A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Le retour à Paris

Marcel Proust La RechercheLe premier séjour, de plusieurs années, que le narrateur fait dans une maison de santé est suivi d’un autre plus long encore, dans une nouvelle maison, où il ne guérit pas davantage.

Il finit par rentrer à Paris.

Durant le trajet en chemin de fer, une pensée mise de côté pendant ces longues années vient de nouveau l’accabler :

La pensée de mon absence de dons littéraires, que j’avais cru découvrir jadis du côté de Guermantes, que j’avais reconnue avec plus de tristesse encore dans mes promenades quotidienne avec Gilberte, et que j’avais à peu près identifiée, en lisant quelques pages du journal des Goncourt, à la vanité, au mensonge de la littérature, cette pensée, moins douloureuse peut-être, plus morne encore, si je lui donnais comme objet non ma propre infirmité, mais l’inexistence de l’idéal auquel j’avais cru, cette pensée (…) me frappa de nouveau et avec une force plus lamentable que jamais.

A son retour chez lui, il trouve un carton d’invitation à une matinée chez le prince de Guermantes.
Le nom de Guermantes retrouvant tout à coup à ses yeux, après un si long oubli, quelque ancien reflet enchanteur et, par ailleurs, la vie mondaine ne pouvant plus l’ôter, comme avant, à la tâche littéraire à laquelle il a désormais renoncé, il décide de se rendre à cette réunion mondaine.

Mais c’est parfois lorsque, désespéré tout à fait, on a fini par abandonner le projet qui nous était le plus cher qu’on tombe sur la clef qu’on ne cherche plus :

C’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver ; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir, et elle s’ouvre.

La suite très vite…

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Le temps retrouvé. Les regrets et l'oubli

Marcel Proust La RechercheAu début du Temps retrouvé, le dernier tome de A la recherche du temps perdu, le narrateur retourne à Combray.

Les années ont passé.

Gilberte, son premier amour, est désormais mariée à son ami Robert de Saint-Loup.
Mais celui-ci la délaisse et la confie plutôt aux soins du narrateur.

Se promenant et bavardant avec elle sur les terres de son enfance, il se rend compte qu’il n’a pas su connaître et comprendre les femmes qu’il a aimées :

Et tout d’un coup, je me dis que la vraie Gilberte, la vraie Albertine, c’étaient peut-être celles qui s’étaient au premier instant livrées dans leur regard, l’une devant la haie d’épines roses, l’autre sur la plage.

Viennent alors les regrets :

Et c’était moi, qui, n’ayant pas su le comprendre, ne l’ayant repris que plus tard dans ma mémoire, après un intervalle où par mes conversations tout un entre-deux de sentiment leur avait fait craindre d’être aussi franches que dans la première minute, avait tout gâté par ma maladresse. Je les avais « ratées »…

Mais son amour pour Gilberte est définitivement enterré car plus fort encore est l’oubli, qui ensevelit tout, y compris la peine :

Car il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruine, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c’est le Chagrin.

Bonnes lectures et bon week-end à tous.

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A la recherche du temps perdu. Mère et fille, délicatesse et fidélité

proust2On sait à quel point le narrateur est attaché à sa grand’mère maternelle, qui est la délicatesse même.

La scène au cours de laquelle il s’aperçoit que sa grand’mère est malade, lors d’une promenade aux Champs-Elysées est des plus émouvantes (billet du 13 avril dernier).

De retour à la maison, ils sont reçus par la mère du narrateur. Ce passage, non moins poignant, est l’occasion de mesurer l’adoration que celle-ci voue à sa propre mère (1) :

Je lui avais enveloppé à demi la tête avec une mantille en dentelle blanche, lui disant que c’était pour qu’elle n’eût pas froid dans l’escalier. Je ne voulais pas que ma mère ne remarquât trop l’altération du visage, la déviation de la bouche ; ma précaution était inutile : ma mère s’approcha de grand’mère, embrassa sa main comme celle de son Dieu, la soutint, la souleva jusqu’à l’ascenseur, avec des précautions infinies où il y avait, avec la peur d’être maladroite et de lui faire mal, l’humilité de qui se sent indigne de toucher ce qu’il connaît de plus précieux, mais pas une fois elle ne ne leva les yeux et ne regarda le visage de la malade. Peut-être fut-ce pour que celle-ci ne s’attristât pas en pensant que sa vue avait pu inquiéter sa fille. Peut-être par crainte d’une douleur trop forte qu’elle n’osa pas affronter. Peut-être par respect, parce qu’elle ne croyait pas qu’il lui fût permis sans impiété de constater la trace de quelque affaiblissement intellectuel dans le visage vénéré. Peut-être pour mieux garder plus tard intact l’image du vrai visage de sa mère, rayonnant d’esprit et de bonté. Ainsi montèrent-elles l’une à côté de l’autre, ma grand’mère à demi cachée dans sa mantille, ma mère détournant les yeux.

Après la mort de la grand’mère, la mère du narrateur témoignera une fidélité absolue à sa mémoire.
On a vu l’estime que la grand’mère portait à la littérature, en particulier aux Lettres de Mme de Sévigné (billet du 6 avril).
La fidélité de la mère du narrateur à sa maman disparue prend dans cet extrait un goût particulièrement savoureux (2) :

Parmi les causes qui faisaient que maman m’envoyait tous les jours une lettre, et une lettre où n’était jamais absente quelque citation de Mme de Sévigné, il y avait le souvenir de ma grand’mère. Maman m’écrivait : « Mme Sazerat nous a donné un de ces petits déjeuners dont elle a le secret et qui, comme eût dit ta pauvre grand’mère citant Mme de Sévigné, nous enlèvent à la solitude sans nous apporter de société. » Dans mes premières réponses, j’eus la bêtise d’écrire à maman : « A ces citations, ta mère te reconnaîtrait tout de suite. » Ce qui me valut, trois jours après, ce mot : « Mon pauvre fils, si c’était pour parler de ma mère, tu invoques bien mal à propos Mme de Sévigné. Elle t’aurait répondu comme elle fit à Mme de Grignan : « Elle ne vous était donc rien ? Je vous croyais parents. »

Bonnes lectures.

(1) Dans Le côté de Guermantes
(2) Dans La prisionnière

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A la recherche du temps perdu. L'imagination

proust2Place est aujourd’hui réservée à la demande de Sola sur « l’imagination » dans l’œuvre de Proust (commentaire du billet Un amour de Swann du 19 janvier dernier).

Dans La Recherche, l’imaginaire est omniprésent : il n’est pas seulement un thème, il est une voûte céleste qui recouvre l’ensemble de l’oeuvre.

La puissance d’imagination du narrateur le conduit d’ailleurs souvent à rencontrer de terribles déceptions.

Ce sera le cas, par exemple, lorsqu’il découvrira enfin le fameux tympan de l’église de Balbec, dont il n’attendait rien de moins que de la magie : il n’éprouve alors qu’une tiède sensation face aux sculptures pourtant connues pour être splendides.

La même situation se produira lorsque l’occasion lui sera donnée d’aller au théâtre admirer la célébrissime Berma, moment fort désiré, dont il s’était fait une joie longtemps à l’avance.
A la fin de la représentation tant espérée, il n’est ébloui qu’à moitié, ce qui est bien peu en considération de ce qu’il avait imaginé.
Le lendemain, la presse, les personnes « autorisées » affirmeront pourtant qu’il s’agissait non seulement d’une interprétation de Phèdre tout à fait exceptionnelle, mais en outre l’interprétation la plus émouvante que la divine comédienne ait jamais donnée.
Le narrateur est alors bien perplexe.
Cependant, quelques temps plus tard, lorsqu’il sera loin de la réalité des planches, il fera, dans sa vie intérieure, « le chemin inverse » : en revivant le spectacle dans son souvenir, il va lui (re)trouver valeur et majesté :

Mon intérêt pour le jeu de la Berma n’avait cessé de grandir depuis que la représentation était finie parce qu’il ne subissait plus la compression et les limites de la réalité (…)

Mais le plus fort des rêveries du narrateur va très vite se porter sur les femmes.
Toutes les femmes qui le marquent commencent par le hanter sur le terrain fertile de son imagination, à partir d’une simple vision, alors qu’il ne les connaît pas réellement. C’est justement le fait qu’une femme lui soit inconnue qui la rend désirable à ses yeux. Lorsqu’il fait enfin la connaissance de la femme convoitée, celle-ci perd immédiatement une partie de sa puissance d’attraction.
Pour qu’elle continue à l’obséder, il faut qu’elle conserve une part de mystère : ainsi, dans cette place cachée, son imagination s’engouffre, s’emballe, ne cesse de « se raconter des histoires ».
Ce sera le cas avec Albertine: s’il en demeure amoureux, c’est uniquement – affirme-t-il en tout cas à certains moments – parce que sa jalousie (donc son imagination) est excitée à l’idée de ce que son amie peut faire lorsqu’elle sort sans lui. Pourtant, au lieu de l’accompagner dans ses sorties qu’il ne peut empêcher, le narrateur reste dans sa chambre, mettant en place une foule de scenarii … et souffre.

Laisser Albertine aller seule dans un grand magasin par tant de gens qu’on frôle, pourvu de tant d’issues qu’on peut dire qu’à la sortie on n’a pas réussi à trouver sa voiture qui attendait plus loin, j’étais bien décidé à n’y pas consentir, mais j’étais surtout malheureux. (…) Heureux ceux qui le comprennent assez tôt pour ne pas trop prolonger une lutte inutile, épuisante, enserrée de toutes part par les limites de l’imagination et où la jalousie se débat si honteusement que le même qui jadis, si seulement les regards de celle qui était toujours à côté de lui se portaient un instant sur un autre, imaginait une intrigue, éprouvait combien de tourments, se résigne plus tard à la laisser sortir seule, quelquefois avec celui qu’il sait son amant et préfère à l’inconnaissable cette torture du moins connue !

Bon week-end à tous ; bonne lecture !

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