Le temps retrouvé. Les aberrations de l'amour

Marcel Proust La RechercheLors de sa promenade solitaire dans Paris, le narrateur, après avoir rencontré par hasard M. de Charlus s’aperçoit qu’il s’est fortement éloigné de chez lui et qu’il ne pourra rentrer avant d’avoir pris quelque boisson et repos.

Dans le Paris obscur et clos des soirées de ces années de guerre, il finit par trouver une demeure éclairée pour faire une halte.
Il s’agit d’une maison de plaisirs.
Il y trouve toutes sortes d’hommes, militaires, aristocrates comme hommes du peuple.

Sa curiosité éveillée par des cris, il aperçoit à travers la petite fenêtre dissimulée d’une chambre le baron de Charlus en train de se faire fouetter par un jeune homme.

Cette scène le saisit vivement puis le conduit à de longues réflexions sur l’amour.

Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours discerner mais que nous poursuivons. C’était ma croyance en Bergotte, en Swann qui m’avait fait aimer Gilberte, ma croyance en Gilbert le Mauvais qui m’avait fait aimer Mme de Guermantes. Et quelle large étendue de mer avait été réservée dans mon amour, même le plus douloureux, le plus jaloux, le plus individuel semblait-il, pour Albertine ! Du reste, à cause justement de cet individuel auquel on s’acharne, les amours pour les personnes sont déjà un peu des aberrations.

De même, c’est aussi un rêve que poursuit le baron de Charlus, à travers son comportement amoureux qui avec l’âge l’entraîne jour après jour un peu plus loin :

Or les aberrations sont comme des amours où la tare maladive a tout recouvert, tout gagné. même dans la plus folle, l’amour se reconnaît encore. L’insistance de M. de Charlus à demander qu’on lui passât aux pieds et aux mains des anneaux d’une solidité éprouvée, à réclamer (…) des accessoires féroces qu’on avait la plus grande peine à se procurer, même en s’adressant à des matelots (…), au fond de tout cela il y avait chez M. de Charlus tout son rêve de virilité, attesté au besoin par des actes brutaux, et toute l’enluminure intérieure, invisible pour nous, mais dont il projetait ainsi quelques reflets, de croix de justice, de tortures féodales, que décorait son imagination moyenâgeuse.

Excellent week-end à tous.

Facebooktwitter