Fresnoy à Tourcoing, semaine du 4 février

Au Cratère à Toulouse, semaine du 4 mars
rencontre prévue le 7 mars avec Dominique Païni et Alain Fleischer

A l’Institut de l’Image à Aix-en-Provence, séance spéciale le 9 mars
présentée par Marc Cerisuelo, professeur d’histoire et d’esthétique du cinéma à l’Université de Provence

A venir :
Au Concorde à Nantes Au Café des Images à Hérouville Saint-Clair
Au CNP Odéon à Lyon…

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