Son excellence, monsieur mon ami. Jérôme Garcin

Jérôme Garcin, Son excellence monsieur mon amiFrançois-Régis Bastide. Un nom séduisant, avec un prénom (d’emprunt) à la fois bien planté et un peu en suspens, un patronyme rassurant, mais qui parle à bien peu de monde aujourd’hui.
Aux auditeurs du Masque et la Plume d’avant les années 1980, l’émission de critiques de France-Inter vieille de plus d’un demi-siècle. A ceux qui ont lu, dans le passé, un ouvrage comme les Adieux, prix Femina 1956. Mais les moins de quarante ans sont rares à connaître l’existence même de ce personnage disparu en 1996.

Jérôme Garcin, actuel animateur du Masque et la Plume a entretenu avec cet admirateur et sosie de Cocteau une longue amitié faite de complémentarité bien plus que de gémellité. Il dévoile dans ce livre les multiples facettes de cette figure oubliée, en se livrant à un art dans lequel il excelle : l’art du portrait.
La balade auprès de l’ancien diplomate de François Mitterrand est d’autant plus convaincante qu’elle se méfie de l’hagiographie. François-Régis Bastide, natif de Biarritz, éducation catholique bourgeoise, fou de musique et de culture germanique, se serait rêvé compositeur, de préférence auréolé de gloire. Il a fait éditeur, journaliste dans les arts, ambassadeur élégant, partisan socialiste fidèle, écrivain dilettante.
Adorateur des femmes, il a passé sa vie à les séduire avant de rencontrer l’amour durable, mais c’est sans doute aux hommes qu’il regrette de n’avoir plu assez ; pour commencer, à lui-même.
Alors cet intello-chic de la Rive gauche, qui, comme tous ceux qui se sont figés dans leur style, a fini par être démodé, a trouvé un refuge heureux dans le Var, au milieu des cyprès et des oliviers, prenant les heures aux choses de l’esprit pour les consacrer à la taille, à l’arrosage et au bon temps.
Vie tout en contrastes, émouvante, celle d’un homme qui a cherché sa place dans son monde et son époque, vie presque ordinaire, avec ses zigs-zags, ses désirs et ses frustrations.
En décrivant François-Régis Bastide, en se souvenant de leur profond attachement, Jérôme Garcin dessine aussi en creux une sorte d’auto-portrait, d’une plume fine et douce, fidèle à l’ami autant qu’à lui-même, et empreinte d’une mélancolie bien dans sa veine, que l’on retrouve avec toujours autant de plaisir.

Son excellence, monsieur mon ami
Jérôme Garcin
Gallimard, 16 € (2008) – En folio, 230 p., 6,10 € (2009)

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Les sœurs de Prague – Jérôme Garcin

garcinLe roman commence par une cinglante lettre d’insultes bien soignée adressée par une certaine Klara à un « cher petit grand con ».

Le « cher petit grand con » en question, c’est le narrateur. Ecrivain, il mène sa vie d’habitudes à l’abri des passions. Un peu indécis, il est un garçon rangé et propre.

Pourtant, très vite, il va tomber sous la coupe de Klara, agent artistique à l’ambition dévorante, aussi puissante qu’elle est séduisante.
Le roman raconte l’ascension de l’agence de Klara, à laquelle s’est jointe sa soeur Hilda, puis de sa chute vertigineuse, et des « dommages collatéraux » qu’elles feront sur le narrateur…

Dans quel état notre « petit écrivain » sortira-t-il de cet ouragan ? Certainement dévasté, mais ce n’est pas si simple.
N’avoue-t-il pas : « J’ignore ce qui me lie à ce destin brisé et pourquoi il me tient éveillé, alors que j’ai tout abdiqué. Je ne sais pas davantage d’où vient que j’aie le sentiment de lui être redevable. Elle ne m’a pourtant apporté, depuis notre première rencontre, que des déconvenues (…) Mais elle m’a aussi révélé, le voulait-elle seulement, la part la plus noire de mon âme. Elle m’a sauvé du confort, elle a griffé ma bonhomie, elle m’a dessillé. En somme, je lui dois de ne pas m’être assoupi. »

Dans sa façon de décrire par le détail de menus gestes quotidiens, dans sa manière d’installer l’intrigue autour d’une mystérieuse blonde aux yeux verts … il y a du Jean Echenoz dans cette plume-là.
On retrouve vite, toutefois, le pays d’Auge, Stendhal, les chevaux, l’écriture léchée et un peu mélancolique qui signent bien leur auteur, celui de Théâtre intime et de Cavalier seul.

C’est avec un vif plaisir qu’on découvre l’ironie de Jérôme Garcin lorsqu’il croque sans complaisance le petit-bourgeois et l’hypocrisie de certains milieux artistiques.
Mais il y a aussi beaucoup de bonheur à retrouver, au fil des pages, la bienveillance de Jacques Chessex, le génie de Kundera, la légèreté des Demoiselles de Rochefort… et l’irrésistible douceur de certaines journées d’automne.

Les sœurs de Prague
Jérôme Garcin
Gallimard
175 p., 14,50 €
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