Harper Regan au Théâtre du Rond Point

Harper Regan, Simon Stephens, Théâtre du Rond-PointCe qui se passe au Théâtre du Rond-Point est à ne rien y comprendre. Après avoir vu, au cours de ces dernières saisons, la salle Renaud-Barrault pleine à craquer s’esclaffer à la moindre réplique à peine digne d’un comique troupier, après avoir été tirée d’un profond sommeil par les délirantes ovations mettant un terme à des représentations d’un incommensurable ennui, voici que, ce jeudi 27 janvier, face à un spectacle de très grande qualité, la salle n’était pleine qu’à moitié, arrivée visiblement froide et repartant tout juste tiédie. Insondable mystère !

Simon Stephens, dramaturge britannique de 40 ans, est l’auteur d’une quinzaine de pièces. Depuis la première en 1998, Bluebird, un grand nombre d’entre elles ont été récompensées en Grande-Bretagne. Celle-ci, créée en Londres en 2008, puis en Israël et aux Etats-Unis, avant d’être produite en France, donne envie de suivre le nom de Simon Stephens.

L’histoire ? En scène d’ouverture, une femme d’une petite quarantaine d’années, assise en train de fumer, demande à un grand monsieur bedonnant à chemise rayée l’autorisation de s’absenter quelques jours pour aller voir son père plongé dans le coma. Le patron refuse, semble vouloir éviter de creuser le sujet, digresse longuement. Elle, malgré une certaine réserve, répond avec naturel. Elle est Harper Regan, interprétée par Marina Foïs, à qui son père a donné son prénom en hommage à Harper Lee, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

Dès les premières secondes, la présence de Marina Foïs laisse coi. Corps, regard, voix : tout y est ; elle incarne Harper avec une présence incroyable et la fascination va durer tout au long des 2 h 10 que dure la pièce.
Fin de la première scène, noir, le plateau tourne, et on retrouve Harper qui aborde un adolescent au bord du canal, parle de sa vie, de sa fille, de son mari, de son père.
Un peu plus tard, on découvre le mari (Louis Do de Lencquesaing) faisant réciter son cours de géologie à sa fille Sarah – Alice de Lencquesaing, jouée par la propre fille de Louis-Do (1). Harper rentre, conversation à trois. Comme au bureau, on sent Harper à la fois très à sa place, et en même temps coincée par son entourage, peut-être pas si bien en place que cela. Comme s’il y avait un trop-plein, ou peut-être quelque chose d’avalé de travers. Malgré le sourire d’Harper, la légèreté de ton, on sent une inquiétude profonde.

On suit Harper au fil de ses rencontres, un inconnu dans une chambre d’hôtel, les retrouvailles avec sa mère. Petit à petit son histoire se dessine, s’éclaire, au fil de dialogues simples et bien ficelés.
Le dispositif scénique, un plateau tournant, s’appuie sur des décors de verre et des meubles sobres, un éclairage choisi et efficace. Tout est fluide, évident. La distribution est très homogène, impeccablement dirigée. Quatre, dont le grand Gérard Desarthe, jouent plusieurs personnages avec un talent égal.

Que demander de plus ?
Un public plus fourni pour accueillir comme elle le mérite cette pièce contemporaine très juste, mise en valeur sans tapage par la vision claire de Lukas Hemleb et ses merveilleux comédiens.

Harper Regan
de de Simon Stephens
Mise en scène Lukas Hemleb
Avec Caroline Chaniolleau, Gérard Desarthe, Marina Foïs, Alice de Lencquesaing, Louis Do de Lencquesaing, Pierre Moure
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Salle Renaud-Barrault
A 21 h, le dimanche à 15 h
Jusqu’au 19 février 2011

(1) Mia Hansen-Love avait déjà réuni père et fille au cinéma en 2009 dans Le père de mes enfants

Photo © Giovanni Cittadini Cesi

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Le père de mes enfants. Mia Hansen-Love

Le père de mes enfants, Mia Hansen-LoveProducteur indépendant à Paris, Grégoire Canvel choisit des films exigeants, le plus souvent refusés par les autres producteurs. Seule la qualité des projets l’intéresse, jeune scénariste inconnu ou réalisateur suédois insupportable.
On le suit dans son métier – et c’est passionnant – toujours entre deux coups de fil, deux cafés, deux cigarettes ou deux excès de vitesse. Mais toujours stoïque et sûr de ses choix. Quand arrive la fin de semaine, il rejoint ses quatre femmes – son épouse et leurs trois filles – à la campagne, où rayonne le bonheur familial. C’est à la fois doux, sur la corde et lumineux. Mais peu à peu, un autre aspect de la réalité fait surface, versant cruel de la production indépendante : le gouffre financier dans lequel Grégoire s’est progressivement enfoncé au fil des années. Il ne voit pas de solution et se résout au pire.
On passe alors dans la seconde partie du film, concentrée sur l’entourage de Grégoire, sa femme en premier lieu, mais aussi l’un de ses amis, lui aussi producteur, et enfin ses filles, les deux petites et Clémence, l’aînée, adolescente silencieuse. La douleur de la perte est traitée avec sobriété, la caméra de Mia Hansen-Love caresse ses personnages, les montrant tour à tour déterminés dans l’action, celle de poursuivre l’entreprise de Grégoire, et bouleversés par ce drame. Avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, loin d’aborder ce sujet en tire-larmes, la réalisatrice fait l’impasse sur la classique scène d’enterrement pour explorer la vie de ses personnages dans cet après, ce flottement, ce temps du deuil mais aussi des questions. Secondaire au début du film, Sylvia l’épouse prend une épaisseur et un relief inattendus. Clémence, la fille aînée, interprétée par Alice de Lencquesaing (la propre fille de Louis-Do de Lencquesaing, qui joue Grégoire) étonnante de maturité et de profondeur, devient le personnage le plus intéressant. Son nom est à retenir, comme celui des autres comédiens, tous très "naturels" (les deux petites, quelles merveilles !), à l’image de ce film plein de sensibilité et de douceur, auquel on croit de bout en bout, inspiré d’une histoire réelle, celle d’Humbert Balsan, producteur qui s’est donné la mort en 2005.

Le père de mes enfants
Un film de Mia Hansen-Love
Avec Chiara Caselli, Louis-Do de Lencquesaing, Alice de Lencquesaing
Durée 1 h 50

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