Meilleurs voeux pour 2018

Chers lecteurs,

très belle et heureuse année 2018, dans la paix, la joie, la bienveillance et la beauté. Commencez l’année en lisant de bons livres. Pas seulement ceux qui viennent d’être publiés et dont on parle partout, mais regardez dans les bibliothèques, la vôtre, celles des autres, les bibliothèques publiques… Parlez lecture avec vos amis et vos connaissances, découvrez et redécouvrez des auteurs. Sans oublier les prescripteurs que vous connaissez bien, comme le blog que vous suivez en ce moment-même ! Et puis allez voir de beaux tableaux, de beaux dessins, des gravures, des photos, des sculptures. Parcourez  les expositions, mais aussi les salles des musées, souvent si tranquilles et qu’on oublie trop souvent de visiter. Suivez les conseils et suivez le bon vent. Laissez vous surprendre. Arrêtez-vous. Contemplez. Taisez-vous. Ecoutez la musique, où vous voulez. Et si vous le pouvez, dans les salles de concert. Restez immobiles, fermez les yeux. Savourez. Et parfois faites le silence autour de vous. Ensuite, reviendra le temps des jardins, des fleurs et du soleil. C’est 2018, c’est tout nouveau et pourtant nos besoins eux changent si peu. Très belle année à tous !

Mag

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Filles de la pluie. André Savignon

Le sous-titre du Goncourt 1912 est explicite : « Scènes de la vie ouessantine ». Savignon ne propose pas un roman mais neuf histoires dont le centre d’intérêt principal sont les îliennes, en particulier dans leur rapport aux hommes, car ceux-ci, en mer ou perdus en mer, ou définitivement partis de l’île, leur ont donné une liberté qui pose question à l’écrivain.

Les différents textes sont autant de portraits de femmes qui le plus souvent ont eu une histoire tragique. Certaines ont subi la violence masculine, d’autres une cruelle solitude. Les histoires d’amour qui commencent ne se terminent jamais dans le bonheur. C’est qu’un fossé énorme sépare les filles des garçons, comme s’il était donné à l’avance qu’une vraie rencontre entre les deux est impossible : « Trois fois elle avait été de noces. Or, ici, ces cérémonies ne sont pas, comme ailleurs, des occasions fournies aux jeunes gens de se réunir et de lier connaissance. Les noces ouessantines se réduisent à un cortège chantant d’îliennes qui promènent à travers le pays le marié et deux ou trois garçons d’honneur, tous gênés, au milieu de ces filles qui, dans leur innocence effrontée, ont l’air de célébrer une prise ».

Si certaines de ces femmes font preuve d’initiative, de courage, d’une grande volonté, Savignon insiste peu sur les solidarités féminines dont on peut supposer qu’elles ont pu être nécessaires sur une île à la vie si rude. L’absence d’hommes semble ouvrir la voie à des fantasmes masculins que l’auteur semble partager : ces femmes sont prêtes à accueillir les étrangers dans une liberté sexuelle rarement connue ailleurs. Pourtant, à l’époque du récit, ce sont surtout des soldats d’un régiment colonial qui débarquent en garnison à Ouessant, et on peut imaginer quel type d’offre ces hommes proposent.

Le pittoresque n’est pas absent de l’évocation de cette vie à Ouessant au début du vingtième siècle, et la dénonciation des changements que Savignon observe n’est pas exempte d’une idéalisation d’une vie plus « naturelle » qui serait propre à la condition d’isolement : « (…) savez-vous, fichez nous la paix !… F…-nous le camp, avec vos progrès et vos inventions du diable, vos journaux, vos phares, votre télégraphie sans fil et vos soldats et votre argent qui a corrompu notre île. Laissez-nous nos anciens usages et, que vous veniez de France ou d’ailleurs, partez, allez coloniser plus loin : nous en avons assez d’être traités comme des nègres ou des canaques !… ».

Exotisme et rêves de disponibilités amoureuses ne suffisent pas à assurer l’adhésion à ces neuf histoires.

Andreossi

Filles de la pluie. André Savignon

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La condition humaine, André Malraux

la_condition_humaineSans la voix du président du jury (en 1933, Rosny aîné), qui compte double, le Goncourt aurait échappé à André Malraux, au profit du roman Le roi dort, de Charles Braibant, totalement oublié depuis. Cela n’aurait sans doute pas empêché le succès de La condition humaine, dont la qualité ne fait pas de doute au lecteur d’aujourd’hui.

Pour qui découvre le roman après les lectures des décennies précédentes, c’est le coup de jeunesse donné au genre qui impressionne. Cela tient beaucoup à l’écriture : on a évoqué à son propos un style qui rappelle la technique de plans cinématographiques, qui se succèdent selon le temps propre à l’œuvre. Mais aussi grâce à la variété des thématiques qui éveille constamment l’intérêt du lecteur, même si ces épisodes d’actions révolutionnaires précédant de vingt -deux ans la prise de pouvoir par Mao peuvent paraître difficiles à suivre.

L’action se déroule en Chine, à l’époque où le Kuomintang, dirigé par Tchang Kaï-chek et ses alliés communistes veulent prendre le contrôle du nord du pays. En mars-avril 1927, au cours de la prise de Shangai, Tchang Kaï-chek décide de se débarrasser de ses alliés. Le point de vue est celui des combattants communistes, ce qui donne lieu à une réflexion sur le terrorisme : « Il connaissait des terroristes. Ils ne se posaient pas de questions, ils faisaient partie d’un groupe : insectes meurtriers, ils vivaient de leur lien à un étroit guêpier ». Et aussi : « Donner un sens immédiat à l’individu sans espoir et multiplier les attentats, non par une organisation, mais par une idée : faire renaître des martyrs ».

Mais on trouvera maintes oppositions de valeurs entre la Chine et l’occident au détour des observations des personnages mis en place par le romancier. Car les colons ne sont jamais loin, du pittoresque Clappique, ancien marchand d’art devenu trafiquant d’armes, à l’homme d’affaire Ferral qui compte sur l’appui du gouvernement français pour obtenir des crédits : « grâce aux liens qui unissent le Consortium à une grande partie du commerce chinois, j’ai participé de la façon la plus efficace à la prise de pouvoir par le général Tchang Kaï-chek » avoue-t-il.

Oppositions de valeur en matière d’art par exemple : « Quand je suis allé en Europe, j’ai vu des musées. Plus vos peintres font des pommes, et même des lignes qui ne représentent pas des choses, plus ils parlent d’eux. Pour moi, c’est le monde qui compte ». Contraste aussi sur le statut des femmes. Le bel amour qui unit le révolutionnaire Kyo et la médecin May n’est pas remis en cause par la liberté sexuelle de celle-ci, alors que le chinois traditionaliste soutient qu’ « il est bon qu’existent la soumission absolue de la femme, le concubinage et l’institution des courtisanes ».

Le roman ne dédaigne pas non plus la réflexion métaphysique. Le père de Kyo, universitaire communiste, dont la sagesse est entretenue par l’addiction à l’opium médite : « chacun souffre parce qu’il pense. Tout au fond, l’esprit ne pense l’homme que dans l’éternel, et la conscience de la vie ne peut être qu’angoisse. Il ne faut pas penser la vie avec l’esprit, mais avec l’opium ».

Le jury du Goncourt 1933 se serait bien trompé en ne couronnant pas ce roman aux intérêts multiples et tellement contemporains.

Andreossi

La condition humaine, André Malraux

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Force ennemie, John-Antoine Nau

force_ennemieVerrait-on aujourd’hui le jury du prix Goncourt élire un roman publié à compte d’auteur, alors que les éditeurs rivalisent d’ardeur pour mettre en avant leurs favoris ? En 1903, à l’occasion du premier prix Goncourt, c’est pourtant ce qui est arrivé à John Antoine Nau. Et pour le moins à propos d’un livre fort original à divers points de vue.

L’histoire que nous conte le narrateur est plutôt rocambolesque : il se trouve injustement interné en asile où il rencontre l’éventail pittoresque des malades mentaux de tous ordres, « soignés » en particulier par un médecin qui n’est pas le plus sain en matière comportementale. Il devient amoureux (fou ?) d’une belle démente au point de la violer dans son sommeil. Il s’aperçoit qu’il est en fait possédé par un être venu de l’espace (la force ennemie !), plus précisément de la planète Tkoukra, sur laquelle les conditions de vie étaient bien plus tristes que sur la Terre. Il réussit à s’enfuir de l’asile, trouve refuge chez son frère à Paris, pour arriver finalement aux Antilles toujours à la poursuite de son amour, et toujours aux mains du Tkoukrien.

Le roman se lit encore pour son humour, qui a largement pour base le langage parlé des personnages, que ce soient les expressions excentriques des internés ou les manières de tourner les phrases et les mots des protagonistes les moins cultivés : « C’est pas qu’elle s’exaspère plus que les autres (…) ; maintenant, il est vrai de dire qu’elle, les rares fois que ça la prend, ça fait grémir. C’est aigu comme une lame de paugnard et ça vous fait dans le dos comme si que ce serait une scie qui vous passerait sur les noyaux de la colonne… »

Les italiques sont de l’auteur, qui souligne par la typographie ce qui peut manquer à l’écriture pour accentuer certains effets. Il a aussi la ressource des points d’exclamation, d’interrogation, de suspension, des parenthèses, des guillemets, des tirets bien plus nombreux dans ce livre qu’à l’ordinaire.

La recherche de l’expression juste peut aussi se révéler au détour de descriptions : « Toutes les nuances du rose parent ces gigantesques bouquets fluctuants ; certains de ces roses, d’un rose de lèvres de brune, sont si incroyablement « émotionnants » et « voluptueux » -si je puis parler ainsi- que j’ai l’impression qu’ils me font une âme neuve. Souvent une fleur se dresse seule, aussi grande qu’un arbre –et d’une forme si divine, d’une senteur si « enlaçante » -c’est le seul mot qui rende (un peu ridiculement) ce que je ressens – que l’air jouant autour d’elle tuerait de trop grand bonheur un être humain normal ».

Certes, c’est d’abord la curiosité qui fait lire le premier prix Goncourt, mais au bout du compte, au-delà du caractère surprenant de l’écriture, de l’humour constant, peut naître une réflexion sur le psychisme : quelle est la force ennemie qui réside en chacun de nous ?

Andreossi

Force ennemie, John-Antoine Nau.

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Je m’en vais. Jean Echenoz

je_m_en_vaisLe feuilleton des prix Goncourt : c’est reparti ! Andreossi nous en livre cette semaine le 20ème épisode. Vous laisserez-vous tenter, ne serait-ce que pour échapper à la déferlante de la rentrée littéraire ? … Bonne lecture et à bientôt !

Mag

Nous étions au vingtième siècle, en 1999, et le prix Goncourt était décerné à Jean Echenoz pour son roman « Je m’en vais ». Le livre parlait de francs, de minitel et de téléphone cellulaire. On s’étonnait encore de certaines évolutions du vocabulaire : « Vous allez sur Toulouse ? lui demanda Baumgartner (…) Puis elle articule d’une voix monocorde et récitative, un peu mécanique et vaguement inquiétante, qu’elle ne va pas sur Toulouse mais à Toulouse, qu’il est regrettable et curieux que l’on confonde ces prépositions de plus en plus souvent (…) ».

L’intrigue est celle d’un polar : Ferrer est galeriste dans une ville dont une station de métro porte le nom de Corentin-Celton. Son adjoint lui indique comment récupérer un trésor inuit coincé sur une épave de l’arctique. Avec une facilité quelque peu déconcertante, le trésor est ramené en France et planqué. Hélas, dès le lendemain Ferrer et volé, par un toxico commandité par le galeriste adjoint. Ce dernier se fait passer pour mort (rien de plus aisé) et parcourt le sud-ouest de la France sous un autre nom. On ne dira pas comment Ferrer parvient à récupérer son butin, on ne nous croirait pas tant le hasard intervient miraculeusement.

On peut considérer l’ouvrage comme une parodie du roman policier, et l’auteur oriente nettement vers cette hypothèse, en particulier par la démonstration du talent manifesté par toutes les femmes du roman à tomber dans les bras du galeriste. Mais s’il n’est que parodie, peut-il soutenir véritablement l’intérêt ? La question ne peut se trancher que par la qualité d’écriture. Par bonheur Echenoz a souvent le sens de la formule : « Dès lors, si sa vie ponctuée de Marlboro ressemblait jusqu’alors à l’ascension d’une corde à nœuds, désormais privé de cigarettes il s’agit de grimper, indéfiniment, à la même corde lisse ».

Toutefois on se lasse de la caricature des artistes et de l’art contemporains, exercice qui paraît trop facile et qui du coup laisse une impression de déjà vu et déjà entendu. Au-delà du plaisir à découvrir de temps en temps une bonne phrase, le lecteur reste sur sa faim et attend qu’il se passe vraiment quelque chose qui déchire l’écran du polar parodique : mais non, impossible de déceler quelque trace de vie derrière le mécanisme ronronnant d’une écriture qui veut se suffire à elle-même. Cette littérature parviendra-t-elle à se hisser hors de son époque ?

Andreossi

Je m’en vais, Jean Echenoz

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C’est la rentrée ? Tant mieux, il va y avoir plein d’expos !

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Catherine Deneuve par Richard Avedon en 1968

Ce qu’on aime avec la rentrée, c’est le plein de nouveautés qu’elle nous réserve.

Côté expositions, à Paris, une fois de plus, nous allons être vernis. Voici une petite sélection, comme d’habitude totalement subjective, de ce que maglm a repéré pour vous. Pour beaucoup d’entre elles, il faudra patienter un peu avant de pouvoir les découvrir.

  • Mais pour commencer, voici celles qui sont visibles dès maintenant

Les émaux de Limoges à décor profane, Autour des collections du cardinal Guala Bicchieri, au Musée de Cluny, jusqu’au 26 septembre 2016

Le Grand orchestre des Animaux à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain, jusqu’au 8 janvier 2017

– Pour d’autres conseils sur des expos à voir en ce moment à Paris, lire aussi le billet maglm sur les expositions de l’été

  • Pour cocher dans l’agenda, voici celles qui ouvriront leurs portes cet automne

En photographie tout d’abord, La France d’Avedon, Vieux Monde, New Look à la Bibliothèque Nationale de France, du 18 octobre 2016 au 26 février 2017

Pour les amateurs de sculpture, deux propositions fort différentes :

L’Enfer selon Rodin au Musée Rodin, du 18 octobre 2016 au 22 janvier 2017

Bouchardon, (1698-1762), Une idée du beau au Musée du Louvre, du 14 septembre au 5 décembre 2016

Enfin, de bonnes surprises aussi côté peinture :

René Magritte, Les vacances de Hegel, 1958
René Magritte, Les vacances de Hegel, 1958

René Magritte, La trahison des images, au Centre Pompidou du 21 septembre 2016 au 23 janvier 2017

Rembrant intime, au Musée Jacquemart-André, du 16 septembre 2016 au 23 janvier 2017

Un Suédois à Paris au 18° siècle, La collection Tessin, au Musée du Louvre, du 20 Octobre 2016 au 16 Janvier 2017

Geste baroque, Collections de Salzbourg, au Musée du Louvre, du 20 Octobre 2016 au 16 Janvier 2017

Fantin-Latour à fleur de peau, au Musée du Luxembourg, du 14 septembre 2016 au 12 février 2017

La peinture américaine des années 1930 au Musée de l’Orangerie, du 12 octobre au 30 janvier 2017

Mexique, 1900-1950, Diego Rivera, Frida Kahlo, JC Orozco et les avant-gardes, au Gand Palais, du 5 octobre 2016 au 23 janvier 2017

Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Madame Moitessier, Londres, The National Gallery
Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Madame Moitessier, Londres, The National Gallery

Et pour célébrer ses 30 ans cet automne, le Musée d’Orsay proposera Spectaculaire Second Empire, 1852-1870, une exposition sur le Second Empire des spectacles et de la fête, avec de la peinture bien sûr, mais aussi des sculptures, photographies, dessins d’architecture, objets d’art, et bijoux.

A découvrir au Musée d’Orsay à partir du 27 septembre 2016 et jusqu’au 16 janvier 2017

Une liste à compléter bien sûr ! Belle rentrée à tous.

 

 

 

 

 

 

 

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Les expositions de l’été à Paris

Albert Marquet, Le Pyla (1935), huile sur toile, 50 x 61 cm, Musée des Beaux-Arts, Bordeaux © Musée des Beaux-Arts - Mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier © Adagp, Paris 2016
Albert Marquet, Le Pyla (1935), huile sur toile, 50 x 61 cm, Musée des Beaux-Arts, Bordeaux © Musée des Beaux-Arts – Mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier © Adagp, Paris 2016

Parisien en ce mois d’août ?

Tant mieux, il vous reste quelques jours voire quelques semaines pour découvrir les expositions que vous n’avez pas encore eu le temps de voir, avant qu’elles ne cèdent la place aux expositions de l’automne.

A vous la fraîcheur des musées !

Liste non exhaustive, juste inspirée :

Jean Lurçat, au seul bruit du soleil, au Mobilier national à la Galerie des Gobelins jusqu’au 18 septembre

Les Hugo, une famille d’artistes à la Maison de Victor Hugo jusqu’au 18 septembre

Balzac et les artistes à la Maison de Balzac jusqu’au 2 octobre

Zao Wou-Ki, Une donation exceptionnelle au Musée Cernuschi, musée des arts d’Asie, jusqu’au 23 octobre

Anatomie d’une collection au Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, jusqu’au 23 octobre

Côté peinture :

Paula Modersohn-Becker au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris jusqu’au 21 août (lire ou relire le billet maglm très emballé)

Albert Marquet au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris jusqu’au 21 août

Miquel Barcelo, Sol y sombra à la BNF Site François Mitterrand jusqu’au 28 août

Charles Gleyre (1806-1874). Le romantique repenti au Musée d’Orsay jusqu’au 11 septembre

Delacroix en modèle au Musée Eugène Delacroix, jusqu’au 15 Septembre

Et côté photo :

Josef Sudek, Le monde à ma fenêtre au Jeu de Paume jusqu’au 25 septembre 2016

Et n’oubliez pas :

Le nouveau Musée Rodin : un havre de paix au cœur de Paris ! (ici aussi, lire le billet enthousiaste de maglm !)

Bel été parisien à tous et à bientôt !

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Paula Modersohn-Becker absolument

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« Jeune fille tenant des fleurs jaunes dans un verre », 1902 – détrempe sur carton

Au tournant du XX° siècle, Paris est une ruche artistique en pleine effervescence, une source d’inspiration extraordinaire pour tout créateur qui veut sortir des modèles existants, dépasser les académismes et inventer sa propre voie.

Paula Becker (1876-1907) connaît cette libération en découvrant Paris au moment de l’Exposition universelle de 1900. Elle vient d’Allemagne, où elle a reçu une éducation artistique dans un milieu cultivé mais modeste, a fait la connaissance de son futur époux Otto Modersohn, peintre paysagiste, dans une colonie d’artistes installée à Worpswede, dans le nord du pays, sorte d’école de Barbizon allemande.

C’est bien la peinture d’avant-garde qui l’attire à Paris lors de ce premier séjour et des trois qui suivront en 1903, 1905 et 1906-1907. Il y a ici la peinture de Cézanne, du Douanier Rousseau, des Nabis, de Gauguin…

« Portrait de jeune fille, les doigts écartés devant la poitrine », vers 1905 – détrempe sur toile
« Portrait de jeune fille, les doigts écartés devant la poitrine », vers 1905 – détrempe sur toile

Mais à la visite de la superbe exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, c’est un style tout à fait propre que l’on découvre. Car découverte il y a, Paula Modersohn-Becker étant largement inconnue du public français faute d’avoir été exposée jusqu’ici. Félicitons donc le MAM pour cette première rétrospective en France de cette figure majeure de la peinture moderne, mais aussi la romancière Marie Darrieussecq, complice de l’exposition et auteur d’une biographie de l’artiste (intitulée Être ici est une splendeur (1) une citation du poète Rainer Maria Rilke, ami de Paula) qui a contribué à mettre en lumière l’œuvre de cette femme peintre largement reconnue dans son pays et considérée comme le précurseur de l’expressionnisme allemand.

Morte à 31 ans quelques jours après avoir donné naissance à son unique enfant, Paula Modersohn-Becker a produit en 10 ans plus de 500 peintures. L’œuvre qu’elle laisse est étonnante de force, de singularité et de modernité. Elle fait partie de celles que le regard semble n’épuiser jamais et qui s’impriment durablement dans la rétine.

Chez PMB (c’est ainsi qu’elle signait ses tableaux), qu’il s’agisse de portraits, d’auto-portraits, de paysages ou de natures mortes, tout est simplifié. Pas d’histoire, pas de contexte, pas de décor, et une économie extrême du détail.

Ce sont des portraits et auto-portraits en gros plans où la force de l’expression et particulièrement du regard emporte tout, plongeant le spectateur dans le mystère de la pensée et des sentiments du personnage – qu’il s’agisse d’enfants de tous âges, de jeunes filles, de vieilles femmes, d’elle-même.

« Lune au-dessus d’un paysage », vers 1900 – détrempe sur carton
« Lune au-dessus d’un paysage », vers 1900 – détrempe sur carton

Ce sont des paysages simplifiés à l’extrême, où apparaît à nouveau l’importance de la couleur, comme dans ses portraits, mais aussi de la ligne. Et des natures mortes – tout aussi fascinantes – où l’on retrouve cette recherche de représentation « brute » du sujet, à travers des formes simplifiées, l’intensité des couleurs, un pinceau aux touches visibles. Et toujours une grande modernité de composition.

L’audace de Paula Modersohn-Becker est évidente aussi, au-delà de sa « manière » à proprement parler, dans le choix de certain de ses sujets : une femme enceinte nue (elle-même, alors qu’elle ne l’est pas, d’ailleurs), une femme nue endormie  avec son bébé… ! Révolutionnaire.

En 124 peintures et dessins (très intéressants également, l’artiste ayant toujours accordé une grande importance au dessin), émaillés de photographies et de documents, cette première rétrospective française est le gros coup de cœur de la saison parisienne. A découvrir absolument avant le 21 août.

(1) éditions POL 2016

Paula Modersohn-Becker : l’Intensité d’un regard 

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

11, av. du Président Wilson – 75116 Paris

TLJ de 10 heures à 18 heures sauf lundis, jsq 22 heures le jeudi

Entrée 10 euros (TR 7 euros)

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Les clefs d'une passion. Fondation Louis Vuitton

Edvard Munch, Le Cri, 1893 ?  1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm Oslo, musée Munch Photo © Munch Museum
Edvard Munch, Le Cri, 1893 ? 1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm
Oslo, musée Munch
Photo © Munch Museum

Ouverte au public en octobre dernier, la Fondation Louis Vuitton installée dans l’extraordinaire « vaisseau » que Frank Gehry a amarrée entre le Jardin d’Acclimatation et le Bois de Boulogne, inaugure sa troisième exposition, visible jusqu’au 6 juillet 2015.

Exceptionnelle, Les clefs d’une passion présente une soixantaine d’œuvres, signées des plus grands artistes de la première moitié du XX° siècle, dont certaines rarement prêtées, et plus rarement encore réunies. Les plus grands musées du monde, ainsi que certains collectionneurs ont en effet accepté de prêter leur concours au grand mécène Bernard Arnault. A titre d’exemple, on peut voir le fameux Cri de Munch, qui n’avait pas quitté Olso depuis près de dix ans, après avoir été volé à Vienne et retrouvé deux ans plus tard.

L’exposition a pour ambition de mettre en avant les artistes qui ont révolutionné la peinture dans le premier XX° siècle. Peu d’œuvres, on l’a vu, pour un programme si vaste qu’il compte forcément de grands absents. Pas de litanie de « -ismes » non plus, nombreux à cette période, mais un choix thématique dont la cohérence est dans l’ensemble assurée et qui parfois correspond avec un mouvement de l’histoire de l’art du siècle dernier.

Tel est le cas du premier, expressionnisme subjectif, où le fameux Cri est précédé de trois Giacometti (deux œuvres graphiques, dont le Portrait de Jean Genet et L’Homme qui marche I, eux visibles en France), du Pressentiment complexe de Malévitch, de deux études de Francis Bacon (dont une impressionnante Etude pour un portrait, venu du Chicago), d’un Otto Dix et d’une convaincante série d’autoportraits de la Finlandaise Helene Schjerfbeck, dont les contours du visage perdent de leur netteté au fil des tableaux, nous faisant assister à une accélération du vieillissement et à l’inexorable marche du sujet vers la mort. Ontologique solitude, sentiment de disparition, enfermement, tout dans cette salle exprime de façon poignante l’angoisse fondamentale de l’Homme.

Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014
Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014

Les trois salles suivantes, dédiées à la ligne contemplative, sont un réconfort. S’y déploient d’abord les paysages, tous autour de l’eau, de Ferdinand Hodler, de Gallen-Kallela, d’Emil Nolde, de Monet. Leur succèdent les lignes abstraites de Malévitch et de Mondrian et l’intensité d’un rouge Rothko. Après les mers, les lacs et les nymphéas de la salle précédente, le contraste est fort ; mais, après tout, le début du XX° siècle est fait de tout cela. Retour au figuratif ensuite, avec un superbe (mais c’est presque un pléonasme) Eté de Bonnard. Il est entouré d’un remarquable ensemble de Picasso, une sculpture et trois tableaux, très sensuels, tous inspirés du modèle Marie-Thérèse Walter, dont le peintre espagnol a magnifié les courbes féminines dans les années 30. La première vient d’une collection particulière et les tableaux de New-York, Londres et Paris : jolie réunion au sommet.

La section suivante, dite popiste, fait entrer dans une autre dimension, celle de la culture populaire, avec des œuvres de Picabia et de Robert Delaunay, inspirées des illustrés de charme pour l’un et de la publicité pour l’autre. Dans la même section, mais d’un tout autre intérêt pictural, trois grandes toiles de Fernand Léger, sur ses thèmes classiques, dont Les constructeurs à l’aloès, qui a fait le chemin depuis Moscou.

La quatrième et dernière étape est dédiée à la musique, à travers des tableaux de Kandinsky, Kupka, Severini et, last but not least, Matisse : l’immense Danse, du Musée de l’Ermitage, maintes fois vu en reproduction, comme le Cri de Munch, mais dont l’original fait ici aussi l’effet d’une découverte, et La tristesse du Roi du Centre Pompidou, un très grand et beau collage sur la musique et la danse. Histoire de finir dans la joie, après avoir commencé dans l’angoisse. C’est sans doute mieux dans ce sens.

 

Les clefs d’une passion

Fondation Louis Vuitton

8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris 16e
De 10 h à 20 h, du lundi au dimanche, nocturne le vendredi jusqu’à 23 h

Jusqu’au 6 juillet 2015

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Nicolas de Staël. Lumières du Nord. Lumières du Sud

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Cette semaine, Jean-Yves nous fait l’amitié de nous livrer un compte-rendu de sa visite de l’exposition que le Musée d’art moderne du Havre consacre au peintre Nicolas de Staël… tentant ! Merci JYL et bienvenue sur maglm !

Situé au bord de la mer, le Musée André Malraux du Havre abrite, dans une architecture moderne remarquable par son espace et sa lumière, une très belle exposition consacrée à Nicolas de Staël. Intitulée Lumières du Nord – Lumières du Sud et très bien documentée, elle regroupe près de 130 œuvres (80 peintures et 50 dessins), dont une très grande partie provenant de collections particulières.

Construite en respectant la chronologie, l’exposition donne à voir des toiles peintes entre 1951 et 1955, date de la mort de Nicolas de Staël. Les premiers tableaux présentés ont donc été réalisés à une époque où le peintre, sans l’abandonner totalement, s’écarte de l’abstraction pure à laquelle il s’était adonné depuis plusieurs années et s’oriente progressivement vers davantage de figuration. Staël, qui n’oppose pas l’abstrait au figuratif, ressent le besoin d’accorder sa vision au monde réel et travaille de plus en plus sur le motif. Le peintre écrit à René Char, avec qui il vient d’entamer un dialogue pour la réalisation du livre Poèmes, qu’il retrouve ainsi une passion toute enfantine « pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d’un langage direct sans précédent ». Il est intéressant de voir s’opposer les tons bleus et gris (très beau Face au Havre) qui occupent les œuvres peintes aux alentours de Paris et en Normandie, et les couleurs plus contrastées et plus franches (des rouges, des jaunes, des ocres) retirées de la lumière fulgurante des paysages de Provence où s’est installé l’artiste en 1953. Mais c’est dans les tableaux peints à l’occasion d’un voyage en Sicile que l’emploi des couleurs vives, saturées de lumière, atteint son paroxysme (comme dans Agrigente et Plage à Syracuse). Nicolas de Staël qui varie alors sa palette et simplifie les formes, modifie aussi sa technique. Il se détourne de la pâte épaisse travaillée au couteau pour gagner en fluidité et en transparence.

Le peintre remplit également des carnets de dessins aux lignes épurées (paysages d’Italie, bateaux) qui serviront de premiers jets pour de futurs tableaux.

Le retour aux rivages de la mer du Nord en 1954 ramènera Staël vers des teintes plus neutres (ciels plombés, mers émeraude …) que l’on retrouvera aussi dans les dernières marines peintes à Antibes, son ultime lieu de séjour.

Il ne faut pas manquer cette exposition. Aux visiteurs qui connaissent l’œuvre, elle donne à voir des peintures et des dessins inédits ou qui n’ont jamais été présentés en Europe (un quart des accrochages). Mais elle offre à tous, intimes de l’œuvre de Staël ou « néophytes », un superbe aperçu du trajet de cet artiste majeur, qui avoue dans sa correspondance son besoin absolu de penser peinture, de faire de la peinture, et qu’une tension et une inquiétude extrêmes pousseront jusqu’à la rupture.

 

Nicolas de Staël. Lumières du Nord. Lumières du Sud

Musée d’art moderne André Malraux – MuMa Le Havre

2, boulevard Clemenceau – 76600 Le Havre

Horaires : lun. de 11 h à 18 h, mer. à ven. 11 h à 18 h, sam. et dim. de 11 h à 19 h

Plein tarif : 9 € / Tarif réduit : 6 €

Jusqu’au 9 novembre 2014

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