Minuit à Paris. Woody Allen

Minuit à Paris

En cette semaine de fête du cinéma, qui peut être l’occasion d’entreprendre une "cure" ciné pour profiter de la multitude de propositions actuelles, de qualité inégale il est vrai, que ceux qui n’ont pas encore vu Midnight in Paris ne se sentent pas obligés de s’y précipiter.

On aura rarement vu un tel navet.
L’Europe avait pourtant ces dernières années plutôt réussi à Woody Allen, avec Match Point, Scoop, ou encore l’escapade de Vicky et Cristina à Barcelone.
Il y avait là une fantaisie et une vivacité des acteurs qui balayaient les éventuelles faiblesses scénaristiques.
Hélas, rien ne vient sauver le Paris de Woody.

Mettons un jeune couple d’Américains sur le point de se marier en villégiature à l’hôtel Bristol ; entourons-les des riches et conservateurs parents de mademoiselle, conventionnels et matérialistes, c’est entendu. Ajoutons un autre jeune couple, dont le mâle est la pédanterie intellectuelle et culturelle incarnée. Tout ça se trimbale dans Paris et ses alentours, visite Versailles, Rodin, court l’antiquaire Rive Gauche et les dégustations de Bordeaux habillées. C’est comme on le voit d’ici : personnages archétypaux et et cliché sur cliché.

Mais le jeune homme, prénommé Gil et naturellement écrivain, voit, lui, plus grand que cela : lui voit la beauté du vrai Paris, le Paris de l’entre-deux-guerres, des artistes et de la fête. A tel point que lors d’échappées nocturnes, il se met à vivre son rêve, à rencontrer Hemingway, Buñuel et Picasso (entre autres, mais qu’on se rassure, ils y sont tous).
A ce stade, les ressources du cinéaste new-yorkais pour produire du convenu semblent infinies : c’est à qui ressemblera le plus à sa propre légende. Pour faire bonne mesure, notre Gil tombe amoureux d’une belle, ex de Modigliani, dont le rôle revient en toute logique à Marion Cotillard. Si l’égérie cinématographique française des Américains pouvait un tant soit peu émouvoir, on aurait largement eu le temps de le remarquer.
Quant à ce pauvre Owen Wilson, que s’est-il fourvoyé dans cette affaire, contraint de garder toujours la même moue de poisson rouge, désespéré par ses compatriotes le jour et médusé par le bouillonnement artistique parisien des années folles la nuit ?
Il n’y a rien à faire, avec la meilleure volonté du monde, l’histoire vue de Paris (et non de Cannes !) ne prend pas, les personnages ne s’incarnent pas et la fantaisie de Woody Allen semble noyée sous un amas de vieilles cartes postales.

Minuit à Paris (Midnight in Paris )
Un film de Woody Allen
Avec Owen Wilson, Rachel McAdams, Michael Sheen
Durée 1 h 34
Date de sortie cinéma : 11 mai 2011

Photo © Mars Distribution

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The Tree of Life. Terrence Malick

Sean Penn in The tree of life, Terrence MalickIl était très attendu cet Arbre de vie.

D’abord parce qu’après des films tels que Les Moissons du ciel et Le Nouveau Monde enchanteurs, grande était l’impatience de découvrir ce qui ne pouvait qu’être un nouveau chef d’œuvre.

Ensuite parce que Terrence Malik était déjà annoncé au Festival de Cannes 2010, avant de déclarer in extremis qu’il préférait en peaufiner encore le montage.

Un an de plus, donc, et le film est au rendez-vous sur la Croisette, où il se voit récompensé de la Palme d’or. Il sort en salles dans la foulée, et les aficionados de s’écrier : « Enfin ! ».

On ne devrait jamais trop anticiper sur son plaisir, telle est la morale de l’histoire.
Car Malik nous déçoit, et par là-même nous laisse dubitatif sur cette année de re-montage du film…

Voici l’histoire, ou ce qui en tient lieu : dans le Texas des années 1950, le bonheur d’une famille de la middle-class est brisé par le décès accidentel du cadet des trois fils, alors âgé de 19 ans.
Devenu adulte, l’aîné – joué par Sean Penn – se remémore son enfance.
Par ailleurs, le monde est créé : l’univers, les planètes, la vie, les poissons qui prennent des pattes pour habiter la terre, les dinosaures etc.
Trois approches, donc, d’inégales durées : le cœur du film, c’est cette famille américaine ; la création du monde et Sean Penn rattrapé par son passé en étant les « périphériques ».
Sur le papier, le tout peut faire craindre l’emphase ; sur la pellicule, c’est pire.
Surtout, l’ensemble ne tient pas et, dès lors, même cette famille des années 1950 paraît théorique.

De là à jeter Terrence Malik avec l’eau de son bain, il y a un pas qu’on ne franchira pas : il fait la preuve une fois de plus de son immense talent de cinéaste, compris comme celui de créer de magnifiques images.

L'arbre de vie de Terrence MalickMais tout se passe comme s’il avait été pris à son propre piège, à son tourbillonnant génie.
Les architectures de verre contemporaines dans lesquelles Sean Penn évolue sont une splendeur. La longue séquence de création du monde, pour peu qu’on s’y laisse guider avec tranquillité, est un merveilleux moment de cinéma, yeux et oreilles comblés. La façon dont il filme la mère, le père, les enfants, l’arbre et la maison de cette famille déchirée, caméra tournoyante et caressante, séduit beaucoup au début.
Hélas cette manière ne résiste pas à la longueur du film pour un si faible contenu.
Pour qu’il fonctionne, l’art de l’ellipse doit permettre de révéler ; s’il n’est pas au service de la suggestion, et en outre insiste, il finit par fatiguer.

Tel est le travers dans lequel est tombé Terrence Malik : l’histoire du petit garçon élevé à la dure par son père, presque amoureusement lié à sa mère, fusionnel avec son frère tragiquement disparu aurait pu être émouvante.
Le réalisateur échoue à ce qu’elle le soit : trop de virtuosité dans le maniement de l’image, trop de souci esthétique passent devant la vibration des chairs et des cœurs. Le lien avec la création de la vie n’apparaît pas ; quant au petit garçon devenu grand architecte souffrant de son passé, il semble tout simplement banal.
Malgré le talent des acteurs et l’indéniable sensibilité du poète Malik, le réalisateur américain nous fait pour la première fois la triste et trop longue démonstration d’une esthétique qui tourne à vide.

The Tree of Life
Un film de Terrence Malick
Avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn
Durée 2 h 18
Sorti en salles le 17 mai 2011
Palme d’Or Festival de Cannes 2011

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La Fille du puisatier. Daniel Auteuil

La fille du puisatier de Daniel Auteuil, Jacques et Patricia

Patricia est l’aînée d’une ribambelle de filles que leur mère a laissées au puisatier avant de s’éteindre. S’il aurait préféré des garçons, il les aime malgré tout tendrement et les élèves dignement.
Patricia est sa préférée. Éduquée à Paris, elle est revenue au bercail à 15 ans et, à 18 désormais, la douce, aimante et dévouée Patricia s’occupe de son père et de ses cadettes. Fraîche comme une fleur, elle est une princesse pour son père, mais aussi pour Felipe, son assistant, qui rêve de l’épouser. La perspective séduit le père, qui voit là le moyen de garder son aînée près de lui, mais n’attire guère la jeune fille.

C’est alors qu’au bord du torrent, Patricia croise le beau Jacques Mazel, fils des riches boutiquiers du coin. De traversée de rivière dans ses bras en chevauchée en moto-bécane le nez au vent, le galant a tôt fait de se faire aimer et d’obtenir ce qu’une pure ne donne que dans le lit nuptial.
Dès le lendemain, le prince d’un jour part pour la guerre et, au bout de quelques semaines, c’est à son père que Patricia avoue qu’elle attend un enfant. Le puisatier envoie Patricia chez sa sœur, où naîtra le petit Amoretti. Mais l’histoire est loin, bien loin de s’arrêter là.

Le "conte" de Marcel Pagnol est magnifique, comme toutes les histoires de Pagnol. Vingt-cinq ans après avoir interprété Ugolin pour Claude Berri dans les deux films de L’eau des collines, Daniel Auteuil passe de l’autre côté de la caméra pour réaliser son premier long-métrage, tout en interprétant lui-même le rôle du puisatier.
C’est un régal. Il n’y a aucune surprise, ni d’inventivité (si ce n’est peut-être une façon de filmer les visages en très gros plans) : le film aurait pu être tourné il y a trente ans, il est sans âge.
Mais qu’importe ! Pagnol, c’est un classique et les classiques n’ont pas besoin de mode. Certes Auteuil n’est pas Raimu, mais il est le puisatier en couleurs qu’il nous fallait : il parle bien le Pagnol et l’on y croit. Le reste de la distribution est plus ou moins en place, mais pour l’essentiel émeut comme il se doit. On s’habitue au phrasé appliqué d’Astrid Berges-Frisbey dans le rôle titre, largement compensé par une belle expressivité de traits, Kad Merad habite fort bien le maladroit Felipe, Mazel père (Jean-Pierre Darroussin) et fils (Nicolas Duvauchelle) son nickels, alors que Sabine Azéma a plutôt l’air de se demander ce qu’elle fait là, la greffe provençale n’ayant avec elle pas très bien réussi.

Mais qui aime Pagnol aimera ce film, comme il a aimé les autres, les anciens et les plus récents, parce que c’est la Provence, la famille, la terre, les faiblesses et l’orgueil, et aussi les feux d’un temps passé qui ne s’éteignent pas, tant y brûlent encore de passions et d’amour.

La Fille du puisatier
Un film de Daniel Auteuil
Avec Daniel Auteuil, Kad Merad, Sabine Azéma, Jean-Pierre Darroussin, Nicolas Duvauchelle, Astrid Berges-Frisbey, Emilie Cazenave, Marie-Anne Chazel
Durée : 1 h 47 min
Date de sortie en salles : 20 avril 2011

photo © Pathé Distribution

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Black Swan. Darren Aronofsky

Black Swan, Natalie Portman et Vincent Cassel

Nina est danseuse au New York City Ballet. Alors que Thomas, le chorégraphe de la troupe, s’apprête à monter une nouvelle production du Lac des cygnes, Nina veut absolument décrocher le rôle principal, être cette étoile encore inconnue que Thomas révélera au grand public. Un matin, elle maquille sa bouche de rouge et va le lui demander sans ambages. Séduit par la talentueuse danseuse, son audace, et sans doute aussi par la beauté de la jeune femme, Thomas accepte mais la prévient : elle devra danser les deux rôles opposés, c’est-à-dire montrer qu’elle n’est pas seulement le gracieux cygne blanc, mais aussi son contraire le cygne noir, sombre, inquiétant, troublant.

Nina cherche la perfection : perfection du geste, perfection du corps. Dans sa vie, elle n’a laissé la place qu’à cette quête, secondée dans cette obsession par son seul et fidèle lieutenant : sa mère. Entraînement, régime, sommeil. Maman masse, habille, déshabille, berce. Les peluches sont bien sûr encore là, dans la chambre de cette petite fille au corps d’adolescente et à la détermination de jeune femme.
Puisque tel est le désir de Thomas auquel elle doit se conformer pour danser le rôle, Nina essaie de chercher en elle-même et autour d’elle ce double qu’elle ignore, fait de séduction, de désirs et de violence.

Black Swan est donc une sorte d’histoire d’initiation, de découverte et de dépassement de soi, payée au prix fort du combat contre la mère, de l’auto-destruction et du délire. C’est ce dernier qui peut le plus gêner : hantée par le rôle du cygne noir, asservie à l’exigence de Thomas, terrifiée à l’idée de voir une autre prendre sa place, Nina a des visions et des fantasmes, dont les représentations passent par des scènes fantastiques rappelant les films de genre. On peut les trouver too much, ne pas les apprécier, ou ne pas y croire, voire un peu les trois à la fois.

Cette réserve (dont il faut être prévenu) faite, Black Swan est une plutôt belle réussite. Ses deux meilleurs atouts : la façon de filmer de Darren Aronofsky, plans et lumières, qui met en évidence de façon très convaincante la relation fusionnelle mère/fille dans le petit appartement, la rivalité dans la salle de répétition et les loges, le danger dans le studio de danse où Nina répète sans jamais satisfaire son chorégraphe, ni se combler elle-même.
L’autre immense atout du film s’appelle évidemment Natalie Portman. Terriblement belle, d’une beauté comme on n’en fait plus, comédienne extraordinaire, elle est tout simplement parfaite.
Mais les rôles de la mère et du chorégraphe, davantage encore que celui de la rivale Lily, ne sont pas en reste : Barbara Hershey incarne toute l’ambiguïté faite de douceur et d’intransigeance de cette mère aimante et effrayante à la fois ; quant à Vincent Cassel, ce rôle de séducteur autoritaire, carnassier et impitoyable, star capricieuse et lucide lui va comme un gant.

Black Swan
Un drame de Darren Aronofsky
Avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel, Barbara Hershey
Durée 1 h 43 min
Date de sortie en salle 9 février 2011

© Twentieth Century Fox France

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Somewhere. Sofia Coppola

Somewhere de Sofia Coppola

Si Somewhere n’a pas la singularité de Virgin Suicides, le souffle envoûtant de Lost in translation, ni le charme endiablé de Marie-Antoinette, il confirme une fois de plus l’immense talent de cinéaste de Sofia Coppola.

L’histoire est ténue : Johnny Marco, un acteur hollywoodien en pleine gloire, proche de la quarantaine, vit entre deux tournages à l’hôtel Château Marmont de Los Angeles, où il est assisté dans ses moindres désirs : fêtes, massages, piscine, poules, rien ne manque. Il n’a même pas besoin de regarder les filles pour les ramasser, mais en a-t-il seulement envie désormais, la question se pose. Car justement, le désir semble s’être envolé chez cet homme qui s’ennuie à périr : le succès, les admirateurs et les flashes ne font plus une vie.
Débarque Cleo, sa fille de onze ans qu’il ne connaît presque pas, pour s’en être trop peu occupé jusque-là. Il va devoir la trimballer partout avec lui, passer du temps avec elle et même, un jour, la voir pleurer.

Sofia Coppola est championne pour filmer l’ennui, elle avait raflé cette statue-là depuis Lost in translation, en montrant Scarlett Johansson désœuvrée dans une chambre d’hôtel de Tokyo. A nouveau, mais avec un homme cette fois, incarné par Stephen Dorff, elle montre le désarroi face au vide de l’existence. Devant la caméra en plan fixe, c’est d’abord une Ferrari qui tourne sur un circuit, sortant puis revenant dans le champ, et rien d’autre : dès la scène inaugurale, tout est dit. Puis ce sont de longs plans séquences où Johnny Marco est dans son canapé, dans un face-à-face cruel avec une bière, un cendrier et une pauvre coupe de fruits digne des natures mortes les plus flinguantes. On ne saurait mieux signifier la vanité de l’existence.

A l’efficacité de sa caméra minimaliste, Sofia Coppola ajoute celle d’une bande-son frappante de sobriété et d’à-propos : éclats pénibles lors de la fête dans la suite de Johnny Marco, musique débile lors des shows des streap-tiseuses, bruits assourdissants du moteur de la Ferrari ou des pales d’hélicoptère, sans compter les sons des jeux vidéos et le flot de creuses palabres italiennes à Milan, autant de décibels qui viennent masquer le silence du désert intérieur que traverse Johnny Marco.

Mais Somewhere est autant le tracé d’une drôle d’enfance, à travers la petite Cleo (extrêmement bien interprétée par Elle Fanning), que le portrait d’un homme en crise. Entourée d’adultes et solitaire, en demande mais silencieuse, gâtée mais inquiète, c’est son personnage et sa relation avec son père qui touchent et attachent, comme une confidence murmurée par fille Coppola, avec la classe infinie qui est sa gracieuse patte.

Somewhere
Un film de Sofia Coppola
Avec Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius
Durée 1 h 38
Sortie cinéma : 5 janvier 2011
Lion d’Or à Venise 2010

Photo © Pathé Distribution

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Les Emotifs anonymes. Jean-Pierre Améris

Les emotifs anonymes

Les Emotifs anonymes est le nom de l’association, fondée selon le même principe que les Alcooliques anonymes, où se retrouvent pour parler ceux dont l’émotivité est telle qu’elle les empêche de vivre normalement.
Angélique, pimpante et jolie jeune femme fréquente ce groupe de parole et déploie d’immenses efforts pour dépasser sa timidité, comme se chanter des chansons dans la rue pour s’encourager, ou répéter ce qu’elle va devoir dire, seule dans le reflet de la vitre.
Jean-René souffre du même syndrome et tient lui aussi à s’en sortir, en consultant un psy et en essayant de mettre en pratique les petits exercices qu’il lui prescrit. Exemple : toucher quelqu’un physiquement.

Comme Angélique, chocolatière virtuose – que la peur de la lumière a jusqu’alors poussée à exercer son talent dans l’ombre – se trouve du jour au lendemain sans travail, et que d’un autre côté Jean-René est le patron d’une chocolaterie en mal d’inspiration et de clients, nos deux grands émotifs vont finir par se rencontrer.
Pire, ils vont même se plaire.
Mais comment deux êtres pareils peuvent-ils jouer les jeux de l’amour, lui transpirant à grande eau et s’éclipsant toutes les cinq minutes pour changer de chemise, elle obligée de préparer des sujets de conversation par crainte de voir le silence écraser la soirée ?
Et quand on a reconnu en l’autre son semblable, comment oser former couple à ses côtés, avec la peur d’additionner et de cumuler cette sensibilité handicapante ?

Les Emotifs anonymes est une comédie légère et romantique, très agréable, amusante, touchante. Les deux comédiens y ont leur large part dans sa réussite ; Isabelle Carré déborde de charme et de grâce dans le rôle de celle qui n’a pas confiance en elle mais très volontaire pour y aller malgré tout. Benoît Poelvoorde porte la timidité, ses blocages et les déblocages brusques qui les suivent avec beaucoup de classe.
Les décors et les costumes vieillots donnent à l’histoire un aspect intemporel aussi délicieux que les douceurs au chocolat créées par Angélique. Car il y a beaucoup de sensualité dans ce film, avec ces désirs trop longtemps canalisés ou freinés qui enfin s’expriment et se réalisent. Il y a aussi beaucoup d’humanité : le regard sur la différence est magnifique, respectueux. Cela paraît peu de choses, mais c’est bien loin d’être rien.

Les Emotifs anonymes
Une comédie de Jean-Pierre Améris
Avec Isabelle Carré, Benoît Poelvoorde
Durée : 1 h 20
Sortie en salle : 22 décembre 2010

Photo © StudioCanal

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Potiche. François Ozon

François Ozon, Potiche, Deneuve et Godrèche

Il faut voir Mme Suzanne Pujol – Catherine Deneuve – en survêtement rouge courant à foulées sages dans le parc, avant de rentrer non moins sagement servir le petit-déjeuner à son macho de mari, et encore en se faisant enguirlander pour avoir donné sa semaine à la femme de cuisine : voici une potiche de belle qualité, jolie, bien mise, souriante, dévouée, soumise sans état d’âme.

Et il faut voir la même, près de deux heures après, dans la scène finale du film : cheveux défaits, tailleur blanc et micro en main entonnant C’est beau la vie de Jean Ferrat (toute ressemblance avec une personnalité politique en vue ne pourrait être fortuite) : Suzanne vient d’être élue député et son sourire n’a plus rien de niais ; il est celui d’une femme épanouie, enfin rendue à elle-même.

Que de chemin parcouru ! Et avec quelle joie pour le spectateur !!
François Ozon a adapté la pièce écrite par Barillet et Grédy pour Jacqueline Maillan qui raconte comment, à la fin des années 1970, l’épouse d’un industriel, dont la vie se résume au foyer, aux enfants et à quelques pauvres poèmes, va se trouver, à l’occasion d’un conflit social, contrainte de prendre la tête de l’usine de parapluie de son époux. Et trouver là le commencement de sa réalisation et de son bonheur.

Le réalisateur de Huit femmes met les femmes une nouvelle fois à l’honneur, dirigeant ses comédiennes avec autant de soin qu’il les coiffe, les maquille et les habille. Catherine Deneuve est impressionnante : si son talent comique, ou pour jouer les maîtresses-femmes est plus qu’établi, la façon dont elle interprète la nigaude du début laisse admiratif. Il n’est pas donné à la première fine venue de composer, sans excès ni caricature, une potiche si juste.
Au plaisir du casting s’ajoute celui des répliques efficaces du boulevard dont certaines font mouche, sans compter celui de la reconstitution historique de ces années-là : costumes et décors, tout y est jusqu’aux chansons et à la R16 !
Il y a aussi l’émotion de retrouver le couple Depardieu-Deneuve ; et encore celle d’une certaine forme d’hommage au cinéma de Jacques Demy, avec l’explosion des couleurs et le ballet des parapluies, ou cette scène où Mme Pujol conseille sa fille, comme Madame Emery jouée par Anne Vernon, il y a quelques 45 ans, conseillait sa fille Geneviève, alors jouée par… Catherine Deneuve.

Potiche
Une comédie de François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Jérémie Renier, Judith Godrèche
Durée 1 h 43
Sorti en salles le 10 novembre 2010

Photo © Mars Distribution

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The Social Network. David Fincher

The social network

Ce film procure une jubilation rare et entière : celle d’être comme une petite souris dans les coulisses du théâtre où est né le réseau planétaire réunissant, virtuellement, 500 millions d’individus : Facebook, valorisé, paraît-il, à 20 milliards de dollars. D’un côté, on parle de réseau social, de communauté humaine, d’un autre, on parle de gros, de très gros sous : toute l’ambiguïté de Facebook est là, et le film le montre magistralement.

En prenant l’angle (savoureux) du tribunal de conciliation visant à établir la part exacte de chacun dans la création du réseau, David Fincher, par flash-backs successifs, déroule l’histoire depuis son début.

La scène inaugurale annonce toute la suite. Mark Zuckerberg, étudiant à Harvard a une conversation avec sa petite amie ; elle finit par lui annoncer qu’elle le quitte. Les contours de Mark sont dès lors tracés : brillantissime, quasiment handicapé émotionnellement et extraordinairement assoiffé de reconnaissance sociale, déjà animé d’un désir de revanche. Il fait de son intelligence une arme redoutable, mettant en œuvre sa créativité, son audace, son opiniâtreté et son discernement dans le choix de ses complices au service de cette incroyable entreprise. Sa toile va très vite couvrir Harvard, puis les autres universités américaines, avant, tout aussi rapidement, de s’étendre au monde entier.
Le tout sans jamais sacrifier deux objectifs : que cela reste "cool" (= social, communautaire, sympathique) et, en même temps, que cela devienne grand, très grand : immense. Même si pour y arriver il faut au passage mentir, trahir ses amis et faire affaire avec les financiers de la Silicon Valley.
Avec sa narration efficace, ses rythmes alternés, ses gros plans édifiants, la mise en scène sert magnifiquement le propos, celui de la construction, brique après brique, d’un projet dont le dessin se décide au fur et à mesure, dans lequel Mark embarque sans états d’âme toutes les contradictions, et dont le résultat sera finalement à l’image de sa genèse : une histoire d’hommes, pour beaucoup dévorés d’ambition et de besoin de reconnaissance, à la fois amicale et minée de pièges. Comme ce tribunal de l’impossible conciliation où, malgré toute sa faconde et sa brillance, ce beau monde a du mal à dissimuler ses misères.

The Social Network
De David Fincher
Avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake, Andrew Garfield
Durée 2 h
Sorti en salles le 13 octobre 2010

Photo © Sony Pictures Releasing France

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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Woody Allen

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody Allen

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu", telle est l’une des nombreuses prédictions que Cristal fait à Helena, octogénaire désespérée d’avoir été abandonnée par son mari. C’est que le vieil homme, refusant les outrages du temps, a décidé de vire comme un trentenaire célibataire, prêt à accueillir, dans sa garçonnière flambant neuve, de jeunes beautés. Pendant ce temps, Helena s’accroche aux positifs oracles de Cristal, à son verre de scotch et à sa fille Sally. Celle-ci n’est pas des plus satisfaite non plus : son mari traînasse à la maison dans l’attente d’une hypothétique publication de son dernier roman et, alors que Sally voudrait fonder une famille, le ménage dépend encore financièrement d’Helena. Ce n’est que le début ; l’un après l’autre, chacun de ces quatre personnages va mettre les pieds dans une romance et les choses vont délicieusement se compliquer.

Avec son inénarrable sens du récit, Woody Allen fait avancer ces différentes histoires, qui toutes ensemble se tressent les unes aux autres, puisque au départ les quatre protagonistes sont bel et bien liés. A l’origine du méli-mélo dans lequel ils se jettent, il y a de la peur, de la tristesse et de l’ennui, mais que viennent chasser de fabuleuses lueurs d’espoir si ce n’est d’illusions.
Evidemment, à l’arrivée, il y aura des déceptions, voire des désillusions mais, curieusement, c’est Helena qui semble s’en sortir le mieux. Alors que, perdue, elle n’a rien voulu d’elle-même, remettant ses décisions aux bonnes divinations d’un médium de pacotille, elle trouve finalement la grâce sur son chemin… Un joli tour de plus joué par le cinéaste new-yorkais qui se moque avec tendresse des affres de la vieillesse, maltraite les hommes, aime toujours autant les femmes et, pour son quatrième film britannique n’a rien perdu de sa verve et de son désopilant sens de l’humour.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You Will Meet a Tall Dark Stranger)
Woody Allen
Avec Naomi Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin
Durée 1 h 38

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Le Triptyque de Puccini à l'Opéra national de Paris

Philippe Jordan

Trois mots pour résumer ce spectacle, la première création de la saison de l’Opéra Bastille : très belles soirée.

Il Trittico est un ensemble de trois courts opéras d’une heure, que Puccini a composés pour être joués ensemble. Nécessitant beaucoup de chanteurs, il est rarement monté, et ne l’avait d’ailleurs pas été à Paris depuis près de vingt-cinq ans.

Ces trois pièces nous plongent dans des époques fort différentes. La première, Il Tabarro, se passe au début du XXème siècle sur une péniche à Paris, où l’infidélité de la femme du marinier conduit son époux à assassiner l’amant : c’est un mélodrame à l’intérêt narratif assez limité et d’humeur franchement sordide. La deuxième se passe au XVIIIème siècle, avec l’histoire tragique de Suor Angelica, fille de haut rang qu’un pêché de chair dont est né un enfant a conduit au couvent. Remontant encore le temps, Gianni Schicchi se passe au Moyen-Age à Florence, mais apparaît certainement comme la plus actuelle : il s’agit d’une farce, et les traits dont le personnage de Gianni Schicchi fait la satire – la cupidité et l’hypocrisie d’une famille endeuillée – sont bien éternels.

Du sombre Paris populaire d’il y a cent ans au flamboiement trompeur de l’Italie médiévale en passant par la cruelle clarté du couvent, les atmosphères se suivent et ne se ressemblent pas. Les décors portent ces ruptures – gris dans Il Tabarro puis blanc et bleu ciel d’un kitsch total dans Suor Angelica, rouge et noir enfin dans Gianni Schicchi – et ne dérangent pas.

Le reste est bien mieux que cela : une qualité vocale homogène, une direction d’acteurs des plus vivantes qui soutient la curiosité et le plaisir, et une direction musicale qui fait elle aussi ressortir les reliefs et les contrastes du Triptyque. Il est si merveilleux, après avoir commencé par le plus terne, de poursuivre dans l’émotion la plus bouleversante avant de finir dans l’amusement le plus débridé, digne de la Commedia dell’arte. Il est magnifique de vibrer sous la voix touchante de Tamar Iveri pour découvrir la douceur puis la douleur déchirante de Suor Angelica ; mais aussi de se laisser séduire par un autre inconnu, Saimir Pirgu dans le rôle du fiancé dans Gianni Schicchi, jeune homme à la voix très en place, puissante et suave, et au jeu d’acteur au plaisir communicatif – il faut dire qu’il s’agit pour ce ténor albanais de 29 ans de sa première distribution à l’Opéra de Paris.
Il est divin, enfin, d’écouter Puccini joué par l’orchestre à la fois posé et pétillant de Philippe Jordan, dont les mains sublimes qui s’agitent avec grâce constituent à elles-seules un spectacle chavirant.

Le Triptyque (Il Trittrico)
Trois opéras en un acte composés par Giacomo Puccini
Opéra national de Paris
Prochaines représentations les 25 et 27 octobre 2010
A 19 h, durée 3 h 45 avec 2 entractes
Places de 5 € à 180 €

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Luca Ronconi
Décors Margherita Palli
Costumes Silvia Aymonino
Lumières Gianni Mantovanini
Chef de Chœur Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-De-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Décors et Costumes du Teatro Alla Scala, Milan
en coproduction avec Le Teatro Real, Madrid

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