Poursuite de la visite de l’exposition « L’Evénement » avec la salle L’Evénement à l’heure de la globalisation, consacrée à la couverture médiatique des attentats du 11 septembre 2001.
Il nous semble avoir vu trop d’images de ce drame, il nous semble trop les connaître. La raison de cette saturation ? « Des images en boucle, toujours les mêmes, bégayées par une armée de speakers » soulignait Jean-Luc Godard quelques mois après l’événement dans Libération.
Cette partie de l’exposition propose une édifiante démonstration de l’uniformisation de la presse, en particulier dans ses représentations iconographiques.
L’alignement de Unes de journaux américains presque toutes identiques illustre les résultats d’une étude statistique menée à partir d’un corpus de 400 Unes des 11 et 12 septembre 2001 : celle-ci met en évidence que, malgré le très gros volume de productions photographiques alors disponibles, pas plus de 5 ou 6 types d’images ont été choisis.
A elle seule, l’image de de la boule de feu produite par l’explosion des réservoirs d’hydrocarbure du vol 175 lorsqu’il percuta la tour Sud est présente sur près de la moitié de ces unes.
Puis vient celle du nuage de fumé qui s’est élevé peu après dans le ciel clair de Manathan ; le lendemain, les journaux ont favorisé les images de ruine ; l’avion s’approchant des tours juste avant l’impact ; les scènes de panique dans la rue (toujours les mêmes également).
Une image acquerra dans les semaines suivantes une grande importance commémorative : celle des trois pompiers hissant le drapeau américain dans les décombres encore fumants du Word Trade Center. Elle n’est pas sans rappeler, évidemment, la célèbre photo des soldats américains hissant le drapeau sur l’île d’Iwo Jima (voir le dernier film de Clint Eastwood, dont le thème de départ est cette fameuse photo).
Le paradoxe laisse perplexe : l’événement le plus photographié de l’histoire de l’humanité semble avoir reçu le traitement médiatique le moins diversifié …
Cette uniformisation découle en grande partie de l’extraordinaire concentration qui s’est opérée dans le monde médiatique depuis une vingtaine d’années : en 1983, l’industrie médiatique était contrôlée par une cinquantaine d’entreprises – seulement !
Mais aujourd’hui, 5 conglomérats possèdent à eux seuls la plupart des magazines, chaînes de télévision ou de radio, maisons d’éditions, studios de cinéma, fournisseurs d’accès à Internet …
Selon certaines études, cette concentration s’accompagnerait d’une baisse de la qualité du contenu éditorial.
Il est évident, en tout état de cause, que les journaux appartenant aux grands groupes, approvisionnés aux mêmes sources, soumis à la même logique, appliquant les mêmes recettes marketing, finissent pas se ressembler étrangement …
L’explication vaut pour l’image également, et la France n’y échappe pas. Les agences disparaissent, fusionnent, ou sont rachetées par de grands groupes financiers. Aux Etats-Unis, le traitement immédiat des attentats du 11 septembre s’est fait aux ¾ à travers l’œil de l’Associated Press.
Comment s’étonner, dans ce contexte, de cette impression – qui est une réalité – de déjà vu, de trop vu, presque d’écœurement, face à la représentation d’événements tragiques qui pourtant devraient nous émouvoir en ce qu’ils sont avant tout des drames humains ?
L’espace aménagé au centre de la salle vient nous rappeler qu’on est loin d’avoir tout vu du drame de Word Trade Center. et qu’il existe une autre façon de porter son iconographie à notre connaissance : la reconstitution de l’exposition Here is New York, a Democracy of Photographs, organisée en 2002 et regroupant une sélection des innombrables photographies d’amateurs qui avaient été prises. Enfin, nous voyons des personnes, des hommes, des femmes, des enfants. Un homme noir est assis, penché en avant, sur une chaise à même la rue, on sent l’épuisement physique et moral, tandis qu’un homme blanc plus âgé, avec un tuyau d’arrosage, le nettoie des cendres qui le recouvrent. Tout à coup, la détresse, tout à coup l’aide, le silence, l’humanité.
On se surprend à regarder un long moment ces photos accrochées de-ci de là sans plan ni priorité, scènes de vies après l’horreur, certaines en noir et blanc, les autres en couleurs, toutes différentes.
Enfin la diversité, celle dont l’événement a été vécu, celle dont cet événement a été saisi dans l’objectif.
A ce moment-là seulement, l’image nous donne à croire qu’on a vu, peut-être un peu "connu", quelque chose de ce drame.
L’Evénement, les images comme acteurs de l’histoire
Jeu de Paume – Concorde
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Jusqu’au 1er avril 2007
Ouvert tlj sauf le lundi de 12h à 19h, le week-end dès 10h et le mardi jusqu’à 21h.
Entrée 6 € (TR 3 €)
Catalogue de l’exposition : 30 €