Le promontoire, Henri Thomas.

La nouvelle année est déjà là ! Meilleurs vœux à vous tous ! Que 2024 permette à chacune et à chacun de s’accorder des moments « culture » enrichissants, divertissants, étonnants…. que ce soit à travers la littérature comme maglm.fr vous y invite régulièrement, mais encore le théâtre, le cinéma, la peinture, la photo, la sculpture, la danse… Bref, tout ce qui nous fait voir le monde plus grand et nous rend la vie plus douce !

Et pour bien commencer l’année, un nouveau billet de la série des prix Fémina par Andreossi !

Mag.

Les questions que soulève le narrateur du Promontoire ont un aspect philosophique, puisqu’il s’interroge sur la mort, ou sur la vérité. Mais peut-être que l’essentiel de son propos concerne le mystère de l’écriture, car c’est en vivant une expérience personnelle marquante qu’il trouve matière à devenir enfin romancier.

Car il s’agit bien d’un roman, prix Fémina 1961, que nous lisons. Nous saisissons très bien le processus d’enfermement dans (ou par) ce village corse que vit ce traducteur de métier, venu sur l’île avec femme et enfant, mais laissé rapidement seul. Il abandonne ses habitudes, délaisse son travail, se néglige, boit de trop, comme s’il fallait qu’il change de peau pour comprendre les villageois et leur environnement.

A l’occasion de l’enterrement de l’aubergiste qui l’avait accueilli, c’est l’énigme de la mort d’une jeune femme, Diane, qui ressurgit. Le narrateur est maintenant assez inséré dans le village (et coupé de son monde) pour commencer à écrire : « Je suis quelqu’un à qui il arrive quelque chose qu’il ne comprend pas (…) seulement mon point de vue a changé tout récemment, depuis que je suis tombé dans cet espèce de trou (…) Il vaudrait mieux que je lâche carrément l’écriture, mais ce n’est plus possible. D’une certaine manière, elle fait partie de mon feu, de la vapeur de mon vin chaud ».

Le mystère de la mort de Diane le confronte à la question de la vérité, et comment rendre compte de cela ? « Votre cervelle en enregistre cent mille fois plus que votre main ne peut en décrire. Je vois cela, je le dis, et ce n’est pour personne, je suis enfermé avec la vérité ». Au bout du compte, et après une tragédie personnelle, il dépasse ce problème : « Ce n’était pas un crime, ce n’était pas un suicide ; c’était la mort qui se produisait avec une telle facilité qu’en y pensant je tourne dans un espace où tout est d’accord, tout est bien mené, terminé, sans importance ».

Le pouvoir du romancier peut s’exercer pleinement : « J’ai conscience de ce qui nous enferme ensemble, et l’autre cercle dans lequel je suis pris c’est ces mots qui n’arrêtent pas de courir pour imiter ce qui n’est pas directement saisissable, l’idée que personne n’a tué Diane, et que si personne ne l’a tuée il n’y a pas eu de mort ».

Poser des questions difficiles n’empêche pas Henri Thomas d’avoir proposé un roman très lisible et attachant.

Andreossi

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Jean-Christophe, l’adolescent. Romain Rolland

Le deuxième prix de La vie Heureuse, en 1905, (prix qui deviendra Fémina bien plus tard), est attribué au troisième volume de la série Jean-Christophe qui en comptera 8 au total.

Si aujourd’hui Romain Rolland est toujours lu grâce à ses essais ou sa correspondance, son œuvre de romancier à succès du début du XXe siècle paraît bien oubliée.

Il faut avouer que le lecteur d’aujourd’hui a bien du mal à se passionner pour les aventures de cet adolescent convaincu de son génie, pris dans les émois sentimentaux de son âge, le tout conté dans une langue sans relief.

Jean-Christophe est un jeune allemand de 15 ans, pianiste talentueux qui donne concerts et leçons de piano. Il vient de perdre son père, et suit sa mère qui emménage dans la maison du vieux Euler qui y vit avec sa fille, son gendre et leur fille Rosa. La culture et la noblesse des sentiments du jeune homme souffrent du climat familial et des rencontres réalisées : « tôt ou tard la réaction devait venir contre la bassesse des pensées, les compromis avilissants, l’atmosphère fade et empestée , où il vivait depuis quelques mois (…) mais qu’est-ce donc que ce besoin de souiller, qui est chez la plupart, – de souiller ce qui est pur en eux et dans les autres- ces âmes de pourceaux, qui goûtent une volupté à se rouler dans l’ordure, heureux quand il ne reste plus sur toute la surface de leur épiderme une seule place nette ! »

Ce sont les relations aux femmes et jeunes filles qui lui donnent les leçons de la vie. Rosa, aussi adolescente, est amoureuse de lui. Mais il la méprise, pour sa « laideur » et pour son bavardage intempestif. Sabine est une jeune veuve qui ne demande qu’à être aimée, mais aussi bien son indolence que la timidité de Jean-Christophe empêche la réalisation de leurs désirs. Une relation s’engage avec Ada, qui a de l’expérience, mais dont les jeux amoureux sont insupportables à Jean-Christophe pour qui la vie doit être d’un sérieux à toute épreuve.

Certains caractères de l’adolescence sont tout de même bien vus : « Tout son corps et son âme fermentaient. Il les considérait, sans force pour lutter, avec un mélange de curiosité et de dégoût. Il ne comprenait point ce qui se passait en lui. Son être entier se désagrégeait ». Mais cela ne suffit pas pour être convaincu de l’intérêt à lire les sept autres volumes de la série.

Andreossi

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Cécile de La Folie. Marc Chadourne.

L’auteur n’insiste pas beaucoup sur ce qui apparaît pourtant comme le thème majeur de ce roman oublié, prix Fémina en 1930 : les conséquences traumatisantes de la guerre, qui agissent en sourdine sur l’individu qui a subit cinq ans de combats, entre 1914 et 1919. Marc Chadourne lui-même a connu pareil destin, et sa biographie dit qu’il a mené « une vie errante » après cette guerre. Il est entré au Ministère des colonies, et a terminé sa carrière comme professeur aux Etats-Unis. Traducteur de Joseph Conrad, il a produit 17 livres, couronnés par le grand prix de l’Académie Française en 1950.

Le roman conte l’histoire d’amour entre François Mesnace et Cécile de La Folie. Ils se sont fréquentés jeunes et avant de partir au front il lui demande une relation davantage charnelle, qu’elle refuse. On ne sait rien de ce qu’il vit pendant ces années, mais il n’est plus le même homme à son retour. Ainsi, à la fête du 14 juillet 1919 : « Qu’avaient-elles apporté ces cinq années ? Elles s’achevaient en fumées, rumeurs et pétarades. Une liesse funèbre célébrait le retour dans la fourmilière. Que valait de revenir se perdre, insignifiante unité, dans cette masse d’êtres tous assujettis au destin de se suivre, de se presser, de s’imiter, de se recommencer ? » Et aussi : « L’idée de mort, née de l’expérience de la guerre, le hantait de nouveau, obstinée à le convaincre que tout effort allait au néant ».

De retour chez Cécile, même interrogation : « Qu’est-il revenu faire ici ? Etre là ou ailleurs aujourd’hui. Oui, mais pourquoi en lui cette dolence, cette envie de prendre sa tête dans ses mains, de s’abandonner à des rêves ? ». Cécile n’a pas changé dans ses sentiments, qui restent d’une remarquable ténacité malgré les errements de François. Elle connaît pourtant bien des déboires : pianiste, elle s’use à donner des leçons de piano qui entravent ses possibilités de carrière plus prestigieuse ; elle doit aussi prendre soin de son père malade ; son frère n’est qu’un fardeau de plus.

Sans rompre véritablement, François se détache, et même la complicité des débuts autour de la culture (« Ils ont ouvert ensemble un livre merveilleux. Du côté de chez Swann, d’un auteur inconnu ») tend à disparaître. La patience de l’une ne peut suffire aux penchants erratiques de l’autre et chacun avance vers son destin tragique.

Le roman est agréable à suivre, dans un style sans graisse superflue, ponctué de références littéraires bienvenues : Goethe, l’Arioste, François Villon, et le philosophe Schopenhauer, qui nous laisse méditer sa sentence : « L’essentiel est ce qui dure, non ce qui devient toujours ».

Andreossi

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Dieu est né en exil. Vintila Horia

Drôle d’aventure pour le Goncourt 1960 : attribué, il n’a pas été décerné. C’est qu’on a découvert que son auteur, Vintila Horia, après un passé de militant fasciste, avait été condamné dans son pays d’origine, la Roumanie. Réfugié après 1945 en France puis en Espagne il connaît bien la condition d’exilé qui est le thème de son roman écrit dans un impeccable français.

L’auteur, à partir des écrits du poète Ovide, imagine la tenue d’un journal de ce Romain banni par l’empereur Auguste en l’an 9. Exilé à Tomes, dans l’actuelle Roumanie, Ovide commence à ne penser qu’au retour à Rome. Mais au bout des huit ans de relégation, son état d’esprit a beaucoup évolué, car il a appris à connaître les « barbares » du lieu, les Gètes, et est prêt à abandonner le polythéisme romain pour la nouvelle religion émergente, le christianisme.

Nous suivons année après année cette évolution, qui passe par l’abandon de la vie urbaine qu’il a connue et l’évocation de sa jeunesse, dans une atmosphère de douce mélancolie : « Le soir était calme, il faisait encore chaud, les feuilles des oliviers se renversaient doucement dans la brise en faisant voir leur ventre argenté, comme de petits poissons dans une eau limpide ».

Ovide devient de plus en plus critique vis-à-vis de l’impérialisme romain : « Les Romains faisaient avancer partout les limites de l’empire, à force de couper des têtes et d’implanter des lois, sans se douter que la terre n’avait pas de fin et que leur entreprise demandait autant d’hommes que tous les autres hommes de l’espace à conquérir ». Il observe comment certains peuples gardent une bonne part de leur culture : « Notre civilisation a sans doute ses avantages et les Gètes savent en profiter. Ils tolèrent la présence des Grecs qui ont su les apprivoiser, en faisant de leurs villes des centres commerciaux florissants où les Gètes viennent changer leurs produits ».

C’est par rapport à la religion que le changement dans les valeurs d’Ovide est le plus manifeste. Grâce à des rencontres qui l’ont marqué, comme avec sa servante Dokia, ou avec le médecin Grec Théodore, il est séduit par le monothéisme. Théodore raconte : « Comment pouvais-je croire encore à Zeus, l’adultère, le criminel, le jouisseur, l’inverti, quand, devant mes yeux, à Alexandrie, j’apprenais que Dieu était un seul, quoique sa substance était triple ? Connaissez-vous cette doctrine ? Elle est d’une grande beauté ».

Peut-être Vintila Horia a-t-il pris des libertés avec l’Histoire, mais son roman n’en reste pas moins très agréable à lire.

Andreossi

Dieu est né en exil. Vintila Horia

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Oublier Palerme. Edmonde Charles-Roux

Le Goncourt 1966 récompense Edmonde Charles-Roux pour son premier roman, Oublier Palerme. Deux pôles géographiques se partagent l’intrigue, New York et cette grande ville de Sicile que les protagonistes ne peuvent oublier. Mais si l’intérêt se soutient bien lorsque que l’action se déroule sur l’île, les épisodes new-yorkais provoquent un grand ennui, du fait d’une construction peu convaincante.

C’est Ginna, rédactrice dans un grand magazine féminin américain qui nous présente l’essentiel des acteurs du roman et leur vie à New York. Nous apprenons ainsi à connaître Babs et son entourage : rédactrice dans le même journal, elle travaille à répondre à l’ambition bien assumée de la patronne : « Car le tirage de Fair ne dépendait ni de culture, ni de musique, ni d’art (qui étaient les bêtes noires de Fleur Lee) mais seulement de ces fringales féminines que seuls les magazines savent assouvir. Mode, sexualité, voyage, boustifaille, telle était notre formule ».

Un autre univers est représenté par Carmine Bonnavia, jeune élu démocrate, fils d’immigré sicilien originaire de la même région que Ginna. Les deux univers se rencontrent car (et ce n’est pas l’événement le plus vraisemblable du roman) Babs et Carmine se marient. Cette union nous vaut toutefois de quitter New York pour nous conduire à Palerme où enfin démarre une véritable intrigue avec le voyage de noce tragique des deux époux.

La ville prend consistance, la latinité sicilienne s’impose, et Babs est vite écartée du milieu : « Il y avait quelque chose de fantastique à penser qu’elle était arrivée avec cette démarche provocante, son grand rire claironnant, un rire comme pour prendre le monde d’assaut, avec ses attitudes d’une séduction si efficace –jambes croisées haut, genoux au vent- et que rien de tout cela n’avait résisté ». Carmine, de son côté, retrouve ses racines : « Comme il était vite acquis aux penchants latins, cet Américain respectueux de la valeur du temps, soumis à la puissance du travail, de l’argent et si désireux de bien faire ! Quelques jours lui suffirent pour s’organiser dans une passivité orientale ».

C’est la figure d’un jeune vendeur de jasmin, Gigino, qui déchaîne le drame, où meurent Carmine et Gigino. Auparavant Carmine a compris pourquoi il ne pouvait oublier Palerme : « A voir Gigino ainsi, tout douloureux, tout recroquevillé sur lui-même tel un enfant avant la naissance, Carmine prit enfin conscience de ses origines (…) Voilà mon compagnon, mon frère se disait-il. Comment ne l’avais-je pas deviné plus tôt ? ».

Andreossi

Oublier Palerme. Edmonde Charles-RouxFacebooktwitter

Les eaux mêlées. Roger Ikor

La thématique du Goncourt 1955 fait écho à une question de la France d’aujourd’hui, celle de l’intégration des migrants. « Les eaux mêlées » se lit dans la suite de « La greffe de printemps », roman qui s’attache à suivre le parcours de Yankel Mykhanowitzki , parti de sa Russie natale avant la guerre de 14-18 pour fuir misère et pogrom, et se fixer à Paris comme casquettier. Le romancier nous plonge dans l’intimité d’un personnage qu’il sait rendre particulièrement attachant.

Ce sont finalement quatre générations de cette famille juive dont on suit les manières différentes de se mêler à la société française. Car Yankel est d’abord rejoint par sa femme et sa fille, puis par ses parents. Alors que son ambition était de devenir aussi français que possible, son épouse et son père, très accrochés à leur culture et leur religion, le poussent à revenir dans le quartier juif. La tension n’empêche pas les arrangements, mais ce n’est pas simple pour Yankel : « Parmi les Français, il regrettait la simplicité honnête et sans histoires de ses compatriotes ; parmi ceux-ci, vite agacé, il n’aspirait qu’à revenir vers les Français si largement ouverts sur le monde et la vie ».

Dans « Les eaux mêlées » il est davantage question des générations suivantes, des enfants et petits- enfants de notre héros. Yankel est fier du certificat d’études de son fils : « Voilà, Simon est vraiment français à présent ». Mais lorsque ce dernier choisit une épouse catholique, son père ne peut s’empêcher de penser : « Une juive, n’est-ce pas, c’est déjà une garantie ; les juifs sont des gens honnêtes, propres, simples. Naturellement, parmi les chrétiens aussi il y a d’honnêtes gens ; mais enfin on ne sait jamais. Et puis, même en écartant les mauvaises femmes, restent les innombrables sottes à cervelle d’oiseaux ; en tout goy sommeille le vieil antisémitisme, et il faut déjà un minimum d’intelligence pour ne jamais le laisser manifester ».

Arrive la période noire de l’Occupation. Une partie de la famille parvient à se cacher dans le sud de la France, tandis que d’autres périssent dans les camps nazis. Un petit-fils de Yankel est fusillé par les Allemands. Les réactions à la montée du nazisme ont été aussi différentes. Tandis que le fils Simon ne trouvait pas à s’inquiéter, le père n’était pas dupe : « Il ne savait pas que, comme le pigeon a le sens de l’orientation et la mouette le sens de la tempête, son père avait le sens du pogrom. En Simon, ce sens atavique s’était émoussé, sous l’effet de la France ».

Andreossi

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Les enfants gâtés. Philippe Hériat

Le Goncourt 1939 nous fait entrer dans le milieu de la haute bourgeoisie parisienne par le biais d’une thématique centrale pour cette classe, le mariage. La narratrice nous raconte son histoire de fille plutôt indocile, incapable toutefois de rompre avec les siens à cause de ce qu’elle appelle justement le marquage familial Boussardel.

Partie pour quelques semaines, Agnès reste deux ans aux Etats-Unis car elle est tombée sous le charme de Norman. Elle finit par se lasser de lui, le quitte, et retourne à Paris dans sa famille où elle retrouve tous les travers qu’elle déteste, ainsi que le provincialisme français : « J’avais connu là des amusements sportifs, garçonniers, aussi peu mondains que possible, offrant enfin cette apparence de libre consentement qui caractérise, en Amérique, les obligations comme les plaisirs. Ramenée presque sans transition dans ce bal de la Troisième République, j’éprouvais l’impression d’avoir reculé de trente ans ».

Elle a la faiblesse de passer une nuit avec son ancien amant américain, de passage à Paris, et se retrouve enceinte. L’habileté du romancier est de poser la question de l’alliance bourgeoise par son négatif : que faire de ceux et celles difficiles à marier ? La réponse pour les Boussardel est simple : marier ensemble les jeunes gens dont on ne sait que faire.

Agnès cache son état mais se confie à un cousin atypique, Xavier. Celui-ci n’hésite pas en lui proposant le mariage, ce que la famille s’empresse d’encourager. Cette alliance est sans vraie passion, mais la passion amoureuse ne fait pas partie de la culture Boussardel. Et Agnès se contente de peu : « Je partageais, à ma façon, son bonheur, sans pourtant partager ses plaisirs. Dès le premier soir j’avais compris qu’ils me seraient refusés. Cette disgrâce, qui m’étonnait moins et dont je commençais à soupçonner qu’elle est la condition commune à beaucoup de femmes, ne m’inspirait ni révolte ni amertume ».

Elle annonce enfin à sa famille qu’elle attend un enfant. Catastrophe : la tante Emma , tutrice de Xavier, lui annonce qu’il est impossible qu’il soit le père car il est réputé stérile (ce qui explique l’enthousiasme familial pour ce mariage avec Agnès l’indocile). On ne sait trop dans quelles circonstances Xavier tombe d’un balcon et se tue.

Agnès élève seule son enfant dans le sud de la France et ne se fait pas d’illusion sur sa capacité à briser les liens avec ses origines : « J’avais cru fuir les Boussardel. Il y en avait deux dans l’île : moi et mon fils ».

Andreossi

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Les jeux sauvages. Paul Colin

L’auteur du Goncourt 1950 est complètement oublié, et on ne voit pas comment il aurait pu en être autrement. Que son roman ait devancé cette année-là Marguerite Duras et son « Barrage contre le Pacifique » relève d’un des plus grands mystères de l’attribution du Goncourt. Mais Paul Colin a peut-être été assez lucide sur ses talents pour se retirer, sitôt le prix obtenu, sur une propriété viticole et ne publier qu’un seul autre roman une dizaine d’années plus tard.

Les jeux sauvages sont d’abord des jeux d’enfance, marqués par la violence des garçons, qu’elle s’exerce sur les filles ou sur les autres enfants de plus basse extraction sociale. Quatre enfants jouent ensemble, un frère et une sœur, une amie à eux et François, d’abord narrateur puis héros à la troisième personne. La violence est clairement valorisée : « lorsque je me revois dans mon furieux assaut je pense que les plus hauts exploits sont accomplis sous le coup de cette colère subite, si puissante qu’elle décuple votre force en même temps qu’elle vous enlève toute faculté de réfléchir ».

Les coups reçus par les filles ne sont qu’une sorte d’apprentissage pour la vie d’adulte. Au delà de la banale misogynie, il s’agit d’humilier (« Baumier, d’un ample mouvement du bras comme pour rattraper une balle basse à la paume, lui appliqua vivement sa large main sur les fesses : – Sacrée petite volaille ! »), et éventuellement de réduire la compagne au statut d’esclave amoureuse : « Je saurai bien la briser, disait-il. Je la briserai, je la briserai… Et cette colère, à la vérité, était singulièrement exaltante ». Auparavant l’autre garçon a assassiné une adolescente.

Que peut-on sauver de ce roman ? Difficile de trouver des arguments. L’ensemble est particulièrement mal ficelé, les personnages fort peu crédibles, des formes d’écriture totalement invraisemblables, en particulier lorsqu’il s’agit de lettres échangées par les protagonistes, et des digressions qui tombent comme un cheveu sur la soupe (par exemple sur la culture de l’asperge).

On pourrait penser que l’auteur dénonce les situations qu’il décrit. Rien, ni dans le contenu ni dans la forme ne peut nous le faire supposer. On a le sentiment que des fantasmes masculins se laissent librement aller, comme si le narrateur devait exercer une vengeance sur les femmes dont l’origine lui est inconnue.

« C’était une grosse molasse à faire sauter tous les boutons de sa blouse dangereusement tendue sur les mamelles et sur les fesses ; ses bras nus lui pendaient des épaules aux hanches, son encolure dégagée tirait sur la boutonnière de son corsage, le tout bien blanc, avec des bourrelets, coussinets, matelassures ; un premier prix de concours agricole, tout en viande et réserve de graisse ».

Andreosssi

Les jeux sauvages. Paul ColinFacebooktwitter

Hartung et les peintres lyriques

Jean-Yves nous ramène de Bretagne une belle idée d’excursion en cette fin d’hiver : l’exposition consacrée à Hartung et d’autres peintres lyriques à Landerneau. Merci Jean-Yves de nous faire partager ce coup de coeur !

Mag

Le Fonds pour la Culture Hélène et Edouard Leclerc qui avait organisé, à Landerneau, une très belle rétrospective Chagall en 2016, récidive dans la qualité en proposant, cet hiver et jusqu’au 17 avril, une exposition consacrée à Hans Hartung et à quelques autres peintres lyriques.

L’accrochage chronologique des œuvres de l’artiste commence par ses tableaux de jeunesse, dans les années 1930, quand il s’engage délibérément et sans retour vers la non-figuration. S’ils n’ont pas la maîtrise des œuvres ultérieures, ces tableaux, souvent moins exposés que le reste de la production d’Hartung, demeurent intéressants, notamment quand ils illustrent la technique du report adoptée alors par le peintre, consistant à reproduire exactement sur tableaux les dessins sur papier.

L’exposition se poursuit en survolant la production d’Hartung dans l’immédiat après-guerre pour s’attarder sur les réalisations de la fin des années 1950 et des années 1960 lorsque la technique du peintre évolue : plus sûr de son geste, l’artiste explore une nouvelle méthode de mise à distance et n’hésite pas à employer divers instruments inattendus (pistolets de carrossier, lames ou râteaux). La recherche constante de nouvelles méthodes le conduira plus tard à employer un spray pour pulvériser de la peinture acrylique sur la toile, voire à frapper celle-ci au moyen de balais de genêt…

Les accrochages rendent très bien compte de ces évolutions, les griffures et zébrures laissant progressivement la place aux masses sombres, puis à un renouveau jubilatoire de la gamme chromatique.

Hartung continuera à peindre quasiment jusqu’à la fin de sa vie, à 85 ans, dans une approche toujours très physique de son art… C’est dans son œuvre finale qu’il parvient à la plus grande amplification de son geste, dans des tableaux de grande taille.

La visite est ponctuée d’îlots ouverts à d’autres peintres lyriques. Le premier expose des œuvres de quelques représentants de la Nouvelle Ecole de Paris (Simon Hantaï, dont on retrouve avec plaisir deux tableaux, Gérard Schneider, Georges Mathieu) et met leurs contributions en résonance avec celle d’Hartung… Le second, occupé essentiellement par des peintres américains (Cy Twombly, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler), annexe aussi Jean Degottex, dont on apprécie le très beau « L’adret ». Le dernier, enfin, permet de découvrir certains « héritiers » d’Hartung (Jaffe, Traquandi, Polke…), même si la filiation ne saute pas toujours aux yeux du néophyte.

L’exposition, la première de cette importance consacrée en France au peintre depuis 2008, souligne donc la grande diversité de la production d’Hartung et la hauteur de son influence. Elle permet de deviner comment, dans sa volonté d’exploration, la démarche du peintre reste marquée par une grande rigueur, davantage peut-être que par l’effusion qui s’attache souvent au lyrisme. Elle donne enfin à retrouver quelques-uns des principaux acteurs de ce mouvement, l’abstraction lyrique, qui constitue l’une des étapes majeures de la peinture au cours de la seconde partie du 20ème siècle.

Jean-Yves

Hartung et les peintres lyriques

Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture

Les capucins – 29800 LANDERNEAU

Jusqu’au 17 avril 2017

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Visiter la Villa Médicis à Rome

La vue sur Rome depuis les jardins de la Villa Médicis
La vue sur Rome depuis les jardins de la Villa Médicis

Grimper la volée de marches qui surplombe la piazza di Spagna, se caler sur les horaires de l’une des nombreuses visites organisées tout au long de la semaine (sauf le lundi), en français, en italien ou en anglais… et nous voilà prêt à découvrir une partie des lieux dont jouissent au quotidien les heureux pensionnaires de la Villa Médicis.

Fondée en 1666 par Louis XIV, l’Académie de France à Rome, placée depuis Malraux sous la tutelle du ministère de la Culture et aujourd’hui dirigée par Muriel Mayette-Holtz, fête cette année ses 350 ans. Elle accueille, pour une durée de 12 à 18 mois des artistes (les anciens « Prix de Rome ») mais aussi des chercheurs, tous francophones et de toutes nationalités, qui peuvent ainsi approfondir leurs travaux. Des résidences de courte durée sont également proposées pour des projets de création et de recherche spécifiques. Des expositions, des concerts, des projections de films, des colloques y sont aussi organisés.

Les jardins de la Villa Médicis
Les jardins de la Villa Médicis

Le voyageur de passage dans la ville éternelle pour quelques jours ne peut hélas pas profiter de tout ce programme, mais la visite de la Villa est vraiment une étape conseillée. En effet, non seulement la vue sur la ville depuis la colline du Pincio est imprenable, mais ce n’est qu’une fois à l’intérieur, depuis les magnifiques jardins Renaissance, que la façade de la villa révèle toute son élégance.

A l’origine propriété de la famille Ricci, son aspect actuel est l’œuvre du cardinal Ferdinand de Médicis qui en fit l’acquisition en 1576. Il orna la façade d’authentiques bas-reliefs romains : taureau sacrifié, Hercule qui a tué le lion de Némée, guirlandes (parties qui remontent à – 9 av. J.-C.), etc sont ainsi disposés autour du blason des Médicis (alors constitué de 6 boules) surmonté du chapeau cardinal.

Les jardins à l’italienne, avec leur partie sans fleur, symbole d’éternité (les fleurs passent…) et leur partie labyrinthique (non pas pour se perdre, mais pour mieux penser…) abritent notamment une monumentale statue de Roma (de l’époque de l’empereur Hadrien), qui ressemble à Athéna, mais reconnaissable aux deux louves sur son casque. Dans sa main droite, elle tient la sphère, symbole de perfection (car sans début ni fin). Deux grands masques Renaissance l’entourent, exécutés par l’atelier de Michel-Ange.

Dans les jardins de la Villa Médicis, le mythe de Niobé selon Balthus
Dans les jardins de la Villa Médicis, le mythe de Niobé selon Balthus

Plus loin, on découvre une étonnante installation, œuvre de Balthus (qui fut directeur de la Villa Medici de 1961 à 1977). Réalisée avec des copies en plâtres de copies (qui sont à Florence) de statues romaines en bronze aujourd’hui disparues (car transformées en canons), elle illustre le mythe de Niobé, mère de nombreux enfants, qui voulait se mesurer à la déesse Léto, qui n’en avait que deux. Pour punir cet affront, Apollon et Artémis, les enfants de Léto tuèrent tous ses enfants à coups de flèches. L’installation montre l’épisode d’une façon saisissante : pris dans les herbes folles du jardin, certains des enfants sont déjà à terre, d’autres, effrayés, les yeux tournés vers le ciel, essaient de se protéger des flèches meurtrières. Niobé quant à elle entourant sa dernière fille finit pétrifiée. Un cheval accompagne la scène en tant que symbole de la mort dans le monde grec ancien.

La gypsothèque expose des pièces de la collection des plâtres de l’Académie comme le célèbre torse du Belvédère (l’original se trouve dans les musées du Vatican) ou encore des sculptures de la colonne Trajane (piazza Venezia à Rome toujours).

Dans le prétendu studiolo (qui en réalité devait servir à d’autres études que strictement littéraires), on découvre des fresques réalisées en 1576 par Jacopo Zucchi (un élève de Vasari) représentant des volières avec de nombreux oiseaux, y compris exotiques, quand le stanzino d’Aurora à côté révèle, du même peintre, une illustration des fables d’Ésope, que Jean de La Fontaine mit en vers bien des siècles plus tard.

A la Villa Médicis, le plafond de la chambre des Amours du Cardinal Ferdinand de Médicis par Claudio Parmiggiani - 2015
A la Villa Médicis, le plafond de la chambre des Amours du Cardinal Ferdinand de Médicis par Claudio Parmiggiani – 2015

On termine le parcours aux talons d’un guide local en verve et plein d’humour par la visite d’une partie de la villa proprement dite. Le plafond de la chambre du cardinal par exemple mérite quelques explications : Zucchi, toujours lui, y a illustré ce que serait la théorie néo-platonicienne de la création du monde à partir de la fusion des quatre éléments. Le feu et l’air ont ainsi créé l’éclair, l’eau et l’air l’arc-en-ciel. Mais on ne verra pas la création de l’homme à partir du feu et de la terre, car un descendant du cardinal Ferdinand de Médicis a fait brûler cette partie-là pour non-conformité au récit biblique. Le même héritier a fait détruire tout le plafond de la chambre des Amours, alors orné de nus… Une constellation de papillons, œuvre du plasticien contemporain Claudio Parmiggiani les remplace aujourd’hui.

 

Académie de France à Rome, Villa Medici

Uniquement en visite guidée, voir les horaires sur le site

Durée 1h30 environ, tarif 12 euros (TR 6 euros)Facebooktwitter