L’influence du personnage de Carmen dans l’oeuvre de Picasso (1881-1973) : tel est le chemin que l’exposition Sol y Sombra organisée au Musée Picasso jusqu’au 24 juin propose de suivre.
Passion, fascination de la femme, du tragique, combats, tauromachie … sont effectivement des thèmes que l’artiste espagnol a explorés dans ses peintures, ses gravures et ses sculptures.
Le parcours (labyrinthique) s’ouvre sur une petite salle regroupant des cartes postales anciennes montrant la belle et envoûtante Carmen, l’héroïne créée par Prosper Mérimée dans une nouvelle écrite en 1845 puis sublimée par Georges Bizet en 1875 dans le célèbre opéra.
La carte bariolée et brodée Femme à la mantille et quelques autres constituent une entrée en matière placée sous le signe de ce qui demeure du personnage de Carmen : une certaine hispanité faite de corrida, gitane, mantille et éventail …
Puis, dans la large rampe sont exposés de grands tableaux que Picasso a peints entre 1904 et 1918, en une belle galerie de portraits de femmes en costume espagnol, avec notamment des peintures de ce qu’on a appelé la « période bleue » de l’artiste.
A la suite de la mort de son ami Carlos Casagemas, Picasso choisit à partir de 1901 des tonalités à dominante bleue, où il exprime tristesse et douleur, et met en scène des personnages seuls et déshérités.
Ainsi de la borgne entremetteuse Célestine (1904).
Certainement inspiré par Fernande Olivier qu’il rencontre au Bateau-Lavoir à Paris en 1904 et qui sera sa compagne pendant sept ans, il peint en 1905 Fernande à la mantille en camaïeux de gris et de marrons, qu’il couvre d’un voile superbe de tristesse et de mélancolie.
A peine plus loin, Olga au fauteuil (1918) ne manque pas de surprendre : voici que celui qui a inventé le cubisme avec les Les Demoiselles d’Avignon en 1907 revient à une figuration toute classique, on pourrait presque dire « ingresque ». Cet épisode de la peinture de Picasso a été initié par le voyage qu’il a effectué à Rome en compagnie de Jean Cocteau en 1917 pour la création du ballet Parade, où il a rencontré la danseuse des ballets russes Olga Koklova, qui deviendra sa femme en 1918.
Dans le même espace, on fait un saut dans le temps pour détailler un objet admirable : Carmen, la nouvelle de Mérimée illustrée par Picasso en 1948-1949, puis réimprimée quelques années plus tard et enrichie de dessins : La Carmen des Carmen. Les pages libres et les marges sont ornées de splendides dessins au lavis dans un travail d’illustration particulièrement réussi.
La thématique de Carmen, dont le meurtre au dernier acte a pour toile de fond la mise à mort du taureau peut naturellement se lire dans les abondantes variations de Picasso autour de la tauromachie.
Tel est le cas des magnifiques eaux-fortes réalisées dans les années 1930, où le mythe du Minotaure, corps d’homme et tête de taureau, occupe une grande place. Qu’il triomphe sauvagement, qu’il se repose avec l’artiste, ou qu’il mette la femme en danger … la figure mythologique n’en finit pas de fasciner Picasso. Dans une très belle pointe-sèche de 1934, il le met en scène de façon émouvante : Minotaure aveugle guidé par une petite fille aux Fleurs …
Mais c’est la violence qu’on retrouve dans certaines peintures de la même époque (1933) tels La mort de la femme torero et La mort du torero : taureaux tranquilles, mais corps meurtris, mais chevaux torturés, qui ne sont pas sans annoncer l’immense Guernica.
Le parcours Sol y Sombra s’achève par des photos montrant Picasso à la corrida, à Arles et à Vallauris, accompagné de sa femme Jacqueline, de ses enfants, du torero Luis Miguel Dominguin, de Jean Cocteau … et même de Michel Leiris (1901-1990), à qui on laisse le mot de la fin :
Le peintre et son modèle, la femme et son reflet, l’amant et son amante, le picador et le taureau ne sont-ils pas – s’il est permis de tresser pareils fils pour se guider dans l’oeuvre dédaléen de Picasso – les avatars de deux pôles d’une sorte de dialectique où tout se fonderait sur l’opposition, non résolue, de deux êtres qui se font face, vivante image de cette dualité tragique : la conscience affrontée à ce qui lui est étranger.
(Romancero du Picador, 1960, dans le recueil Un génie sans piédestal et autres textes sur Picasso, Ed. Fourbis, 1992)
Sol y Sombra. Picasso / Carmen
Musée National Picasso
Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny – Paris 3ème
Jusqu’au 24 juin 2007
Tlj sauf le mardi, de 9 h 30 à 18 h
Entrée 7,70 € (TR : 5,70 €)
Exposition organisée avec la Réunion des musée nationaux
Catalogue : 193 p., 45 € (Flammarion/RMN)