L'état des lieux. Richard Ford

L'état des lieux, Richard FordNovembre a été long ? Décembre s’étire vers des fêtes pour lesquelles vous n’avez guère d’appétit ?
Il est peut-être temps de réduire la voilure, de penser à aborder l’hiver différemment, de vous concentrer sur quelque chose de vraiment bon.
Prenez un livre, un livre qui abrite et régénère, en douce et en longueur, un gros roman qui exige un fidèle compagnonnage.

Les éditions de l’Olivier ont l’homme qu’il vous faut : Richard Ford, dans la peau de Frank Bascombe. Vous passerez avec lui trois jours à l’approche de Thanksgiving, trois jours seulement mais près de sept-cent-cinquante pages. Rythme tranquille, donc.

Il faut dire qu’il est un peu fatigué, notre ancien journaliste sportif, héros récurrent de Richard Ford. La cinquantaine bien sonnée, un cancer à la prostate, alors que sa deuxième épouse vient de le quitter pour aller vivre avec son premier mari ressuscité, Frank Bascome se livre désormais à de fructueuses activités immobilières en compagnie d’un Tibétain bouddhiste jusqu’à la pointe du col de son blazer américain.
Il se prépare à fêter Thanksgiving entre sa première épouse prise d’un retour de flamme, son fils avec qui la communication est pour le moins brouillée, et sa chère fille qui cherche son chemin en ce vaste monde. Une voie que Frank, précisément, explore tous phares allumés depuis la côte du New-Jersey qu’il ne quitte pas et ausculte à la loupe. Mais c’est en réalité davantage la vaste vie qui le préoccupe. Celle d’un Américain moyen qui a mis un autocollant "Pourquoi Bush ? » sur le pare-choc de son Suburban, tout en essayant de trouver la quiétude et de rester attentif aux autres. Alors, il nous fait voir que la vie n’est pas si vaste et qu’on a parfois intérêt à revoir à la baisse l’ambition du programme.
Même si rien n’est programmé. Ni les coups qu’on peut recevoir, un soir, sur le tabouret d’un bar où on croyait pouvoir faire une halte souveraine ; ni les bonnes surprises devenues inespérées et qui soudain apaisent.
De tout cela, Richard-Frank rend compte avec un soin minutieux, un sens de l’observation incomparable, une lucidité sans concession.
Il nous régale d’une écriture ample et précise à chaque page (il est là, le souffle qui fait regonfler la voilure), d’un humour teinté d’ironie douce-amère ; il dresse le portrait des Etats-Unis de l’an 2000, et, au bout du chemin, délivre la joie d’exister :

Le jour où je suis revenu chez moi de l’hôpital, le temps avait pris une jolie couleur de glace à la vanille et le soleil bas de midi rendait l’Atlantique violet et plat, puis brillant tout à coup avec la marée descendante. Et une fois encore, j’ai été attiré dehors, les jambes de mon pantalon roulées, pieds nus, avec un vieux sweat-shirt vert, jusqu’à l’endroit où le sable mouillé et scintillant saisissait la plante de mes pieds et où l’écume courait pour se refermer autour de mes chevilles comme un poing. Et, debout là, je me suis dit : "Ici est la nécessité. Ici est la mesure en plus – vivre, vivre, vivre à fond."

L’état des lieux. Richard Ford
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina
Editions de l’Olivier (2008)
736 pages, 23 €

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