Trash. Mouron/Pascal Rostain.

TrashMontre-moi ce que tu jettes, je saurai ce que tu manges, bois, fumes, et même ce que tu lis …

Telle est la quête que Bruno Mouron et Pascal Rostain, paparazzis pour Paris-Match, ont entreprise il y a plus de quinze ans : photographier le contenu des poubelles des stars, d’abord en France puis aux Etats-Unis.

C’est ainsi que le grand public peut aujourd’hui détailler à la Maison européenne de la photographie à Paris les déchets de Nicolas Cage, Ronald Reagan, Clint Eastwood (oh ! …), Sharon Stone et autres grands noms de Los Angeles.
Mauvais goût, curiosité malsaine, voyeurisme ?

Sur de grands tableaux noirs sont alignés par catégorie d’articles bouteilles et canettes vides, emballages alimentaires, flacons de produits d’entretien, mais aussi cartons d’invitation, documents administratifs, petits mots, journaux …

On découvre ainsi que Arnold Scharzeneger se parfume au Brut de Fabergé, que Tom Hanks est un fou-furieux du Colgate, Marlon Brando un fidèle des teintures cheveux maison … toutes sortes de détails bien amusants.
Et dans le frigidaire des athlétiques Madonna et de Cyndy Crawford ? Que d’eau, que d’eau ! Est-ce bien étonnant ?

Au fur et à mesure du parcours que le visiteur peut décrypter à sa guise, de grandes tendances se dégagent et l’exposition prend une tournure sociologique.
La question surgit inévitablement : comment ces célébrités dorées d’Hollywood se nourrissent-elles – et plus largement les riches américains ?

Il y a d’abord le basique, ce qu’on retrouve sur tous les tableaux-poubelles : les chips, le coca-cola, les jus de fruits et l’eau d’Evian.
Puis les reliefs variables : sucreries en tout genre, bonbons, glaces, biscuits.
On voit alors les champions : Antonio Banderas et Steven Spielberg ; ou encore John Travolta : Mr catastrophe de l’équilibre alimentaire !

Finalement bien peu de solide dans tout ça : on en vient à se demander où se passent les vrais repas, sans doute au restaurant … à moins qu’il n’y en ait pas du tout !
Ne leur reste donc plus qu’à boire … ? Certes, mais pas d’alcool : seule la corbeille de Jack Nicolson, ou presque, révèlera quelques petites Veuve Cliquot (et autres Corona).
Quant au café, Liz Taylor semble être la seule à l’apprécier. Inutile dans ces conditions de chercher trace de beurre ou de confiture !

De quoi réfléchir un peu, donc ; mais en définitive rien d’indécent dans les poubelles que les compères paparazzis nous ont ramenées de Los Angeles, d’autant qu’ils ont eu le respect d’éliminer d’emblée tous les déchets de médicaments.

En réalité, on a qu’une envie en sortant de l’exposition : connaître les déchets des stars françaises, juste pour comparer, et compléter une étude qui n’est pas aussi « ras du caniveau » qu’on aurait pu le présupposer …

Trash. Mouron/Pascal Rostain
Jusqu’au 3 juin 2007
Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
Entrée 6 € (TR 3 €), libre le mercredi à partir de 17 h

Image : la poubelle de Madonna (1996)

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Digital Diaries. Catherine Ikam/Louis Fléri

Catherine Ikam« La réalité c’est ce qui refuse de disparaître quand on a cessé d’y croire ».

L’aphorisme de Philip K. Dick est au cœur des oeuvres de Catherine Ikam et Louis Fléri, artistes de la vidéo et de l’image numériques, qui font actuellement l’objet d’une exposition à la Maison européenne de la photographie.

Relations entre apparence et réalité, virtuel et humain, singularité et archétype : les travaux de Fléri et Ikam interrogent l’homme contemporain des nouvelles technologies – dont les possibilités paraissent quasi-infinies –, sur la question d’un rapport au réel fondamentalement remanié.

En concevant, en 1980, Fragments d’un archétype, où l’on voit l‘Etude des proportions du corps humain de Léonard de Vinci figuré par un homme filmé et découpé sur plusieurs écrans en une « sculpture » monumentale, Catherine Ikam fut la première à introduire la fragmentation dans l’art vidéo.

Avec Louis Fléri, elle crée désormais des personnages 100 % virtuels à partir de captures en trois dimensions.
La reproduction des expressions humaines est saisissante ; ils sont à la fois nous et autres, visages immenses et tristes venus de nulle part, auxquels il ne manque que ce trois fois rien, l’éclat de vie qui viendrait pétiller du fond des yeux …

Le visiteur est pourtant invité à intervenir dans cet univers électronique éthéré.
Ici, en bougeant devant Elle, gigantesque visage projeté sur le mur, il la verra réagir, le suivre du regard, tourner, incliner la tête … avant de repartir au fond d’elle-même avec une cruelle indifférence.

Là, avec Identité III, il s’assoit sur un tabouret et se voit fragmenté, le visage zoomé sous différents angles à travers une multitudes de caméras et d’écrans …
L’effet surprise est évident – on a du mal à se reconnaître bien qu’aucune transformation ne soit opérée – avant un rapide repli : difficile de se voir représenté « en oeuvre » …

Enfin, avec Digital Diaries, espace restitué en 3 D grâce à des lunettes, le public assiste à la projection de photos, fragments de vidéos et de lettres gravitant et s’avançant au premier plan, au gré du hasard, sur fond noir.
A l’aide d’un track ball, il peut modifier – imperceptiblement à dire vrai – leur trajectoire.
Cette création est peut-être la plus forte : presque hypnotique, elle évoque le processus involontaire de la mémoire, qui fait ressurgir tout à coup un visage, un mot, une scène de vie. Jaillissements du souvenir dans lesquels la volonté de l’homme intervient avec une relative impuissance.

Ces interactions avec le visiteur donnent du sens à ces propositions, mais inquiètent autant qu’elles rassurent.
Si l’homme est encore quelque peu le maître de la « machine », le miroir d’artifice et de stéréotype qu’elle lui tend vient troubler, sur fond obscur, sa propre représentation et l’idée de son devenir.

Digital Diaries. Catherine Ikam/Louis Fléri
Jusqu’au 3 juin 2007
Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
Entrée 6 € (TR 3 €), libre le mercredi à partir de 17 h

Image : Oscar (2005), Portrait interactif

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L'Aventure orientale. Galerie Le Château d'Eau (Toulouse)

aventure orientaleProposant plus de deux cents tirages originaux d’époque, cette exposition est la plus riche consacrée à ce jour au travail des ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.

Le visiteur est ainsi transporté dans l’Egypte des années 1870 et 1880, près des grandes pyramides, du temple de Louxor, mais surtout au Caire, pour des scènes de rue « typiques » : épiciers, bazars, restaurateurs ambulants, écrivain public, groupes d’hommes fumant et jouant devant un café ; scène d’école, où une poignée d’enfants sont assis par terre autour d’un homme âgé qui officie une longue baguette rudimentaire à la main, l’air infiniment grave et sérieux.

Les nouveaux « reporters » sont captivés par le mode de vie oriental, où toutes les activités semblent se dérouler dans la rue.
Ainsi à Istambul, Guillaume Berggren photographie sur le vif des scènes autour de la Grande Fontaine du sultan Ahmed II, qui réunit des hommes installés sur des chaises, discutant, le livrant à leurs occupations.

Mais de ces tirages albuminés (1), clairs et jaunis, se dégage souvent une grande mélancolie, en particulier lorsqu’ils montrent des enfants musiciens, ou des femmes portant leur progéniture sur leurs épaules, ou encore des jeunes filles des corbeilles de fruits immenses sur leur tête.

Les vues du Nil, eau, palmiers, animaux, pêcheurs, lumière impriment un calme et une poésie émouvante.
Notamment, très belle photo de femmes au bain : non dévêtues, la chevelure également couverte, chacune portant sa cruche, elles profitent du déplacement au fleuve pour se baigner, silencieuses, ignorant l’objectif.

Si ces vues de plein extérieur sont les plus touchantes, c’est certainement parce que qu’elles échappent à la mise en scène qui semblait être la règle à l’époque.
Lorsque les photographes se consacrent à l’art du portrait, on assiste en effet à de savantes poses : Tancrède Dumas (dignitaire turc, Bédouine de la Mer Morte, homme priant) comme Pascal Sebah (eunuque du sultan, femmes, raïs) ont voulu saisir une gravité, une dignité, un mystère, qui ne viennent pas seulement des imposants costumes, mais aussi des regards portés de côté, loin de l’objectif…

En Tunisie, on admirera de magnifiques tirages en héliogravure, aux tons bruns et clairs, qui ont un rendu proche du dessin, notamment celui de la jeune fille portant un couffin.
Puis des portraits de superbes jeunes filles aux lèvres charnues et cheveux épais, montrant un sein, certaines chargées de bijoux, turban savamment tressé, fleurs sur la tempe.
Les sourires sont parfois éclatants ; mais d’autres révèlent un regard pensif, voire empli de tristesse.

Au delà de la vision coloniale que l’on sait et de l’aspect documentaire des premières vues réalisées dans ces régions, on lit dans ces photographies la fascination des Occidentaux pour le Proche-Orient et le Maghreb ; notamment pour ce que cet exotisme contient de poésie et de douce mélancolie.

(1) Papier sensibilisé aux sels d’argent dispersés dans une couche de blanc d’œuf (albumine). Commercialisé à partir de 1855, il s’emploiera jusqu’à la fin du XIX° siècle. Son rendu qui permet les contrastes revêt toutes les nuances de sépia.

L’aventure orientale, entre art, documentaire et commerce.
Les grands ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.
Galerie Le Château d’Eau – 1, place Laganne à Toulouse
Jusqu’au 15 avril 2007
Ouvert de 13 h à 19 h tous les jours sauf le lundi
L’aventure orientale de Alain Fleig, publié à l’occasion de l’exposition aux éditions « D’une certaine manière », 19 €.

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La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude

publicite_basAvec La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude, le musée de la Publicité met à l’honneur un pan de la création photographique relativement méconnu et considéré généralement comme peu noble.

Le parcours chronologique permet d’embrasser les évolutions de la photographie publicitaire – et d’une certaine manière de la publicité – de sa naissance dans les années 1930 jusqu’à la période actuelle.

190 tirages et divers imprimés (annonces de presse, plaquettes, catalogues …) sont exposés dans un espace aéré et surprenant, aux murs anciens et épurés.

Les premières photos publicitaires étaient exclusivement dédiées aux produits de luxe : noir et blanc superbe, angle de vue et cadrage très étudiés, elles érigeaient l’objet en œuvre d’art.

D’un esthétisme raffiné, elles donnent au visiteur une impression de grande actualité, voire de modernité. Ces photographies publicitaires, signées François Kollar, Maurice Tabard ou encore André Vigneau étaient destinées à des brochures de luxe.

Les publicitaires mettront du temps avant de choisir la photographie pour illustrer leurs affiches.
Ce n’est qu’à partir des années 1950 et 1960, avec la montée en puissance progressive de la consommation de masse, que la photographie, venant alors remplacer l’affiche peinte, est utilisée pour vendre des produits de consommation courante.
Les publicitaires ont recours à un procédé de mise en scène inspiré de la mode américaine : montrer non plus l’objet seul, mais tel qu’il pourra être utilisé par le client potentiel.

La période des années 1970 et 1980 met en évidence les recherches créatives des photographes publicitaires contemporains.
On est ainsi passé de la simple représentation de l’objet ou de la situation à la suggestion d’une idée ou d’une sensation (photos de Claude Ferrand, Guy Bourdin), puis à une stylisation encore plus poussée, avec des photos dont la « patte » de tel ou tel publicitaire est aisément identifiable (Serge Lutens, Jean-Paul Goude).


Coups de cœur de Mag :

Les très belles photos de Jean-Loup Sieff (ci-dessus).
L’affiche publicitaire des années 1950 signée Lucien Lorelle, portant le slogan « Dévorez les livres » et montrant le visage du comédien Gérard Philipe croquant à pleines et belles dents dans un livre déjà bien entamé.

La photographie publicitaire en France, de Man Ray à Jean-Paul Goude
Musée de la Publicité
107, rue de Rivoli – Paris 1er
Jusqu’au 25 mars 2007
Du mardi au vendredi de 11 h à 18 h
Samedi et dimanche de 10 h à 18 h
Jeudi nocturne jusqu’à 21 h
Billet couplé avec le Musée des Arts Décoratifs : 8 € (TR : 6,50 €)

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Viva, une agence photographique

viva_metroEn janvier 1972, huit photographes (Alain Dabgert, Claude Dityvon, Martine Franck, Hervé Gloaguen, François Hers, Richard Kavlar, Jean Lattes, Guy Le Querrec) se réunissent autour d’un projet imprégné de l’esprit de Mai 1968.

L’idée est de mener, en se démarquant des grandes agences que sont Gamma et Magnum et en prenant du recul par rapport à l’actualité, un travail photographique de fond.

Dans une inspiration de gauche, communautaire, ses fondateurs ne se pensent pas comme de simples photo-journalistes fournisseurs d’images, mais comme des auteurs, animés d’un désir commun de réflexion, de critique sociale et de créativité.

Le positionnement singulier des membres de Viva a tenu leur production photographique à l’écart de la presse, qui publiait alors principalement des images liées à l’actualité internationale ou, pour ce qui concernait la société française, des illustrations beaucoup plus conventionnelles.

Ces images, dont la qualité esthétique pour un grand nombre d’entre elles incontestable, présentent surtout l’intérêt d’offrir un regard sur la société française d’alors ressenti désormais comme simple et réaliste : si l’approche était considérée comme décalée il y a trente ans, le visiteur d’aujourd’hui éprouve face à ces photographies une impression de grande proximité.

Des foins dans les Pyrénées aux usines à charbons en Bretagne en passant par les manifestations Lip à Besançon et les meetings des OS Renault à Paris ; des portraits d’intellectuels et d’artistes (Jean-Paul Sartre en conférence de presse à Libération, Ariane Mouchkine, Michel Foucault) aux photos d’hommes politiques en situation (Alain Krivine au Palais des Sports, François Mitterrand en meeting, ou dans un café à Creil, à une époque où on voit Georges Pompidou en train de jouer au billard dans sa maison de campagne, avant que le président Valéry Giscard d’Estaing ne découvre le métro en 1977), le travail de l’agence Viva souligne une France en pleine mutation économique, sociale et politique.

Au terme d’une aventure qui n’a pas excédé 10 ans, épuisée par les dissensions internes et les difficultés économiques, mais animée de la volonté de saisir sans concession les creux et les reliefs de la France de leur temps, cette poignée de photographes idéalistes nous a laissé un précieux témoignage des années 1970.


Coup de coeur de Mag :

Pour « Familles », le seul projet véritablement collectif qu’ont mené les membres de l’agence : loin de l’image d’Epinal de la famille unie et lisse, il montre des enfants s’égayant en liberté, des pères qui font les clowns, des regards qu’on devine happés par l’écran de télévision, des générations qui ne communiquent plus entre elles et s’ennuient ensemble à table, …
Beau et émouvant reportage mais auquel les média français ne se sont alors pas intéressés, préférant peut-être masquer les pages qu’une partie de la société française était en train de tourner …

Viva,une agence photographique
Jeu de Paume, site Sully
62, rue Saint-Antoine – Paris 4ème
Jusqu’au 9 avril 2007
Catalogue Les Années Viva, 30 €

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Bernard Guillot. Le Jardin des simples.

guillotBernard Guillot est un photographe de la nature. Son oeil capte la poésie d’un arbre, d’un oiseau, d’une eau tranquille. Il en réalise des tirages en noir et blanc argentiques clairs et éthérés.

Le choix des prises des vues renforce l’impression d’étrangeté, l’artiste privilégiant ce que la nature a gardé de sauvage : les rives des cours d’eaux, des étangs, où les végétaux poussent dans le désordre et forment un écrin flou onirique.

C’est un regard affranchi du présent qu’il nous offre lorsque son objectif gagne les bords de Seine, ou le delta du Nil. Dans les pas des peintres du XIX° siècle, il intitule l’une de ses photos des rives du Nil Déjeuner sur l’herbe (image) ; une autre est prise Chez Monnet à Giverny : un fouillis végétal qui a naturellement sa place dans Le Jardin des simples impressionniste de Bernard Guillot.

Certaines photos sont retravaillées à la gouache ou à l’encre de Chine : le trait ondule, sculpte, évoque le contours des feuilles, accentue le travail de composition photographique pour un rendu à la fois architectural et très libre.

Outre les photos et dessins, la Galerie Frédéric Moisan présente également des peintures a tempera, permettant ainsi au visiteur d’embrasser l’ensemble des techniques explorées par cet artiste singulier.

Le jardin des simples. Bernard Guillot
Galerie Frédéric Moisan
72, rue Mazarine – Paris 6ème
Du mardi au samedi de 11 h à 19 h
Jusqu’au 17 mars 2007
Entrée libre

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Mains. Basil Pao

mainsLes mains touchent, travaillent, offrent …

Ici, elles glissent sur le clavier, tiennent le stylo, tournent une page.

Ailleurs, que font-elles ?

Basil Pao a eu une belle idée : faire le tour des continents pour présenter, dans un magnifique recueil, des photos de mains d’hommes et de femmes de tous pays.

Sur la page de droite, une paire de mains est zoomée en grand format ; à gauche, une photo plus petite et un texte court éclairent le lieu et le contexte où les mains ont été vues.

Au delà de l’esthétique couleur très « National Geographic », l’intérêt de l’ouvrage est de montrer, parfois très loin de nous, à quoi les mains sont occupées : que fait l’Homme en ce vaste monde en somme.
Les mains travaillent bien sûr, mais aussi elles croient – lorsqu’elles tiennent une corne de chèvre destinée au sacrifice en hommage à Abraham – s’ornent, attendent, créent, recueillent l’eau, la nourriture, pétrissent, paient, tiennent une arme … les mains lisent aussi, enfin.


Mag et la plume  :

La main est avant tout ce qui permet de toucher ; et ce livre est une ode à la sensualité : contempler la photo d’un oiseau, d’une poule au creux d’une paire de mains, c’est éprouver aussitôt la douceur de la plume contre les siennes…

Mains. Basil Pao
Préface de Michaël Palin
National Geographic
400 p., 29,90 €

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L'Evénement, les images comme acteurs de l'histoire (suite et fin)

evenement2Poursuite de la visite de l’exposition « L’Evénement » avec la salle L’Evénement à l’heure de la globalisation, consacrée à la couverture médiatique des attentats du 11 septembre 2001.
Il nous semble avoir vu trop d’images de ce drame, il nous semble trop les connaître. La raison de cette saturation ? « Des images en boucle, toujours les mêmes, bégayées par une armée de speakers » soulignait Jean-Luc Godard quelques mois après l’événement dans Libération.

Cette partie de l’exposition propose une édifiante démonstration de l’uniformisation de la presse, en particulier dans ses représentations iconographiques.

L’alignement de Unes de journaux américains presque toutes identiques illustre les résultats d’une étude statistique menée à partir d’un corpus de 400 Unes des 11 et 12 septembre 2001 : celle-ci met en évidence que, malgré le très gros volume de productions photographiques alors disponibles, pas plus de 5 ou 6 types d’images ont été choisis.
A elle seule, l’image de de la boule de feu produite par l’explosion des réservoirs d’hydrocarbure du vol 175 lorsqu’il percuta la tour Sud est présente sur près de la moitié de ces unes.
Puis vient celle du nuage de fumé qui s’est élevé peu après dans le ciel clair de Manathan ; le lendemain, les journaux ont favorisé les images de ruine ; l’avion s’approchant des tours juste avant l’impact ; les scènes de panique dans la rue (toujours les mêmes également).
Une image acquerra dans les semaines suivantes une grande importance commémorative : celle des trois pompiers hissant le drapeau américain dans les décombres encore fumants du Word Trade Center. Elle n’est pas sans rappeler, évidemment, la célèbre photo des soldats américains hissant le drapeau sur l’île d’Iwo Jima (voir le dernier film de Clint Eastwood, dont le thème de départ est cette fameuse photo).

Le paradoxe laisse perplexe : l’événement le plus photographié de l’histoire de l’humanité semble avoir reçu le traitement médiatique le moins diversifié …

Cette uniformisation découle en grande partie de l’extraordinaire concentration qui s’est opérée dans le monde médiatique depuis une vingtaine d’années : en 1983, l’industrie médiatique était contrôlée par une cinquantaine d’entreprises – seulement !
Mais aujourd’hui, 5 conglomérats possèdent à eux seuls la plupart des magazines, chaînes de télévision ou de radio, maisons d’éditions, studios de cinéma, fournisseurs d’accès à Internet …
Selon certaines études, cette concentration s’accompagnerait d’une baisse de la qualité du contenu éditorial.
Il est évident, en tout état de cause, que les journaux appartenant aux grands groupes, approvisionnés aux mêmes sources, soumis à la même logique, appliquant les mêmes recettes marketing, finissent pas se ressembler étrangement …

L’explication vaut pour l’image également, et la France n’y échappe pas. Les agences disparaissent, fusionnent, ou sont rachetées par de grands groupes financiers. Aux Etats-Unis, le traitement immédiat des attentats du 11 septembre s’est fait aux ¾ à travers l’œil de l’Associated Press.

Comment s’étonner, dans ce contexte, de cette impression – qui est une réalité – de déjà vu, de trop vu, presque d’écœurement, face à la représentation d’événements tragiques qui pourtant devraient nous émouvoir en ce qu’ils sont avant tout des drames humains ?

L’espace aménagé au centre de la salle vient nous rappeler qu’on est loin d’avoir tout vu du drame de Word Trade Center. et qu’il existe une autre façon de porter son iconographie à notre connaissance : la reconstitution de l’exposition Here is New York, a Democracy of Photographs, organisée en 2002 et regroupant une sélection des innombrables photographies d’amateurs qui avaient été prises. Enfin, nous voyons des personnes, des hommes, des femmes, des enfants. Un homme noir est assis, penché en avant, sur une chaise à même la rue, on sent l’épuisement physique et moral, tandis qu’un homme blanc plus âgé, avec un tuyau d’arrosage, le nettoie des cendres qui le recouvrent. Tout à coup, la détresse, tout à coup l’aide, le silence, l’humanité.
On se surprend à regarder un long moment ces photos accrochées de-ci de là sans plan ni priorité, scènes de vies après l’horreur, certaines en noir et blanc, les autres en couleurs, toutes différentes.
Enfin la diversité, celle dont l’événement a été vécu, celle dont cet événement a été saisi dans l’objectif.
A ce moment-là seulement, l’image nous donne à croire qu’on a vu, peut-être un peu "connu", quelque chose de ce drame.

L’Evénement, les images comme acteurs de l’histoire
Jeu de Paume – Concorde
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Jusqu’au 1er avril 2007
Ouvert tlj sauf le lundi de 12h à 19h, le week-end dès 10h et le mardi jusqu’à 21h.
Entrée 6 € (TR 3 €)
Catalogue de l’exposition : 30 €

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Henri Cartier-Bresson. Les films

DVD HCBHenri Cartier-Bresson (1908-2004) n’était pas seulement un immense photographe.

Des années 1930 aux années 1970, il a également réalisé des documentaires qui, comme son œuvre photographique, témoignent de la précision et de la sensibilité de ce regard unique :« l’œil du siècle », pour reprendre le titre de la biographie que lui a consacré Pierre Assouline.

Cinq de ses œuvres cinématographiques ont été réunies par Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française, dans un double coffret DVD édité par MK2. Il comprend aussi des documentaires consacrés à l’artiste.

Parmi les films d’Henri Cartier-Bresson, figurent deux documentaires en couleur, assez peu connus, tournés en 1970 pour le compte de la chaîne de télévision CBS News. Dans Southern Exposures, celui qui fut l’un des pionniers du photo-journalisme montre, sans ajouter de commentaire, la société américaine telle une mosaïque composées de groupes sociaux bien distincts. L’égale sobriété dans sa façon de filmer fait ressortir de façon criante ce que la société a de contrasté, y compris dans ses excès.

Parmi les documentaires dédiés à l’artiste, Caroline Thiénot Barbey a filmé, en 1989 (mais réalisé en 2005 seulement) Une journée dans l’atelier d’Henri Cartier-Bresson
L’homme, alors âgé, dessine et peint en silence un nu féminin. Il est sérieux, appliqué. Il estompe le trait, crée le modelé, restitue le délié des muscles, la détente, la beauté des traits du jeune modèle.
Malgré son apparente impassibilité, son plaisir à dessiner et à peindre est perceptible.
De temps à autre, il livre ses réflexions et c’est toujours un grand plaisir de l’écouter :

Ce qui compte, ce n’est pas la photo, c’est le regard. (…)
Le dessin est une sorte de méditation, alors que la photo est une action immédiate, c’est presque une éjaculation (…)
Je photographie comme un dessinateur ; maintenant il y a des photographes qui photographient comme des philosophes, ou comme des psychanalystes. (…)
Les photographes sont obsédés par la photo ; ils ne comprennent pas que chez moi il n’y ait pas de photo. (…)
Les gens veulent absolument que je sois photographe ; j’aurai l’étiquette de photographe jusqu’à la fin de mes jours …

Sans même laisser échapper un soupir, il gardait ce calme, ce naturel et cette simplicité, que son immense et juste renommée rend encore plus admirables.

Henri Cartier-Bresson
Coffret double DVD accompagné d’un livre
MK2, 50 €
Par ailleurs, à lire :
L’oeil du siècle
biographie de Pierre Assouline
Plon, 374 p., 19 €
Folio, 428 p., 8 €
A visiter :
Le site de la Fondation Henri Cartier-Bresson

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L'Evénement, les images comme acteurs de l'histoire

evenement1Le Jeu de Paume ouvre ses grands espaces à une réflexion sur l’image.
Le titre et le sous-titre peuvent paraître un peu pompeux ; ils soulignent en réalité un travail d’exposition remarquable.

Au delà de la question du propos, le parcours a le mérite de nous entraîner, d’emblée, loin des sentiers battus.
Départ immédiat pour la guerre de Crimée. C’était entre 1853 et 1856. On commençait à photographier et, compte tenu de l’état de la technique, il fallait beaucoup de temps pour prendre un cliché.

Le résultat est troublant : des tranchées désertes dans la steppe russe, avec leurs sacs de sable, leurs soutènements d’osier. Le front paraît abandonné ; on se sent loin des combats.
De magnifiques vaisseaux pris dans la glace surgissent dans une étendue de blanc, leur silhouette inquiétant et fascinante n’est pas sans nous rappeler quelque chose (le Rivage des Syrthes ? …)
Un siècle et demi nous sépare du moment où ces belles et grandes photos en noir et blanc, légèrement jaunies mais bien nettes, ont été prises. Il se dégage de ces images lointaines un calme et une beauté inattendus.
Puis les dessins de Durand-Brager saisissent le mouvement et viennent nous rappeler qu’il s’agissait de combats, d’assauts, de luttes, de violence. A cette époque, le trait du crayon était le plus à même de rendre compte de l’action, du « direct », de l’événement, que la photographie.

Le 2ème sujet choisi (il y en a 5 en tout, dont la chute du Mur de Berlin, les congés payés et les attentats du 11 septembre) traite d’une belle et passionnante aventure : celle de la conquête de l’air.
Louis Blériot réussit la traversée de la Manche en 1909 : il n’y a qu’à regarder les photos (et le film) de son départ et de son arrivée pour comprendre ce qu’a pu représenter cet exploit aux yeux de ses contemporains. En particulier, celles d’un groupe de personnes à terre, photographié de loin et de dos, regardant un petit point qui s’éloigne dans le ciel … ou de son épouse portant à ses yeux des jumelles pour mieux suivre son parcours. Tout le miracle du vieux rêve de l’homme en train de se réaliser se lit dans ces images – et peut-être aussi dans le film d’actualités, montrant le sourire timide et fier, mais finalement franc et très émouvant du victorieux Blériot.
Suivent des prises de vues alors inédites : l’objectif se met à la verticale, vise d’en haut, ou bien d’en bas (ne pas louper la photo prise de la tour Eiffel).
Suivront aussi, dans la presse, des mises en page nouvelles : des exemplaires de « La vie au grand air » (chouette titre !) montrent que le bon vieux journal illustré commence à bousculer la platitude des maquettes, à en oser de plus complexes pour mieux rendre compte de l’événement … on se dirige alors doucement vers la presse magazine telle qu’on la connaît aujourd’hui … VU naîtra moins de 20 ans plus tard

Après ces deux passionnantes salles, on poursuit la visite – et la réflexion – demain avec l’espace consacré à la couverture médiatique des attentats du World Trade Center.

L’Evénement, les images comme acteurs de l’histoire
Jeu de Paume – Concorde
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Jusqu’au 1er avril 2007
Ouvert tlj sauf le lundi de 12h à 19h, le week-end dès 10h et le mardi jusqu’à 21h.
Entrée 6 € (TR 3 €)
Catalogue de l’exposition : 30 €

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