On a parfois tendance à considérer Prévert à partir de nos souvenirs d’école, lorsqu’on récitait en choeur et par coeur Le cancre : des textes au langage simple destinés aux enfants.
Méconnaissance quasi-totale : les poèmes illustrés dans ce recueil sont pour certains d’entre eux d’une grande violence. La charge contre la religion, la guerre et la morale est sans appel. Il n’y a par exemple qu’à relire Sur le champ pour goûter la verve anti-militariste de Prévert.
Quant à son humour, il est souvent noir, voire saignant : avec L’orgue de barbarie, les dessinateurs s’en donnent à coeur joie. Ce poème donne lieu à deux interprétations, l’une assez effrayante de Gwendal Blondelle, l’autre beaucoup plus douce et féminine de Sophie Chaumard (d’une grande beauté).
Il faut dire que l’inspiration surréaliste et l’imaginaire du poète, mais aussi son extraordinaire sens de la narration se prêtent merveilleusement à la bande dessinée, que ce soit avec la poignante Chanson des escargots qui vont à l’enterrement, la terrifiante Chasse à l’enfant ou les tendrement ironiques Quelqu’un (restitué dans un vieux Paris impersonnel et triste) et Pour toi, mon amour.
Humaniste s’adressant à tous, Jacques Prévert est indémodable. Ses mots continuent de frapper par leur simplicité, leur musicalité, leur engagement et leur humour, comme dans Ne rêvez pas, dont l’actualité est mises en évidence par le dessin ultra-réaliste voire futuriste de Raphaël Gauthey :
Ne rêvez pas
pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne rêvez pas
l’électronique rêvera pour vous
Ne lisez pas
l’électrolyseur lira pour vous
Ne faites pas l’amour
l’électrocoïtal le fera pour vous
Pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne vous reposez pas
le Travail repose sur vous.
A découvrir dans :
Les poèmes de Jacques Prévert en bandes dessinées
Editions petit à petit
96 p., 15 €